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Tt ►— I
HISTOIRE
DBS
JUIFS A BORDEAUX
■THÉOPHILE m AL VEZIN.
HISTOIRE
DES JUIFS
A BORDEAUX
Noui sommet ici hittorietis el non
pas lh(ologient.
(MoNTEWiirieu, Eipril des Lois.
liv. ..V. ch. g.)
BORDEAUX
CHAHI-Kb LKI-liUVRt. I I li i< A IK h
1875
•
AVANT-PROPOS
• Nous sommes ici politiques et non
« pas théologiens. •
(Montesquieu, Esprit des Lois,
liv. XXV, ch. g: dg la Tolérance
en fait de religion.)
En écrivant Thistoire des Juifs à Bordeaux,
je ne me suis pas proposé de faire oublier les
travaux de mes prédécesseurs sur ce sujet, mais
simplement de rappeler quelques documents
qu'ils n'ont pas connus ou dont ils ne se sont
pas servis, et de continuer cette histoire jusqu'à
nos jours; je n'ai voulu autre chose qu'apporter
une sorte d'appendice aux écrits spéciaux de
Beaufleury et de d'Etcheverry.
Le premier s'est arrêté à 1800; le second,
l'érudit bibliothécaire de la ville de Bordeaux,
(
VI AVANT-PROPOS.
a publié, en i85o, un excellent ouvrage; il en
avait recueilli les éléments principaux dans les
archives municipales dont un incendie récent
n'avait pas encore diminué les richesses; mais il
a complètement négligé d'interroger une collec-
tion précieuse de pièces originales, je veux parler
des archives du département. C'est dans ce riche
dépôt que j'ai largement puisé. Les minutes des
notaires, les registres des églises et des commu-
nautés religieuses m'ont fourni de nombreuses
indications. Les cartons, série C, n*** 1086
à 1094, m'ont donné les renseignements les plus
intéressants sur les relations des Juifs avec le
pouvoir royal et avec l'administration munici-
pale; sur les jalousies commerciales que les
marchands portugais et espagnols ne tardèrent
pas à susciter; sur les rivalités qui séparaient
les descendants des tribus de Juda et de Lévi,
des Avignonais et des Allemands, descendants
de la tribu de Benjamin; sur la police inté-
rieure de leur nation , et sur beaucoup d'autres
points.
Les communications officieuses de papiers
domestiques ne m'ont pas été moins précieuses.
Il ne m'a pas été possible de me borner,
comme je l'avais d'abord désiré, à analyser
AVANT-PROHOS. VII
ces cjpcuments nombreux, mais incomplets; il
fallait, pour leur intelligence même, en expliquer
Torigine et les relier entre eux.
Cest ainsi que j'ai été amené peu à peu à
lire une quantité considérabte de travaux écrits
en français, en latin, en espagnol, en alle-
mand, en anglais; et que j'ai vu se former,
de parties prises en divers horizons, Tensem-
ble du tableau que j'offre aujourd'hui à mes
lecteurs .
J'en ai fidèlement retracé les lignes, telles
qu'elles se sont présentées à moi, et sans obéir à
aucune préoccupation venant d'une différence
de croyance. Je me suis presque constamment
borné au rôle de narrateur, laissant de l'en-
chaînement des faits eux-mêmes se mettre en
lumière la loi qui en règle la moralité. Je me
suis efforcé de conserver à chaque époque son
caractère particulier et même son langage
propre, qu'il ne faut pas prendre pour le mien.
Ainsi, quand je dis, par exemple, qu au moyen
âge les croisés croyaient faire une œuvre
agréable à Dieu en exterminant les Juifs,
cette race maudite dont les ancêtres avaient
mis à mort le Fils de Dieu, j'ai cru inutile
d'avertir le lecteur combien je suis étranger
VIII AVANT-PROPOS.
à ce fanatisme, que je devais raconter. En un
mot, j'ai essayé de suivre le conseil et l'exem-
ple du célèbre Montesquieu, et de me montrer,
après lui, non pas théologien, mais simplement
historien.
Théophile MALVEZIN.
Château de Picourncau (Médoc), le i'' Juillet 1875.
P. S. — Qu'il me soit permis ici de remercier
du concours qu'ils ont bien voulu m'accorder,
MM. Goujet, archiviste du département; Duval
et Roborel, des mêmes archives; GauUieur,
archiviste de la ville; Messier et Rancoulet, de
la Bibliothèque de la ville; et des communi-
cations qu'ils ont eu la bonté de me faire,
MM. Simon Lévy, grand -rabbin, Alexandre
Léon et Henri Gradis, négociants.
HISTOIRE
DES
JUIFS A BORDEAUX
PREMIERE PARTIE.
ÉVÉNEMENTS QUI ONT PRÉCÉDÉ L'ARRIVÉE EN GUIENNE
DES JUIFS DESPAGNE ET DE PORTUGAL.
CHAPITRE ^^
* DISPERSION DES JUIFS.
Origine des noms d'Hébreux, Israélites, Juifs. — Établissement des Hébreux en
Egypte et en Palestine. — Royaumes d'Isra£l et de Juda. — Dispersion des
habitants du royaume d'Israél. — Captivité à Babylone des habitants du
royaume de Juda. — Retour en Palestine permis par les rois de Perse :
commencement du second temple.
Divisions intestines. — Premières relations des Juife avec les Romains. — Prise
de Jérusalem par Pompée ; les captifs Israélites vendus en Italie, en Gaule et
en Espagne. — Traditions fabuleuses sur l'établissement des Juifs en Italie.
État des Juifs à Rome et en Italie au commencement du siècle d'Auguste. —
Naissance du christianisme. — Persécutions contre les Juifs et contre les
Chrétiens confondus avec eux. — Prise de Jérusalem par Titus. — Prise de
Jérusalem par Adrien. — Expulsion définitive des Juifs de la Palestine. —
Captivité d'OcciJcnt. — Captivité d'Egypte,
A la fin du quinzième siècle se réfugièrent à Bor-
deaux, chassées d^ Espagne et de Portugal, quelques
familles de cette antique nation juive qui, depuis des
2 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
siècles, n'avait plus de territoire propre, et dont les
enfants dispersés, ne conservant entre eux d'autre
lien que celui d'une étroite solidarité, fille de leur
communauté d'origine et de religion, abordaient tour
à tour à chaque rivage, et se voyaient successivement
repoussés de tous.
C'est l'histoire de cette colonie juive, hospitaliè-
rement accueillie à Bordeaux, et qui se lie à l'histoire
même de la cité, que nous nous proposons d'étudier.
Pour mieux comprendre Thistoire de ces réfugiés, il
n'est pas inutile de connaître les traits principaux de
l'histoire générale de leur nation; de voir quelles
avaient été les conditions de l'existence des^Juifs,
depuis qu'ils avaient abandonné la Palestine, soit
pendant les derniers moments de l'empire romain,
soit pendant le moyen âge, en France et en
Espagne.
Nous jetterons donc un rapide coup d'œil sur les
événements qui amenèrent la dispersion des Juifs
dans l'ancien monde romain, et qui les établirent en
Italie, en Gaule et en Espagne, pendant que d'autres
de leurs frères se répandaient sur les autres rives de
la Méditerranée, ou allaient retrouver en Orient les
descendants des vaincus de Salmanazar et de Nabu-
chodonosor.
Nous examinerons les conséquences que la nais-
sance du christianisme et son adoption par les Empe-
reurs amenèrent pour l'état des Juifs dans le monde
antique.
Nous suivrons ces proscrits éternels dans la France
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I. 3
du moyen âge et dans TAquitaine anglaise, jusqu'au
moment où ils furent chassés de ces contrées.
Nous verrons les Juifs jeter un vif éclat en Espagne
et en Portugal ; et, tantôt protégés, tantôt persécutés,
en être violemment expulsés à la fin du quinzième
siècle.
Nous suivrons ainsi leurs traces à travers les siècles,
jusqu'à l'arrivée parmi nous de ces quelques familles
qui se réfugièrent alors à Bordeaux, et à qui trois
cents ans de séjour dans cette cité avaient mérité tous
les droits du citoyen, bien avant que l'Assemblée
nationale de 1789 les accordât à tous les Israélites
français.
>
Les Hébreux, suivant ce que disent les rabbins, les
Pères de l'Église, notamment Eusèbe et saint Jérôme,
et presque tous les commentateurs des Écritures,
reçurent leur nom de Héber, fils de Salé, de la race
de Sem. Ce serait Héber, qui, lors de la confusion
des langues, après la construction impie de la tour de
Babel, aurait conservé le langage et la religion que
Dieu lui-même avait enseignés au premier homme.
Le nom d* Israélites fut donné aux enfants de Jacob,
pour rappeler la lutte de Jacob contre l'esprit de Dieu.
Le nom d'Israël signifie, selon quelques-uns, fort
« contre Dieu » ; et, suivant une autre version, fort
« contre l'ange ». Philon d'Alexandrie dit qu'Israël
est un terme chaldéen qui signifie a voyant Dieu t> .
Le nom de Juif, Judœus, fut donné comme dénomi-
nation spéciale aux descendants de la tribu de Juda,
4 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Tune des douze dlsraël, et devint une désignation
générale, lorsque le royaume de Juda, ayant eu une
existence plus longue que celui dlsraël, se trouva
représenter seul le corps de nation de la race hébraïque.
Les Hébreux vivaient en Egypte dès les temps les
plus reculés de Thistoire. La critique historique mo-
derne a recherché s'ils étaient issus de la même race
que les autres habitants de T Egypte, ou s'ils formaient
une race distincte. Ils sortirent d'Egypte, sous la
conduite de leur célèbre législateur Moise, qui, les
dirigeant au Nord- Est, à travers les déserts. Vers les
contrées fertiles de TAsie-Mineure, fonda leur établis-
sement en Palestine, au bord du Jourdain. Ils s'em-
parèrent par la force du pays que Moïse leur avait
désigné comme la terre promise qui leur était destinée
par Dieu lui-même. Lorsqu'ils eurent exterminé,
chassé, ou réduit en servitude les habitants, ils eurent
encore longtemps à se défendre contre la multitude
des petits peuples ennemis qui les entouraient, et
avec lesquels ils furent en hostilités continuelles.
Des divisions intestines ne cessèrent d'ailleurs
d'exister entre les Hébreux eux-mêmes, prenant
presque toujours leur source dans des dissentiments
religieux.
Un moment réunies sous le glaive du belliqueux
roi David, cet homme « suivant le cœur de Dieu »,
les douze tribus parurent Jouir d'une paix glorieuse
sous le règne éclatant de Salomon, qui remplit
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I. 5
rOi;ient de la renommée de sa sagesse, ce Israël repo-
sait en paix à l* ombre de sa vigne et de son figuier, »
Mais les divisions ne tardèrent pas à reparaître, et
bientôt les deux royaumes de Juda et d'Israël furent
complètement séparés sous des rois ennemis.
La séparation des dix tribus qui formaient le
royaume d'Israël, d'avec les deux tribus de Juda et
de Benjamin qui formaient le royaume de Juda, fut
fatale à toute la race de Jacob. Trop faibles désormais
pour résister avec un succès continuel aux attaques
de leurs puissants voisins, les rois d'Egypte, les rois
d'Assyrie, et plus tard les Romains, les descendants
d'Héber et de Jacob, plusieurs fois vaincus, subirent
à plusieurs reprises toutes les horreurs de la défaite,
et finirent par être tous, suivant 4'expression de leurs
prophètes, ce dispersés aux quatre vents du monde. »
Nous croyons utile de donner une idée générale
des événements qui se rattachent à cette dispersion.
Plusieurs siècles avant l'ère chrétienne, des popu-
lations Israélites avaient été violemment arrachées
de cette terre promise, où Moïse les avait conduites
après leur sortie d'Egypte. La tribu de Ruben, celle
de Gad et la moitié de celle de Manassé avaient été
emmenées en Syrie, comme esclaves, par Phul et par
Théglath-Phalazar. Les autres habitants du royaume
d'Israël, établis auprès de Samarie, furent transportés
par Salmanazar, roi d'Assyrie, dans les plaines de la
Chaldée, l'an 722 avant Jésus-Christ.
Les tribus samaritaines, dispersées au delà de
6 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
TEuphrate, ne revinrent jamais, comme corps de
nation, en Palestine. Le temple qu'elles avaient élevé
à Garizim avait été détruit. Leur ancien pays était
peuplé d'une race idolâtre, celle des Cuthéens. Cepen-
dant peu à peu, et individuellement, un grand nombre
de Samaritains revinrent auprès de Sichem : il se
forma, de leur contact avecles Cuthéens, un mélange
de races et de doctrines, qui rendit plus profond encore
le schisme religieux qui, depuis Jéroboam, avait séparé
les Samaritains des Juifs et avait élevé entre eux une
si puissante barrière.
Cette séparation était tellement prononcée, même
dans les mœurs, que, plusieurs siècles après, la
Samaritaine dont parle l'Évangile s'étonnait que
Jésus, venant de Jérusalem, demandât à boire à une
fille de Sichem.
Les habitants du royaume de Juda s'étaient long-
temps soutenus, quelquefois avec succès, contre les
rois d'Israël et contre leurs puissants voisins étrangers.
Cependant ils étaient devenus tributaires du Pharaon
Nechao, roi d'Egypte, lorsque le roi d'Assyrie, Nabu-
chodonosor, en guerre avec celui-ci, vint mettre le
siège devant Jérusalem. Le monarque assyrien,
s'étant emparé de la ville sainte, réduisit les habitants
en servitude , et, suivant l'usage de l'époque, traîna
à sa suite une foule de captifs qu*il destinait à peupler
la vaste Babylone. Parmi les enfants de la race royale
qu'il emmenait avec lui se trouvaient Daniel, Ananias,
Misraël et Azarias : Daniel qui sortit vivant de la
PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE I. 7
fosse aux lions, les trois autres qui traversèrent sans
blessures la fournaise ardente.
Ainsi, à un siècle et demi de distance , les tribus
de Juda et de Benjamin se trouvaient arrachées de
leurs foyers par Nabuchodonosor , comme les dix
tribus d'Israël Pavaient été par Salmanazar. Les
premières se trouvaient à Babylone, tandis que les
Samaritains habitaient au delà de TEuphrate, dans
les anciennes demeures des Mèdes, et de là s'éten-
daient sur toute la surface de TAsie.
C'est là ce que les annales de la Synagogue appel-
lent la captivité d'Orient,
Nous n'avons pas à suivre le spectacle de l'établis-
sement et du développement des Israélites en Asie ;
ils y survécurent aux révolutions des empires d'Assyrie
et de Perse, augmentant progressivement en nombre
et en richesses, maintenant leur religion contre le culte
ennemi des mages et des adorateurs du feu, et
conservant entre les Juifs des diverses sectes, et avec
ceux restés en Palestine, des relations qui contribuèrent
à l'éclat dont furent entourés les rabbins de Babylone,
de la race de Juda.
Lorsque les rois d'Assyrie furent vaincus par les
rois de Perse, et que la fastueuse Babylone fut à son
tour assiégée et prise, le roi de Perse, Cyrus, permit
aux Juifs du royaume de Juda, captifs à Babylone, de
retourner dans leur patrie. Ils ne partirent ni tous, ni
à la même époque. Les relations des rabbins préten-
dent que les plus riches, les plus honorés, restèrent
8 HISTOIRE DES JUIFS À BORDEAUX.
dans la contrée qui était devenue leur patrie d'adoption,
et que les pauvres seuls partirent. Un grand nombre
cependant revinrent à Jérusalem, conduits d'abord par
Zorobabel, prince de la maison de David, puis par
Esdras et Néhémie. Ils vainquirent les populations
diverses qui occupaient leur ancien territoire; et,
répée dans une main, la truelle dans Tautre, ils
rebâtirent Jérusalem et le temple de Jéhova. C'est
alors que commença la période que les rabbins appel-
lent celle du second temple.
Les fractions des tribus de Juda et de Benjamin
qui retournèrent ainsi dans leur ancienne patrie, se
retrouvèrent dans Je voisinage des Samaritains de
race croisée, dont nous avons parlé.
Pendant cette nouvelle phase de son existence, le
royaume de Juda continua ses luttes contre les peuples
voisins, jusqu'au moment où il dut, comme toutes les
nations du monde antique, courber la tête sous le dur
joug des Romains.
Dans les traditions de la Synagogue, et d'après le
livre des Machabées, les premières relations des Juifs
avec les Romains datent de Judas Machabée. Ce
pontife, souverain sacrificateur, avait demandé l'al-
liance romaine contre les rois d'Assyrie et d'Egypte,
ces constants ennemis. Le sénat de Rome inscrivit
sur des tables d'airain le décret d'alliance, dont le
texte nous a été conservé.
Cette époque guerrière des Machabées fut illustrée
par les luttes sanglantes des Israélites contre les
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I. Q
peuples voisins, et donna à la Judée les cités mari-
times de Joppé et d'Ascalon, et les riches contrées de
Samarie et de Tldumée. Mais, lorsque Simon, le
dernier des Machabées, eut déposé dans la tombe son
glaive victorieux, les dissensions renaquirent. Les
docteurs de la loi rappelèrent que son fils Hyrcan
était issu d^unc mère Id^éenne, et que la loi de
Jéhova excluait le fils d'une femme étrangère de la
suprême sacrificature.
Les schismes religieux et les troubles politiques
prirent une force nouvelle, et les deux sectes ennemies
des Pharisiens et des Saducéens perdirent leur
patrie par des discordes fratricides. Ces deux sectes
existaient depuis longtemps déjà : celle des Pharisiens,
rigides observateurs de la loi, avait fait triompher,
par réiévation des Machabées, la domination de la
race sacerdotale des sacrificateurs sur la race royale
de David; ils maudirent solennellement autour du
tabernacle la mémoire d'Hyrcan, jqui les avait aban-
donnés. Les Saducéens eurent leur retour de fortuue
avec le fils et le petit-fils d'Hyrcan, Aristobule et
Alexandre. Aristobule, issu de la race sacerdotale,
osa le premier ceindre la couronne des rois, et alla
s'asseoir sur le trône de David et de Salomon, contre
la loi qui donnait le sceptre à la famille de David.
Alexandre persécuta les Pharisiens et, en un seul
jour, en fit crucifier huit cents.
Un nouveau revirement s'opéra à sa mort par
l'influence de sa veuve Alexandra, fermement attachée
aux Pharisiens, auxquels elle confia l'éducation de
lO HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
son fils aîné Hyrcan, destiné au suprême pontificat.
Le second fils d^Alexandre, Aristobule, dès quHl
fut en âge d'agir, se mit à la tête des Saducéens, et
prit le titre de roi des Juifs. Pour se maintenir dans
cette royauté, il sollicita l'appui de Scaurus, lieutenant
de Pompée. Pompée venait de vaincre Mithridate.
Strabon raconte que les envoyés d'Aristobule remi-
rent en présent au général romain une vigne d'or
d'un merveilleux travail, qui fut ensuite déposée dans
le temple de Jupiter au Capitole.
Pompée, dont la médiation fut méconnue par
Aristobule lui-même, qui l'avait implorée, profita des
circonstances pour s'emparer de Jérusalem. Il res-
pecta le temple, ses vases sacrés et ses trésors ; mais
il détacha de la Judée des territoires importants, ainsi
que les villes de la basse Syrie, et accabla d'impôts
les autres cités. Aristobule captif dut orner à Rome
le triomphe du vainqueur. Avec lui. Pompée avait
traîné en Italie une foule de captifs, qu'il fit vendre
comme esclaves.
Telle est l'origine historique la plus probable de
l'établissement des Juifs à Rome et en Italie, d'où ils
se répandirent en Gaule et en Espagne.
Quelques traditions rabbîniques donnent à l'établis-
sement des Juifs à Rome et en Italie une origine bien
autrement antique, et purement fabuleuse. Elles le
font remonter aux temps de Jacob et des rois pas-
teurs, et racontent qu'Utsépho, petit-fils d'Esaii,
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I. I I
quitta les murs de Carthage pour conquérir le Latium
et fonder sur les bords du Tibre la ville des merveilles.
Ces légendes, empreintes des réminiscences du poème
de Virgile, rappellent celles relatives à Torigine fan-
tastique des Francs que de prétendus historiens,
obéissant à des préoccupations du même genre, ont
fait descendre de Francus, fils d'Hector, le héros
troyen immortalisé par Homère.
Il est certain que les Juifs étaient déjà nombreux
en Italie aux derniers jours de la République et sous
les premiers Césars. Ils n'avaient pas brisé les liens
qui les attachaient à cette patrie bien-aimée dont
Pompée les avait arrachés ; et , quoique dispersés
dans a le cruel royaume d'Edom » , ils formaient
une sorte de communauté, qui, comme nous Tapprend
Cicéron dans son plaidoyer pour Flaccus, recueillait
chaque année des sommes considérables, et les envoyait
à Jérusalem pour le service du temple saint.
Les écrivains du siècle d'Auguste nous montrent
les Juifs vivant à Rome, les uns dans l'esclavage, les
autres affranchis, jouissant d'une grande tolérance de
la part du gouvernement, célébrant le sabbat et leurs
fêtes annuelles dans leur synagogue. Mais ils peignent
en même temps l'isolement dans lequel ils vivaient,
et la répulsion qu'ils inspiraient à la multitude encore
plus qu'aux patriciens. <c Chaque peuple, disait Cicéron,
» a ses adorations, comme nous avons le culte de
j> nos dieux. Mais la religion des Juifs est tellement
» en opposition avec la splendeur de cet empire, la
l
12 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
» gloire du nom romain et les institutions de nos
» ancêtres, qu'elle ne nous inspire que de Thorreur. j>
Les poètes satiriques , Perse, Martial, Juvénal, ne
leur épargnaient pas les épigrammes. Cependant
plusieurs Juifs, parmi les affranchis, surent acquérir
une certaine influence. Horace adresse une de ses
épîtres au Juif Fuscus, affranchi comme lui; il parle
de leur amitié réciproque, de la parité de leurs goûts,
et il ajoute qu'ils sont ensemble comme les deux
pigeons de la fable.
A cette époque se passait en Judée un événement,
alors presque inaperçu, mais qui devait changer la
face du monde. Le Christ était apparu, et prêchait
une loi nouvelle.
L'importance de ce fait ne se manifesta que lente-
ment. Le Christ ne parut d'abord que le fondateur
d'une de ces sectes nombreuses qui avaient, à toutes
les époques, divisé le culte mosaïste ; et pendant long-
temps les Romains confondirent les Chrétiens ou
Nazaréens avec les Juifs dont ils étaient sortis. A Rome,
les Juifs, comme les Chrétiens qui n'avaient pas tardé
à s'y montrer, manifestaient le même éloignement
pour lès cérémonies païennes, affectaient la même
attitude d'isolement et de fanatisme. Ils habitaient les
mêmes quartiers au delà ^u Tibre, enterraient leurs
morts dans les mêmes catacombes. Ils adoraient, les
uns comme les autres, un Dieu inconnu, unique et
jaloux, dont l'image ne se dressait pas sur l'autel.
Juifs et Chrétiens étaient confondus dans le même
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I. l3
mépris. Lorsque le Sénat fit déporter quatre mille
Juifs, parmi lesquels se trouvaient beaucoup de Chré-
tiens, et les envoya pour peupler la Sardaigne, les
Romains disaient que si ces déportés étaient vain-
queurs de la population sauvage et féroce de cette
lie, ils la coloniseraient et Tenrichiraient ; que s'ils
étaient exterminés, la perte ne serait pas à regretter.
Tibère, dit Suétone, réprima les cérémonies et les
rites égyptiens et judaïques. Il éloigna les Juifs de
Rome ; et, sous prétexte de service militaire, répartit
la jeunesse juive dans les provinces dont le climat
était le plus rude.
Il existait entre la religion de Moïse et celle du
Christ une différence immense au point de vue
politique.
Attachés à la loi de Moïse, fiers d'avoir été choisis
par Jéhova entre toutes les nations pour être le peuple
de Dieu, pleins d'espoir dans les magnifiques pro-
messes de leurs livres saints, et attendant le moment
de régner sur toutes les nations, les Juifs dédaignaient
profondément les étrangers, et ne cherchaient pas à
faire partager leur foi aux infidèles. Aussi, vivaient-ils
dans l'attente et l'isolement, mais tranquilles, sous des
lois tolérantes qui leur laissaient leur culte et leurs
mœurs.
«
La loi que le Christ apportait se disant le fils de
Dieu, envoyé par son père, appelait à elle toutes les
nations et s'adressait au Galiléen et au Romain,
comme au fils d'Abraham. Les disciples du Christ
14 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
étaient animés d'un esprit de prosélytisme inconnu
aux Juifs de l'Ancien Testament; et, s'ils prêchaient la
soumission aux autorités établies, s'ils enseignaient de
rendre à César ce qui est à César, ils étaient en même
temps les ardents propagateurs de dogmes nouveaux,
dont les conséquences allaient remuer profondément
la vieille civilisation païenne. L'agitation politique
produite dans les couches inférieures du monde antique
par les problèmes sociaux que posaient hardiment les
Nazaréens, amena sur eux et sur les Juifs, avec
lesquels on les confondait encore, les sévérités du
gouvernement de Rome. Les rigueurs et les persécu-
tions furent communes aux Juifs et aux Chrétiens.
L'historien Suétone nous dit que, sous le règne de
Claude, l'empereur a chassa de Rome les Juifs, parce
» qu'ils y faisaient continuellement du tumulte à Tins-
» tigation de Christus. t> Et plus tard. Tacite, qui
distingue les Chrétiens des Juifs, dit encore : a La
Judée fut l'origine du mal. »
Il est probable que Juifs comme Chrétiens furent
livrés aux flammes, lorsque Néron illumina ses jardins
avec les corps de ces malheureux.
a Le culte des Juifs, » dit le grand historien Tacite,
écho des préjugés qui régnaient déjà de son temps,
a est ignoble et absurde. » Et cependant Tacite avait
sur la nation juive des idées assez exactes, malgré les
erreurs nombreuses et grossières qu'il accueillait;
ainsi il indique que des traditions faisaient venir les
Hébreux de l'Ethiopie ou de l'Assyrie pour séjourner
en Egypte et en sortir sous la conduite du législateur
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE I. I 5
Moïse ; s'il écrit que les Juifs n'éprouvent que de la
haine pour tous les étrangers, il reconnaît qu'entre
eux la bonne foi est inébranlable et la charité active;
il dit qu'ils croient à l'iminortalité de l'âme, aux
peines et aux récompenses dans une autre vie ; qu'enfin
ils ne connaissent et n'adorent qu'un seul Dieu,
purement immatériel. Dieu suprême, immuable,
impérissable, éternel.
A ces Juifs qui étaient répandus dans l'empire
romain, soit que les uns y eussent été autrefois
transportés par Pompée, soit que d'autres y fussent
venus volontairement depuis que des relations plus
fréquentes s'étaient établies entre Rome et la Judée,
tributaire de l'empire, allait se joindre une portion
considérable de la masse même de la nation juive,
par suite des nouvelles guerres qui amenèrent la prise
répétée de Jérusalem par les Romains.
Déjà, lors des dernières convulsions du royaume de
Juda, lorsque la famille des princes Asmonéens
s'éteignait dans le sang et dans les guerres civiles,
une grande quantité de Juifs, fuyant les désordres et
les vengeances, avaient cherché un refuge en Egypte,
en Grèce, à Rome et en Italie.
Une terrible série de calamités devait frapper la
Judée, a Le peuple dévastateur de V aigle » dont les
prophètes avaient menacé Israël, les Romains, allaient
apporter la désolation et la mort. Au sombre Vespa-
sien succéda, dans la guerre de Judée, son fils Titus,
celui que les Romains devaient appeler les délices du
l6 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
genre humain. Après une résistance désespérée,
Jérusalem fut prise et saccagée, le Jourdain fut rempli
de sang, le Saint des Saints fut détruit, et Israël fut
emmené en captivité et dispersé aux quatre vents du
monde. L'historien Flavius Josèphe, Juif lui-même, qui
prit part à la résistance, compte i , 1 00,000 Israélites
tués dans cette guerre. Les femmes, les enfants, furent
vendus aux enchères comme esclaves; 97,000 furent
amenés en Italie.
Après cette sanglante conquête, Titus, devenu
Tamant de la belle reine juive Bérénice, qui l'avait
suivi à Rome, essaya d'adoucir les maux qu'avait
faits la guerre. Mais, à sa mort, la lutte se raviva, plus
âpre et plus terrible encore. Impatients du joug, les
Juifs se révoltèrent à plusieurs reprises, et toujours
ces révoltes furent éteintes dans leur sang.
Sous Adrien, la Judée se souleva une dernière fois.
Le chef du Sanhédrin, le savant rabbin Akiba, salua
le libérateur Barcochébas, qui se disait le Messie, fils
de Cobiza, roi des Juifs : ce Voici venir V étoile qui
doit sortir de Jacob! » Les lieutenants d'Adrien
furent battus. L'empereur vint lui-même. La lutte
avait été acharnée, le vainqueur fut sans pitié; il
voulut écraser à jamais ce foyer de révoltes. On lit
dans la Mischna qu'Akiba fut déchiré avec un
peigne de fer; Barcochébas, plus heureux, avait été
tué en combattant. Le massacre fut épouvantable, la
ville fut rasée, la charrue passa sur ses maisons
détruites et sur le sol où s'était élevé le temple. Les
PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE I. 17
femmes, les enfants, les guerriers qui n'avaient pas
été tués, tous les habitants, furent vendus à l'encan
dans la ville de Térébinthe ; et leur nombre était tel,
les marchands spéculateurs les obtinrent pour si peu
d'argent, que le prix payé pour un esclave jeune
et vigoureux n'atteignit pas celui des plus maigres
chevaux du désert.
Adrien prit les mesures les plus rigoureuses pour
que la dispersion des Juifs fut définitive. Il leur
défendit la circoncision, et pour les empêcher de
revenir habiter Jérusalem, il posa des soldats dans
des postes choisis aux environs de la cité détruite.
Pendant de longues années ces soldats permettaient,
à prix d'argent, aux Juifs éplorés, de Jeter de loin,
priant sur la colline, un regard de douleur sur le lieu
où s'était élevé le temple de Jéhova.
C'est de ce moment que commença la période que
les rabbins ont appelée la captivité d*Occident.
Outre la captivité d'Orient et celle d'Occident, les
rabbins comptent encore la captivité d'Egypte^ que
nous nous bornons à mentionner.
Des colonies juives avaient été transportées en
Egypte par Alexandre le Grand et Ptolémée Lagus,
qui avaient dépeuplé la Judée. Ces colonies trouvèrent
probablement en Egypte des débris de ces anciens
Hébreux qui avaient été si longtemps esclaves sous les
Pharaons. Ces populations, protégées par les Lagides,
se multiplièrent dans les riches cités du Nil, et
purent exercer leur culte sans contrainte. L'Egypte
l8 HISTOIRE DES JUIFS À BORDEAUX.
devint le centre d'une hiérarchie de savants docteurs,
qui ne le cédèrent, ni en instruction, ni en renommée,
aux synagogues de Babylone et à celles de Judée. La
multitude conserva ses traditions, ses rites et ses
préjugés; mais Técole philosophique d'Alexandrie,
sensible elle-même à l'influence du génie Israélite,
exerça à son tour son influence sur la Synagogue, qui
s'imprégna du caractère de la philosophie de Platon.
Lorsque le christianisme fit son apparition en
Egypte, les Juifs prirent une large part aux persécu-
tions contre les Chrétiens, comme ils l'avaient fait en
Asie; et, plus tard, ils se mêlèrent activement aux
disputes des Ariens et des Nestoriens.
L'invasion musulmane vînt clore en Egypte, comme
elle le fit en Orient, cette période de l'histoire juive,
Nous n'avons pas à nous occuper de l'histoire de
la captivité d'Egypte, pas plus que de celle d'Orient.
Notre rôle, plus modeste, et cependant bien assez
lourd, se borne à rechercher en Occident les origines
des Israélites qui ont habité la Gaule et l'Espagne,
sous la domination romaine et. pendant le moyen
âge, pour mieux comprendre l'histoire de ceux qui
s'établirent dans l'ancienne Guienne, au commen-
cement du seizième siècle.
Disons cependant que bien avant la prise de Jéru-
salem, des établissements juifs avaient été formés par
des émigrés volontaires, obéissant déjà à ce besoin de
se répandre en tous lieux, qui caractérise si éminem-
ment la race de Jacob. Une colonie avait été implantée
PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE I. I9
en Abyssinie par la reine de Saba, suivant les traditions
rabbiniques.
L'Inde avait reçu des colonies juives dès les temps
les plus éloignés.
En Chine, les missionnaires catholiques ont trouvé
des familles juives, dont rétablissement devait remon-
ter à une époque antérieure à la venue du Christ, car
elles n'en avaient jamais entendu parler.
CHAPITRE II.
ÉTAT DES JUIFS DANS l'eMPIRE ROMAIN JUSQU'a
CONSTANTIN.
Importance du nombre des Juifs dans l'empire. — Esprit de prosélytisme du
christianisme. — Tolérance pour les dogmes juifs amenée par Tesprit philoso-
phique. ~ Lois de Constantin et des empereurs chrétiens.
Les enfants du royaume de Juda, dispersés depuis
le triomphe de Pompée et la destruction du Temple
par Adrien, vendus et amenés comme esclaves, ou
venus volontairement, étaient très nombreux dans
Tempire romain. On en comptait à Rome plus de
20,000*, il y en avait en Italie, en Sicile, aux îles
Baléares, en Afrique, en Espagne, dans le midi de la
Gaule.
A ce moment, le polythéisme antique voyait ses
dieux méprisés et ses autels déserts : une nouvelle
croyance religieuse cherchait ardemment à conquérir
le monde. Au milieu de ce mouvement, la situation
des Juifs allait recevoir des modifications considé-
rables.
La doctrine du Christ et de ses disciples, d'abord
paraissant empreinte des principes mêmes de la religion
judaïque, et se laissant confondre avec les sectes
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II. 2 1
diverses qui interprétaient la loi de Moïse, avec celles
des Pharisiens, des Saducéens, des Esséniens, des
Samaritains, des Caraïtes, avait fini, à travers les
hérésies qui se détachaient d'elle et avaient contribué
à lui donner l'unité de dogme, par poser et affirmer
ses principes distincts, et, par l'ardeur de son prosé-
lytisme, à justifier la parole de TertuUien : a Nous
ne sommes que d'hier, et déjà nous remplissons le
monde. » Les Chrétiens, qui ne comptaient d'abord
parmi eux qu'un petit nombre de pêcheurs et de
femmes du peuple, plus tard des esclaves et des
affranchis, n'avaient pas tardé à voir croître le nombre
et la puissance de leurs adeptes ; la foi du Christ avait
gagné peu à peu les classes supérieures de la société
romaine, et venait enfin, triomphante avec Cons-
tantin, de s'asseoir sur la pourpre impériale.
L'Église, fille de la Synagogue, ne s'en était pas
détachée sans faire naître, entre les novateurs et les
partisans de la loi de Moïse, une haine réciproque qui
saisit bientôt toutes les occasions de se manifester. Le
Christ, qui avait déchiré les voiles de l'antique taber-
nacle, était mort du supplice des impies qui touchaient
à Tarche sainte, sur le gibet ignominieux des esclaves.
Les Chrétiens, plus odieux encore aux Juifs que leur
maître, avaient subi de leurs ennemis les persécutions
les plus ardentes, lorsque ceux-ci avaient eu le pouvoir
de les exercer, ou l'influence de les appeler sur la tête
des contempteurs de l'ancienne loi.
Investis de la puissance, les Chrétiens allaient se
montrer persécuteurs à leur tour contre ces Juifs qui
22 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
leur étaient odieux pour avoir fait mourir le Fils
de Dieu.
Lorsque le nombre et la puissance des Chrétiens
leur eut donné l'empire, la lutte entre les deux cultes
fut longtemps une lutte de docteurs, dans laquelle les
adversaires discutaient l'excellence de leurs dogmes
respectifs, cherchaient à se convaincre mutuellement et
anathématisaient ceux qu'ils n'avaient pas convaincus ;
pour répondre aux Pères de l'Église qui formulaient
avec ardeur et parfois avee éloquence les bases du
christianisme , les rabbins des écoles Juives de Tibé-
riade et de Jafhé enseignaient les préceptes de Moïse
et les sentences des sages ; ils rédigeaient la Mischna
et le Talmud.
Déjà, dans les derniers jours du monde païen, les
progrès de l'esprit philosophique en Grèce et à Rome
avaient attiré l'attention sur les dogmes hébreux et
chrétiens, dont le néo-platonisme avait célébré la
sagesse. Ces études avaient amené une certaine bien-
veillance pour les Juifs. Tolérés, quelquefois protégés
par les empereurs païens, par Antonin, par Julien
qui essaya de rebâtir le temple, par Valens, par
Valentinien, les Juifs de l'empire romain, depuis le
règne d'Antonin le Pieux jusqu'à celui de Constantin,
jouirent de tous les droits des autres habitants de
l'empire. Les rabbins juifs, pour donner une idée de
cette situation favorable, vont jusqu'à prétendre
qu' Antonin le Pieux s'était secrètement fait circon-
cire et s'était converti au judaïsme.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE II. 23
Lorsque Constantin se fut incliné devant le labarum
et eut embrassé la foi du Christ, il se montra d'abord
très tolérant envers les Juifs. Le code théodosien
constate (0 quelle était alors la situation légale des
Juifs dans Tempire, en même temps qu'il indique
combien leur nombre était considérable. Ils étaient
dispersés dans toutes les provinces ; ils obéissaient à
des patriarches , chefs reconnus de la nation , que les
empereurs honoraient du titre àî" Illustres. Non seu-
lement l'exercice de leur culte n'était prohibé par
aucune loi , mais la loi IX portait défense d'empêcher
leurs assemblées et de les troubler dans les cérémonies
de leur religion, ou dans l'observation du jour du
sabbat. Leurs prêtres étaient exempts des fonctions
civiles ; et, comme les autres citoyens, les Juifs étaient
assujétis aux changes municipales de la curie.
Toutefois la loi commence à tracer entre les
Chrétiens et les Juifs une ligne de démarcation qui
grandira pendant de longs siècles : la plus large
protection est accordée aux Juifs qui embrassent le
christianisme; mais il est sévèrement défendu aux
Chrétiens de retourner au judaïsme; il est défendu
aux Juifs de s'allier aux Chrétiens par mariage W ; il
leur est défendu de circoncire leurs esclaves chré-
tiens (3), et plus tard il leur est même défendu de
posséder des esclaves chrétiens (4).
(i) Lib. 8. De Judceis.
12) Cod, Justin. I, 9, 1. 16.
(3) Cod. T/reorf. XV, 9, 1. i.
(4) Eusebius in Constant. 4, 27. Cod. Justin. I, 10, t. unica.
24 HISTOfRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Les pénalités sont cruelles : une loi de Tan 3 1 5
porte la peine du feu contre ceux des Juifs qui insul-
teraient à coups de pierres leurs frères devenus
chrétiens; une loi de l'an 336 punit de mort celui
qui aurait circoncis un esclave. Le code de Justinien
constate d'ailleurs que les Juifs se regardaient non
comme des citoyens de l'empire romain, mais comme
une nation étrangère vivant au sein de l'empire, et
que les lois civiles les considéraient ainsi. Ils étaient
jugés entre eux par leurs vieillards (0, et suivant le
mode judaïque, tandis que leurs contestations avec les
Chrétiens étaient soumises aux tribunaux ordinaires.
Saint Augustin, s'adressant aux Juifs dans une de
ses épîtres (2), résumait ainsi leur situation légale :
a Vous ne pouvez être empereurs , m préfets; vous ne
» pouvez entrer dans la milice ni daris le sénat; vous
» n'avez pas même la liberté de manger à la table des
X) grands seigneurs, mais vous payez les impôts. »
Ainsi il existait entre les Juifs et les Chrétiens non
seulement une dissidence religieuse qui allait quelque-
fois jusqu'au mépris et à la haine, mais une ligne de
démarcation légale venait de prendre naissance, et
séparait de l'empire devenu chrétien la population
juive étrangère et suspecte.
Tel était l'état social des Juifs lorsque l'empire romain,
tombé en dissolution, devint la proie des Barbares.
Une nouvelle période de l'existence des Juifs en Occi-
dent va commencer et embrasser tout le moyen âge.
(i) I, 9, 1.8 et i5.
(2) Epist. V, 29.
CHAPITRE III.
ÉTAT DES JUIFS AU MOYEN AGE EN FRANCE
ET EN AQUITAINE.
La conversion des Barbares au christianisme leur inspire haine et mépris pour les
Juifs. — Le clergé catholique prescrit aux fidèles de s'isoler des Juifs. —
Charlemagne se sert des Juifs sans leur donner les droits civils. — Leur
situation sous Charlemagne et Louis le Débonnaire. — Naissance de la
féodalité. — - Usures des Juifs.
Les Juifs h Bordeaux au neuvième siècle. — Situation des Juifs en France à cette
^oque. — Persécutions contre les Juifs sous Philippe l'i'et sous Philippe-
Auguste. — Invention présumée de la lettre de change. — Rappel des Juifs. —
Leur condition. — Règlement du prêt à intérêt. — Sceau des Juifs. — Les
Juifs serfs de main-morte ou aubains. — Ventes de Juifs.
Les Juifs en France sous saint Louis. — Les Juifs en Aquitaine an treizième
siècle. — Les rois Jean sans Terre et Henri III.
Le roi Edouard !«* protège les Juifs d'Aquitaine. — Les Juifs chassés des États
des rois de France et d'Angleterre. — Rappelés à prix d'argent. — Ils sont
chassés de France A perpétuité en i394. »- Les Juifs de Guicnne jusqu'à la
conquête de cette province par le roi de France.
Au milieu des ruines de Tempire, la puissance du
clergé gallo-romain , restée seule debout , grandissait
chaque jour chez des populations qui , au cinquième
siècle, étaient presque toutes chrétiennes. Lorsque les
Visigoths vinrent s'établir dans le midi de la Gaule
et en Espagne, ils ne tardèrent pas à devenir chrétiens
eux-mêmes.
Les Visigoths au Midi, les Francs au Nord, les
Burgundes à PEst , tous ces peuples barbares que le
26 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
flot des invasions avait apportés et qui s'étaient fixés
sur le sol gaulois et aquitain, avaient courbé leur
front sauvage pour recevoir les eaux régénératrices
du baptême; mais, s'ils avaient acquis le nom de
Chrétiens, ils avaient apporté dans leur foi nouvelle
toute la violence de leurs penchants et toute la férocité
de leurs mœurs. Ils imprimèrent aux sentiments qui
divisaient les Chrétiens et les Juifs une ardeur naïve
et cruelle. Il ne s'agissait plus désormais de ces luttes
philosophiques entre les Pères de TÉglise et les
rabbins de la Synagogue, qu'avaient enfantées le
génie grec et le génie de l'Orient, si portés aux
discussions subtiles et aux controverses religieuses;
un immense sentiment d'horreur s'élevait dans l'esprit
étroit des néophytes guerriers contre cette race mau-
dite qui avait mis à mort le Fils de Dieu, et qui
s'obstinait à méconnaître sa divinité.
C'est sous l'empire de ces passions de haine féroce
et de mépris jaloux contre les Juifs que s'écoula tout
le moyen âge.
La loi des Francs saliens, la loi des Burgundes,
contiennent des dispositions terribles contre les Juifs.
La loi des Visigoths (tit. 3) n'est pas moins cruelle.
C'est sous cette dernière que vivaient les populations
du midi de la France et de l'Espagne.
Les rois visigoths étaient en possession de Bordeaux
et de l'Aquitaine depuis plus d'un siècle, lorsque la
bataille de Vouglé vint changer la destinée de ces
contrées. Les Visigoths étaient chrétiens, mais ils
PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE III. ^J
avaient adopté Thérésie d'Arius, aussi leur domination
était -elle impatiemment supportée par les évêques
catholiques qui se trouvaient dans leurs États. Lorsque
le chef des Francs saliens, Clovis, eut reçu le baptême
des mains d'un évêque catholique, il fut appelé comme
un sauveur par les évêques catholiques du Midi.
A cette époque le clergé parquait les Juifs dans un
isolement absolu. Dès Tannée 465, un canon du
concile de Vannes défend aux prêtres de fréquenter
les Juifs et de manger avec eux. Les conciles d'Agde
(5o6) et d'Epaone (617) étendent ces prohibitions à
tous les Chrétiens (0. Le concile d'Orléans (533)
prohibe toute alliance par mariage avec eux. Un
édit de Childebert (533), mentionné par Grégoire de
Tours, interdit aux Juifs de paraître en public pendant
certains jours et de posséder des esclaves chrétiens.
En 61 5, Clotaire II ôte aux Juifs le droit d'intenter
une action contre les Chrétiens. Enfin, en 633, un
édit de Dagobert, cité par Frédéghaire et Aymoin,
leur ordonne de sortir des États de ce prince, s'ils ne
consentent pas à confesser immédiatement la foi du
Christ (2).
L'époque mérovingienne , sur laquelle nous possé-
dons très peu de documents relatifs aux Juifs, paraît
marquée par un sentiment de réprobation et d'hostilité
se manifestant avec une force toujours croissante non
seulement de la part des rois et du clergé, mais
encore de la masse de la population des Gaules.
(i) L&bbe. Concil., t. IV, p. io56, iSSg, iSyS.
(2) Baluze. CapituL 1, coll. 25.
28 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Les Juifs avaient formé leurs principaux établisse-
ments dans le midi de la France. Grégoire de Tours
appelle Marseille, V hébraïque (0; Narbonne, Agde,
Toulouse, Lyon, Vienne avaient beaucoup d'habitants
juifs. Ils y faisaient le commerce et surtout celui de
rOrient, où ils avaient pour correspondants leurs
coreligionnaires. Ils entretenaient de nombreux vais-
seaux sur la Méditerranée, et venaient étaler leurs
marchandises dans les foires de Tintérieur (2). Ils
vendaient les bijoux, les étoffes de soie, les armes
richement damasquinées , et surtout des esclaves (3).
Ils étaient les fermiers de tous les impôts et de tous
les péages. Et malgré les prohibitions du concile de
Maçon, en 682 (4), on trouvait encore en 629 un
juif fermier du péage de Saint-Denis pour le roi
Dagobert qui, quatre ans plus tard, devait chasser
tous les Juifs (5;.
L'expulsion des Juifs, ordonnée par Dagobert, ne
fut abrogée par aucune loi ; et cependant , peu après,
nous retrouvons les Juifs, profitant des troubles qui
agitèrent les règnes des derniers Mérovingiens, revenus
sans bruit et sans éclat dans les principales places de
commerce, affermant encore les péages, vendant de
Tor, des étoffes de prix et des esclaves.
Un capitulaire de 789, le premier document légis-
latif que nous rencontrions après Tédit de Dagobert,
(i) Grcgor. Tur. Hist., H, 276.
(2) Joan. Diacon. In vita s. Greg., 1. 4, c. 42-44.
(3) Rerum Franc, script., éd. Vales, 1. 21, p. 237.
(4) Handouin. Concil., 1. 13, p. 55.
( 5 Gesta Dagob ., c . 3 3 .
PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE III. 29
constate que les Juifs étaient rentrés en grand nom-
bre (0. Ce capitulaire reproduit les anciennes prohi-
bitions relatives au mariage, aux esclaves chrétiens,
et punit toute infraction d^une amende de cent solides
et de cent coups de fouet.
Cependant Charlemagne voulait trop ardemment
établir Tordre et la civilisation dans l'empire immense
qu'il put créer et maintenir un moment, pour ne pas
avoir compris l'importance commerciale que, déjà
à cette époque, les Juifs avaient depuis longtemps
acquise en Gaule, comme en Espagne et en Italie.
Le moine de Saint-Gall, dans sa chronique, parle d'un
négociant juif que Charlemagne avait adopté pour
favori, et qui allait chercher dans les contrées de
rOrient les marchandises les plus précieuses. Ce
marchand reçut souvent des missions diplomatiques.
L'empereur appelait d'ailleurs à sa cour et protégeait
tous les Israélites industrieux et commerçants. Mais
le préjugé contre eux était si populaire et si puissant
que Charlemagne ne pensa même pas à donner aux
Juifs un état civil, et à leur restituer les droits de
citoyen qu'ils avaient possédés sous cet empire romain
qu'il s'évertuait à copier.
Les facilités du commerce avec l'Asie, l'Italie et
l'Espagne avaient attiré dans les villes du Midi et à
Bordeaux un grand nombre de Juifs. Sous Louis le
Débonnaire, roi d'Aquitaine, et plus tard empe-
(I) Capit, 789. Baluze. I, 229.
3o HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
reur, les Juifs jouirent d'une grande faveur. Le juif
Sédécias était le médecin et Tami du roi. La cour
était à ses pieds (0. Ils avaient une justice Spéciale et
des juges particuliers (828). Un personnage du plus
haut rang était revêtu de la charge de maître des
Juifs pour les protéger et leur rendre la justice. Un
édit impérial leur accordait le privilège du commerce
des esclaves provenant des pays conquis, principale-
ment au Nord , et qu'ils allaient vendre en Espagne
aux Musulmans. Ils avaient obtenu que ces esclaves,
presque toujours païens, ne pussent être baptisés
sans le consentement du maître. Le roi défendit de
chercher à convertir au christianisme les esclaves des
Juifs; il accorda aux Juifs le droit d'acquérir des
propriétés foncières et d'exercer tous les droits com-
muns; enfin, il leur permit de vivre selon la loi de
Moïse (2).
Les Juifs eurent assez de pouvoir sur Louis le
Débonnaire pour lui dénoncer Agobard, l'archevêque
de Lyon, qui, se plaignant de V insolence des Juifs,
avait renouvelé aux chrétiens de son diocèse les
défenses de leur acheter du vin, de manger avec eux
pendant le carême, et de leur vendre des esclaves
chrétiens. Les commissaires nommés par le roi
condamnèrent Agobard (3).
Si les Juifs avaient trouvé dans Charlemagne et
(1) Basnage, t. V.
(2) Script, rer. Franc.Wy 649.
(3) De insolentia Judœorum. Agobardi Oper,, éd. Baluze. — Voir
Basnage, t. V.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE III. 3l
Louis le Débonnaire des protecteurs tout-puissants,
ils n'avaient pu réussir à désarmer les sévérités du
clergé catholique , ni les méfiances et les haines de la
superstition populaire.
Les masses voyaient dans les Juifs des ennemis
perfides, complices de tous les malheurs de la chré-
tienté; on les accusait d'avoir appelé les Sarrasins
dans le Midi et de leur avoir livré les riches cités
de Béziers, de Narbonne et de Toulouse. Aussi, à
Toulouse devaient-ils recevoir , trois fois par an , un
soufflet à la porte de Téglise, et à Béziers avait-on le
droit de les pourchasser à coups de pierres pendant
toute la semaine sainte.
C'étaient les Juifs, disait-on, qui avaient en SSj
livré Bordeaux aux pirates Normands, qui pillèrent
et brûlèrent la ville.
Le concile de Meaux (845) obéissait au sentiment
populaire et à la tradition cléricale, lorsqu'il avait
renouvelé toutes les défenses faites aux Juifs de
plaider, d'administrer, d'avoir des esclaves chrétiens,
de se marier avec des Chrétiens, d'avoir des immeu-
bles, d'être soldats (0.
M. Beugnot (2) pense que les décisions du concile
de Meaux furent peu rigoureusement observées;
d'autres au contraire croient qu'elles furent exécutées
avec d'autant plus de sévérité, que les Juifs ne pou-
vaient plus être protégés par les faibles successeurs de
Charlemagne et de Louis le Débonnaire.
(1) Sirmond. Concil. l\l, 53.
(2) Hist, des Juifs d'Occident.
32 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
La féodalité prenait naissance, et cette forme sociale
était peu favorable aux Juifs. Les rois, impuissants,
ne pouvaient plus les défendre contre les innombrables
seigneurs qui exerçaient, chacun sur ses terres, tous
les droits effectifs de la souveraineté. Ces seigneurs,
toujours besoigneux et avides, souvent cruels, avaient
à chaque instant recours aux Juifs, auxquels ils affer-
maient leurs droits féodaux, leurs moulins, leurs fours,
leurs péages, leurs greffes, auxquels ils empruntaient
de gré ou de force. Mais, imbus eux-mêmes de toutes
les superstitions populaires, obéissant ou croyant
obéir au clergé dont la masse était peu éclairée et
surtout peu tolérante, ils devenaient parfois des
persécuteurs acharnés.
Les Juifs ne pouvaient d'ailleurs avoir de place
qu'au dernier rang dans la société féodale.
C'était l'époque où la hiérarchie ecclésiastique
dominait puissamment le monde. Au sommet était
placé le Pape, représentant de Dieu sur la terre, et
armé comme lui du droit de juger, de récompenser et
de punir. Le Pape dominait les Rois et les nations, et
avait pour lieutenant l'Empereur. Au-dessous des rois
et des souverains s'étageaient une foule de seigneurs,
chacun maître chez lui, propriétaire du sol et des
hommes qui le cultivaient. Dans les villes, les bour-
geois vivaient à peu près libres, comme continuateurs
de l'ancien municipe romain , ou comme armés des
privilèges qu'ils avaient conquis l'épée à la main
contre leurs seigneurs.
Le Juif ne pouvait être ni seigneur, ni propriétaire
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE III. 33
du sol; adonné au commerce et ne cultivant pas la
terre, il se tenait humble et caché dans les faubourgs
des villes, car on ne lui permettait même pas d^habiter
la cité, il ne pouvait en être bourgeois.
La situation légale des Juifs était confuse et indé-
terminée. Tantôt ils étaient considérés comme serfs,
ainsi que Tétait du reste la masse des cultivateurs;
mais c'étaient des serfs d'une espèce particulière. Ils
n'étaient pas, en effet, adscripti glebœ, attachés à la
glèbe, car ils ne cultivaient ni n'habitaient les cam-
pagnes ; ils ne faisaient donc pas, comme les troupeaux
ou les serfs d'un domaine, partie de ce domaine,
comme immeubles par destination ; ils étaient, pour le
seigneur, une propriété mobilière, qu'il était libre de
vendre comme l'esclave antique.
Mais bientôt, et à mesure que s'accroissait la
puissance royale, la situation légale du Juif vint à
s'améliorer. Les Juifs étaient-ils des serfs ou bien
seulement des étrangers, des aubains? Les légistes
avaient déjà agité la question ; elle offrait peu d'intérêt
lorsque les seigneurs exerçaient à peu près les mêmes
droits sur l'étranger que sur le serf; mais elle prit une
importance capitale lorsque la royauté prétendit que
le droit d'aubaine n'appartenait pas au seigneur de
fief, mais au roi seul, et qu'elle put appuyer sa pré-
tention sur le droit du plus fort.
Les Juifs, serfs du seigneur ou aubains du roi, étaient
en outre la victime des préjugés enfantés par la haine
et l'ignorance. On les avait fréquemment accusés de
livrer à l'ennemi les villes qu'ils habitaient. Ils étaient
1
34 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
aussi accusés de sacrifier à leur Dieu jaloux, pour les
fêtes de Pâques, des enfants chrétiens; de profaner
rhostie sainte, consacrée par le prêtre catholique
comme le corps même du Dieu vivant; et enfin de
se livrer à d^abominables pratiques de magie et de
sorcellerie.
Au fanatisme religieux, toujours si aveugle et si
puissant, venait se joindre chez les Chrétiens le
ressentiment des usures dont les Juifs les écrasaient,
ainsi que Tâpre et cupide désir de les dépouiller de
leurs richesses odieuses et enviées.
Tel est le sombre tableau qu'offre l'histoire des
Juifs , en France et en Guienne , pendant le moyen
âge.
Nous allons en retracer rapidement quelques traits.
Dès le neuvième siècle, l'histoire nous indique à
Bordeaux l'existence d'une population juive, et lorsque
les Normands, du temps de Charles le Chauve,
vinrent ravager les côtes de l'Aquitaine , la chronique
de Delurbe nous les montre a pillant la ville par la
» trahison des Juifs , qui lors résidoient dans Bour-
» deaux, dont il y a encore une rue qui s'appelle rue
» Juifve. »
A la fin du onzième siècle, les Juifs, établis à
Bordeaux depuis longtemps, occupaient, hors des
murs de la ville, toute la partie occidentale d'un
coteau complanté en vignes, près de l'église Saint-
Seurin , et qui avait reçu de leur habitation le nom
de Mont-Judaic. Leurs maisons, qui dépendaient
. PREMIÈRE PARTIE. -— CHAPITRE III. 35
presque toutes du chapitre de Tantique église de
Saint-Seurin , s'avançaient jusqu'aux portes de la
ville.
A cette époque ( 1 096) le roi de France, Philippe I®*",
venait de chasser les Juifs de ses États. Les croisades
avaient réveillé les préjugés religieux et les haines
fanatiques : un grand nombre de ces malheureux fut
massacré, leurs biens furent pillés ; le besoin d'argent
faisait trouver merveilleux aux croisés ce moyen de
liquider leurs dettes et de battre monnaie, tout en étant
agréables à Dieu et en gagnant le royaume du ciel.
Moins d'un siècle plus tard, les Juifs étaient rentrés
en France peu à peu , et ils avaient repris sans bruit
le cours habituel de leurs affaires, lorsque Philippe-
Auguste les expulsa de France pour la troisième fois.
Il rendit, en avril 1 182, des ordonnances qui déchar-
geaient les débiteurs des Juifs des sommes qu'ils
leur devaient , à la condition d'en payer le cinquième
au fisc royal , et qui portaient injonction à tous les
Israélites de sortir du royaume dans les trois mois ;
leurs immeubles étaient confisqués au profit du roi,
qui leur donna seulemfent l'autorisation de vendre
leurs meubles.
Chassés de France, les Juifs se réfugièrent, quel-
ques-uns dans les provinces du Midi, l'Aquitaine et le
Roussillon, qui n'obéissaient pas au roi de France,
le plus grand nombre en Lombardie. Ce fut alors,
selon la tradition rapportée par Montesquieu, et
36 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
contestée par d'autres savants , qu'ils auraient inventé
la lettre de change, magnifique instrument commer-
cial, dont ils surent tirer les plus grands services,
a On vit, dit Montesquieu (0, le commerce sortir du
y> sein de la vexation et du désespoir. Les Juifs,
» proscrits tour à tour de chaque pays, trouvèrent le
» moyen de sauver leurs effets, ils inventèrent la
r> lettre de change, d
Cependant Philippe-Auguste, comme tous les sou-
verains- du moyen âge, et nous pourrions ajouter de
toutes les époques, éprouvait constamment de grands
besoins d'argent; il s'aperçut qu'il avait fort mal à
propos chassé les Juifs, qui étaient alors la matière
imposable par excellence, et il les rappela, moyennant
finance: en 1198, il avait même choisi un Juif pour
bailli dans ses domaines (2).
Il s'occupa de réglementer leurs usures; et le
I®' septembre 1206, parut la première ordonnance qui
fixa le taux de l'intérêt : il fut fixé à 2 deniers par
livre par semaine. Cette ordonnance fut aussi la
première qui défendit aux Juifs de prêter sur vases et
ornements d'église, sur vêtements ensanglantés ou
mouillés; l'ordonnance de 12 18 ajouta à la prohi-
bition les fers de charrue , les animaux de labour et
le blé non vanné.
Les obligations souscrites en faveur des Juifs
devaient être revêtues d'un sceau particulier, leur loi
(1) Esprit des Lois, 21-20.
(a) Dachéry. Spicileg. IX, 1 45-161.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE III. 3 7
ne leur permettant pas de se servir de figures gravées
ou peintes (0.
La condition des Juifs à cette époque, en Guienne,
comme en France et dans tous les pays chrétiens,
était peu digne d'envie.
Le Juif, avons-nous dit, était serf de main-morte,
appartenant au seigneur féodal sur les terres duquel il
vivait; souvent le seigneur le vendait, et il passait à un
autre maître.
Ces ventes de Juifs étaient fréquentes, et les vieilles
archives en constatent un grand nombre.
En 12 14, le seigneur d'Ervy, chevalier, du consen-
tement de sa femme Aliénor, vendit à Madame
Blanche, comtesse de Troyes en Champagne, tous
les biens et tous les Juifs qu'il possédait.
Philippe le Bel donna, en 1296, un Juif à son
frère, le comte d'Alençon. La même année, le roi
acheta à son frère un Juif de Rouen, Samuel Vial,
et tous les autres Juifs du domaine de ce prince, pour
la somme de 20,000 livres de tournois petits. Il
acheta aussi au seigneur Pierre de Chambly , pour la
somme de 3oo livres , somme énorme pour Tépoque,
le Juif Samuel de Guitry.
En Guienne , le prince Edward , fils aîné du roi
d'Angleterre, voulant récompenser Bernard Macoynis,
bourgeois de Bordeaux , lui donnS en toute propriété
son Juif de Lesparre, nommé Bénédict, pour en tirer
tout le profit qu'il pourrait (3 juin i265).
(I) V. le Schulchan-Aruch du rabbin Jos. Kara, 3« p., 1. 1.
38 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Les Juifs étant une propriété seigneuriale et une
source de revenus, les princes et les hauts barons, qui
en tiraient profit pendant leur vie et héritaient d'eux à
leur mort, ne leur permettaient pas de sortir de leurs
terres. C'est ainsi que, dès 1 198, Philippe- Auguste et
le comte de Champagne avaient fait un accord pour
que les Juifs de Tun ne passassent pas sur les terres
de l'autre. Cet accord fut renouvelé en 12 10. En
novembre 122 3, un établissement fait à Paris par le
roi Louis VIII, dit le Lion, du consentement et de
l'avis des prélats, comtes, barons et autres vassaux du
royaume possédant des Juifs, stipula que les barons
ne pourraient retenir les Juifs les uns des autres ; et
que, pour mieux obliger ceux-ci à la résidence, les
créances des Juifs seraient enregistrées sous l'autorité
et le sceau du seigneur , et que les Juifs ne pourraient
plus avoir de sceau particulier.
Sous le pieux roi saint Louis, qui poussait jusqu'à
l'exagération le fanatisme religieux de son époque, la
condition des Juifs fut loin de s'améliorer.
Le concile de Latran en 1 2 1 5 , celui de Narbonne
en 1229, les obligeaient à porter une marque distinc-
tive sur leurs habits, la rouelle jaune, qui devint, pour
les seigneurs et pour le roi, un nouveau mode de
taxe, car il fallait j^yer un droit fiscal au préposé du
roi ou du baron qui délivrait la rouelle.
L'établissement fait à Melun, en i23o, disait, à
l'article 2 , que personne dans le royaume ne pourrait
retenir le Juif qui appartiendrait à un autre, et que le
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE III. 3q
maître pourrait partout le reprendre comme son serf.
On contraignit les Juifs à aller entendre un prêcheur
chrétien.
En 1 248 , partant pour sa première croisade , et en
1268 pour sa seconde, saint Louis confisqua les biens
des Juifs.
Les établissements de 1270 portent que a les
meubles des Juifs appartiennent au baron », et que
a nul Juif ne peut être reçu en témoignage selon le
droit » . Plus tard , le roi réclama la propriété de tous
les Juifs du royaume, comme étant aubains^ et la
coutume d'Anjou disait : a Les meubles au Juif sont
» au Roy » . Le droit d'aubaine, appartenant au roi et
aux grands seigneurs, entraînait nécessairement la
propriété des Juifs et de leurs biens , selon les juristes
féodaux.
Il est facile d'ailleurs de se faire une idée exacte de
la triste situation sociale où les Israélites se trouvaient
placés en France , par ces paroles de saint Louis,
rapportées par son historien , le sire de Joinville :
« Aussy vous dis-je, me fict le Roy, que nul, s'il
» n'est grand clerc et théologien, ne doict disputer
D aux Juifs. Mais doict l'homme lay, quand il ouït
» médire de la foy chrétienne, défendre la chose' non
» seulement de paroUes, mais à bonne espée tranchant,
» et en frapper ces médisans et mescréans au travers
» du corps, tant qu'elle pourra y entrer. »
Les Juifs de Guienne n'étaient pas mieux traités
que ceux de France. Sous le roi d'Angleterre Jean
40 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
sans Terre, duc d'Aquitaine, le légat d'Aquitaine,
Robert de Cork, avait fait tenir un concile à Bordeaux,
en 12 14. Il y fut ordonné aux barons de réprimer les
usures des Juifs, et ce, sous peine d'être excommuniés
et de voir leurs vassaux déliés du serment de fidélité
et leurs terres mises en interdit. Il fut également
défendu, sous peine d'excommunication, à tous les
marchands chrétiens, d'avoir avec les Juifs aucune
relation d'affaires.
Réprimer les usures des Juifs, pour les barons
comme pour les rois, c'était s'emparer des biens des
créanciers, sans rien remettre aux débiteurs; et ils
n'avaient garde d'y manquer. En 1241, Henri III,
roi d'Angleterre et duc de Guienne, avait mis à rançon
les Juifs de ses États, pour 20,000 marcs d'argent ; en
i25o, il fit payer à un seul Juif 3o,ooo marcs, et
8,000 cinq ans après; il extorqua 24,000 marcs au
seul Aaron, juif d'Yorck, et enfin il vendit à son frère
Richard tous les autres Juifs de son royaume.
Si les usures des Juifs les rendaient odieux aux
Chrétiens, par une loi d'économie politique, alors
inconnue, le taux énorme de ces usures croissait avec
le péril permanent où se trouvaient sans cesse , non
seulement la créance, mais la personne et la vie du
créancier.
A l'imitation du concile de Bordeaux , les conciles
du midi de la Gaule avaient porté des dispositions
contre les Juifs , et avaient à diverses reprises interdit
aux Chrétiens d'avoir aucune communication avec
ceux-ci; il était sévèrement défendu d'entrer à leur
PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE III. 41
service. Les conciles de Béziers, en 1246, et d'Alby,
en 1254, défendirent même aux Chrétiens d'avoir
recours aux médecins juifs, les seuls qui fussent alors
en réputation.
Après le règne de saint Louis , les Juifs de France
respirèrent quelques jours ; ils avaient même tellement
étendu leur bfluence, que Philippe le Hardi ordonna
quHls n^auraient plus qu^une synagogue par diocèse,
et réduisit de même Tautorisation d'avoir un cimetière
particulier.
En Angleterre et en Guienne , les rois essayèrent
même de les protéger contre les exactions des oflSciers
royaux et la tyrannie des barons.
Le 23 mai 1275, le roi Edward I«' écrivit à son
connétable de Bordeaux, pour lui dire qu'il avait
appris que les Juifs, qui souffraient déjà, comme tous
les autres habitants de cette ville, de la disette du blé
et du vin , étaient en outre accablés de taxes et d'im-
pôts; il défendait de les opprimer, et interdisait de les
imposer sans son ordre exprès.
Le 4 octobre 1281, il écrivait de nouveau au conné-
table de Bordeaux et au sénéchal de Gascogne, a ayant
)> appris que la communauté de nos Juifs de Gascogne
j> est écrasée sous d'énormes impôts, à l'instigation de
» certains envieux. » La plupart d'entre eux, dit le
roi, a ne pouvant supporter une pareille tyrannie , ont
» abandonné leurs maisons et se sont retirés hors de
D notre puissance , à peine s'il en reste cent cinquante
» familles à Bordeaux. Il faut que cet état de choses
42 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
y> prenne fin. » Il défendit de les persécuter, et ordonna,
que lorsqu'ils auraient des procès , ils seraient jugés
par des hommes de bien et instruits dans les lois.
Il avait ordonné, le 24 mai 1277, de dresser le
dénombrement exact de tous les Juifs de Guienne.
Nous ne possédons pas ce document.
Les Juifs des possessions anglaises sur le Continent,
ceux de Normandie, de FAnjou, de la Guienne,
allaient fréquemment commercer en France; ils furent
chassés de ce pays en 1290, avec défense d'y revenir.
Peu après, les Juifs furent, presque au même
moment, et comme par suite d'un accord entre les
deux souverains de France et d'Angleterre , expulsés
des domaines de ces deux rois.
Le 12 avril i3o5, le roi d'Angleterre écrivit à son
sénéchal de Gascogne, a Comme il ne nous convient
y) pas que les Juifs qui se trouvent sur les terres de
» notre obéissance, y fassent un plus long séjour, nous
» vous ordonnons qu'aussitôt la présente reçue, vous
y> les chassiez tous de notre duché , sans leur accorder
» aucun délai. j>
Ils étaient presque au même moment chassés de
France (i3o6) : a Le registre de la Chambre des
» comptes , qui a pour titre : Judœi , porte , dit
» Delamarre (0, qu'ils mirent en dépôt, chez les
» chrétiens de leurs amis, beaucoup d'or et d'argent,
j) et ce qu'ils avaient de précieux. » Aussi, en i3i i,
(I) Traité de la police, l, 264.
i
PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE III. 43
on renouvela la proscription. On les laissa toutefois
revenir en i3i5, à prix d'argent, moyennant i22,5oo
livres, mais pour douze ans seulement; on eut soin
de stipuler qu'on pourrait les chasser encore après
l'expiration de ce délai, et qu'en ce cas le roi serait
tenu de leur accorder un délai d'un an . On leur rendit
tous les livres de leur loi, à l'exception du Talmud ;
on leur permit de rentrer dans leurs synagogues et de
reprendre leurs cimetières. On fixa le taux de l'intérêt
à 12 deniers par livre par semaine (0.
De cette époque à 1 394, les Juifs furent tour à tour
chassés et rappelés; chaque expulsion fut accompagnée
de la confiscation de leurs biens , de cruautés et de
massacres; chaque rappel eut lieu moyennant finances.
a An moyen âge , dit Michelet , celui qui sait où est
j> l'or, le véritable alchimiste, le vrai sorcier, c'est le
T> Juif. Le Juif, l'homme immonde, qui ne peut toucher
© denrée, ni femme, qu'on ne le brûle, l'homme
y> d'outrage, sur qui tout le monde crache prolifique
T> nation qui, par dessus toutes les autres, eut la force
» multipliante, la force qui engendre... pendant tout
» le moyen âge , ils ont fait l'indispensable intermé-
» diaire entre le fisc et la victime du fisc, entre l'agent
D et le patient, pompant l'or d'en bas et le rendant au
» roi par en haut — avec laide grimace. Mais il leur
ï en restait toujours quelque chose. »
A la fin du quinzième siècle , la rumeur publique à
Paris accuse les Juifs d'avoir crucifié un enfant
(i) Ordonn, I, SgS.
44 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
chrétien le jour du vendredi saint et d'avoir assassiné
un Juif converti. La justice royale s'émeut , les gens
du roi saîssisent un grand nombre de Juifs, en pendent
quelques-uns, en emprisonnent d'autres; et pour
obéir aux passions soulevées, le 1 7 septembre 1 394,
le roi Charles VI bannit les Juifs à perpétuité, par
manière de constitution irrévocable : a Que dores en
» avant, porte l'édit, nul Juif ou Juifve ne habitent,
T> demeurent ou conversent en nostredict royaume,
» ne en aulcune partie d'iceluy, tant en Languedoyl
» comme en Languedoc ». Et ce à peine de la vie.
Ce qui distingue cette ordonnance des précédentes,
c'est, d'une part, qu'elle n'offre pas le caractère de
spoliation habituel; elle ne confisque pas les biens
des Juifs, elle leur permet de rentrer dans leurs
créances et d'emporter ce qui leur appartient. Mais,
si elle ne se présente que comme mesure de police,
appliquée à des étrangers, elle fut strictement exécutée,
ce qui n'avait pas été fait jusque-là.
Pendant que leurs frères étaient chassés de France
en 1 394, les Juifs de la Guienne anglaise, qui avaient
été chassés eux-mêmes en i3o5, étaient revenus à
Bordeaux patiemment et sans bruit; ils s'y tenaient
humbles, craintifs, cachés, et se livraient à leur com-
merce de métaux précieux, de pierreries, de riches
étoffes, de courtage et d'escompte. Ils profitèrent des
guerres de l'Angleterre contre la France pour se faire
oublier en Guienne. Ils y vécurent sous une tolérance
quelquefois tracassière, mais avec une sécurité et une
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE III. ^5
tranquillité relatives d'un grand prix jusqu'à la conquête
de la Guienne par les Français, au milieu du quinzième
siècle.
Ils n'avaient pas cependant été complètement affran-
chis des fureurs populaires. Au printemps de i32o,
des attroupements de bergers, de gens sans aveu, de
mendiants, de vagabonds, escortés de femmes et
d'enfants, s'étaient formés dans le Poitou et le Bor-
delais ; ils se disaient pèlerins et voulaient renouveler
l'ère des croisades en allant délivrer la Palestine des
infidèles. IJs se nommaient les Pastoureaux^ et après
avoir commis toutes sortes d'excès dans le Poitou, ils
se dirigeaient sur Toulouse par le Bordelais. Ils
annonçaient qu'avant d'aller en Orient combattre les
infidèles, il fallait commencer par exterminer les
Juifs maudits. Ceux de Bordeaux purent être protégés;
mais un grand nombre qui habitaient les villes sises
sur les bords de la Garonne allèrent chercher un asile
au château de Verdun sur Garonne. Les Pastoureaux
vinrent les attaquer, mirent le feu aux portes, et les
égorgèrent. Quelques enfants échappèrent par hasard
au carnage et furent baptisés.
A peine ces massacres venaient de finir que d'autres
commencèrent. En i32i, la peste ravageait le Midi.
Tout à coup le bruit se répandit, dans le Bordelais
comme dans toute l'Aquitaine , que les Juifs et les
lépreux, autres maudits, avaient de concert empoi-
sonné les puits et les fontaines, pour faire périr les
Chrétiens. Plusieurs de ces malheureux avouèrent,
46 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
dans les supplices et les tortures, un crime qu'ils
n'avaient point commis.
Nul n'aurait osé douter du forfait. Le seigneur de
Parthenay écrivait au roi de France qu'un lépreux,
saisi dans ses domaines, avait avoué avoir reçu d'un
Juif de l'argent et le fatal poison.
a Nous-mêmes, dit un contemporain (0, en Poitou,
» dans un bourg de notre vasselage , nous avons de
» nos yeux vu un de ces sachets. Une lépreuse qui
» fuyait , craignant d'être prise , jeta derrière elle un
» chiffon lié qui fut aussitôt porté en justice^ et l'on y
» trouva une tête de serpent , des pattes de crapauds
» et comme des cheveux de femme, enduits d'une
» liqueur noire et puante , chose horrible à voir et à
y> sentir. Le tout mis dans un grand feu ne put brûler,
» preuve évidente que c'était un violent poison. Il y
» eut bien des discours, bien des avis différents. Le
jî plus probable, c'est que le roi des Maures de
j> Grenade, se voyant avec douleur si souvent battu,
» imagina de s'en venger en machinant avec les Juifs
» la perte des Chrétiens. Mais les Juifs, trop suspects
» eux-mêmes, s'adressèrent aux lépreux. Ceux-ci, le
» diable aidant, furent persuadés par les Juifs. » On
brûla quelques lépreux, et à Paris quelques Juifs
suspects. Dans le Midi on brûla les Juifs sans distinc-
tion. A Chinon, ce on creusa une très grande fosse, on
y> y alluma un grand feu, et l'on y brûla pêle-mêle
D une centaine de Juifs des deux sexes. Beaucoup
(i) Contin. G. de Nangis, ann. iSii, p. 78.
PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE III. 47
» d'entre eux, les femmes comme les hommes, s'élan-
» cèrent dans le feu en chantant, comme s'ils fussent
» allés à des épousailles ; des veuves jetèrent leurs
» petits enfants aux flammes de peur que les Chrétiens
» ne les enlevassent pour les baptiser. »
A Bordeaux, les Juifs avaient longtemps habité les
environs de l'église Saint-Seurin , hors les murs de
Bordeaux.
La Chronique bordelaise porte, à la date de 1 273 :
« Les Juifs habitaient en ce temps hors la ville, près le
» prieuré Saint-Martin , de façon qu'après avoir été
» chassés de France par édict de Philippe le Bel , le
» champ qui en joignant ledit prieuré le long de la
» Divise, a retenu par les anciens titres le nom de
» Mont-Judaïc. »
D'abord relégués dans les faubourgs, ils avaient
obtenu la permission d'habiter dans l'intérieur même
de la ville, et peuplaient la rue du Petit- Judas, qui
prit plus tard le nom de rue des Bahutiers. Ils y
avaient un puits commun qu'on appelait le puits des
Juifs.
Ils avaient un lieu de sépulture spécial pour lequel
ils payaient à l'archevêque une redevance annuelle de
8 livres de poivre. L'abbé Beaurein place le lieu où
était leur cimetière au bas du Mont-Judaïc. Il dit
aussi qu'ils avaient obtenu du roi d'Angleterre,
Henri III, comme les Juifs de Londres, et moyennant
argent, le droit d'élire un chef spirituel ou évêque.
Lorsque les Anglais quittèrent Bordeaux, et que
l'armée de Charles VII y planta la bannière de
48 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
France, nous perdons les traces des Juifs de cette
ville.
Suivirent-ils ce grand nombre de commerçants, nés
Gascons ou Anglais, qui quittèrent alors la cité ruinée
pour longtemps, et transportèrent en Angleterre leurs
affaires et leur industrie ? Allèrent-ils, comme Pavaient
fait en 1394 ceux du Languedoc, chercher un asile
en Espagne?
Ou bien, au contraire, restèrent-ils à Bordeaux,
et lorsque le politique Louis XI, voulant relever la
ville longtemps dépeuplée, y rappela les émigrés en
leur rendant leurs biens et leurs dignités, et permit à
tous les étrangers, sauf aux Anglais, de venir habiter
Bordeaux et d'y jouir de nombreux privilèges,
ferma-t-on les yeux sur les ordonnances des rois de
France qui expulsaient les Juifs, et nMnquiéta-t-on pas
le séjour et le commerce de ceux-ci?
Lorsque les rois de France étendirent leurs domai-
nes, ils chassèrent les Juifs de leurs nouvelles pro-
vinces. Il en fut ainsi des contrées du Midi reconquises
sur les Anglais, de l'Aquitaine et de la Provence, en
145 1 et 148 1 . Si les Juifs de l'Aquitaine ne furent pas
massacrés , comme ceux de Marseille et de plusieurs
autres villes le furent en 1484, ils durent, en i5o2,
obéir aux édits de Louis XII, étendant aux pays
nouvellement conquis l'ordre de bannissement pro-
noncé par Charles VI.
Il n'y eut plus aucune Juiverie dans le royaume de
France.
PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE III. 49
Les Juifs n'ont pas été rappelés en France depuis
1394; ils n'y ont possédé aucune existence légale
jusqu'en 1789, époque à laquelle ils eurent l'investiture
de la civilisation moderne , les droits civils et pcJi-
tîques. Si quelques-uns ont pu habiter la France, ce
n'a été qu'à la dérobée , qu'en masquant leur qualité
de Juif, et par tolérance du pouvoir qui ne soulevait
pas le masque sous lequel ils étaient cachés; il n'y eut
d'exception que pour les Juifs de Metz , et plus tard
pour ceux d'Alsace. Quant à ceux de Bordeaux, qui
sont le sujet de notre étude, nous verrons qu'ils
n'étaient pas officiellement considérés comme Juifs.
Quoi qu'il en soit, il ne paraît pas qu'il y eût
un grand nombre de Juifs à Bordeaux à la fin du
quinzième siècle, au moment où vont arriver les Juifs
chassés d'Espagne et de Portugal, et nous manquons
presque complètement d'indications sur ceux qui
avaient précédé ces derniers à Bordeaux.
Nous allons rechercher maintenant quels avaient
été ces nouveaux arrivants en Guienne, lorsqu'ils
habitaient l'Espagne et le Portugal.
CHAPITRE IV.
ÉTAT DES JUIFS EN ESPAGNE ET EN PORTUGAL JUSQU A LEUR
EXPULSION DE CES PAYS A LA FIN DU QUINZIÈME SIÈCLE.
Traditions fabuleuses sur l'origine de rétablissement des Juifs dans la Péninsule
hispanique. — Probabilités historiques.
Les Juifs d'Espagne persécutés par les Visigoths. — Ils sont tour à tour persé-
cutés et protégés par les Califes. •>- Fanatisme des Chrétiens espagnols contre
les Juifs et les Musulmans. — Les Juifs protégés par les évcqucs d'Espagne
et par le roi Alphonse.
Les croisades raniment le fanatisme contre les Juifs. — Leur situation en Espa-
gne et dans le Midi de la France au douzième siècle. —Juifs espagnols célèbres
au douzième siècle.
Persécutions aux treizième et quatorzième siècles.
Quinzième siècle. — Persécutions. — Conversions forcées. » Massacre des Juifs. —
Les Juifs chassés d'Espagne par Ferdinand et par Isabelle (1492). — lisse
réfugient en Portugal, en Italie et en Afrique. — Les Juifs portugais partici-
pent aux grandes découvertes maritimes. — Le roi Emmanuel chasse les Juifs
du Portugal (1496). — Récit de Michel de Montaigne. — Les Juifs convertis
ou nouveaux chrétiens. — Principaux Juifs célèbres d'Espagne et de Portugal
du treizième au seizième siècle.
Conséquences politiques et commerciales de l'expulsion des Juifs d'Espagne et
de Portugal. — I^s Juifs sont autorisés à rentrer en Portugal en 1820 ; et en
Espagne en 1868, après la chute d'Isabelle.
Une tradition, orgueilleusement recueillie par les
rabbins espagnols, fait remonter l'établissement des
Juifs en Espagne à une époque antérieure de plusieurs
siècles à la prise de Jérusalem par les Romains.
Suivant quelques-uns , le sage roi Salomon aurait
vu le royaume de Sépharad, nom qu'ils donnent à
l'Espagne, obéir à ses lois et lui payer tribut. On a
même fait bruit de monuments lapidaires évidemment
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE IV. 5l
apocryphes, tels que le fameux couvercle de tombe
qui aurait été trouvé à Sagonte en 1480, et où on
aurait lu, en caractères hébreux, Pinscription suivante :
a C'est ici le tombeau d'Adonîram, officier du roi
» Salomon, qui était venu pour lever le tribut. t>
D'autres rabbins racontent que Nabuchodonosor,
roi d'Assyrie, lorsqu'il vint faire le siège de Jérusalem,
avait dans son armée un grand nombre de rois alliés
ou tributaires, parmi lesquels on remarquait Pyrrhus,
roi des Grecs, et Hispanus, qui a donné son nom à
l'Espagne. Ce dernier aurait reçu pour sa part de
butin, et emmené comme esclaves, tous ceux des
vaincus qui habitaient à Jérusalem entre la deuxième
et la troisième muraille ; c'est là que demeuraient les
descendants de la royale maison de David et des
princes Asmonéens de la race des sacrificateurs.
Hispanus les mena en Andalousie, puis à Tolède.
Plusieurs descendants de David passèrent ensuite à
Se ville, et de là dans le royaume de Grenade.
Suivant une autre version , Nabuchodonosor avait
conduit à Babylone plusieurs jeunes princes de la
famille royale de David et de la tribu de Juda. Mais
comme il avait aussi transporté à Babylone, pour
peupler cette splendide reine des cités antiques, un
grand nombre de captifs juifs de familles moins illus-
tres, ainsi qu'une immense multitude de diverses
races, enlevée aux autres nations qu'il avait subjuguées,
craignant que ces jeunes Judéens, fils des anciens rois,
ne fussent un jour acceptés pour chefs par ces Israélites
et ces étrangers qui peuplaient Babylone, et ne réussis-
52 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
sent à former pour la révolte un parti puissant , il les
relégua au fond de T Espagne, qu'il avait soumise à ses
armes.
Ces fabuleuses traditions ont dans tous les temps
été chères aux descendants des Israélites espagnols.
On prétend que lorsque Ferdinand et Isabelle chassè-
rent les Juifs d'Espagne en 1492, les Juifs de Tolède,
pour se justifier d'avoir participé en la personne de
leurs aïeux au supplice du Christ, produisirent un titre
émanant d'un archevêque de cette ville et attestant
qu'ils n'étaient point sortis de Tolède pendant toute
la durée du second temple, c'est-à-dire depuis la
destruction du premier par Nabuchodonosor.
Les probabilités historiques indiquent que les pre-
miers Juifs amenés en Espagne furent des captifs
faits par Pompée , après la défaite d'Aristobule et la
prise de Jérusalem. Pompée avait en Espagne une
influence et des relations considérables. Depuis cette
époque jusqu'à la prise de Jérusalem par Titus et à
sa destruction par Adrien, il est probable qu'un grand
nombre de Juifs se rendirent volontairement en Espa-
gne, comme dans les autres parties du bassin de la
Méditerranée, autour duquel rayonnait le monde
antique. Après Titus et Adrien, beaucoup durent être
amenés en Espagne comme esclaves. Les chroniques
juives rapportées par Abravanel racontent que Ves-
pasien transporta plusieurs familles à Sépharad. Les
liens qui attachaient à l'Espagne Pompée, Vespasien
et Adrien, expliquent parfaitement l'origine de l'éta-
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE IV. 53
blissement des Juifs dans ce pays. Abravanel porte
à 5o,ooo le nombre des familles ainsi transportées
par Vespasien; il dit que parmi ces familles, deux
étaient issues de la maison de David et avaient
toujours régné sur les autres. Il se prétendait lui-même
issu de Tune de ces races royales.
Dans la conférence qui eut lieu entre les docteurs
chrétiens et les rabbins juifs devant le roi Alphonse,
Thomas, défenseur de la Synagogue, allégua que
l'empereur romain qui détruisit Jérusalem, fit mener
en Espagne 40,000 familles de la tribu de Juda et
1 0,000 de celle de Benjamin ; mais que la tribu de
Benjamin passa en France, et que tous les Juifs
espagnols sont issus de la tribu de Juda et de la
maison royale de David.
Lorsque le.dernier Hérode fut exilé en Espagne, il
y amena plusieurs Juifs, qui étaient probablement
Galiléens; d'autre part, lorsque Jérusalem fut prise,
la cité sainte était pleine de Juifs venus de toutes les
parties du monde pour les cérémonies du culte ; les
vainqueurs ne distinguèrent pas les races, et firent tout
vendre comme bétail en foire. Il est donc probable
que la population juive établie en Espagne n'était
pas de race pure, ou du moins ne descendait pas en
entier de la tribu de Juda et de la maison royale de
David.
Plusieurs rabbins ont même disputé au fameux
Abravanel sa généalogie, ainsi que les droits souve-
rains dont il se vantait, et n'ont reconnu comme
descendant de la famille royale de David, ni la
54 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
branche d'Abravanel , ni la seconde branche royale
dont il parle et qui portait le nom d'enfants de David;
ils assurent que ces familles étaient entièrement éteintes
dès le douzième siècle.
Les princes de la captivité à Babylone , les patriar-
ches de Judée, dont les uns étaient de la race sacer-
dotale de Lévi et descendaient du grand sacrificateur
Aaron, et dont les autres descendaient d'Hillel, prince
de la race de David, venu de Babylone, enfin les
Juifs espagnols , se vantaient tous de descendre du roi
prophète.
Quoi quUl en soit, les Juifs étaient établis en Espagne
depuis Pompée, et tout au moins depuis Vespasien,
Titus et Adrien.
Après la chute de Tempire, les Visigoths, qui étaient
convertis à la foi chrétienne, mais qui suivaient
rhérésic d'Arius, persécutèrent les Juifs.
On prétend qu'Héraclius ayant obtenu du roi goth
Sizebut qu'il chassât les Juifs d'Espagne, ou les
obligeât à embrasser le catholicisme, le quatrième
concile de Tolède blâma cette violence faite à la foi ;
mais il ordonna que ceux qui se seraient convertis
devaient persévérer dans la religion chrétienne, car
autrement ce serait offenser Dieu (0.
Le concile de Tolède de 653 édicta des peines
sévères contre ceux des Juifs qui paraissaient chrétiens
en apparence, mais qui judaïsaient en secret.
(I) L, des Visig., I. 12, t. UI, lib. 3.
PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE IV. 55
Les principaux d'entre les Juifs s'assemblèrent alors,
et, au nom des Juifs de Tolède et de toute l'Espagne,
ils promirent d'être chrétiens sincères.
L'Espagne fut au moyen âge le foyer de la gloire
des Hébreux. Les divisions et les guerres qui existaient
entre les Chrétiens et les Musulmans, les laissèrent
jouir de plus de tranquillité que leurs frères n'en
purent obtenir dans les autres parties de l'Europe.
Ils trouvèrent surtout auprès des califes une protec-
tion qui toutefois ne fut pas constante.
En io55, le rabbin Samuel Lévi était secrétaire et
ministre du roi de Grenade. Son fils lui succéda dans
ses fonctions. Le rabbin Joseph Hallevy voulut
convertir le calife au judaïsme, et attira contre les
Juifs une persécution dont il fut la première victime :
le calife le fit pendre. Cette persécution, qui ne s'étendit
qu'au royaume de Grenade, dura peu. Il y avait dans
ce petit royaume i,5oo familles juives riches et puis-
santes : a Celui qui n'a pas entendu parler de leur
D gloire, dit le rabbin Salomon ben Virga, de la
D splendeur et de la prospérité dans laquelle elles
r> vivaient, ignore ce qu'il y a de plus connu. »
Les Chrétiens croyaient faire œuvre pie en combat-
tant les Musulmans infidèles et en exterminant les
Juifs maudits. Excité par sa femme, et pour se rendre
Dieu favorable dans la guerre contre les Sarrasins , le
roi Ferdinand voulut massacrer les Juifs. Il en fut
empêché par les évêques. Le pape Alexandre II, qui
56 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
occupait alors le siège de Rome, complimenta les
évêques d'Espagne de leur humanité : a Ce qu'on dit
» de vous nous a beaucoup plu. Cest que vous avez
» défendu les Juifs qui sont au milieu de vous contre
^ la violence de ceux qui voulaient les tuer en allant
» faire la guerre aux Sarrasins. »
Le roi Alphonse, qui avait besoin de leurs richesses
dans ses guerres contre les Maures , leur accorda de
grands privilèges : il leur donna le droit d'exercer la
justice même envers les Chrétiens , et reçut à ce sujet
les remontrances du pape Grégoire VII.
Au moment des croisades contre les infidèles de la
Terre Sainte, les croisés chrétiens tuaient les Juifs
avant de partir. En Italie, en Allemagne, en France,
en Espagne, des massacres horribles eurent lieu en
diverses villes. C'est après ces tristes scènes dont le
rabbin Ganz a fait le récit, que se place le voyage
entrepris par Benjamin de Tudèle, de la Navarre,
pour connaître l'état de sa race dans l'Univers.
Le récit de ce voyage, souvent peu véridique, par-
fois rempli de fables ridicules, donne cependant des
renseignements précieux sur l'état des Juifs à cette
époque, vers l'année 1170. Les principaux établisse-
ments des Juifs en Espagne étaient à Tolède, à
Cordoue, à Séville, à Grenade. A Barcelone, à
Girone, il y en avait peu. On peut compter ceux du
midi de la France parmi les Espagnols , car les deux
versants des Pyrénées étaient placés sous les mêmes
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE IV. bj
souverains. La Provence, la Catalogne, TAragon
avaient entre elles des liens multiples. A Narbonne
était une communauté de 5oo Juifs, ayant à sa tête le
rabbin Calonyme , que Benjamin de Tudèle dit être
un descendant direct de David, et qui était riche
des domaines que les seigneurs du pays lui avaient
donnés pour récompenser ses services et ceux de ses
ancêtres.
Autour de Narbonne , qui était considérée comme
le centre de la nation et de la loi juives dans ces
contrées, les Juifs étaient établis à Montpellier, où se
trouvaient aussi beaucoup de Grecs et de Mahométans,
à Lunel où se tenait la sainte assemblée présidée par
Meschullam. Beaucaire, Arles, Marseille avaient
des écoles et des synagogues; à Marseille, Tune des
sjmagogues était illustrée par Jacob Perpignan.
Lors de la croisade contre les- Albigeois, saint
Bernard recommandait de ne tuer ni persécuter les
Juifs ; il fallait les considérer comme des livres vivants
qui rendaient témoignage de la passion de Jésus-Christ.
En Espagne, le roi Alphonse VIII avait pour
ministre le juif Joseph, très puissant et très riche. Ce
roi, suivant S^lomon ben Virga, aurait même été extrê-
mement amoureux d'une belle Juive, que les seigneurs
de sa cour firent assassiner, ne pouvant Ten séparer.
La noblesse fit tuer plusieurs Juifs pour obtenir la
confiscation de leurs biens; les autres rachetèrent
leur vie en payant des sommes considérables. A ces
persécutions, dont la cause était le désir des grands de
s'emparer des richesses des Juifs, vinrent se joindre
58 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
celles qui prirent naissance dans les passions aveugles
de la multitude et dans le fanatisme féroce du clergé.
Au commencement du treizième siècle, Rodrigues,
archevêque de Tolède, entra violemment dans la
synagogue, dispersa rassemblée, et donna le signal
du pillage et du meurtre au peuple, qui accusait les
Juifs d'avoir trahi la ville lorsqu'elle était assiégée par
les Maures.
Les croisés, se rassemblant près de Tolède, massa-
craient les Juifs avant de partir pour la croisade,
comme on a vu en 1792 des bandes d'égorgeurs
assassiner les malheureux retenus dans les prisons,
en vociférant qu'il fallait se défaire des ennemis du
dedans avant d'aller combattre les étrangers. Les
seigneurs, dont les Juifs augmentaient la richesse dans
leurs terres, essayèrent en vain de les protéger; le roi
Ferdinand brûlait Albigeois et Juifs sans distinction.
Abravanel regarde cette persécution comme une des
plus cruelles. Un grand nombre de Juifs s'enfuirent
en France.
Là, ils allaient rencontrer de nouveaux ennemis.
Les pastoureaux du Languedoc, soulevés contre
les seigneurs, exerçaient les plus grandes cruautés sur
les Juifs. Malgré les excommunications du pape,
malgré les efforts du comte de Toulouse, ils massa-
crèrent à Toulouse tous les Juifs qui refusèrent de se
convertir. A Narbonne, à Bordeaux, à Agen, à
Castel-Sarrazin , .dans d'autres villes, les massacres
s'étendirent. Le roi, les grands barons, la noblesse
s'armèrent contre les pastoureaux qui passèrent en
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE IV. Sg
Navarre, où ils furent enfin détruits par le roi
d^ Aragon.
Quelques autres massacres eurent encore lieu, à
diverses reprises.
Cependant, parmi les souverains chrétiens d'Espa-
gne, il s'en trouva quelques-uns qui protégèrent les Juifs.
La plupart de ces princes se servirent d'eux comme
banquiers, comme négociateurs, comme médecins, et
surtout comme receveurs d'impôts et administrateurs
des revenus publics. Quelques Juifs avaient pris le
parti des armes, le général juif don Salomon, fils de
Jechaïa, commanda les armées du roi de Portugal.
A l'ombre de cette protection se développèrent
deux mouvements opposés, qui entraînèrent les Juifs
de la péninsule : les uns abandonnèrent la foi pater-
nelle et se mêlèrent, sans s'y confondre entièrement,
dans la masse catholique des nations portugaise et
espagnole; les autres cherchèrent dans la poésie,
dans le droit, et surtout dans la philosophie et dans le
commentaire des livres sacrés, à défendre et à glorifier
leur loi.
Déjà au onzième siècle, plusieurs écrivains juifs
espagnols avaient mérité que leurs noms passassent à
la postérité. Qtons : les rabbins Samuel ben Cophni;
Samuel Jehudi, le Marocain; Isaac bar Baruch, de
Cordoue (né en io35); Isaac ben Reuben (Barcelone,
loyS); le commentateur du Talmud, Joseph bar meir
Halévi; le poète Mosé aben Esra; et celui qui nous
est le mieux connu, le poète Salomon ben Gabirol, né
6o HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
à Saragosse, mort à Valence (1070), dont les vers sur
la création du monde ont été traduits en français, en
1809, par son coreligionnaire Molina.
Le douzième siècle fut l'époque glorieuse des savants
rabbins espagnols.
Sous la protection éclairée du roi Alphonse le Sage,
le génie juif brilla d'un vif éclat, et, sortant enfin de la
poésie et des commentaires théologiques, agita les plus
hautes questions des sciences astronomiques et mathé-
matiques. Le roi de Castille, faisant appel aux uniques
sources de science qui existaient alors en Espagne,
aux académies arabes et à la célèbre école juive de
Cordoue, s'entoura des docteurs les plus savants,
dépensa plus de 400,000 ducats pour la rédaction de
ces célèbres Tables alphonsines , remarquable monu-
ment de science astronomique et géographique, qui le
premier osa s'écarter du système de Ptolémée. On lit
dans le prologue : « Le Roi ordonna de se réunir à
» Aben Raghel et à Alquibicio, ses maîtres de Tolède ;
T> à Aben Musio et à Mahomat , de Séville ; à Joseph
» Aben Ali et à Jacob Advena, de Cordoue, et à plus
» de 5o autres qu'il attira de la Gasgogne et de Paris
i> par de grands salaires. »
a II y avait en ce temps-là à Tolède, dit don
» Rodriguès de Castro, plusieurs Juifs convertis,
» mathématiciens si instruits en astronomie que le
» roi don Alphonse X se servit d'eux pour leur faire
» traduire en castillan les livres arabes les plus remar-
» quables sur cette science. »
Les Juifs fréquentaient la célèbre école d^ Cordoue,
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE IV. 6l
Cest à Cordoue qu'était né, en ii3i, l'illustre
R. Moseh ben Maïemon, connu aussi sous les noms
de Maimonides et de Rembam (0. Son père et ses aïeux
avaient exercé les fonctions de juge; il mourut en
Egypte, en 1209, premier médecin du sultan Saladin.
Disciple d'Averrhoès, le commentateur et le traducteur
d^Aristote , il est appelé par les rabbins le véritable
maître, le grand aigle, Thonneur de TOrient, la
lumière de l'Occident ; ils le regardent comme le plus
beau génie qui ait paru depuis le législateur Moïse.
Casaubon et Scaliger prétendent que c'est le premier
Juif qui ait écrit sérieusement.
Juda de Tolède traduisit les ouvrages d'astronomie
d'Avicenne.
Isaacben Cid dressa les Tables alphonsines; Moïse
ben Tibbon, de Grenade, traduisit les éléments
d'Euclide.
L'académie de Tolède s'honorait de Joseph Levita,
qui en était le président en 1141 ; d'Abraham aben
EIsra, astronome, philosophe, médecin, poète, que les
rabbins ont surnommé le Sage, le Grand et l'Admi-
rable, l'un des plus grands hommes de sa nation et de
son siècle.
Le philosophe Hallevy ben Dior, qui s'inspirait de
Socrate; le poète et grammairien Judas Levita ou Judas
Hallevy ben Samuel, le philosophe Aben Pace,
l'historien voyageur Benjamin de Tudèle, et une foule
d'autres que j'oublie firent connaître les écrits de
(1) R. M. B. M. — Initiales de Rabbi Moses ben Maîmon.
02 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Platon et d'Aristote, d'Avicenne et d'Euclide, de
l'arabe Dacosta, et rendirent illustre cette période de
leur histoire.
Une importante remarque doit ici trouver sa place.
Cest que presque tous les Juifs favorisés par
Alphonse X, tous ces savants rabbins dont il s'en-
tourait pour la rédaction des Tables alphonsines ou la
traduction des philosophes , des poètes et des mathé-
maticiens grecs et arabes, ou qu'il attachait à sa
personne, comme son médecin R. Jéhuda Mosca,
comme le poète du jeu d'échecs Mosé Azan de
Zaragua, étaient, en apparence du moins, convertis
au christianisme, a En este tiempo, dit D. José
)) Rodriguez de Castro, habia en Toledo varios judios
» conversas, matematicos, ton sobresalientes en la
» astronomia , que de ellos, y de algunos christianos
» se valio el Rey D. Alonzo X (0. »
Quelques rabbins, cependant, conservant leur foi
religieuse, ne laissèrent pas que de marquer leur
influence. Nous citerons R. Jahacob ben Meir ben
Thibon, de Séville; R. Mosé ben Migozi Scpharardi;
R. Isaac aben Latiph; R. Selemoh ben Abraham
ben Aderet, le Catalan; tous, médecins, astronomes,
géographes , furent principalement renommés comme
commentateurs du Pentateuque ou du Talmud.
Mais, après Alphonse le Sage, les persécutions
recommencèrent, et pour sauver leur vie les Juifs
(i) Bibl. rabb,, p. ii6.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE IV. 63
durent, à plusieures reprises, faire profession du
christianisme.
Un document conservé par le Chapitre métropoli-
tain de Tolède nous fait connaître le nombre de
communautés juives ou aljamas qui existaient à la
mort de don Alphonse, dans les royaumes de Castille,
de Léon, de Murcieet dans TAndalousie. La capitation
imposée par tête était de 3o deniers. La population
juive de ces contrées s'élevait à 854,962 personnes,
payant 2,564,835 maravédis valant i o deniers chaque ;
en ce nombre n'étaient pas compris les enfants
au-dessous de seize ans.
Don Pedro, que l'histoire a, peut-être à tort, sur-
nommé le Cruel, suivit à l'égard des Juifs les traditions
d'Alphonse le Sage ; il protégea leur commerce et se
servit d'eux, surtout comme receveurs des impôts.
Le juif Samuel Levi, chargé d'administrer les revenus
de la couronne, avait acquis d'immenses richesses.
Il fit bâtir, à ses frais, à Tolède, une synagogue,
dont parlent Rades de Andrada, dans sa Chronique
des ordres militaires d'Espagne, et M. Alexandre
Léon, de Bordeaux, dans ses Souvenirs d Espagne,
Tolède (0. Après l'expulsion des Juifs, elle devint
une église dédiée à saint Benoît, et fut donnée aux
chevaliers de San-Juan-de-Calatrava, en échange de
l'Alcazar de Tolède.
Cette synagogue, temple somptueux où se déployait
(i) Liberté dépenser. Juin et juillet 1849.
64 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
toute la magnificence du style mudejar, est aujourd'hui
réglise Nuestra-Senora del Transitu (0.
Les partisans de Henri de Transtamare repro-
chaient au roi don Pedro de se servir des Juifs.
D. Lopesde Ayala, prisonnier de don Pedro après la
bataille de Najera, dit, dans le Rimado de Palacio :
Tenen para esto judios muy sabîdos.
Para sacar lot puhos y los nuevos pedidos.
Les Juifs furent fidèles au roi légitime. Jean
d'Estoute ville, qui écrivait en 1387 l'histoire de
Du Guesclin, raconte qu'ils se défendirent vaillam-
ment à Burgos et à Tolède. Le massacre qu'en firent
les soldats de Henri fut épouvantable. A Tolède
12,000 Juifs périrent par le fer ou le feu ; les boutiques
de l'Alcana furent rasées, et les aljamas mises au
pillage. Samuel Levi, accusé d'avoir perçu sans droit
les revenus royaux , expira dans les tortures. Le roi
vainqueur imposa 20,000 doubles d'or d'amende.
La persécution contre les Juifs atteignit même ceux
qui vivaient auprès du prince. Don Meir, médecin de
Henri, fut accusé d'avoir profané une hostie consacrée,
accusation banale et redoutée, et d'avoir voulu empoi-
sonner le monarque.
Sous Henri le Maudit, roi de Castille, les Juifs
furent massacrés à Séville , ^ Valence , à Cordoue , à
Barcelone (1394). Henri leur donna cruellement la
(1) V. H. Lindo. The history of Jews of Spain, p. 147-383.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE IV. 65
chasse ; ils s^enfuirent en Andalousie où les habitants
les égorgèrent.
En Aragon ils n^étaient guère plus heureux.
Devant les persécutions, les pillages et les massa-
cres, les Juifs n^eurent de ressource que dans l'abjura-
tion. Le commencement du quinzième siècle offre
surtout ce caractère.
Parmi les plus illustres de ces convertis, quelques-
uns déployèrent un grand zèle pour les nouvelles
doctrines qu'ils venaient d'embrasser.
R. Selemoh Halevi, très estimé des Juifs pour la
noblesse de sa race, qu'il a célébrée dans un livre
conservé à la Bibliothèque de Madrid, abjura solen-
nellement en 1 390, devint évêque de Carthagène, puis
de Burgos, enfin grand-chancelier de Castille et de
Léon. Il prit le nom de Paul de Sainte-Marie. — Ses
frères, ses fils, suivirent son exemple. Pierre de
Carthagène, son troisième fils, fut un des plus vaillants
capitaines de son temps, et devint le favori et le
conseiller des rois D. Henri et D. Fernand.
Le médecin de Pierre de Luna, Tanti-pape
Benoît XIII, était un Juif, Joshua Hallorki; il devint
chrétien sous le nom de Jérôme de Sainte-Foi, les
Juifs l'ont surnommé le blasphémateur. C'est lui qui
inspira au Pape le dessein de la conférence de Tortose
pour convertir les Juifs (1412). A cette célèbre confé-
rence assistait le chef de la captivité, l'intendant des
synagogues d'Aragon. Le R. Astruc envoya à Girone
les actes de cette conférence, à l'occasion de laquelle
66 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Joseph Albo publia plus tard ses Articles de foi.
(Sepher Hikkarim).
Le système de persécution qui décida le plus grand
nombre de conversions fut celui de l'isolement absolu
des Juifs, de leur séparation complète d'avec les
Chrétiens. Ils ne pouvaient habiter avec ceux-ci, ni
commercer, même pour les objets de première néces-
sité ; ils ne pouvaient exercer aucune fonction publique,
presque aucune profession. Aussi les prédications de
saint Vincent Ferrier pour la conversion des Juifs
obtinrent-elles un succès assuré. En un seul jour
4,000 Juifs de Tolède se convertirent (1407); et peu
après, d'après R. Isaac Cardozo, leur nombre dépas-
sait 1 5,000. La principale synagogue fut transformée
en église. — En Castille , en Aragon , en Andalousie,
à Murcie, les conversions étaient aussi nombreuses.
Un manuscrit de l'Escurial, cité par D. Jo::é
Rodriguès de Castro dans sa Bibliothèque rabbinique
espagnole, donne les noms de 14 rabbins qui assistaient
à la conférence de Tortose; 12 se convertirent (1414),
seuls R. Ferrer et Joseph Albo persistèrent. Dans
la 67* séance, R. Astruc el Levi présenta, au nom
des Juifs, une cédule dans laquelle ils s'avouèrent
convaincus des erreurs du judaïsme : a Et ego Astruc
» Levi!, cum débita humilitate... respondeo dicens :
» Quod licet auctoritates thalmudicœ. . . maie soncnt. . .;
» ideo, dictis auctoritatibus nullam fidem adhibeo, nec
» auctoritatem aliqualem, nec illis credo..., etc. »
Aussi le pape rendit-il, en 141 5, un édit extrême-
ment sévère contre les obstinés qui ne voulaient pas
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE IV. 67
se convertir : presque toutes les aijamas d'Aragon se
convertirent sur l'exemple , dit Jérôme de Zurita , du
savant Garci Alvarès de Alarcon et de Todroz ben
Venisto de Saragosse.
Ces conversions de Juifs, faites devant Tépée san-
glante ou devant le bûcher flamboyant, n'étaient
presque jamais que simulées. Le clergé catholique ne
s'y trompait pas et accablait les Papes de ses plaintes
sur les fréquents retours au judaïsme des nouveaux
chrétiens. Le pape Sixte IV ordonna à l'Inquisition
de veiller et de punir, aux princes de prêter main-
forte. Ces ordres cruels, affichés dans toutes les villes
d'Espagne, furent sévèrement exécutés. On brûla
2,000 Juifs, on en emprisonna un plus grand nombre,
on déterra les morts pour brûler leurs os. Tous les
survivants, furent déclarés infâmes, et leurs biens
furent confisqués; ceux qu'on laissa vivre durent
porter une double croix rouge pour indiquer qu'ils
avaient mérité de périr par le feu.
Devant ces terribles cruautés, 17,000 de ces mal-
heureux consentirent à recevoir le baptême.
Le moment était venu où la Péninsule tout entière
allait être fermée à la race d'Abraham .
Malgré les défenses souvent renouvelées et sanc-
tionnées par les pénalités les plus cruelles, qui tendaient
à isoler complètement les Juifs des Chrétiens, qui
punissaient de mort tout rapprochement entre les
sexes, qui interdisaient aux Juifs toutes les fonctions
publiques et la plus grande partie- des professions
68 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
civiles, telle que celle de médecin dans laquelle ils
excellaient, on avait trop besoin d'eux et ils étaient
doués d'un esprit trop souple et trop persévérant,
pour que les prohibitions ne fussent pas souvent
éludées. Aussi les retrouve-t-on , même après les plus
dures persécutions, médecins, juges, receveurs d'im-
pôts, banquiers, courtiers.
Un document important, qui fait connaître Tétat
des Juifs de Castille à la fin du quinzième siècle, la
répartition faite aux aljamas de la couronne de
Castille, prouve ce que nous avançons. Il est dû au
rabbi Jacob aben Nunès, oc physicien du roi notre
D seigneur et son juge-major, distributeur des services
j> et demi-services que les aljamas des Juifs de ses
» royaumes doivent payer chaque année à sa sei-
T> gneurie. » La couronne de Castille comptait alors
217 aljamas à Burgos, Calahorre, Palencia, Osma,
Siguenza, Ségovie, Avila, Salamanque, Zamora, Léon
et Astorga, évêché de Tolède, de Placenzia, Anda-
lousie. La capitation s'élevait à 460,000 maravédis;
ce qui, à 3 maravédis de 10 deniers par tête au-dessus
de seize ans, indique une population juive adulte
de i5o,ooo.
Le commerce des Juifs enrichissait la Castille. C'est
leur concours comme fournisseurs d'armes, de vivres,
de transports, de matériel, d'argent, qui permit aux
Espagnols de vaincre les Maures, et de mettre fin par
la prise de Grenade à la domination arabe dans la
Péninsule.
Les Juifs furent récompensés de leur utile et indis-
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE IV. 69
pensable concours par Tingratitude la moins éclairée.
Vainqueurs des Maures de Grenade, le roi Ferdinand
d'Aragon et la reine de Castiile, Isabelle, son épouse,
conçurent le dessein de ne permettre à aucun infidèle
ni à aucun hérétique de résider désormais dans leurs
États. Sur l'instigation du célèbre cardinal Ximenès,
de Vincent de Ferrare et du grand inquisiteur Torque-
mada, ils rendirent, le 3i mars 1492, un édit qui
ordonnait à tous les Israélites d'embrasser le catholi-
cisme ou de sortir d'Espagne dans les quatre mois.
L'exécution de cet édit fut poursuivie avec la plus
grande rigueur.
Indécis sur le parti qu'il y avait à prendre en atten-
dant des jours moins cruels, le prince des Juifs
d'Espagne, Ghamorro, demanda vainement Tavis
des rabbins renommés de Gonstantinople. Il n'en
reçut qu'une réponse équivoque.
Devait-on rester, en gardant au fond du cœur la foi
de Moïse, jusqu'à une époque plus favorable ? Devait-
on partir, en sacrifiant sa fortune et ses habitudes ?
Attachés au sol de l'Espagne par leurs traditions et
leurs intérêts, un grand nombre de Juifs se convertirent.
Un plus grand nombre, hommes faits, vieillards,
femmes, enfants, abandonnèrent les contrées que
leurs pères habitaient depuis des siècles.
Mariana porte à 800,000 le chiffre de ces malheu-
reux. Les historiens juifs Abravanel et Gardozo comp-
tent 120,000 familles, formant 600,000 individus.
L'annaliste Abarka ne compte que 400,000 personnes.
Le R. Isaac da Gosta, dans son livre Conjectures
70 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
sacrées, réduit ce chiffre à 3oo,ooo personnes; d'au-
tres ne comptent que 36,ooo familles, ou 1 5o,ooo indi-
vidus.
Ce fut un spectacle lamentable que ce départ.
A Ségovie, dit D. Diego de Colmenarès, les Juifs
passèrent trois jours en larmes dans le cimetière sur
les tombeaux de leurs aïeux. On vit des parents
désespérés vendre leurs enfants pour payer leur
passage ; d'autres, qui avaient réussi à sauver quelques
débris de leurs anciennes richesses et qui les avaient
emportés avec eux, étaient jetés à la mer par les mate-
lots qui convoitaient leurs dépouilles.
Les plus favorisés parvinrent à fuir.
Les uns, plus rapprochés de la Méditerranée,
purent s'embarquer pour l'Afrique ou pour l'Italie;
d'autres se rendirent dans le Levant, à Constantinople,
en Syrie, près de l'antique berceau de leur race. Ceux
de r Aragon, de la Biscaye, de la Navarre, gagnèrent
la France; quelques-uns allèrent jusqu'en Angleterre
et en Allemagne. Ceux enfin qui habitaient les pro-
vinces de l'Ouest se réfugièrent en Portugal.
Les fugitifs furent diversement accueillis. En Europe
ils furent reçus presque partout avec humanité. Ceux
qui abordèrent en Afrique eurent un sort malheureux.
Ils furent assaillis, dit W. Prescott, dans son histoire
du règne des rois catholiques en Espagne, par les
tribus féroces du désert , accourues sur la plage pour
profiter de cette bonne aubaine. Ils errèrent miséra-
blement d'Ercilla à Fez. Les barbares les pillèrent,
les maltraitèrent, violèrent femmes et enfants, et
PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE IV. 71
enfin massacrèrent sans distinction tous ceux qui
avaient échappé au froid, à la faim, aux maladies.
Cette expulsion devait être une mesure déplorable
pour r Espagne, qui perdit les plus industrieux de ses
habitants; mais la conduite des souverains Ferdinand
et Isabelle était trop dans les mœurs de Tépoque pour
ne pas obtenir Tapprobation presque universelle. Ils
reçurent les félicitations officielles du chef de la
chrétienté, et le pape Alexandre VI, le fameux
Rodriguez Borgia , né en Espagne , à Valence , ville
peuplée de Juifs , décerna à Ferdinand le titre de Roi
catholique.
Ainsi, ce peuple sorti de la même tribu, qui habitait
r Espagne depuis des siècles, soumis à la même loi et
au même chef ou Gaon, se répandit sans ordre, affolé
par la terreur, dans toutes les directions, pendant
qu^un grand nombre de ses enfants, abjurant la foi de
ses pères, se courbait sous la loi de ses persécuteurs.
Parmi ces derniers, les plus connus sont les écrivains
Alfonso de Zamora de Salamanque, Paul Coronel de
Ségovie, Alfonso de Alcala de Jaën, et Paul de
Heredia.
Les Juifs, quand ils abjuraient, avaient pour
parrains les hommes les plus éminents , dont ils pre-
naient les noms que leur conférait le baptême, d'après
Tusage alors adopté. C'est ainsi qu'ils portèrent les
noms des plus illustres familles d'Espagne et de
Portugal. Ceux qui partirent, ou conservèrent ces
noms, ou prirent le nom des villes ou des seigneuries
dont ils étaient originaires.
72 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Les convertis avaient d'ailleurs toutes les faveurs de
la cour.
L'asile que plusieurs d'entre les Juifs croyaient
trouver en Portugal, dut être chèrement acheté et fut
bien précaire. Les Juifs portugais, comme ceux
d'Espagne, avaient contribué à la gloire et à la
richesse de leur patrie. Lorsque le Portugal était tout
entier aux découvertes de ses grands navigateurs, et
traçait avec Vasco de Gama la route des Indes, les
juifs Abraham de Béjà et Joseph Zapatero de
Lamego avaient donné au roi Jean la description
fidèle des parages d'Ormus et de la mer Rouge.
Mais, en Portugal comme en Espagne, le fanatisme
religieux était tout -puissant. Le roi de Portugal,
Jean II , exigea des réfugiés 8 écus d'or par tête pour
droit de refuge , et ordonna que ceux qui résideraient
un certain temps dans son royaume deviendraient
esclaves. Il les obligea à faire baptiser leurs enfants ;
il en embarqua violemment un grand nombre pour
aller peupler l'île de Saint -Thomas sur la côte
d'Afrique.
Son successeur, Emmanuel, se montra d'abord plus
tolérant; mais lorsqu'il eut épousé la fille de Ferdinand
et d'Isabelle, il accabla de ses rigueurs les Maures et
les Juifs. Il chassa ces derniers, après leur avoir enlevé
leurs enfants au-dessous de l'âge de quatorze ans, qui
furent faits chrétiens par force. Le désespoir qui s'em-
para des bannis est indescriptible; plusieurs tuèrent
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE IV. ji
leurs enfants et se tuèrent eux-mêmes ; d'autres, plus
désespérés peut-être, pour ne pas quitter leurs enfants,
se firent chrétiens. Le reste, auquel on avait assigné
pour s'embarquer, d'abord trois des ports du royaume,
puis un seul, mourait de faim et de misère, attendant
le moment où il pourrait partir.
L'illustre Michel de Montaigne a fait une peinture
fort exacte de cette cruelle expulsion :
a Les Roys de Gastille ayant bani de leurs terres
» les Juifs, le Roy Jan de Portugal leur vandit à huit
» escus pour teste la retrete aux siennes, en condition
» que, dans certein jour, ils auroient à les vuider;
j> et luy leur promettoit fournir des vaisseaux à les
» trajecter en Afrique. Le jour venu, lequel passé il
7> estoit dict que ceus qui n'auroint obéi demeureroint
T> esclaves, les vaisseaux leur feurent fournis escharce-
» mant; et ceus qui s'y embarquarent rudement et
» vilenement traittés par les passagiers, qui, outre
^ plusieurs autres indignités, les amusarent sur mer,
-D tantost auant, tantost arrière , jusques à ce que ils
» eussent consommé leurs victuailles , et fussent con-
T> treints d'en acheter d'eus si chèremant et si longue-
» ment qu'ils furent rendus à bort après avoir esté du
» tout mis en chemise. La nouvelle de cette inhuma-
» nité, raportée à ceus qui estoint en terre, la plus part
» se résolurent à la servitude; aucuns firent contenance
j> de changer de religion.
3> Emanuel, venu à la coronne, les mit premiè-
» rement en liberté ; et, changeant d'avis despuis, leur
» dona temps de vuider les pais , assignant trois ports
74 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
» à leur passage. Il esperoit , dict Tevesque Osoriuz,
» le meilleur historien latin de nos siècles, que la
» faveur de la liberté qu'il leur auoit rendue , ayant
» failli de les convertir au christianisme, la difficulté de
» se commettre, comme leurs compaignons, à la vole-
» rie des mariniers, d'abandoner un pais où ils estoint
» habitués aux grandes richesses , pour s'aler jetter en
» région inconnue et estrangière, les y rameneroit.
y) Mais se voiant descheu de son espérance , et eus
» tous délibérés au passage , il retrancha deus des
» ports qu'il leur avoit promis, affin que la longur et
» incommodité du trajet en ravisoit aucuns ; ou, pour
» les amonceler tous à un lieu pour une plus grande
» commodité de l'exécution qu'il avoit destinée. Ce
» fut qu'il ordona qu'on arrachât des mains des pères
T> et des mères tous les enfans au-dessous de quatorze
» ans, pour les transporter hors de leur veue et con-
» versation , en lieu où ils feussent instruits à nostre
» relligion.
7) Il dict que cet effect produisist un horrible spec-
» tacle : la naturelle affection d'entre les pères et les
» enfans, et de plus le zèle à leur antiene créance,
» combatant à l'encontre de cette violante ordonance,
y> il fut veu communament des pères et des mères se
7) desfaisans eus mêmes, et d'un plus rude exemple
)) encore, précipitant par amour et compassion leurs
D junes enfans dans des puits pour fuir à la loy.
» Au demeurant le terme qu'il leur avoit préfix
» expiré, par faute de moyens , ils se remirent en ser-
» vitude. Quelques uns sz feirent chrestiens ; de la foy
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE IV. jS
» desquels ou de leur race encores aujourd'huy cent
D ans après, peu de Portugois s'assurent; quoique la
» costume et la longur du temps soint bien plus fortes
» conseilères que tout autre contreinte (0 ».
Et Michel de Montaigne était bien renseigné, car sa
mère, Antoinette de Louppes, ou plutôt Antoinette
Lopès, descendait d^'un de ces Espagnols fugitifs (2).
Les nouveaux convertis ne trouvèrent pas tous le
salut qu'ils espéraient. Leur abjuration forcée ne les
protégea pas longtemps. Pendant trois jours le peuple
de Lisbonne égorgea ces tristes objets de sa haine
religieuse; il pilla leurs biens, viola et tua les filles et
les femmes, massacra les enfants et les vieillards.
A Tavénement de Charles-Quint, les Juifs espérèrent
un moment obtenir le droit de rentrer dans la Pénin-
sule. Ils firent représenter au jeune monarque a qu'ils
» avaient longtemps dirigé avec honneur le commerce
(i) Montaigne. Essais, liv. I^r, ch. XL.
Ce chapitre est le XIV^ dans les éditions de i58oy i582, ibSj et
i388, publiées du vivant de Montaigne. II est le XL" de l'édition de
1 595, publiée par M^e de Gournay après la mort de l'auteur, et dans
toutes celles qui ont suivi.
Le paragraphe que nous citons n^existe pas dans les premières
éditions; il a été ajouté de la main de Montaigne sur l'exemplaire
de i588, qu'il destinait à devenir le texte d'une nouvelle édition. Cet
exemplaire est conservé avec le plus grand soin à la Bibliothèque de
la ville de Bordeaux. Nous avons scrupuleusement copié le passage
sur le manuscrit, en en respectant l'orthographe, ce que n'a fait
aucun des éditeurs de Montaigne.
Nous travaillons en ce moment, avec grand courage, à une édition
calquée rigoureusement sur le manuscrit; mais le travail est long.
(2) Voir Théophile Malvezin. Michel de Montaigne; son origine,
sa famille. Bordeaux, Lefebvre, 1875.
76 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
i> espagnol ; quHls étaient ses sujets les plus utiles ^ et
» peut-être les plus fidèles; que, pleins de confiance
» dans sa justice et sa bonté , ils espéraient quUl vou-
» drait bien leur accorder le libre exercice de leur
» culte, y) Ils s^engageaient à lui offrir un don de huit
cent mille écus d'or.
Les ministres du roi ne se dissimulaient pas les
conséquences fatales pour les royaumes d'Espagne et
de Portugal de l'expulsion des Juifs, et appuyaient
leur demande ; mais le cardinal Ximenès l'emporta, et
la requête fut repoussée.
Une tentative semblable faite plus d'un siècle après
ne réussit pas davantage auprès du roi de Portugal,
lorsque ce pays se fut affranchi de l'Espagne. En vain
les Juifs qui professaient extérieurement le catholi-
cisme à Lisbonne, offrirent-ils au roi une somme
considérable, s'il voulait les mettre à l'abri de l'Inqui-
sition et leur permettre d'avoir des synagogues. Ce
ne fut qu'une occasion pour le Saint-Office de redou-
bler de sévérité.
Cependant, il restait en Portugal comme en Espagne
un grand nombre de Juifs, forcés à la conversion sous
peine de la vie , dissimulant leur foi religieuse par un
mensonge que permettait le Talmud, sous les appa-
rences d'une religion qui leur était odieuse et qui les
traitait en ennemis. Habiles à se déguiser par crainte
de l'Inquisition , ils ne paraissaient que plus fervents
catholiques, en restant Juifs au fond du cœur. Ils se
répandirent dans toutes les conditions sociales; occu-
PREMIERE PARTIE. — CHAPITRE IV. 77
pèrent tous les emplois, même les fonctions de prêtres
catholiques. Plusieurs s^allièrent aux plus nobles et
aux plus illustres familles, et portèrent quelques-uns
des titres de la grandesse espagnole et portugaise.
On connaît Tanecdote du fameux marquis de
Pombal. Le roi de Portugal, Joseph I«^, avait
ordonné que tout Portugais qui aurait quelque degré
de descendance ou d'alliance Israélite, porterait un
chapeau jaune. Quelques jours après^ le vieux marquis
parut à la cour avec trois de ces chapeaux sous le
bras. Le roi, étonné, lui dit : ce Que voulez-vous faire
v de tout cela ? » Pombal répondit qu'il voulait obéir
aux ordres du roi , et qu'il ne connaissait pas un seul
Portugais de marque qui n'eût du sang juif dans les
veines, ce Mais, » dit le roi, a pourquoi avez- vous
D trois chapeaux ? ]> ce J'en ai un pour moi , répliqua le
v marquis, un pour le grand Inquisiteur, et un pour
» le cas où V. M. désirerait se couvrir (0. »
Au dix-septième siècle, le célèbre médecin Balthasar
Orobio, après avoir subi à Séville la torture comme
soupçonné de judaïsme, parvint à sortir d'Espagne,
exerça la médecine à Toulouse comme catholique, et
enfin se rendit à Amsterdam, où il se fit circoncire, et
prit le nom d'Isaac. Il eut en Hollande, avec le
ministre protestant Philippe Limbosch, une discussion
demeurée célèbre, sur la vérité de la religion chré-
tienne. Orobio soutint qu'il existait en Espagne une
(i) E.-H. Lindo, p. 375.
78 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
multitude de Juifs tant parmi la noblesse que dans le
clergé. Et il est certain que des dominicains, des
franciscains même des jésuites espagnols, vinrent à
Amsterdam pour rejeter leur dissimulation et revenir
à la loi de Moïse.
Aussi les nouveaux chrétiens furent-ils toujours sur-
veillés d'un œil jaloux par le Saint-Office ; à la
moindre dénonciation, ces éternels suspects étaient
jetés dans les cachots; sûr la moindre présomption,
ils étaient condamnés au bûcher comme apostats et
relaps. Ces tristes auto-da-fé n'ont été que trop
multipliés.
Dans le dix-huitième siècle , Basnage, comme un
écho de Montaigne, pouvait encore dire: ce Vlnquî-
» sition veille sur ces nouveaux chrétiens , car c'est
j> ainsi qu'on les appelle encore aujourd'hui (i73o),
» quoique deux cents ans se soient écoulés depuis la
» conversion de leurs ancêtres. Ils sont toujours
7> suspects aux ministres de ce tribunal. Le moindre
» soupçon suffit pour les rendre criminels. Lorsqu'il
» arrive quelque accident au royaume, le peuple les
» accuse de judaïser en secret et d'être la cause de la
» vengeance divine. On en vit un exemple au com-
y> mencement du siècle passé (160 5), car le peuple
» s'étant ému sous je ne sais quel prétexte, un domi-
» nicain, le crucifix à la main, se mit à la tête de ces
» mutins; on pilla, on viola, on tua 4 ou 5,ooo de
j> ces nouveaux convertis. »
Ces violences devaient continuer pendant le dix-
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE IV. 79
septième siècle à Cordoue, à Lisbonne, à Coïmbre, à
Madrid, dans les Indes. Le médecin Sobrement fut
brûlé à Lima; dom Lope de Vea subit le même sort;
Almeyda fut brûlé à Compostelle en i655, Nunès à
Cordoue; i8 autres à Madrid en 1680; 3 à Lisbonne
en 1682 ; Silva à Lima en lôgS.
Pendant que F Espagne et le Portugal, en proie à
une ferveur religieuse passionnée, massacraient ou
expulsaient les Juifs, d^autres peuples catholiques
accueillaient ces fugitifs qui apportaient leurs talents
et leurs richesses.
Les papes Clément VII, Paul III, Jules II leur
permettaient l'exercice de leur religion et les proté-
geaient. Autant faisaient les petits princes dltalie ;
autant le sultan Bajazet.
En Angleterre , on leur permettait même d'établir
des synagogues à Douvres , à Londres , à Yorck. Les
Pays-Bas leur accordaient les mêmes tolérances à
Bruxelles, à Aquisgram, à Leyde, à Amsterdam. En
Suède et en Danemark, les Juifs étaient reçus à
Upsal, à Halmstad, à Copenhague. En Allemagne,
Hambourg, Nuremberg, Leipsik, Berlin les accueil-
laient.
En France, ils étaient reçus à Bayonne, à Bordeaux
et à Nantes. Et c'est spécialement de ceux de Bordeaux
que nous allons nous occuper.
Avant de suivre en France les réfugiés d'Espagne
et de Portugal , nous avons cru qu'il n'était pas sans
8o HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
intérêt d'esquisser leur histoire dans ces contrées, et
de rappeler les noms de ceux de leurs ancêtres qui se
sont le plus distingués par leurs talents et par leur
influence.
Au point de vue politique, les conséquences de
l'expulsion des Juifs par les rois d'Espagne et de Por-
tugal ne peuvent se comparer qu'à celles qu'eurent,
deux siècles plus tard, pour la France la révocation de
l'édit de Nantes et l'expulsion des protestants.
Il serait inutile d'insister longtemps pour tracer le
tableau de l'importance commerciale des Juifs au
moyen âge. Tout le monde sait que les Juifs, auxquels,
dans un grand nombre de contrées, tous les emplois
de l'activité humaine avaient été interdits, sauf le
commerce, avaient été forcés de s'y consacrer ; et que,
ne trouvant aucune sûreté pour des richesses toujours
jalousées, souvent enlevées, ils avaient été rejetés dans
les genres de négoce qui permettaient le mieux de
dissimuler les valeurs qu'ils possédaient.
Mais lorsque les Israélites habitaient la Palestine,
avant leur dispersion violente dans l'univers et les
persécutions qu'ils essuyèrent, et qui firent d'eux des
colporteurs et des usuriers, non seulement ils n'avaient
pas montré pour le commerce une propension mar-
quée, mais ils avaient professé pour lui le dédain que
lui a témoigné le monde ancien.
Les lois de Moïse constatent et consacrent l'aversion
du peuple hébreu pour le commerce. Ce peuple, que
la religion tenait isolé des autres, qui s'était établi dans
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE IV. 8l
un pays fertile, assez loin de la mer, où il ne possédait
pas de port, s'adonnait principalement aux occupa-
tions agricoles, à Télève des troupeaux et à la culture
des terres. Ses lois contiennent un grand nombre de
préceptes agricoles, a II ne faut rien semer dans la
» vigne. — On ne doit jamais mêler les semences que
» Ton jette dans la terre. — Les moissonneurs ne doi-
j> vent pas ramasser trop exactement les épis, mais
y> en laisser pour les pauvres. — On ne doit pas empê-
» cher les vendangeurs de goûter les raisins. » L'his-
torien si exact , Hébreu lui-même , qui a raconté les
événements dont il était le contemporain , les derniers
jours de sa nation en Judée, s'exprime formellement:
a Nous n'habitons pas, dit Flavius Josèphe, une terre
» voisine de la mer. Nous n'avons aucun goût pour le
» commerce , et nous ne cherchons pas à nous mêler
» aux peuples étrangers pour le faire. Nous possédons
» un pays fertile, et nous nous bornons à le cultiver. »
Après la prise de Jérusalem et la dispersion des
Juifs, la nécessité de vivre, le mépris du monde romain
et du monde féodal pour le commerce , y condamna
les Juifs; la persécution, les extorsions leur en firent
rechercher les branches les plus obscures , quelquefois
les moins honorables, et une regrettable notoriété
s'attacha à leur nom.
Au moyen âge, ils disposaient presque seuls du
commerce de l'Europe et de ses relations avec l'Orient.
Ils s'étaient rendus fermiers des péages et des impôts ;
ils étaient dépositaires des plus belles étoffes; ils
s'étaient emparés du trafic des pierres précieuses, des
6
82 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
métaux, de rorfévrerie ; armés de saufs-conduits que
les seigneurs féodaux ne refusaient pas de leur vendre,
ils parcouraient l'Europe et TAsie, tout le littoral de
la Méditerranée, cachant sous de sordides apparences
leurs richesses réelles et le secret de leurs affaires, et
correspondaient entre eux par les procédés commer-
ciaux les plus ingénieux. Ne pouvant acquérir des
immeubles, ils avaient accaparé le numéraire; esclaves
et rançonnés , ils reprenaient par l'usure ce que la
spoliation leur avait enlevé, a Libres d'armer des
7> navires et d'entreprendre des spéculations avouées,
» ils auraient peut-être, dit l'économiste Blanqui,
» renouvelé les merveilles de Tyr et de Carthage (0. »
Au moment où finit le moyen âge et où commence
l'ère moderne, le commerce maritime allait voir s'ou-
vrir devant lui des horizons démesurément agrandis,
en face desquels le commerce de Tyr et de Carthage
eût paru bien restreint. Les Juifs furent chassés
d'Espagne et de Portugal, alors que Vasco de Gama
avait trouvé le chemin commercial de l'Inde, alors que
Christophe Colomb avait découvert l'Amérique, alors
que la Péninsule aurait pu recevoir les plus grands
services de ceux de ses enfants qu'elle bannissait.
Quand l'Inquisition fut abolie en Portugal, les
Juifs purent revenir dans ce pays. En 1820, le roi
Jean VI leur permit d'habiter Lisbonne et d'y avoir
leur synagogue. Ils vivent estimés des autres habitants,
(i) Blanqui. Histoire de V Economie politique, éd. 1845, p. 180.
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE IV. 83
et sans subir aucune tracasserie. Ils possèdent des
immeubles. L'un d'eux, Isaac Lyon Goldsmid, a
acheté du gouvernement et assaini les terrains maré-
cageux de San-Antonio e Palmeyra, dans la banlieue
de Lisbonne. En 1840, la reine le créa chevalier de
la Tour et TEpée ; en 1846 il reçut le titre de baron (0.
En 1854, à Amsterdam, le roi de Portugal se
rendit à la synagogue des Juifs portugais; là, il exprima
publiquement un blâme sur Timpolitique conduite des
anciens rois de Portugal, et se félicita de voir les
Juifs revenus dans son royaume (2).
Les Juifs n'ont jamais été rappelés en Espagne. A
la fin du siècle dernier, on y arrêtait encore tout
individu soupçonné de judaïsme.
Le 22 juillet 1800, le gouvernement rendit une
ordonnance où on lit : a S. M. ordonne à ses ministres
» de ne point délivrer aux Juifs de passeports pour
:0 entrer en Espagne , quel que puisse être le motif de
» leur voyage, et soit qu'ils désirent ou non séjourner
D dans le royaume. Elle enjoint aux gouverneurs des
» frontières de leur interdire l'entrée du territoire
» espagnol, et d'en chasser tous ceux qui pourraient
» s'y être introduits. Depuis * longtemps les lois de ce
» royaume refusent à tous les Juifs le droit de passer
j> ou de s'établir dans les États de S. M., une infrac-
» tion récente prouve la nécessité de rendre à ces lois
» une nouvelle vigueur. »
(I) Lindo, p. 376 et suiv.
\2) Revue des Deux-Mondes, 1 856. Esquiros, les Juifs en Hollande.
84 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Peu après les événements qui firent tomber du
trône d'Espagne la reine Isabelle en 1868, les Israélites
français, établis à Bordeaux, ont adressé aux membres
du gouvernement provisoire d'Espagne une pétition
qui a été signée par tous les membres des consistoires
de la Gironde et des Basses- Pyrénées et par la presque
unanimité des électeurs ou notables des deux circons-
criptions. En voici les termes :
« Messieurs,
» Les soussignés, descendants des anciennes familles juives
d'Espagne et de Portugal qui se réfugièrent en France à la
suite des proscriptions dont le douloureux souvenir s*est
transmis de génération en génération, n'ont pu voir sans
émotion les événements qui viennent de s'accomplir dans
votre pays.
» Leur premier sentiment est de rendre un légitime hom-
mage au généreux élan qui vous a conduits à proclamer le
principe sacré de la liberté religieuse.
» En attendant que la nation, par ses Cortès constituantes,
puisse donner à ce principe une solennelle et définitive appli-
cation, les soussignés s'adressent respectueusement au Pouvoir
exécutif qui a pris l'initiative de révoquer toutes les proscrip-
tions, et vous sollicitent de compléter votre œuvre en
révoquant l'édit qui, depuis l'année 1492 , frappe d'exil les
Juifs d'Espagne.
» Nos pères ont travaillé pendant plusieurs siècles à la
prospérité et à la gloire de l'Espagne : proscrits, ils sont venus
porter en France, en Angleterre, en Hollande, la civilisation,
la langue et la littérature espagnoles, et l'on peut afïiimer que
leurs descendants jouissent dans ces pays d'une considération
qui fait honneur à leur ancienne patrie.
» En faisant droit à notre requête , vous accomplirez un
PREMIÈRE PARTIE. — CHAPITRE IV. 85
acte réparateur qui sera un de vos titres les plus précieux à
Testime publique et aux éloges de la postérité.
» Notre demande n'est pas une demande intéressée :
citoyens français, nous ne songerons jamais à abandonner une
patrie à laquelle nous attachent près de trois siècles d'une
protection qui ne s'est jamais démentie.
» En nous adressant à vous, notre unique but est d'accomplir
un pieux devoir envers la mémoire vénérée de nos ancêtres.
» Les noms que nous signons sont des noms espagnols ;
permettez-nous d'espérer qu'ils seront pour nous un titre de
plus à votre patriotique sympathie.
» Hommes de cœur, vous comprendrez le caractère sacré
de notre démarche et vous voudrez nous rendre justice 1
» Puisse la Providence exaucer nos vœux en vous accordant
la glorieuse satisfaction d'assurer le bonheur de l' Espagne 1 »
Cette éloquente adresse était due à l'initiative de
M. Alexandre Léon, de Bordeaux, qui en a été aussi
le rédacteur.
Voici la lettre adressée par le maréchal Serrano
aux membres du Comité local de TAlliance israélite
universelle à Bordeaux :
■ Madrid, !«* décembre.
» J'ai reçu, Messieurs, votre lettre dans laquelle vous
demandez au gouvernement provisoire que j'ai l'honneur de
présider si Tédit de 1492, qui expulsait d'Espagne les Juifs, a
été abrogé. En réponse, je dois vous manifester que notre
glorieuse Révolution ayant proclamé, avec les autres con-
quêtes des droits de l'homme^ la liberté religieuse, a abrogé,
par le fait, ledit édit du quinzième siècle.
» Par conséquent, vous êtes libres d'entrer dans notre pays
et d'y exercer librement votre culte, ainsi que les partisans de
toutes les religions.
» Veuillez, Messieurs, etc. » J. Serrano. »
86 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Quelles seront pour les Juifs les conséquences de la
guerre civile qui désole TEspagne ? Pour qui doivent-
ils former des vœux ? Pour le triomphe de la monar-
chie catholique du droit divin, ou pour celui de la
monarchie constitutionnelle ? pour don Carlos ou don
Alphonse ?
Si la liberté de conscience était sérieusement établie
en Espagne, peut-être assisterions-nous à un étrange
spectacle.
Un auteur moderne, Gisborne, rapporte qu'un
prêtre catholique qui avait passé douze ans en Espagne,
lui raconta que les Espagnols croient généralement
qu'il existe dans leur pays un très grand nombre de
Juifs, surtout dans le commerce, et qu'il y en a même
quelques-uns dans le clergé. Lorsqu'il relâchait à la
Corogne, le capitaine d'un bâtiment lui dit qu'en
France, dans l'Amérique du Sud, et ailleurs, plusieurs
personnes lui avaient avoué franchement qu'elles
étaient juives, quoiqu'elles eussent vécu longtemps en
Espagne comme catholiques. Une de ces personnes
avait même reçu les ordres et exercé publiquement
des fonctions ecclésiastiques (0.
Il nous a été affirmé par un descendant des
Israélites espagnols qu'à la fin du siècle dernier un
de ses ancêtres avait été prêtre catholique en Espagne,
avant de pouvoir se retirer en France et de revenir à
la foi de ses pères.
Tous ces prétendus catholiques redeviendraient-ils
juifs ?
(i) Ch. Malo. Histoire des Juifs, p. 383.
DEUXIEME PARTIE.
HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX DEPUIS i5oo.
CHAPITRE ^^
SEIZIÈME ET DIX-SEPTIÈME SIÈCLES. — LES NOUVEAUX
CHRÉTIENS.
Existait-il des Juifs à Bordeaux au raoment de l'expulsion des Anglais? —> Arrivée
à Bordeaux des Juifs d'Espagne et de Portugal sous la qualification de nouveaux
chrétiens. — Les principaux d'entre eux : Ramon de Granolhas, Dominique
Ram, Bertrand Lopès et Anthoine de Louppes de Villeneuve. — Relations de
la famille de Louppes avec celle d'Eyquem de Montaigne. — Antoinette de
Louppes, mère de Michel de Montaigne. — Les Govea. — Les régents du
Collège de Guienne : Gelida, F. et M. Dacosta, Jacques de Teyve, Antonio
Mendès.
Lettres-patente» de i55o, autorisant l'établissement des Portugais à Bordeaux. —
Arrôl du Parlement de Bordeaux (i 574). — Lettres-patentes de 15/4, commu-
nes aux Portugais et aux Espagnols.
Les nouveaux chrétiens protégés par le Parlement de Bordeaux et par les jurats. —
Arrêts de 1396 et 1597. — Lettres-patentes de 1602 non exécutées. — Noms
de quelques-uns des Portugais et Espagnols de cette époque. — Ils sont protégés
par le maréchal d'Ornano(i6o4).
Fanatisme religieux contre les Juifs. — Le conseiller Pierre de Lancre et l'avocat
Laroche ; procès au Parlement pour demander l'expulsion des Juifs. — Lettres-
patentes du 23 mai 161 5 contre les Juifs. — Ceux de Bordeaux sont protégés
par Élie de Montalte, médecin de la reine Catherine de Médicis, par le Parle-
ment et par les jurats.
Situation des nouveaux chrétiens. — Mariages et baptêmes à l'église. — Défiance
qu'inspire leur nationalité au moment de la guerre contre l'Espagne. —
Ordonnance de i624. — Le président de Gourgues. — Les jurats. — Exercice
des droits de cité.
i63o. Plaintes des marchands de la ville. — i636. Recensement des nouveaux
chrétiens ordonné par les jurats. — Principales familles. — 16 56. Confirmation
des privilèges. —, Situation des Portugais et Espagnols. — Leurs droits de
t>ourgeoiâie ; leur importance commercial j. — Les jurats et Colbert. — Expul-
88 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
sion de 93 familles ordonnée en i684par arrêt du Conseil royal. —Annulation
de l'arrêt. —Taxes et impôts. ^ Taxes de communauté.
Situation générale à la fin du dix-septième siècle. — Persécutions en Espagne. —
Un auto-da-fé en 1680. — Arrivée à Bordeaux de nouveaux fugitifs.
Pendant que les rois d'Angleterre étaient ducs
d'Aquitaine, nous avons vu les Juifs établis à Bordeaux,
d'abord près de Saint-Seurin, sur un terrain qui porta
longtemps le nom de Plantier des Juifs, Un titre de
iSyS le confronte (0. L'abbé Beaurein le place entre
la chapelle Saint-Martin et le ruisseau de la Devise (2).
C'est là qu'ils avaient leur cimetière. Un titre du
i3 novembre i3i7 nomme ce local : cimeteri deiis
Judius (3).
Ils étaient en dehors de la ville, qui s'arrêtait à la rue
Porte- Dij eaux, ou Porte des Juifs, Porta Judaïca (4).
La rue Judaïque actuelle a conservé ce souvenir.
Probablement à une époque postérieure à leur
première installation, ils obtinrent la permission de
s'établir dans l'intérieur de la ville, et ils se groupèrent
dans deux quartiers voisins.
Les titres anciens nous indiquent au quinzième
siècle (1432) une rue Judaïque, qui a porté jusqu'à
nos jours le nom de rue Judaïque en ville, et l'a
échangé il y a quelques années pour celui de rue de
Cheverus (3).
(i) Archives historiques, t. III, p. 55.
(2) V. Variétés bordelaises, t. III, p. 333.
(3) a In quo planterio sepeliuntQr Judaei. » Voir Léo Drouyn,
Bordeaux vers i45o, p. 136-479.
(4) Id,, id,, p. 57.
(5) Id.f id,t p. 227.
' DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE I. 89
Dans le quartier de Saint-Pierre , les Juifs parais-
sent avoir occupé à la même époque la rue du Puits-
des-Juifs, devenue par corruption la rue du Petit-
Judas, et actuellement la rue des Bahutiers. Des
titres de iSôy, iSgi, 1402, 1403, lui donnent cette
dénomination. Là, près de la rue d'Enfer, ils avaient
leur puits commun.
Toutefois , au moment où les Anglais abandonnent
la Guienne devant Parmée victorieuse de Charles VII,
les Juifs paraissent avoir été peu nombreux à Bordeaux .
Nous ne trouvons guère de documents qui les con-
cernent. Les maisons de la rue Judaïque et de la rue
du Puits-des- Juifs appartiennent à des seigneurs dont
les archives nous ont transmis les noms, à Jean de La
Lande, baron de La Brède, à Jean de Ségur, seigneur
de Francs, à Jean de Caupène, seigneur de Mes, à
noble Pierre de Roustaing, etc., et leurs tenanciers
ne sont pas juifs.
Les actes des notaires contemporains et les arrêts
du Parlement nous ont cependant conservé quelques
traces de l'existence des Juifs à Bordeaux, vers cette
époque. Il est même probable que, malgré les ordon-
nances d'expulsion, plusieurs familles n'en étaient
jamais sorties. Pierre d'Albéra faisait le commerce à
Bordeaux en 1414. Le 4 juin 141 5, Pierre Lopès ou
de Lope, épicier, tenait en fief de l'archevêque de
Bordeaux deux maisons, paroisse Sainte- Eulalie, sur
les Fossés des Eyres, et une maison rue Paillère. Cette
famille Lopès était probablement établie depuis fort
longtemps à Bordeaux, car, le i3 mars 1407, le maire
90 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
et les Jurats avaient délibéré de soumettre au sénéchal
une affaire qu'ils avaient avec un de Lopes (0, et
le Livre des Bouillons nous montre, dès la date du
28 novembre 1262, un Pey de Lopa déposant comme
témoin dans une enquête relative aux propriétés com-
munales, aux padouens de la ville de Bordeaux (2). En
1469, un Pierre de Loppes figure dans un arrêt du
Parlement.
Après la perte du commerce considérable que
Bordeaux faisait avec l'Angleterre , le sage politique
Louis XI, voulant ranimer la grande cité conquise
par son père, accorda de nombreux privilèges à tous
les étrangers qui viendraient s'y établir (février 1 474) .
Vers cette époque un certain nombre de négo-
ciants juifs vinrent profiter des facilités accordées aux
habitants de Bordeaux. Nous trouvons les noms de
Ramon de Lunas, de Juan de Villanos (1462); de
Francisco de Villagnos, de Nicolas de Fines (1470),
d'Alfonso Fernandez (1474); de Pierre de I^pes et
de Pierre de Alsato (1475), de Diego de Castro (1490),
de Théodoric de Delft, médecin (1495), de Juan de
Villanova (1498).
Leur situation était toutefois assez précaire, et le
pouvoir royal, malgré l'édit de 1474, avait une ten-
dance à considérer ces étrangers comme aubains, et à
s'emparer de leurs biens après leur mort.
C'est ainsi que le riche marchand Alfonse Fernandès
étant venu à décéder à Bordeaux vers 1476, le roi
(1) Registres de la Jurade, p. 299.
(2) Livre des Bouillons, p. 369-491.
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE I. QI
donna sa succession à Jean de Greyli, comte de
Candale, baron de Castelnau, seigneur de Puypaulin,
le plus grand baron de Guienne, parce qu'Alfonse était
natif d'Espagne. La veuve, Rose Bernard, le neveu
Martin Fernandès , et les héritiers ou légataires nom-
més au testament, durent transiger avec le comte de
Candale, et se contenter d'une faible partie de Théré-
dité (I).
Au moment où T Espagne et le Portugal chassaient
les Juifs et les dispersaient en Europe, un certain
nombre de ces malheureux, échappés aux massacres,
sinon aux conversions forcées , purent gagner le midi
de la France et chercher un refuge à Bayonne , à
Toulouse et à Bordeaux.
Plusieurs de ces nouveaux habitants de Bordeaux
méritent une mention spéciale. Ils étaient négociants,
médecins ou jurisconsultes. Quelques-uns sont devenus
la souche de familles honorées et puissantes.
Ramon de Granolhas, ou plutôt de Granollers,
était né au royaume d'Aragon. Il arriva à Bordeaux
vers i5o3, et devint un médecin renommé. Il exerçait
depuis i5o8, et fut nommé en i526 médecin de la
ville de Bordeaux. Il était témoin avec noble homme
Pierre Ayquem, seigneur de Montaigne, le 21 octo-
bre i52o, à un acte de règlement de comptes pour
Jaquette Constantin, veuve du président de Caries.
(i) Archives de la Gironde, Inventaire de Puypaulin : E, 552.
92 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Il était témoin en i525, avec Dominique Ram, à un
acte passé entre Anthoine Lopès ou de Louppes, et
Estienne Eymar, qui achetait à Robert de Las son
office d'avocat du roi en Guienhe et allait épouser la
fille d'Antoine Lopès. Il acheta, le 27 mars 1641, à
Pierre Ayquem, seigneur de Montaigne, père du
célèbre philosophe, une maison rue du Pas-Saint-
Georges. Il reçut en i543 des lettres du roi qui le
naturalisaient Français, et il devint bourgeois de
Bordeaux. Il ne laissa pas d'héritier de son nom, et
sa fille unique paraît avoir épousé Bertrand de Lopès
ou de Louppes.
Dominique Ram était Tami et le compatriote de
Ramon de Granolhas. Il était natif du royaume
d'Aragon, et il fut naturalisé Français par le roi
François 1*^.
Le 4 avril 1 5 1 o , Grimon Ayquem , seigneur de
Montaigne, qui avait été chargé, par arrêt du Parle-
ment, de la garde de 35o livres de poivre appartenant
au roi de Portugal, les avait lui-même remis en dépôt
dans les mains de honorable et discrète personne
M. M® Dominique Ram, docteur en droit, avocat au
Parlement, qui les livra à noble homme Pierre de
Calasso, procureur du roi de Portugal. D. Ram fut
témoin avec Raymond de Granolhas, docteur en
médecine, au paiement de la charge d'avocat du roi en
Guienne, qu'Antoine Lopès de Villeneuve achetait pour
Etienne Eymar, son futur gendre (3i juillet i525). Il
fut nommé conseiller au Parlement de Bordeaux par
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE I. qS
lettres -patentes du roi François I®', en date de
mars 1 542 . Son fils, Thomas de Ram , fut lieutenant-
général en la sénéchaussée de Bordeaux, et ne laissa
qu'une fille, Jeanne, qui apporta cette lieutenance-
générale à son mari Jean de Maniban, seigneur de
Lassou et de La Roque.
Gabriel de Tarrégua, médecin à Bordeaux, figure,
à la date du 28 juin i5i6, dans un acte de Hylaire
Dervault, notaire, et dans un autre (6 mars i5i6)
du notaire Nicolas Moreau. Devant ce dernier notaire,
le 5 juillet i5i8, M® Gabriel de Tarégua, docteur en
médecine et bourgeois de Bordeaux , achète le bour-
dieu de Laneblanque, paroisse d'Eysines. En i52i,
il figure comme professeur de médecine dans le
tableau de l'Université de Bordeaux. Il est qualifié de
prœstantissimus dominus. On le voit en outre se
livrer à un grand nombre d'opérations commerciales,
notamment sur les pastels qu'il achetait à Alby ou à
Toulouse, et qu'il revendait aux marchands anglais,
flamands ou espagnols.
Jehan Milanges, procureur au Parlement, ami
d'Anthoine de Louppes de Villeneuve, dont nous
parlerons dans un moment, de Dominique Ram, de
Ramon de Granolhas, et comparant avec eux dans
un acte du notaire Donzeau, du 3i juillet i525, était
lui aussi de la religion de Moïse, au témoignage de /
son coreligionnaire Benjamin Francia (Beaufleury).
Il fut père de Simon Milanges , d'abord professeur au
94 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
collège de Guienne, et qui devint en 1572 un impri-
meur célèbre (0.
Citons en passant quelques noms moins connus:
Guillaume del Casso, Alfonso Lisana, riches négo-
ciants; Sahtson Darraguon, maître des jeux de Tépée;
Silva, professeur au collège de grammaire en i525;
Jacques Chimènes, ou plus correctement Ximenès,
docteur en médecine, décédé avant 1627, et dont le
fils donnait à cette date quittance à son tuteur sire
Lehan Louppes , qui s'était retiré à Saragosse.
Bertrand Lopès, ou de Louppes, barbier, c'est-à-dire
chirurgien, était le frère d'un riche marchand, Anthoine
de Louppes. Il (ivait épousé la fille du docteur en
médecine Raymond de Granolhas. Nous voyons, le
26 mars i562, figurer dans un acte de Guay, notaire,
le nom des deux frères, Anthoine de Louppes, avocat
au Parlement, et Raymond de Louppes, docteur en
médecine. Le premier, devenu seigneur de La Prade
et conseiller au Parlement, fut la tige d'une famille
parlementaire; le second, Raymond, avait épousé
demoiselle Jehanne de Girard, de la famille de Bernard
de Girard, seigneur du Haillan, l'historien.
Anthoine Lopès, ou de Louppes, dit de Villeneuve,
était un des plus riches négociants de Bordeaux. Son
nom commence à paraître dans les actes des notaires
(i) V. Ernest Gaullieur. Histoire du CoUége de Guyenne, p. 9-10.
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE 1. g5
de cette ville à partir de i5io. Nous en avons parlé
ailleurs avec quelques détails. On le voit en relations
d^affaires avec les plus grands négociants de Bordeaux,
Jehan de Nahugues, Guilhem del Casso, François
Malbosc, Bernard de Vertheuil, Bernard du Fleix,
Arnaud de Pontac , Pierre de Lestonna , Alfonse de
Lîsana, Pierre de Touailla, et faisant des chargements
de vin pour la Flandre avec Pierre Ayquem de
Montaigne. Il a pour correspondants au dehors ses
frères établis en Espagne , en Angleterre , à Anvers,
à Toulouse. Son nom, défiguré par les notaires du
seizième siècle, est bien Lopès, ainsi que le démontre
la signature de Bertrand, son fils (0.
Les actes des notaires et les arrêts du Parlement
qui le concernent, le désignent d'abord sous le nom
de Antoine de Louppes, dict de Villeneuve; ce n'est
que plus tard que s'efface le dict, et qu'il s'appelle de
Louppes de Villeneuve. Son fils Bertrand et son fils
Jehan ne signeront plus que « de Villeneuve » .
Nous avons cherché d'où venait aux Lopès ce
surnom de Villeneufve. Il vient très certainement, sui-
vant l'usage de l'époque, du lieu d'origine d'Antonio
Lopès, ou de celui d'un établissement antérieur à
telui qu'il fit à Bordeaux. C'est ainsi que parmi ses
frères l'un est dit : Martin Lopès de Castille; un autre,
Francisco Lopès d'Arviano; un troisième, Pierre de
(i) Théophile Malvezin. Michel de Montaigne; son origine, sa
famille, p. io6 et suiv.
Francisque Michel. Histoire du Commerce et de la Navigation à
Bordeaux, t. II, p. 20 et suiv.
\y
96 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Louppes de Flandres. Nous avons hésité entre Ville-
neuve de Portugal dans les Algarves, et Villeneuve
dû diocèse de Tolède en Espagne (0, et nous avons
incliné pour TEspagne.
Le surnom de Villeneuve avait déjà été porté par de
célèbres médecins espagnols : Bernabé de Vill<inueva,
dont les écrits ont été traduits en hébreu en 1327, par
le R. Qrescas Vidal de Qislad, de cette famille des
Qrescas bien connue à Barcelonne et à Saragosse ; et
plus tard Arnaldo de Villanueva, dont la Sumtna
medicina fut traduite par un rabbin de la même
famille, R. Qrescas Descolar.
Ces Lopès de Villeneuve étaient parents de Paul
Lopès, médecin du comte d'Armagnac, qui était mort
à Cestona en Biscaye, et leur avait laissé par testament
des legs pour lesquels ils donnaient procuration le
6 février i533, devant Donzeau, notaire à Bordeaux.
Ils avaient des branches de leur famille établies en
France, Tune à Avignon, l'autre à Toulouse.
Nous lisons dans d'Hozier (2) qu'un Garcias Lopès
de Villanova et Eléonore Pérès, sa femme, étaient
a sortis d'Espagne vers 1440, pour se réfugier dans le
3) Comtat-Venaissin ». Lachenaye des Bois (3) dit que
cette famille est sans contredit originaire d'Espagne,
et que ses membres se sont établis en France, ce La
» modicité de leur fortune, dit-il, les obligea de se
(1) V. T. Malvezin. Michel de Montaigne, p. 108 et 109.
(2) /•»• Reg., p. 345 et suiv.
(3) T. IX, p. 660.
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE I. 97
» disperser. Les uns passèrent enSardaigne, les autres
» en Flandre et en France, soit à Avignon, soit à
i> Toulouse et à Bordeaux, »
Un des fils de Gardas Lopes-de Villanova, Gilles,
épousa Eléonore Lopès, de Toulouse^ dit d'Hozier;
^a parente, dit Lachenaye des Bois. Ils eurent plu-
sieurs enfants, parmi lesquels Michel de Lopes de
Villeneuve, qui testa le i®' novembre i558.
Ces de Lopes de Villeneuve d'Avignon étaient donc
incontestablement les parents des de Louppe de
Toulouse et de Bordeaux. Ils portaient les mêmes
prénoms, et nous remarquerons surtout ceux de
Michel et d'Eléonore que la branche de Toulouse
apporta dans la famille de Montaigne.
C'étaient d'ailleurs de riches et puissantes familles.
Celle d'Avignon a laissé perdre, après les fils de
Michel de Louppes de Villeneuve, son nom de Ville-
neuve pour prendre dans ses diverses branches les
titres de seigneurs de Saint-Privat et de La Loubière,
de marquis de Monteverde, de seigneurs et marquis
de La Fare. C'était un des Lopès de Villanova, cet
abbé de La Fare que l'Académie française choisit en
1708 pour prononcer le panégyrique de saint Louis,
et qui prêcha en 17 12 devant Louis XIV; et aussi le
marquis de La Fare , charmant poète et aimable con-
vive, l'ami de Chaulieu et du grand prieur de France.
Pierre de Louppes, de Toulouse, a fondé dans
cette ville une famille qui a donné plusieurs capitouls.
Pierre de Louppes était honoré de cette magistrature
y
98 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
en 1542; Michel de Louppes, docteur en droit et
avocat, Ta été en i582. En 1654 vivait Tristan de
Louppes, écuyer.
Nous croyons avoir établi ailleurs que la mère de
Michel de Montaigne, Anthoinette de Louppes, qui
avait épousé le i5 janvier i328 noble Pierre Ayquem,
seigneur de Montaigne, était la fille de Pierre de
Louppes, de Toulouse, et la nièce d'Antoine de
Louppes de Villeneuve, de Bordeaux (0.
Antoine de Louppes avait épousé Giraulde du Puy,
de la famille d'Antoine du Puy, célèbre médecin (2).
Il en eut plusieurs enfants: deux filles, Béatrix et
Catherine ; la première épousa l'avocat du roi Etienne
Eymar, conseiller au Parlement, et fut mère de
Joseph d'Eymar, maire de Bordeaux et premier
président du Parlement; la seconde, Catherine, épousa
le conseiller au Parlement Pierre de Ferrand. Des
deux fils, Bertrand, l'aîné, continua quelque temps les
affaires commerciales de son père, devint jurât, puis
notaire secrétaire du roi. A partir de ce moment il
abandonna le nom de famille et ne signa plus que
Bertrand de Villeneuve. C'est ainsi qu'il signa son
testament, le 19 mars i554, par lequel il institua
pour son héritier général et universel M. M® Jehan de
Villeneufve, conseiller du roi en son grand conseil, son
frère unique.
Jean de Villeneuve avait passé sa jeunesse à Tou-
(1) V. T. Malvezin. Michel de Montaigne; son origine, safamUle^
p. 1 17 et suiv.
(2) V. Gaullicur. Histoire du Collège de Guyenne, p. 10.
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE ï. 99
louse, auprès de son oncle Pierre de Louppes. Il
avait été viguier de Toulouse et avait épousé la fille
de Pierre Potier, notaire et secrétaire du roi. Il devint,
en 1569, conseiller au Parlement de Bordeaux et
tiers président. Il obtint des dispenses parce que
M. Joseph d'Eymar, son neveu, fils de sa sœur
Béatrix, était lui-même conseiller.
Le président de Villeneuve acquit par retrait lignager
la seigneurie de Cantemerle, qui est encore dans les
mains de ses descendants. Il avait, ainsi que son
cousin Anthoine de Louppes, seigneur de La Prade,
les relations les plus étroites avec la famille de
Montaigne. Il était choisi pour arbitre dans les contes-
tations que pouvait soulever, entre Michel de
Montaigne et Antoinette de Louppes, sa mère, la
succession du père.
Les plus illustres de tous ces réfugiés d'Espagne et
de Portugal qui cherchaient un lieu où reposer la
plante de leurs pieds, et ceux qui exercèrent la plus
heureuse influence sur le sort de leurs compatriotes et
coreligionnaires, ce furent les Govea.
M. Gaullieur, dans son Histoire du Collège de
Guyenne (p. 80), n accepte que sous toutes réserves
que les Govea fussent d'origine juive, malgré l'assertion
de Beaufleury qu'il cite. Mais il ne faut pas oublier
que le vrai nom de Beaufleury est Benjamin Francia,
et que Francia, juif d'origine portugaise, un des
Israélites les plus marquants de Bordeaux à la fin du
X
lOO HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
dix-huitième siècle, devait nécessairement être bien
informé. Le dire de Francia est d'ailleurs confirmé
par un mémoire présenté à M. de Malesherbes,
en 1788, par les Juifs de Bordeaux, rédigé par
MM. Lopès Dubec et A. Furtado, et que nous avons
sous les yeux en ce moment.
Les Govea, dont le nom a été écrit Gobea et Gouvea,
étaient originaires de Béjà en Portugal. Leur père et
leur oncle, qui étaient nouveaux chrétiens, se voyant
dans leur patrie exclus des emplois publics et suspects
comme tous les Juifs convertis, se rendirent à Paris
vers Tan i5oo (0. Les quatre fils Govea : Martial,
Jacques, Antoine et André , eurent pour maître l'élo-
quent Ferret que François \^ avait appelé en France
et qu'il avait fait conseiller au Parlement de Paris.
Les talents des frères Govea leur acquirent une grande
célébrité. Leur oncle Jacques Govea, dit V ancien,
principal du collège Sainte- Barbe, les avait élevés près
de lui. Martial fut professeur à Sainte - Barbe , à
Poitiers, et enfin à Coïmbre en Portugal. Deux des
frères vinrent à Bordeaux.
André de Govea, dont Montaigne et de Thou ont
fait réloge, avait aidé son oncle dans l'administration
du collège Sainte-Barbe à Paris. Il fut choisi par le
maire et les jurats de Bordeaux pour la charge de
principal du collège de Guienne. Aidé des conseils de
son ami Gelida, il fit choix de quelques professeurs,
(i) V. Bcaufleury. Établissement des Juifs à Bordeaux,
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE I. lOI
et partit avec eux pour Bordeaux, où il arriva le
12 juillet i534 (0.
André de Govea amenait avec lui de Sainte- Barbe
Nicolas de Grouchy, Guillaume Guérente, Jacques
de Teyve et Antoine de Govea, son frère.
Jacques de Teyve, dont le vrai nom était Diego de
Teyva, était Portugais et nouveau chrétien comme les
Govea. Il ne se fixa pas à Bordeaux, et alla mourir à
Coïmbre où il suivit Govea.
Antoine, le plus jeune des Govea, est mentionné
par de Thou comme le seul homme à qui les doctes
aient accordé la gloire d'être à la fois poète, philo-
sophe et jurisconsulte. Il fut, sous la direction de son
frère , le professeur le plus illustre de ce collège de
Guienne où se formèrent tant d'écoliers devenus
célèbres, notamment Etienne de La Boètie, Scaliger,
Michel de Montaigne. Mais le caractère inquiet et
mobile d'Antoine de Govea ne lui permit pas de se
fixer à Bordeaux. Il alla successivement enseigner le
droit à Toulouse , à Valence , à Grenoble , et accepta
la place de conseiller d'État du duc de Savoie, dans
laquelle il mourut à Turin.
André de Govea ne tarda pas à appeler auprès de
lui, pour l'aider dans le collège de Guienne, des com-
patriotes, nouveaux chrétiens comme lui, Fernandès
(i) V. Quicheraty Histoire de Sainte-Barbe, 1. 1, p. i3o.
V. Ernest Gaullieur. Histoire du Collège de Guyenne, p. 80 et
suivantes.
102 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
n^acosta, Jehan Gelida, Mathieu da Costa, frère de
Jean.
André de Govea avait demandé dès i534 à être
naturalisé Français; les Jurats de Bordeaux lui avaient
promis d'obtenir du roi des lettres de naturalité en sa
faveur; le. 23 juin i535 ils chargèrent Louis de
Rostaing, ancien sous-maire, et Jehan de Ciret, clerc
de ville , qu'ils envoyaient comme députés à la cour,
de faire les démarches nécessaires. Le 24 avril i537,
Pierre Ayquem , seigneur de Montaigne, sous-maire
de Bordeaux, remit solennellement à Govea, en
assemblée de jurade convoquée au son des cloches,
les lettres du roi François I«', en date de janvier i536.
On a pensé que Govea, suspect de judaïsme, comme
ses frères, et ayant d'ailleurs de grandes relations avec
le Portugal où il devait bientôt se rendre, désirait se
mettre à couvert de l'Inquisition (0.
Nous voyons Govea en relations suivies avec le
gouvernement portugais, et s'occupant de diverses
affaires pour ses compatriotes. Pendant qu'il était à
Sainte-Barbe, auprès de son oncle, principal de ce
collège, il avait été choisi par le roi de Portugal,
Jean III , pour défendre à Paris ses intérêts dans les
réclamations que faisait pour son douaire la reine de
France , sœur de Charles-Quint , et veuve du dernier
roi de Portugal.
Des corsaires partis de Rouen et montés par des
marins français avaient capturé des navires apparte-
(i) Gaullieur. Histoire du Collège de Guyenne y p. i36.
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE I. Io3
nant à des marchands portugais, notamment à Antonio
et Francisco Paris et Antonio Gomès; deux de ces
navires étaient chargés de fer et d'acier, et venaient
de Bilbao; un troisième, qui venait de Flandres,
était chargé de draps, serges et toiles de Hollande, de
camelots et d'un coffre d'argent ciselé ; un quatrième,
chargé de sucre, allait de l'île de Madère en Flandres.
Le roi de Portugal écrivit le 2 1 décembre 1 542 à son
ambassadeur, don Francisco de Maranhao, qui donna
ses lettres de créance à André de Govea, après les avoir
fait traduire en français par Jean de Costa et Jacques
de Teybe. Ces lettres furent déposées, le 7 juin i543,
en l'étude de M® Castaigne , notaire à Bordeaux , par
vénérable personne M. M® André de Gobea, docteur
en théologie et principal du collège de Guienne , en
présence de Gibert Brouet, et de Georges Buchanan,
régents du collège.
Govea paraît avoir fait tant soit peu le commerce;
il était en relations d'argent avec le Portugais Francisco
Barrés, d'Anvers, pour lequel il faisait payer à La
Rochelle 1780 ducats d'or par Pierre Monangely,
autre Portugais, patron de navire (1542). Il expédiait,
en 1543, 80 barriques de vins de Graves à Anvers,
par le marin Simon Pereyra , pour compte de Pierre
Babeiro, gentilhomme du roi de Portugal.
Appelé par le roi de Portugal pour fonder l'Uni-
versité de Coïmbre, il fit un premier voyage en 1643,
laissant la direction du collège de Guienne à Jean da
Costa ; en 1 547 il partit de nouveau pour Coïmbre
avec Jean da Costa, Jacques de Teyve, Antonio
104 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Mendès, ses compatriotes, et Élie Vinet, Nicolas de
Grouchy, Guillaume Guérente, Buchanan; ils allaient
bientôt abandonner le Portugal sous les tracasseries
des jésuites et du Saint-Office de l'Inquisition .
Le collège de Guienne avait attiré à Bordeaux
beaucoup de Portugais. Le 20 mars 1541, Jehan da
Costa, sous-principal, donnait procuration pour avoir
paiement d'une somme de 32 écus due par Manuel
Nonès, de Lisbonne, pour deux ans de pension de
Antoine Nonès, son fils. Il invoquait le témoignage
d'André de Govea, principal, et des régents Jehan
Pinon, Antoine Mendès, Jehan Talpi, Mathurin
Berny.
Jean Fernandès da Costa, comme son chef Govea,
s'occupait activement des intérêts de ses compatriotes.
En 1543, il fit indemniser Antonio Martyns, capi-
taine, dont le navire avait été pris par des marins
normands.
Les régents du collège n'étaient pas les seuls Portu-
gais ou Espagnols résidant à Bordeaux. Nous trouvons
aussi, outre les noms que nous avons déjà cités, ceux
de Jehan Isaac, monnayeur, de Robei^t Lanabo,
maître orfèvre.
Ces Espagnols et Portugais , suspects de judaïsme
dans leur patrie, et qui avaient été chercher au loin un
asile plus sûr, avaient cependant tous embrassé le
christianisme et étaient désignés sous le nom de
nouveaux chrétiens. Ils obéissaient à toutes les prati-
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE I. I05
ques extérieures de la religion catholique; leurs
naissances, leurs mariages, leurs décès, étaient
inscrits sur les registres de T Église, qui leur octroyait ^
les sacrements chrétiens du baptême, du mariage et
de Textrême-onction. Plusieurs même entrèrent dans
les ordres et devinrent prêtres. On sait qu^ André de
Govea jouissait de plusieurs bénéfices ecclésiastiques,
et qu'il était docteur en théologie. Plusieurs ont pensé
qu'il avait reçu la prêtrise (0.
Quelques-uns de ces nouveaux chrétiens, alliés à
des familles catholiques, finirent par perdre ou laisser
perdre à leurs descendants jusqu'au souvenir de cette
origine juive, qu'ils étaient obligés de cacher* avec
d'autant plus de soin que, parvenus à la richesse et
aux titres de noblesse, ils obéissaient aux préjugés
populaires comme aux dédains aristocratiques de leur
nouveau rang. Il est donc très difficile , comme nous
l'avons indiqué ailleurs (2), surtout aujourd'hui que les
siècles ont accumulé leurs ténèbres sur des points qui
étaient volontairement rendus obscurs aux contempo-
rains eux-mêmes, de fournir une preuve écrite, un
document certain et authentique, démontrant que tel
réfugié portugais ou espagnol, au commencement du
seizième siècle, était réellement un juif. On ne peut
invoquer que la tradition et des présomptions. Mais,
pour parler le langage du droit, des présomptions
graves, précises et concordantes peuvent équivaloir à
une preuve.
(1) Gaullieur. Histoire du Collège de Guyenne, p. 145 et suiv.
(2) Michel de Montaigne; son origine, sa famille, p. 104 et suiv.
. 106 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Un certain nombre de ces étrangers établis à
Bordeaux, désireux de conserver dans le secret du
foyer domestique la religion de Moïse, qu'ils gar-
daient précieusement dans le cœur, même lorsqu'ils
se prêtaient extérieurement aux cérémonies d'un autre
culte ; désireux aussi de s'assurer l'asile qu'ils avaient
trouvé à grand'peîne, s'adressèrent à leur coreligion-
naire et compatriote André de Govea. Celui-ci usa de
son crédit en leur faveur; et, aidé par les hommes
V influents de cette époque , et par les appuis qu'il avait
à la cour, il obtint des lettres - patentes, qui ne furent
édictées qu'après son départ de Bordeaux.
Ces lettres-patentes, datées à Saint-Germain-en-
Laye du mois d'août i55o, constituèrent le titre,
souvent invoqué et toujours victorieusement, qui
permit aux nouveaux chrétiens, malgré les adversaires
qu'ils ne tardèrent pas à rencontrer, de former à
Bordeaux et à Bayonne un établissement durable.
Le texte de ces lettres - patentes indique que le
conseil du roi de France était inspiré des plus saines
idées sur les véritables intérêts du royaume ; cependant
elles ne furent pas obtenues sans difficultés, le conseil
doutait de la sincérité de la foi religieuse de ces
nouveaux chrétiens.
Voici ce texte :
«< Henry, par la grâce de Dieu roy de France, à tous présents
et à venir, salut l Comme les marchands et autres Portugais,
appelés nouveaux chrétiens, nous ayent par gens exprès qu'ils
ont envoyé par deçà, fait entendre qu'ayant connu, pour avoir
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE I. IO7
depuis quelques temps en ça trafiqué en nostre royaume, la
grande et bonne justice qui s'exerce en iceluy, et le gracieux
traitement qu'ont et reçoivent nos bons et loyaux sujets, et
au contraire quelle punition nous faisons faire des perturba-
teurs du commun repos, de sorte que cela fait que T entrecourse
de la marchandise est maniée et conduite en telle liberté, que,
sans aucune suspection d'injures, les marchands peuvent
aller trafiquer et fréquenter en tels endroits de nostre dit
royaume, païs, terres et seigneuries de notre obéissance que
leur semblerait, exercer en toute seureté leurs arts et
manu^ctures...
» Que les rois ont toujours protégé les marchands du
royaume, et leur ont accordé de beaux privilèges; que le
royaume est abondant en blé, vins et autres commodités
requises pour la vie humaine , ce qui facilite les regnicoles,
et attire les étrangers ; qu'il existe plusieurs villes et rivières
navigables, sur lesquelles se fait un grand trafic avec les
étrangers, ainsi que sur les mers du levant et du ponant, de
sorte que le moyen de bien vivre est ouvert à un chacun qui
se veut employer à quelque sorte que ce soit.
» Aux dits Portugais , dits nouveaux chrétiens , est venu
singulier désir qui leur croît de jour en autre de venir résider
en cestuy nostre royaume, et amener leurs femmes et familles,
apporter leur argent et meubles , ainsi qu'ils nous ont fait
offrir par ceux qui nous ont été envoyés par deçà. Moyennant
qu'il nous plaise leur accorder lettres de naturalité, et congé
de jouir des privilèges dont ont joui et jouissent les autres
étrangers de nostre dit royaume. Sçavoir faisons que nous,
inclinans libéralement à la supplication et requête des dits
Portugais, comme gens desquels nous voyons le bon zèle et
affection qu'ils ont de vivre sous notre obéissance , ainsi que
nos autres sujets, en bonne dévotion de s'employer pour notre
service et celui de la république de nostre royaume , la com-
modité de laquelle ils veulent aider de leurs biens , manufac-
tures et industries, de sorte que cela nous meut à les bien
et gracieusement traiter.
I08 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
» Pour ces causes, nous avons, de l'avis et délibération de
plusieurs princes de notre sang et autres bons personnages,
estant pieu permis , accordé et octroyé , permettons , accor-
dons et octroyons... »
(Le roi accorde permis d'habiter et de résider à ceux qui
étaient déjà venus dans le royaume, et à ceux qui voudront
y venir, dans les villes et lieux de leur convenance ; et ce avec
femmes, enfants, serviteurs, facteurs et entremetteurs; d'y
J apporter et posséder meubles et marchandises ; d'y trafiquer,
et acquérir meubles et immeubles, soit par succession , dona-
tion ou autrement; d*y disposer par testament et donation
comme s'ils étaient originaires du royaume; en un mot y d'y
jouir de tous les droits et privilèges des habitants des villes
où ils demeureront.
Si le roi ou ses successeurs veulent les renvoyer, ils auront
le délai d'un an pour réaliser leurs biens et emmener leurs
familles et serviteurs.
Ils ne sont astreints à payer aucune finance.)
« Donné à Saint-Germain-en-Laye, au mois d'août i55o.
Signé Henry, et sur le reply, par le Roy, le sire de Montmo-
rancy, connétable de France, et autres personnes. Signé
De Laubespine, et scellé du sceau pendant en lacs de soye,
de cire verte. »
"Ces lettres furent vérifiées en la Cour de Parlement
et en la Chambre des comptes à Paris, le 22 décembre
i55o. Elles ne devaient être enregistrées que plus
tard au Parlement de Bordeaux.
Les nouveaux chrétiens arrivés à Bordeaux y avaient
apporté leurs habitudes commerciales ; ils ne tardèrent
pas à exciter la jalousie des marchands indigènes. Ils
avaient des coreligionnaires et des correspondaàits
dans toutes les places commerçantes; ils étaient
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE I. IO9
ardents et tenaces au travail, économes dans leurs
dépenses, et devenaient ainsi des rivaux redoutables.
Les jalousies et les rivalités de commerce essayèrent
de se défaire de ces industrieux étrangers, qui profitant
du bon vouloir du roi étaient venus avec leurs familles
et leurs biens mobiliers. Les passions populaires
n'^avaient pas tardé d'ailleurs à accuser les nouveaux
chrétiens de n'être que des Juifs déguisés. Il fallut un
arrêt rendu le lo mars 1674, par le Parlement de
Bordeaux, pour défendre à toutes personnes, de quel-
que qualité qu'elles soient , de molester les Espagnols
et Portugais.
Cet arrêt fut rendu sur les conclusions de l'avocat
général du Sault « qui a dit qu'il y a plusieurs estran-
» giers comme Portugais , Espaignols et. autres bons
D catholiques qui sont domiciliés et habitans de ceste
» ville; que la Cour avoit rendu un arrêt par lequel
» il est enjoynct aux estrangiers de vuider la ville. »
Il demande une exception pour les Portugais et
Espagnols.
Les esprits éclairés avaient pu se rendre compte
des services rendus au commerce de Bordeaux par
les nouveaux chrétiens; on les engagea à s'adresser au
conseil royal ; et sur les plaintes formées par ces der-
niers contre leurs détracteurs, qui les accusaient de
crimes imaginaires, le roi Henri III rendit à Lyon,
le même jour, 11 novembre 1674, deux ordonnances
adressées, la première au Parlement de Bordeaux, et la
seconde au Parlement et au grand sénéchal de Guiennc.
Dans la première il rappelle les lettres-patentes
110 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
de 1 55o, et prévoyant que, malgré leur enregistrement
à Paris, ces lettres qui n'étaient pas enregistrées au
^ Parlement de Bordeaux, pouvaient y être méconnues,
il déclare donner des lettres (Vattache pour que ses
gens du Parlement de Bordeaux aient à faire jouir
ceux de la nation portugaise des privilèges accordés
en i55o.
La deuxième ordonnance est rendue, dit le texte de
cette ordonnance, a sur la requête présentée au conseil
» par les Espagnols et Portugais habitant Bordeaux,
» qui ont apporté commerce, trafic et commodité, et
» payé tous subsides et impositions comme les autres,
» en considération de quoy feu nostre très honoré
» seigneur et père, par ses lettres-patentes de i55o,
» auroit naturalisé aucuns d'iceus Espagnols et Por-
» tugais... Ce néantmoins aucuns malveillants et
» envieux du dict trafict se sont efforcés plusieurs fois
^ » les y empescher, leur imputant faussement et calom-
» nieusement plusieurs crimes, pour leur donner
» occasion d'abandonner la ville et le païs, ce qu^au-
» cuns d'iceux auroient fait, suscités par leurs haineux ;
» sur quoi , vu la plainte des Espagnols et Portugais,
» et ayant entendu les calomnies qu'on leur dressoit,
» notredite cour par son arrêt du 17 mars dernier
» avoit fait défendre à toutes personnes , de quelque
» qualité qu'ils fussent, de les molester, ni les maltraiter,
, » ni les contraindre à sortir de la ville de Bordeaux
» et ressort d'icelle. Toutefois ledit arrest ne peut
» maintenir l'insolence desdits haineux et envilateurs
» des Espagnols et Portugais, ni de les rechercher de
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE I. III
» plusieurs calomnies et de faux crimes , afin de
» s'^absenter de ladite ville ; de manière que, pour les
» menaces et intimidations qui leur sont faites, ils
» n'osen't continuer leur trafic accoutumé. »
Les lettres de sauvegarde données par le roi furent
enregistrées au Parlement de Bordeaux le 19 août
1 58o. Le Parlement enregistra le même jour les lettres-
patentes de i55o. Ce double enregistrement fut fait à
la requête de Diego Mendès Dias, né en Espagne,
et de Simon Meyra, Portugais. Il faut remarquer que
les lettres-patentes de 1 55o n'étaient en faveur que des
Portugais. Mais les nouveaux chrétiens chassés
d'Espagne et de Portugal avaient un lien commun,
le lien religieux; ils avaient les traditions d'une origine
commune, issus non seulement des anciens Israélites,
mais de la même tribu, celle de Juda. Ils n'avaient
pas tardé, à Bordeaux, à se confondre, ou du moins
à vivre dans les plus étroites relations. Ils avaient
présenté ensemble leur requête au roi en 1574, et
obtenu ensemble 'l'arrêt du Parlement du 17 mars
1574 et l'ordonnance royale de sauvegarde.
Désormais les Espagnols et les Portugais ne feront
plus à Bordeaux qu'une seule nation.
A partir de l'arrêt du 17 mars 1674 et de l'enre-
gistrement fait le 19 avril i58o, nous verrons le
Parlement de Bordeaux toujours fidèle à protéger la
nation portugaise et espagnole, dont le nom officiel,
comme la qualité officielle de nouveaux chrétiens,
cachait les sectateurs de la religion juive.
112 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Le Parlement avait, il est vrai, des relations multi-
ples et des liens quelquefois très étroits avec ces
nouveaux chrétiens; plusieurs de ses membres avaient
avec eux des rapports d'affaires, soit qu'ils les com-
manditassent, soit qu'ils s'en servissent comme cour-
tiers, fermiers ou banquiers et marchands. Quelques-
uns étaient eux-mêmes issus de la même origine, ou
leur étaient unis par des alliances de famille dont le
souvenir ne pouvait encore être éteint.
Il en était de même des jurats de Bordeaux ; et,
quels qu'aient été les mobiles secrets qui ont pu con-
tribuer à leur faire protéger ces nouveaux chrétiens, il
faut d'autant plus féliciter ces magistrats de leur
tolérance, qu'elle s'exerçait au milieu de la plus terrible
effervescence religieuse. Il ne faut pas oublier que
l'arrêt du Parlement et l'ordonnance de sauvegarde
étaient rendus en 1574, au lendemain de la Saint-
Barthélémy, que, naguère encore, les nouveaux
chrétiens que Govea avait amenés aVec lui au collège
de Guienne, avaient été suspectés par le Parlement
V lui-même de répandre parmi leurs écoliers la doctrine
de la Réforme, et que Gelida avait été persécuté parce
^ que sa femme ne cachait pas assez discrètement ses
pratiques judaïques.
Il fallait au Parlement et aux jurats de Bordeaux
plus que de la tolérance pour des étrangers utiles et
industrieux; il lui fallait de l'énergie et du courage
pour les protéger. Les haines sauvages et sanglantes qui
animaient contre les protestants la multitude passion-
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE I. Il3
née, et ses chefs fanatiques, le marquis de Trans et
Frédéric de Foix, qui portaient quelques conseillers
du Parlement à reprocher au gouverneur de Bordeaux,
M. de Montferrand, de n'avoir pas égorgé assez de
victimes, n'auraient pas eu besoin de longues excita-
tions pour se tourner contre les Juifs.
Heureusement oubliés lors de la Saint-Barthélémy,
les nouveaux chrétiens de Bordeaux coururent de
graves dangers quelques années après. C'était au plus
fort des troubles des guerres de religion et du fana-
tisme de la Ligue. L'armée espagnole s'approchait de
Bordeaux, dont elle espérait s'emparer; et les soldats
espagnols, sachant très bien qu'à Bordeaux existait
une colonie de Juifs, ne dissimulaient pas le sort
terrible qu'ils réservaient à ces anciens compatriotes,
pour lesquels une proscription déjà centenaire n'avait
pas éteint leur aversion. Menacés par les assiégeants,
les nouveaux chrétiens n'avaient pas moins à craindre
des assiégés. Ces marchands espagnols et portugais
étaient accusés par la populace de vouloir livrer la
ville à Tennemi , et des menaces de mort se faisaient
entendre contre eux. En vain le Parleipent avait rendu
le 27 mai 1596 un arrêt pour les mettre sous sa
protection, il fut obligé, pour faire tomber les
soupçons qui pesaient sur eux, d'ordonner, en janvier
1 597, à ceux qui étaient domiciliés dans la ville depuis
dix ans, de quitter la rue Bouhaut et le quartier où ils
habitaient, qui était trop près des murailles, et de
venir loger au centre ; quant à ceux qui étaient plus
8
sy
114 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
nouveaux dans la ville, ils reçurent ordre de la quitter^
mais ils purent rester dans le ressort. Le Parlement
^ leur désigna les villes de Peyrehorade, Bidache et
Rayonne.
Quelques années après, les nouveaux habitants de
Bidache et surtout ceux de Bayonne avaient apporté
dans ces villes un mouvement commercial qui leur
était inconnu. Et cependant on voulut les en chasser,
sous prétexte qu'il était dangereux de leur laisser
habiter la frontière d'Espagne au moment où la
France était en guerre avec ce pays. Des lettres-
patentes de Henri IV, du 7 janvier 1602, enjoignirent
aux Portugais et Espagnols de sortir du gouverne-
^ ment de Bayonne. Mais le Parlement de Bordeaux
prit leur défense, et ces lettres-patentes ne reçurent pas
d'exécution.
Divers documents nous font connaître les noms de
quelques-uns des Espagnols et Portugais qui faisaient
le commerce à Bordeaux, vers la fin du seizième
siècle.
Un inventaire dressé par le notaire Donzeau, le
3 janvier 1546, nous indique un négociant Juif de
passage à Bordeaux, qui venait de mourir à Thôtellerie
du Chapeau- Rouge. Il s'appelait Lopès-Dias.
Les minutes d'autres notaires nous ont conservé les
noms d'Adam Francesco (i56i), de Jean Gonzalès
d'Oporto (1572), de Lopes Domayne (1577).
En 1599, Diego Londrade, marchand portugais
et bourgeois de Bordeaux, était correspondant de
Raphaël Bartholy, marchand florentin établi à Lyon,
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE I. Il5
et poursuivait un procès contre Mathieu Ceretani,
autre marchand florentin établi à Bordeaux.
Le savant espagnol Pierre Gales, célèbre par sa
connaissance de la philosophie, de la jurisprudence
et de la langue grecque , est cité par quelques auteurs
comme ayant été recteur du collège de Guienne. Il
n^est pas nommé par Damai ni par M. GauUieur. Le
P. Schottus (0 dit qu'ayant été appelé à Bordeaux,
« ut Aquitanico gymnasio prœesset, » à une époque
où les guerres civiles de la Ligue avaient mis la France
en combustion, Gales fut enlevé avec sa famille par une
troupe de pillards dans les Pyrénées, et qu'il succomba
aux suites de la lutte , après avoir perdu une belle
collection de manuscrits grecs. Schottus ajoute que
la naissance de Gales le rendait suspect ; à Rome il
avait été mis à la question pour crime d'hérésie. Il
avait professé à Genève. Moréri le fait mourir en
Flandre, où il aurait été brûlé par décret de Tlnquisi-
tion. Ce serait en 1587 qu'il aurait été appelé à
Bordeaux pour succéder à Élie Vinet, qui fut rem-
placé par Jacques Brassier.
Les Juifs de Bordeaux, cachés sous le nom de nou-
veaux chrétiens, attentifs à ne pas éveiller l'attention,
scrupuleux observateurs des pratiques et des cérémo-
nies extérieures du culte catholique qui était officielle-
ment le leur , se montraient généreux dans les cala-
mités publiques. Cependant les passions religieuses et
(i) Bibl. esp,, p. 612.
J
Il6 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
populaires étaient si fortement surexcitées qu'elles se
manifestèrent avec violence à plusieurs reprises. Les
magistrats eurent souvent à intervenir pour les répri-
mer ou les punir; mais souvent Jeur bonne volonté fiit
inutile. Ainsi, le 2 Janvier 1604, le maréchal d'Omano,
gouverneur <le Guienne, fut obligé de rendre une
ordonnance pour défendre d'injurier les marchands
portugais, oc l'intention du roi, dit l'ordonnance, étant
^ » qu'ils fussent reçus favorablement et traités comme
» les originaires du royaume. » Malgré l'ordonnance,
un Portugais fut massacré sur les fossés Saint-Eloi, le
20 novembre 1610, et les gens de justice ne surent ou
ne purent trouver les coupables dans la foule des
assassins.
Pour se rendre compte aujourd'hui de la violence
qu'avait à cette époque le fanatisme religieux, non
seulement dans les masses ignorantes qui obéissent à
des fureurs aveugles, et qui sont souvent aussi cruelles
qu'oublieuses et ingrates, mais encore dans les classes
éclairées de la société, et parmi les hommes les plus
marquants , il est bon de lire l'ouvrage de Pierre de
Rostéguy de Lancre, de ce magistrat qui avait été
délégué en 1G09 par le roi, avec M. Despagnet,
conseiller comme lui au Parlement de Bordeaux, pour
aller purger la terre de Labour et le pays Basque des
sorciers qui étaient accusés de l'infester. On sait que,
V dans sa mission contre les sorciers , de Lancre a fait
preuve d'une férocité qui n'eut d'égale que sa stupide
crédulité. Et cependant de Lancre était un homme
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE I. II7
savant, un Jurisconsulte éclairé. Il avait épousé Jeanne
de Mons, fille du conseiller Guillaume de Mons et
de Jeanne de Montai^è5^cçlJg-tM<?usinê du célèbre et
tolérant philosophe Mfchd clç Mbritaigné. Il n'ignorait
pas que la mère de Michel, Antoinette de Louppes,
descendait d^un de ces nouvéaùii. -chrétiens, réfugié
d'Espagne. Il alui-même écrit que la mère de Montaigne v/
€ était espagnole, de la maison de Lopès j .
Il n'en est pas plus favorable aux Espagnols et aux
Portugais de Bordeaux, qu'il accuse formellement de
n'être que des Juifs déguisés, et contre lesquels il .
demande non seulement le bannissement, mais le
supplice.
Il faut lire dans son livre V Incrédulité et tnescréance
du sortilège pleinement convaincues, le traité VIII :
des juifs, apostats et athées, et notamment les cha-
pitres I, II et IX : « qu'en Espagne, lorsque ceux
]b de l'Inquisition font le procès aux sorciers, on y
1^ met toujours les juifs, apostats et athées-, — que
]» plusieurs personnes judaïsent en France sous le
]b nom d'Espagnols et de Portugais. — Plainte contre ^
j» les Portugais au Parlement de Bordeaux que certain
1^ dénonciateur maintint estre vrayement Juifs, et leurs
}> deffences. 3>
« Je voy , dit le conseiller , que plusieurs personnes
» judaïsent en Italie sous le nom emprunté d'Espagnols
j> et de Portugais. » Il en dit autant pour l'Espagne ,
et raconte qu'en 1610, à Logrono, plusieurs nouveaux
chrétiens furent fouettés et emprisonnés pour le reste
de leur vie, parce qu'ils avaient fêté le samedi.
\/
Il8 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
€ Les Juifs sont véritablement grands magiciens, >
dit-il.
Il ajoute que leur-livre abominable, le Talmud, a
été composé par deux démons, dont il donne les noms.
Il cite des traits de sorcellerie qui leur sont attribués;
il raconte que sous le règne de Philippe le Long ils
ont, de concert avec les lépreux, empoisonné les fon-
taines et les puits avec une drogue dont il donne la
composition exacte.
Aussi, comme il regrette que le Parlement de
Bordeaux n'ait pas sévi contre les soi-disant Portugais
de cette ville, qui ne sont que des juifs déguisés ! Il
raconte la procédure faite contre eux.
« Véritablement, dit-il en parlant des Juifs , nous
:» en avons une infinité en la ville de Bordeaux et à
» Bayonne... Une trouppe de Portugais (car volon-
» tiers plusieurs Juifs se couvrent de ce nom), venans
» d'Espagne pour aller à Bordeaux, furent volés chez
» le maître de poste où ils avoient passé la nuit et por-
» tèrent plainte... Un des parents du maître de poste
» porta plainte contre tous les Portugais de la ville
» de Bordeaux qui sont environ 5o ou 60 familles,
]» soutenant qu'ils étoient juifs. M. Dusault, avocat du
» roi, fit tout ce qu'il put pour descouvrir leurs exécra-
» tions et maléfices. Mais comme il y a longtemps
JD qu'ils sont habitués dans la ville, et qu'ils ont entrée
» dans une infinité de bonnes maisons où ils portent
» vendre leurs marchandises, ils trouvèrent moyen de
» faire plaider leur cause par un très docte et suffisant
» avocat; lequel ne fit nullement semblant de deffendre
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE I. II 9
» les Juifs en général , ains le plus fort de son plai-
]> doyer fut sur la calomnie qu'on leur mettoit sus ;
^ qu'il y avoit 60 ans qu'ils estoient en la ville, partant
3 qu'ils y avoient prescrit leur domicile et logement ;
» qu'ils y estoient grandement utiles, laissant leurs
» denrées à meilleur compte que les autres marchands,
> qu'ils étoient gens réglés et sans bruit, qu'ils n'occu-
}> poient que certaines petites loges et maisonnettes
> en un recoin de la ville. »
De Lancre donne la plaidoirie complète de l'avocat
Laroche qui parlait contre les Portugais de Bordeaux :
« Les Juifs, disait l'avocat, sont dignes de toute exé-
> cration, et comme vrais criminels de toute majesté
» divine et humaine, ils méritent d'être punis des plus
^ grands supplices : le brasier, le plomb fondu, l'huile
» bouillante, la poix, la cire et le soufre incorporés
3 ensemble ne feraient tourments assez exacts, sensi-
3 blés et cruels pour la punition de si grands et horri-
» blés crimes que ces gens commettent ordinairement.
3 Et si les Juifs connus sont coupables, ajoutait-il,
3 ceux-là le sont encore davantage qui, déguisant et
3 falsifiant leur qualité de juifs, se disent chrétiens.
3 Ils tiennent pour article de foi de pouvoir non
3 seulement nier le nom et la qualité de juif, mais
3 faire acte de fidèle chrétien , ouyr la messe, faire
3 prendre le baptesme à leurs enfants, recevoir le
3 saint sacrement et l'eucharistie , pourvu que devant
3 leur rabbin ils protestent vouloir garder leur foi,
3 dans l'année.
3 Reste à montrer que les Portugais habitant en
120 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
» cette ville sont vraiment pseudo-chrétiens et juifs,
3> non seulement ceux contre lesquels la Cour a décrété,
3> mais généralement tous ceux qui habitent en la ville
» et province.
» Tous les Portugais ne travaillent pas le jour du
i^ sabbat, ils préparent leurs aliments le vendredi , ils
» ne mangent pas de pourceau; leur exil d'Espagne
» et de Portugal n'est pas volontaire, ils ont fui de
» peur de l'Inquisition, ils ont été exilés comme juifs.
3> Tous ceux qui ont habité la présente ville et y
» ont extérieurement fait tous actes de vrais et fidèles
]^ chrétiens et orthodoxes, s'étant néanmoins retirés à
» Venise, Ferrare, Avignon ou autres lieux èsquels
i> le judaïsme est toléré, en ont ouvertement fait
i> profession.
» Il y en a dans le barreau qui ont vu Londrade en
» Avignon, portant le cordon du chapeau jaune, marque
» que les Juifs ont accoutumé de porter, tant en
jD Avignon qu'à Ferrare et autres lieux qui sont du
j> temporel de l'Église. Il n'y a nul qui n'ait reconnu
1^ la Coste (da Costa), il Se disoit et qualifioit chrétien,
j> il en faisoit tous les actes extérieurs ; néanmoins,
» s'étant retiré à Venise , la première chose qu'il a
» faite, c'est de s'être jeté dans la synagogue, et d'avoir
» pris le chapeau ou toque d'écarlate, que les
y> Maranes portent en cette ville , au lieu du chapeau
» jaune d'Avignon et de Ferrare, d'où les parties
» adverses qui sont de même nation et faction que
]^ Londrade et La Coste , ont même créance , et sont
» véritablement juifs, nonobstant leurs serments qu'ils
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE I. 121
» font d^être bons chrétiens. Ils ont jeté dans les
> fossés de la maison de ville des phyllactères juifs,
^ courroies de cuir et parchemin sur lequel sont écrits
» des caractères hébraïques. i>
Les Portugais se pourvurent au Conseil pendant
l'assemblée de Rouen en 1614; ils firent remontrer à
S. M. « qu'étant Portugais, habitant de longue main en
}> la ville de Bordeaux, la jalousie du bien qu'ils avaient
j acquis les faisait rechercher comme juifs, ce quils
> n étaient point, ains très bons chrétiens et catho-
> ligues. » Ils obtinrent du Parlement de Bordeaux
l'interdiction des poursuites faites contre eux, et conti-
nuèrent d'habiter la ville . « Et y sont encore avec plus
3 d'aisance et de commodité que jamais, i> ajoute
amèrement le conseiller de Lancre.
Il ne faut pas d'ailleurs s'étonner du fanatisme de
certains hommes, à l'époque où la régente Marie de
Médicis faisait rendre, au nom du roi Louis XIII, le
23 mai 161 5, des lettres-patentes ainsi motivées :
< Les rois, nos prédécesseurs, s'étant toujours con-
j» serve ce beau titre de Très Chrétien que nous possé-
» dons aujourd'hui, ont eu par conséquent en horreur
:» toutes les nations ennemies de ce nom, et surtout
j> celle des Juifs, qu'ils n'ont jamais voulu souffrir
» résider en leur royaume, pays, terres et seigneuries
3> de leur obéissance ; même depuis le temps du roi
> saint Louis, de très louable et heureuse mémoire,
» qui chassa entièrement de tout l'État ceux qui y
122 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
> avaientétéaiiparavanlsoufferts;enquoinoussommes
» résolus à les imiter, autant qu'il nous sera possible,
» comme en toutes les autres excellentes qualités qui
> les ont rendus admirables parmi toutes les nations
» étrangères. «
En conséquence les lettres-patentes ordonnaient aux
Juifs, déguisés ou autrement, de vider le royaume
dans un mois, sous peine de la vie.
Le texte de ces lettres aurait pu s'appliquer aux
Israélites de Bordeaux, déguisés sous les dénomina-
tions de nouveaux chrétiens et de marchands espa-
gnols et portugais. Mais ceux-ci furent cette fois
encore protégés par le Parlement et par les jurats,
qui appréciaient leurs services et leur importance dans
le commerce de la cité. Ils durent peut-être aussi la
tolérance de la reine à la puissante influence d'un des
leurs, Philotée-Élias de Montalte, médecin de la
régente Marie de Médicis, et fort en faveur. Montalte
était venu à Bordeaux avec la reine, et était entré en
communication avec ses coreligionnaires. Il faisait,
quant à lui, profession ouverte du judaïsme, n'ayant
accepté de venir en France comme médecin de la
reine qu'à cette condition. Il mourut à Tours en i6i 5.
Le conseiller de Lancre regrette que Tédit de (6i5
n'ait pas été appliqué aux nouveaux chrétiens de
Bordeaux, à ces familles juives de profession et de
raco, qui ne vivent chrétiennement qu'en apparence.
Ledit du roi, dit-il, lui avait été dicté par quelque
ange du ciel.
\
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE I. 123
Non seulement le Parlement et les jurats proté-
geaient les Portugais, mais ils les admettaient à la
bourgeoisie. Une délibération du 23 août 1617 fixa à
3oo francs la somme que les étrangers naturalisés
auraient à payer pour être reçus bourgeois. Un arrêt
du 25 août 1622, pour les obliger à se pourvoir de y
leurs lettres de bourgeoisie, leur défendit d'ouvrir
boutique et de vendre en détail avant d'avoir acquis
le droit de bourgeoisie.
A cette époque, au commencement du dix-septième
siècle, la vie des nouveaux chrétiens de Bordeaux a
laissé dans les documents contemporains des traces
très apparentes. Depuis i55o ils prennent la qualité
de Portugais et d'Espagnols, et vivent en corps de
nation sous la protection des lettres-patentes du roi
Henri II. Ils contractent devant notaire et font au
grand jour leurs opérations commerciales; quelques-
uns sont bourgeois de Bordeaux.
En i583, Diego Mendès, marchand portugais, fait
avec le banquier Ceretani et les Pichon, riches mar-
chands, une opération de blé qu'ils achètent à Roches-
ter, en Angleterre, pour le vendre dans un port du ^
Portugal. Zacharie Vidue et sa femme, Suzanne
Marguadès, obtiennent pour parrain de leur fille
M® Jacques de Pontac.
Plusieurs Juife arrivaient d'Espagne et d'Italie.
Marc- Antoine Thorès, venu de Luques, réclamait son
domicile à Bordeaux (i583). Louis Diez et Blanche
Loppes, sa femme, arrivaient de Serpa en Portugal,
124 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
et leur fille, Anne Diez, cédait, en 1604, à Jean et
Edouard Mendès tous les biens qu'elle avait à Serpa,
et qui lui provenaient de Jean Diès et Agua Rodrigues,
ses grand-père et grand'mère. Elle avait pour témoins
à cet acte Pierre Fernandès, Jean-Rodrigues Salgado
et Georges Veiltrès, tous natifs de Serpa et habitant
Bordeaux .
Les mariages se faisaient entre Juifs à Téglise
catholique, et les contrats de mariage portaient toutes
les mentions insérées dans les contrats entre catholi-
ques. Citons un de ces contrats à la date du 25 juin
1610 :
« Au nom du Père et du Fils et du St-Esprit,
» amen! Saichent tous que devant moy, Pierre
» Brandon, notaire et tabellion royal en la ville et
» cité de Bordeaux et sénéchaussée de Guienne, pré-
» sents les témoins basnommés, ouis et personnelle-
D ment establis sieur Isidore de Louppes Brandon,
» marchant portugais, natif de la ville de Frontières
» en Portugal,.... d'une part; et Catherine de Soulys,
» fille naturelle et légitime de sieur Roderic Ayron,
» aussi marchant portugais, et d'Ysabeau de Soulis,
j^ ses père et mère habitants de la ville de Lisbonne
» en Portugal, de Tadvis et assistance de sieur Alagro
» Louppes, son oncle paternel, de Simon Rodrigues
}> Londrugues, son cousin aussi du costé paternel, de
» M. M® Martin Darraguon, docteur en décret et
> advocat en la Cour, les tous habitans en la paroisse
» S*® Aulaye (S*® Eulalie) . . . lesquels ont fait, passé et
» accordé les pactes et conventions que s'ensuivent :
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE I. 125
> I® Ledit Isidore de Louppes et ladite Catherine de
> Soulys ont promis et promettent se prendre pour
]> mary et femme espoux, et recevoir le saint sacre-
> ment de mariage en face de notre sainte mère
> V Église catholique, apostolique et romaine.,. »
Les témoins sont : François Diès, de la ville de
Diane, en Portugal; Martin Darraguon, avocat au
Parlement ; Doard Danorgues, docteur en médecine ;
Goumès, marchand portugais; François Mousnier.
Le 26 novembre 1618, devant Moyne, notaire,
Louis Diès, orfèvre, de la nation portugaise, expose
qu^il s'est marié avec Jehanne Goumès, en Téglise
paroissiale Sainte- Eulalie, et fait donation à ses trois
enfants : Catherine Henriques, Perrine de Roze.et
Jehanne Goumès. Il a pour témoins Edouard Henri-
ques, docteur portugais; Léonard Leyma, praticien,
et Pierre Simon, maître fourbisseur.
Les enfants étaient portés au baptême ; les registres
de Saint- André contiennent un grand nombre de ces
actes de baptême. Nous en citons en note quelques-uns
aux environs de Tannée 161 5; et nous remarquons
que, généralement, ces enfants ont pour parrains des
personnes des plus considérées de la ville (0.
(i) Le 20 janvier 1614, François, fils de Pierre Depaz, espagnol,
et de Marie Carvalho, est filleul de M. M« François Verrier, avocat
en la Cour.
\j& 7.3 février 16x4, Peyronne, fille d'Augustin du Bourgues et
de Ysabeau de Bayesse^ espagnols, est filleule de noble Sarran
Lecomte, seigneur de Saujan, et de M»* de Ferrand.
Le I er mars, Pierre, fils de Diego Gomes et de Lolse Pérès, espa-
126 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Ainsi les nouveaux chrétiens avaient obtenu non
seulement d'être tolérés à Bordeaux, mais d'y vivre
sous la protection d'un édit royal qui leur conférait des
droits, et d'y être reçus bourgeois ; ils avaient d'étroites
gnols, est filleul de noble Jehan Lecomte, baron de la Chaumière,
et de M™* Catherine de Gourgues.
Le 9 mars y Jeanne, fille de Jean de Soulys et de Catherine
Roudriguès, espagnols, est filleule de Thomas de Maniban, baron
de La Roque, et de M^'* Jeanne de Maniban.
Le i3 avril, Antoine, fils d'Antoine de Louppes, docteur en
médecine, et de damoiselle Ysabeau Mendès, est filleul d^ Antoine
Louppes, marchand portugais, et de M"* Redon.
Le 28 avril, Catherine, fille de Gabriel de Latour et de Pétronille
Louppes, espagnols.
Le i5 mai, Catherine, fille de Jean Sarrens et de Ysabeau de
Tarmones, est filleule de Jean de Bonnevin, conseiller du Roy et
csleu en Guienne, et de M"* Catherine Martin.
Le 29, Ysabeau, fille de Louis Fernandès, espaniol, et de Ysabeau
Laussailh, est filleule de Manuel Taranque, escolier.
Le 10 juin, une fille de Thomas Rodrigues, portugais, et de Marye
Rodrigues, est filleule de M. M* Joseph d'Andrault, conseiller du Roi
en sa Cour de Parlement, et de M^** Anne du Bourg.
Le 4 octobre, Grimaud, fils d'Antoine Mendès, marchand por-
tugais, et de Philippe Adugos, a pour parrain et marraine deux
portugais, Jean Ferreira et Domeis Ignés.
Le 19, demoiselle Suzanne, fille de Michel Goussal, espaniol, et
de Anne Prés, est filleule de noble Charles de Castets, capitaine des
gardes de M. de Roquelaure, et de M">« Suzanne de Pardiac, épouse
dudit seigneur.
Le 23 décembre 16 14, Jeanne, fille de Louis Diès et de Jeanne
Grimendès, a pour parrain Jehan Diès, bourgeois et maître orfèvre
de Bordeaux, et Jehanne Operary.
En l'année 161 5, nous trouvons un grand nombre de naissances :
Le 5 janvier, Jehanne, fille de Jean Mentche, espagnol, et de
Ysabeau de Talancier (?), est filleule de M. Jacques de Barre, avocat
en la Cour, et de M"« Jeanne de Barre.
Le 2 février, Ysabeau, fille de Rodrigues Gommés, portugais^ et
de Marie Non es, est filleule, de Francisque Goumès et de Ysabeau
Nonès.
Le 14, François, fils d'André Douard, coronel espaniol, et de
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE I. I27
relations avec les catholiques les plus haut placés, et
étaient favorisés ostensiblement par les descendants
et les alliés de ceux de leurs compatriotes etj:oreli-
gîonnaires qui étaient réellement devenus catholiques.
dame dona Yuda, est filleul d'Antoine Mendès et de la signora
Maria Gomès.
Le i*' mars, Urbain, fils de Loppes Darbette, espagnol, et de
Ysabeau de Goumès.
Le 21, Catherine, fille de Jehan Pérès, espagnol, et de Michelle
de Castille, est filleule de M. Louis de Martin et de M"* Catherine
de Martin.
Le 22, Anne, fille de François Jean, marchand portugais, et de
Jehanne Loppes, est filleule de Louis Loppes et de Londra Jaguès,
portugais.
Le 3i^ Georges, fils de Domenge Diès et de Léonor Contino, por-
tugais, est filleul de M. Georges de Moran et de M"« Jeanne de Moran.
Le 24 avril, Ysabeau, fille de Fol Mathias et de Léonore de
Castille, espagnols.
Le 10 septembre, Marie, fille de François de Soulys et de Ysabeau
de Loppes, espagnols, est filleule de Marc Duvergier, bourgeois de
Bordeaux^ et de Peyronne Gares.
Le 24, Jean, fils de Francisque Fernandès et de Philippa Mendès,
est filleul de noble Antoine Mendès, gentilhomme espagnol, et de
damoiselle Marie Loume.
Le 26, Johannes, fils de Bernard de Castille et de Béatriz de
Mendosse, espagnols, est filleul de Bernard de Bousquet, bourgeois
et marchand de Bordeaux, et de Jehanne Garât.
Le 20 octobre, Jehanne, fille de Lorenzo de Mendosse et de Cécile
Playsse, espagnols, est filleule de M.Jean de Castets, écuyer, seigneur
dudit lieu, et de M">* Jeanne de Camain.
î^ 22, Pierre, fils d'Antoine Diez, bourgeois et marchand de
Bordeaux, et de Marthe Roudriguès, est filleul de M. François
Loppes, docteur régent en médecine et médecin de la présente ville,
et de dame Ysabeau Nunès.
Le 9 novembre, Jeannot, fils de Bastien Chinilles, espagnol, et de
Marie Gatyes.
Le 5 janvier 16 16, Marie, fille de Alonzo Romère, espagnol, et de
Marie de Fonseca, est filleule de Francisque- Fernandès de Moura,
espagnol, et de Mariana Mendès (i).
(1*) y. ]UB:liCrH de l'évUi* Odnt-AxidrA.
128 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
On peut remarquer, en effet, parmi les noms de par-
rains qui figurent dans la note ceux de MM. de
Maniban, de Taranque, du docteur François Loppès.
Cependant ils n'étaient pas sans inspirer parfois
quelques méfiances, surtout à raison de leur nationa-
lité étrangère.
Lorsque la guerre éclata entre la France et l'Espa-
gne dont alors dépendait le Portugal, le roi d'Espagne,
et par réciprocité le roi de France, ordonnèrent la
confiscation des biens des sujets ennemis résidant dans
leur royaume. Le roi ordonna qu'il serait fait inven-
taire de tous les biens possédés par les Portugais en
Guienne et en confia l'exécution au président de
Gourgues (14 mai i625).
Les jurais s'émurent de cette ordonnance, et le
4 juin 1625 ils délibérèrent qu'il serait expédié au roi
un certificat de ce que depuis plus de quarante ans
un fwtit nombre de marchands portugais habitaient la
ville, avec leurs femmes et leurs enfants, vivant sans
scandale, obéissant aux lois et aux ordonnances, por-
tant les charges publiques comme les autres mar-
chands; qu'ils s'étaient rendus utiles dans la ville à
cause de leur négoce ; qu'ils trafiquaient avec toute
loyauté et fidélité, et que jusque-là il n'avait été
entendu aucun reproche contre aucun d'eux.
L'ordonnance n'eut pas de suite.
Soit en leur qualité d'étrangers, soit peut-être
comme Juifs, ceux-ci ne jouissaient pas pleinement
des droits de cité; on les dispensait alotï du gu;:! i-
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE I. I2g
de la patrouille, ainsi que les calvinistes, et, comme
ceux-ci, ils étaient taxés à 4 livres par mois pour la
réparation du corps de garde, et le paiement des
tambours, de la chandelle et du bois du poste.
Cependant, et malgré la protection des autorités
locales, qui comprenaient leur importance commer-
ciale pour la place, les Portugais étaient en butte aux
jalousies et aux rivalités de profession des marchands
de Bordeaux auxquels ils faisaient concurrence, et qui
s'efforcèrent de les faire expulser. En i63o les mar-
chands se plaignirent de ce que, malgré les lettres-
patentes de i6i5, les Portugais n'eussent pas encore ""
vidé la ville ; qu'au contraire c'étaient eux qui tenaient
les plus riches boutiques et les magasins assortis de
toute sorte de marchandises.
D'un autre côté, la guerre avec l'Espagne durait
toujours; l'armée espagnole venait d'entrer sur la
frontière. Les jurats, renouvelant une mesure déjà
prise précédemment, et d'accord avec le gouverneur,
obligèrent de nouveau les Portugais à quitter leurs
maisons, situées trop près des remparts, et à se
transporter au centre de la ville. Ils ordonnèrent ~
aussi de faire le dénombrement des personnes de
cette nation.
Le rôle des familles espagnoles et portugaises fiit
dressé le 4 décembre 1 636 par Sébastien Diaz, docteur
régent, et Antoine de Mora, marchand. Le nombre
'oiai de' * ■' ■ - s'élevait à 260.
!
l3o HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Parmi les noms qui figurent dans ce document^^
nous remarquons les suivants :
Manuel Olivera, docteur régent;
Sébastien Dias, médecin juré; Guillaume Mendès,
Henry Fernande, Alph. Romero, Antonio Dacosta :
tous natifs Français ;
Antoine Henriquèz de Mora, Pierre de Sisneros,
Fol Gomez, Jean Sesportes, Bartholome Diera,
Bento Fernandès : tous naturalisés ;
Diego Barbossa, Emmanuel Martin, Emmanuel
Fernandès, Portabra, Emmanuel Peixotto, Diego
Cardoze, Sébastien Silva, Pierre Rodrigues, François
Vaz, Pierre Mendès, Jean Rodrigues, Antoine Alva-
rès, Antoine Alvarès Silva, Felip Fernandez, Julien
' Machado, François Cardoze, Jean Dacosta Furtado,
Louis et Sébastien Lopes, etc., etc.
Les Portugais et les Espagnols, protégés par le
Parlement et les jurats, virent leurs privilèges reconnus
et confirmés à plusieurs reprises par le pouvoir royal.
Les lettres-patentes données au mois de décembre i656
n/ par Louis XIV, contre-signées Phélippeaux, et enre-
gistrées au Parlement de Bordeaux le 25 mai i658,
confirmaient les privilèges accordés aux Portugais
habitants de Bayonne, et s^appliquaient aussi à ceux
qui habitaient Bordeaux.
A cette époque les Portugais continuaient à envoyer
leurs enfants au baptême, se mariaient à Téglise
catholique, et n'exerçaient leur culte que dans le secret
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE I. l3l
de leurs demeures. Ils recevaient le droit de bour-
geoisie, comme les autres habitants de la ville. Quel-
quefois même les jurats, désireux d^assurer la résidence
de ces industrieux étrangers, se montraient trop faciles
à leur accorder des lettres de bourgeoisie et excitaient
les plaintes des anciens bourgeois. Le 9 août 1662,
un arrêt du Conseil vint casser plusieurs de ces récep-
tions faites depuis vingt ans soit à des Portugais, soit
à d'autres personnes. Parmi les Portugais dont les
lettres de bourgeoisie, datant déjà de vingt ans, furent
annulées en 1662, nous trouvons les noms de Moïse,
Louis Alvarès, Antoine Fernande, Louis Mendes,
J. Cardoze, François Cardoze, Alphonse Romero,
Francisque Mendès Fernande, Mathieu Lopès.
Treize ans après, plusieurs Portugais importants
se préparaient à quitter Bordeaux. Une sédition avait
éclaté dans cette ville, souvent agitée. Pour la punir,
le roi avait envoyé des troupes qui commettaient les
désordres les plus affreux, pillant, tuant, violant, sous
les yeux de leurs chefs. Les jurats suppliaient le roi
et les ministres de faire cesser ces crimes. Ils écri-
vaient, le 21 décembre 1675, à M. de Chateauneuf et
au ministre Colbert, pour leur peindre la désolation
de la malheureuse cité, a Les Portugais, disaient-ils,
]^ qui tiennent des rues entières et font un commerce
:» considérable, ont demandé leurs passeports. » Le
3o décembre, ils écrivaient encore : « La désertion
]» est déjà de plus de i,5oo maisons. Les Portugais
3> et étrangers, qui font les plus grandes affaires, cher-
l32 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
]» chent à se retirer d'ici. Gaspard Gonzalès et Alvarès
i> ont quitté depuis peu, qui étaient des plus considé-
:d rables parmi eux. Nous nous apercevons que le
» commerce cesse. ^
Le 5 février 1676 ils s'adressaient encore au puis-
sant Colbert : « Notre ville, en Tétat qu'elle est, n'est
» qu'un débris funeste de ce qu'elle a été. Les soldats
» commettent des excès et font des vols impunément. »
Il est facile de juger, par les souffrances de toute la
population, quels devaient être les maux subis par les
Portugais, que les grossiers préjugés des soldats dési-
gnaient plus spécialement à leur brutalité.
Enfin la cour daigna juger que la ville était assez
punie, et retira les troupes qui avaient accompli ces
honorables exploits.
Quelques années plus tard une vive irritation fut
excitée par un certain nombre de Portugais dont les
familles allaient s'établir en Hollande; on se figura
que ceux qui restaient en France n'avaient d'autre but
que de trahir le pays qui leur donnait depuis si long-
temps l'hospitalité, et un arrêt du Conseil, en date du
20 novembre 1684, chassa du royaume gS familles
portugaises établies à Bordeaux, Dax, Bayonne,
Peyrehorade et Bidache.
Parmi celles de Bordeaux ainsi expulsées, on
remarque les noms de Philippe et Antoine Nunès,
L. Gonzalès, J. Pinel, Gomès, Antoine Mendes,
Francisco et Dominique Vidal, Pacheez, Molinès,
les veuves Serrano, Henriquès, Costas, de Paz.
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE I. l33
Sur les représentations et la requête des exilés, l'arrêt
fut annulé par le Conseil, le 1 1 janvier 1686, et il fut
reconnu aux Portugais et à tous étrangers, de quelque
qualité, condition et religion qu'ils fussent, le droit de
sortir du royaume pour leurs affaires et d'y rentrer.
Jjt pouvoir royal, généralement favorable aux mar-
chands espagnols et portugais de Bordeaux, ne laissait
pas cependant que de leur imposer quelquefois des
taxes assez lourdes, sans guère tenir compte des
lettres-patentes par lesquelles il avait promis de ne
pas le faire. La cité de Bordeaux, de son côté, taxait
lourdement ses nouveaux habitants. Tantôt ces taxes
étaient ostensiblement imposées, tantôt elles étaient
déguisées sous l'apparence, peu trompeuse d'ailleurs,
d'un emprunt forcé ; et les sommes ainsi empruntées
ne devaient jamais être remboursées.
La commune de Bordeaux, pour se libérer, par une
taxe une fois payée, des taxes royales qu'on appelait
du franc- fief .et du franc-aleu, avait fait un emprunt
dans lequel les Portugais et Espagnols furent compris
pour 11,000 liv. (septembre lôgS). Cette part d'em-
prunt était constatée par 32 contrats de rente souscrits
par la commune, ce qui indique que 32 chefs de
famille avaient été jugés seuls en état d'y contribuer.
La répartition avait d'ailleurs été faite proportionnel-
lement aux facultés de chacun : Jacques Lopès payait
la plus forte somme, i,365 livres; un grand nombre
d'autres, parmi lesquels Henri et Léon Peixotto,
n'étaient taxés qu'à 56 livrés 3 s.
l34 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Les Juifs, qui doutaient de la réalisation du rem-
boursement, malgré les promesses qui leur en étaient
faites, offrirent aux jurats de faire abandon de leur
créance de 1 1 ,000 livres si la ville voulait affranchir
eux et leur postérité de la charge d'être trésorier de
rhôpital Saint- André. Cette charge était en effet très
onéreuse, le trésorier de Thôpital étant contraint de
fournir aux dépenses de Thôpital, même à ses frais en
cas d'insuffisance des revenus. Les deux contractants,
la ville et la Nation, comme on appelait les Espagnols
et Portugais qui avaient obtenu Tautorisation de vivre
sous les coutumes de leur nation, crurent faire chacune
une bonne affaire. Les jurats acceptèrent Tofifre par
leur délibération du i5 mars lôgS; le contrat fut
passé le 24 décembre, et homologué par arrêt du
Conseil et par lettres-patentes du roi en date des 20
et 25 mai 1694.
Vers cette époque la colonie juive comptait parmi
ses membres Gaspard Gonzales et Hernandès Car-
doze, bourgeois de Bordeaux (1675), Christophe
Rodrigues Meze et Manuel de Mezes, son fils, orfèvre,
tous deux portugais, morts avant 1688; Yzaac de
Masa, médecin juré de la ville, fils de Jean de Masa,
seigneur de Toubes et médecin ordinaire du roi;
Anne Silva et Francisca de Naxarra Silva, sa sœur,
femme de Antoine Salcède, portugais; Antoine Gomez
Silvère et Raphaël Rodrigues, portugais; Éléonore
Lopès, veuve de Jean Pereyre, portugais, et femme
de Pierre Gomès Silva le vieux, bourgeois et mar-
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE I. l35
chand de Bordeaux (1691); Antoine Lopez Depas,
bourgeois et marchand ; Hernandès Cardoze et Ysa-
beau Gonzalès, sa femme.
La Nation venait de payer un emprunt forcé à la
ville de Bordeaux. Bientôt il* fallut payer au roi
Louis XIV, qui avait un grand besoin d'argent. Aussi
le roi oublia-t-il le texte comme Tesprit des lettres-
patentes de 1 5 5o, de 1574 et de i656; il rendit, le
22 juillet 1697, une ordonnance portant que tous les
étrangers établis en France depuis Tan 1 600 seraient
imposés par le Conseil pour avoir l'autorisation d'y
résider. Le sieur Damour fut chargé du recouvrement
de la taxe. Il fit imposer très haut les Espagnols et
Portugais de Bordeaux, et exerça contre eux des pour-
suites rigoureuses. Ceux-ci réclamèrent auprès du
Conseil du roi, et invoquèrent les lettres-patentes
de i55o.
Le Conseil resta sourd ; par arrêt du 9 février 1 700,
il taxa la Nation établie à Bordeaux à 20,000 livres
de principal, plus 2 sous pour livre. Déjà le pouvoir
royal avait voulu imposer les nouveaux chrétiens
de Bordeaux en 1629, en 1646, en i656, en les
considérant comme juifs; mais sur leur réclamation
basée sur les lettres de i55o, les taxes ordonnées
n'avaient pas été perçues. Cette fois le grand roi
n'admit pas de résistance, et il fallut payer.
Astreints au paiement des impôts ordinaires levés
par la ville, aux emprunts forcés de la commune, aux
l36 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
taxes royales ordinaires et aux emprunts forcés du
roi, les Portugais et Espagnols de Bordeaux avaient
encore à s'imposer eux-mêmes pour les besoins de
leur communauté.
Le 28 avril 1699, ils se soumirent à une cotisation
volontaire pour un capital de 11,000 livres, destiné à
acheter des rentes sur TÉtat et à former un fonds
commun pour les besoins de leurs pauvres.
Quarante familles furent imposées. Jacques Lopès
paya 1,275 livres; David Gradis, 260 livres; Léon
Peixotto, 100 livres. Ce dernier fut nommé syndic
pour recevoir et distribuer les fonds. Ce fut le premier
syndic. Depuis cette époque il en fut toujours nommé
un pour remplir cet emploi.
Depuis ràrrivée à Bordeaux des Juifs portugais et
espagnols jusqu'à la fin du dix-septième siècle , pen-
dant environ deux cents ans, il ne s'était pas produit
de notables changements dans leur situation légale.
Cachés sous leur qualification de nouveaux chrétiens,
protégés par les lettres-patentes de i55o, obéissant
scrupuleusement à toutes les pratiques et à toutes les
cérémonies catholiques, d'ailleurs industrieux, hum-
bles, utiles, ils avaient mérité et conquis la faveur du
Parlement et des jurats; et, sauf les rivalités qu'ils
avaient suscitées dans quelques branches de commerce
et les cris de quelques fanatiques, ils n'avaient donné
lieu à aucune plainte sérieuse.
Plusieurs d'entre eux avaient acquis de grandes
fortunes, qu'ils dissimulaient de leur mieux, et avaient
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE I. iSy
rendu des services importants au commerce bordelais.
Quelques autres s'étaient distingués dans les sciences
et dans les arts.
Nous avons déjà parlé d'André et d'Antoine Govea,
des da Costa , de Jacque de Teyves , de Mendès , de
Gelida et des autres régents du collège de Guienne,
qui étaient étrangers à Bordeaux par leur naissance,
mais qui illustrèrent leur séjour dans cette ville ; de
Dominique Ram^ conseiller au Parlement; de Jacques
Milanges, procureur au Parlement, et de son fils
Simon Milanges, qui, après avoir professé avec dis-
tinction au collège de Guienne, établit à Bordeaux, .
vers 1572, la plus belle imprimerie qu'on y ait
encore vue.
La médecine, cette science aimée des Juifs, put citer
avec un légitime orgueil les noms de Ramon de
Granolhas, médecin de la ville ; de Gabriel de Tarégua ;
de Sébastien Dias; de Silva père qui fut médecin de
l'Hôtel de Ville de Bordeaux jusqu'en 1687; de
François Lopès , professeur royal en la Faculté de
médecine de Bordeaux, dont un gendre, Duart
Henriquès, et deux fils, Pierre et François Lopès,
furent aussi médecins, le premier à Bordeaux, le
second à Paris. Il fut père de Hiérosme Lopès (0,
chanoine théologal en l'église de Saint -André et
auteur de YÉglise métropolitaine de Bordeaux,
(1) Un acte du notaire de Ferrand {Archives de la Gironde, année
1667, P* '46O1 <iui partage la succession de feu François Lopès, en
son vivant professeur du Roy à la faculté de médecine, marié à
Ysabeau Mendès, nomme ses dix enfants : Pierre Lopès, professeur
du Roi en la faculté de médecine de Bordeaux; Antoine Lopès,
l38 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
avec Vhistoire de ses archevêques et le pouilîé de ce
diocèse. (Bordeaux, 1668, in 4®.)
Aux noms des commerçants distingués que nous
avons déjà signalés, aux Fernandès, aux de Louppes
de Villeneuve, il faut ajouter les noms d'Espinosa et
d^Azevedo, qui établirent à Bordeaux une fabrique de
maroquin, et de Dominique Lopès d^Oliveira, qui
créa une fabrique de mouchoirs de soie.
Les richesses et la situation des Israélites à Bordeaux
prenaient une importance considérable, destinée à
grandir encore pendant le siècle suivant.
La fin du dix-septième siècle est signalée par l'arrivée
à Bordeaux d'un grand nombre de nouveaux chré-
tiens, fuyant les rigueurs de l'Inquisition, plus sévère
que jamais en Espagne.
Beaucoup de Juifs originaires d'Espagne ou du
Portugal, et qui avaient embrassé le christianisme,
étaient restés dans diverses provinces espagnoles et
professaient en secret la religion de Moïse. Quelques-
uns de ceux dont les familles avaient réussi à passer
marchand ; //{6*05me Lopès, chanoine théologal en réglise Saint-
André; Jean Lopès, marchand; François Lopès, médecin de la
faculté de Paris; damoiselle Guimen Lopès, femme de Guilhem
Delsato, iparchand au Havre; Marie Lopès, veuve de Pierre-Diès;
Ysabeau Lopès, mariée à Hiérosme Dalsoto et représentée par sa
fille, mariée à François Rodriguès; Françoise Lopès, femme du
Raphaél Henriquès, bourgeois et m&rchand de Bordeaux ; et Cathe-
rine Lopès, femme de M. M« Duart Henriquès. Le père de ce
dernier, Duart Henriquès, fils de Henriquès Fernandès, portugais,
natif d*Abère, avait été naturalisé par lettres-patentes du roi Louis,
en date à Paris de janvier 1621. (Archives de la Gironde, B. 34,
p. 5 1 .)
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE I. iSg
en France, avaient eu Timprudence de revenir. L'In-
quisition les arrêtait sur les plus légers indices, et les
punissait cruellement.
En 1 680, quatre de ces Juifs de France qui se trou-
vaient en Espagne, furent saisis par Tlnquisition.
C'étaient : Manuel Dias Sardo, autrement appelé
Manuel Enriquez ou don Antonio Correal , originaire
de Estremoz en Portugal et habitant de Bordeaux;
Juan Ibanès, autrement appelé Luiz Ordenez, ou
Juan, ou Abraham de Paredès, né à Peyrehorade, en
France, d'origine portugaise; Fernando Pérès Salas,
nommé aussi Fernando Rodriguez Penamacor, et
Samuel Rodriguez Penamacor, habitant de Bidache,
en France, d'origine portugaise, et qui voyageait en
Espagne ; et enfin Luiz Sarabia , ou Arraya, d'origine
portugaise, natif de Bordeaux.
Leurs divers changements de noms ne purent les
sauver.
Le grand mquisiteur préparait alors à Madrid un
auto-da-fé solennel où les quatre Juifs français figu-
rèrent.
L'inquisidor général. Don Diego Sarmiento de
Valladarez , avait voulu donner à cette cérémonie le
plus grand éclat. Le roi don Carlos, la jeune reine et
la reine-mère devaient assister au triomphe de la foi.
L'enthousiasme était général, les jeunes gens des meil-
leures familles s'étaient enrôlés pour former le brillant
escadron des soldats de la foi ; une immense quantité
de personnes avaient réclamé l'honneur d'être affiliées
au Saint-Ofiice. Le peuple entier était dans la joie.
V
140 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Parmi les grands d'Espagne qui avaient reçu Thon-
neur d'être admis comme familiers du Saint-Office,
on comptait les ducs d'Abrantès, d'Albuquerque, de
Bejar, de Camina, de Hijar, de Linarès, de Medina-
Celi, de Medina-Sidonia, de Médina de Las Tores,
de Montalto, de Osuna, de Pastrana, de Sezar, de
Ucéda ; les marquis de Castel* Rodrigo, de Mondejar ;
les comtes d'Aguilar, d' Alvadeliste , d'Altamira, de
Benavente, de Lemos, de Monterey, de Oropesa.
Une foule de grands seigneurs les avaient imités :
les Guzman, les Zuniga, les Sandoval, les Cardona, les
Lemos, les Soto-Mayor, les Leyva, les Cordoba, les
Chavez, les Manrique de Lara, les Baeza, les Contreras,
les La Cerda, les La Cueva, les d'Aragon, les Davila,
les Mendoza , les Porto-Carrero , les Moncada , les
Pimentel , les Guevara , et bien d'autres , tous ducs,
marquis ou comtes, étaient inscrits sur les registres.
L'étendard de la foi sortit du couvent de dona Maria
de Aragon. Il était porté par l'excellentissime seigneur
don Juan Francisco Enriquez de La Cerda, duc de
Medina-Celi, de Segorbe, de Cardona, d'Alcala et
de Lerme, marquis de Dénia, de Comarez, de Pallares,
de Tarifa, etc., comte, vicomte et seigneur de nombre
de comtés, vicomtes et seigneuries, chevalier de la
Toison d'or et premier ministre. L'étendard était de
taffetas cramoisi, orné et bordé d'argent; on y avait
brodé le blason redouté de l'Inquisition : la croix
verte sur champ de sable, adestrée d'un rameau d'oli-
vier et ayant à senestre l'épée nue. Les glands de
droite étaient dans la main du fils aîné du ministre,
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE I. t4l
le marquis de Cogoludo, et ceux de gauche, dans celle
de don Melchior de Guzman, fils aîné du marquis de
Villamanrique.
Toute la grandesse d'Espagne était là : les ordres
de chevalerie de Saint-Jacques et de Calatrava, les
capucins, les récollets, les augustins, les carmes, les
minimes, les dominicains.
Le cortège sortit avec ordre par une magnifique
journée. Les 5o hallebardiers du seigneur marquis
de Pobar étaient vêtus de noir avec des galons d'ar-
gent fin; leurs chapeaux étaient ornés de plumes
blanches et noires. Le marquis montait un cheval
gris-pommelé, dont la selle, les housses et les brides
étaient vert et argent; il était vêtu de soie noire et
blanche et couvert de diamants. Les musiciens de la
chapelle royale chantaient le Miserere. On se rendit
ainsi, en passant devant le palais royal, à la place où
se donnaient les combats de taureaux et sur laquelle
on avait construit un magnifique théâtre. Des balcons
avaient été dressés pour Leurs Majestés, pour la cour
et tous les dignitaires.
Le roi et les deux reines étaient entourés des dames
de la cour, des gentilshommes de la chambre, des
majordomes et chambellans, des grands d'Espagne,
des ambassadeurs et d'une foule de noblesse.
L'inquisîdor général et les membres du tribunal,
les familiers du Saint-Office, les soldats de la foi,
enfin les accusés, garnissaient l'amphithéâtre.
On avait dressé un autel et une chaire. Le R. P.
Tomas Navarro, prédicateur de Sa Majesté, prit la
142 HISTOIRE DES JUIFS Â BORDEAUX.
parole. Il parla d'une voix si forte et si nette, que
cette grande multitude de personnes entendit très
bien son sermon. Il fit Téloge du tribunal et celui du
roi, qui ne pouvait faire un plus digne emploi de sa
majesté souveraine. Il dit que Plnquisition a pour
mission de punir les Juifs, les Musulmans et les héré-
tiques. Où trouver, s'écria-t-il, des pécheurs plus
ennemis de Dieu et plus dignes de châtiments que les
perfides Juifs ? Il finit en désirant que le très saint
tribunal de la foi vécût encore pendant une infinité
de siècles.
Les deux alcades, don Pedro Santos et Joseph de
rOlmo, montèrent sur les gradins où se trouvait au
premier rang Manuel Dias Sardo, de Bordeaux,
judaïsant, coiffé de la mitre de San-Benito et couvert
d'un long voile jaune-, et, après le son de la cloche,
ils lurent la sentence qui le condamnait à la prison
perpétuelle après abjuration formelle, et à la confis-
cation de tous ses biens.
118 condamnés figuraient, dans la cérémonie, en
personne ou par effigie ; i o étaient condamnés à des
peines légères pour hérésies; 89 étaient condamnés
comme juifs convaincus; tous subissaient la confis-
cation de tous leurs biens. Quelques jeunes filles et
jeunes femmes, après une prison qui variait de six
mois à deux ans, devaient être remises à des quali-
Jicadors chargés de les instruire dans la religion
catholique. Un grand nombre étaient condamnés à la
prison perpétuelle. Presque tous étaient d'origine
portugaise.
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE I. t^i
Quelques-uns des accusés étaient parvenus à iuir ou
avaient échappé à la justice humaine par la mort dans
les prisons de Tlnquisition.
Morts et fugitifs figuraient en effigie.
Parmi ceux qui étaient attachés aux côtés de Manuel
Dias Sardo, de Bordeaux, se trouvaient en grand
nombre des parents des Juifs bordelais. C'étaient
Francisco de Espinosa ; Pedro Nunès Marques, le
médecin Geronimo Nunès Marques, son frère, et
leurs sœurs Léonor, veuve de Rodrigo de Silva, et
Angela, veuve de Francisco Correa, avec sa fille
Blanca; les deux sœurs, Clara Mendes, veuve de
Gabriel Mimos, et Antonia, femme de Domingo de
Losada, avec son mari et son fils Pedro Rodriguès ;
Juana et Ysabel Mendes; Béatrix Lopès Cardoso,
femme du docteur Juan Nunès, médecin ; Gaspar de
Campos, et sa sœur Phelipa; Simon et Diego Mimos
de Alvarado-, Pedro Vasquez; le docteur Raphaël de
Paz; Elena, Geronimo, Salvador, Francisca, Benosa
et Maria de Robles, avec la femme de Geronimo et
les maris de Francisca et de Maria, Maria Mendez,
Antonio Rodriguez et Bernardo de Paz; Geronima
de Govea, femme de Juan Alvarez; Francisco de
Soria ; Fernando Pérès Salas de Bidache ; Felipa et
Francisca Hogueira; Luis del Valle, et sa femme
Isabel Enriquès; Juan Antonio de Silva; Juan de
Castro; Antonio de Orobio; Francisco Manuel Diaz;
Juan Battista Pereira.
Enfin, 19 furent livrés au bras séculier. C'étaient
Francisco de Salinas ou de Léon ; Antonio Enriquez ;
144 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Francisco Enriquez Delvaille et Maria Lopès, sa
femme; Violante Enriquez, sa belle-sœur, et leur
mère Felipa Lopès de Redondo, veuve de Mateo da
Silva; Ana Gomès ou Lopès; Manuel Suarès de Fon-
seca; Léonor Pereira, femme de Manuel de Galvez;
Jacob Gabay; Francisco Ferrer ou Abraham Pena;
Louis Guttierez; Simon Diego de Morales; Baltazar
Lopès Cardozo et sa fille Felipa ; Gaspar de Robles ;
Pedro Vicente, et enfin Luis Sarabia, alias Arraya,
de Bordeaux. Le dix-neuvième était un habitant de
Cadix qui s'était fait mahométan.
Les sentences ayant été lues aux condamnés, ceux
qui étaient relaxados furent livrés par Tlnquisition à
la justice séculière, et le cortège des condamnés fut
amené à la porte de Fuencarral où était dressé le
bûcher. Là se tenaient les soldats de la foi et le secré-
taire de rinquisition.
Laissons finir la cérémonie par les abjurations
publiques, et assistons à Tœuvre du bras séculier.
Les autorités avaient été prévenues de préparer le
bûcher avec vingt gibets et le nombre de bourreaux
nécessaire. La pieuse prévoyance du saint tribunal,
dit le témoin oculaire auquel nous empruntons cette
description, remet les accusés au bras séculier avec la
plus grande douceur : c Rogamos y encargamos muy
1^ affectuosamente, como de derecho mejor podemos,
:ù se ayan benigna y piadosamente con el. >
Le bûcher, el brasero, avait 60 pieds en carré sur
6 pieds de haut; il était couronné par les soldats de
la foi. Les vingt gibets étaient adroitement disposés
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE I. 146
pour la plus grande commodité des bourreaux et des
confesseurs.
Quelques-uns des condamnés se convertirent sur
réchafaud. Leur sort fut un peu moins triste que
celui des obstinés.. Ils furent étranglés avant d^être
livrés aux flammes, tandis que les autres furent brûlés
vifs, non sans d'horribles scènes de désespoir; puis
tous les cadavres furent réunis, et achevèrent de se
réduire en cendres.
La relation circonstanciée de cet auto-da-fé mémo-
rable fut dédiée au roi par Talcade Joseph de TOlmo,
familier du Saint- Office, qui avait joué un rôle
important dans cette majestueuse cérémonie. Elle
fut imprimée à Madrid par Roque Rico de Miranda,
en 1680.
Jetons un voile sur ces sanglantes erreurs de l'hu-
manité. Elles avaient pour résultat de forcer les Juifs
à fuir au loin. Aussi, à la fin du dix-septième siècle
comme à celui du seizième, un agent français, en
observation sur la frontière d'Espagne, aurait-il pu
écrire : Nous avons ici « force Juifs fuyant Tlnqui-
D sition d'Espagne. Ils s'en vont tous vers Bordeaux
n et autres quartiers de Gascogne, où ils espèrent
» trouver retraites. »
V
10
CHAPITRE II.
DIX-HUITIÈME SIÈCLE JUSQU A LA REVOLUTION DE 1789.
LES JUIFS.
Les Juifs à Metz, en Alsace, à Avignon. — Différence de leur situation légale
de celle des Juifs de Bordeaux.
Caractère général que va ofTrir le dix-huitième siècle pour la situation de ces
derniers.
2 I. — CONVERSIONS.
Réflexions générales.
La fille de Gaspard. — Les jurats parrains. — M»' de Labat.
Suzanne Henriquez. — Le père Maria. — M. de Pontchartrain.
Rachel-Gomès Delbaille, Agée de huit ans. — Mémoires de Tintendant M. de
Boucher. — Réponse du Conseil de conscience, transmise par M. de La
Vrillière.
Rachel, Rica et Abigall Mezès, Agées de quatorze, douze et dix ans. — Défense
par le roi (1728) aux maisons religieuses de recevoir les enfants des Juifs
avant l'Age ^e douze ans.
Dot à fournir aux nouvelles converties.
Anne del Campo. — > Le duc d'Orléans. -<- Le chancelier d'Aguetseau. ^ M. de
U Vrillière.
Résistance des Israélites à doter leurs enfants convertis. ^ On s'adresse aux
collatéraux. — Esther Gradis. » Correspondance de l'intendant avec le duc
de Fleury, évêque de Fréjus. — M. d'Armenonville et M. de Boucher.
Marie-Thérèse Tinoér. — M. de Chauvelin.
Antoinette Lopès, épouse Vigier.
Catherine Salon Dalpuget. — Sa pension payée par M. de Mtnibao, archevêque
de Bordeaux.
Marie-Augustine Lopès de Paz, religieuse à la Madeleine.
Claudine Lindo. -^ Esther Francia. — Rebecca Mendès France, épouse dTsaac
Peixotto.
Isaac Bomartin, converti par l'évêque de Vannes. — Ses quatre filles. — M. de
Saint-Florentin. — Le docteur Silva. — Telles Dacosta et Eléonore Dacosta.
— Le comte de Ségur et M. de Farges sont parrains; les demoiselles Dillon
marraines.
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE II. 147
La dame Nonès, supérieure de Notre-Dame du Refuge, à Toulouse. — Ses deux
neveux, Pinto et Nonès.
Pauvreté générale des Juifs qui se convertissent .
Exceptions. — Le médecin Cardoze. — Sa femme Laurence Francis.
Perejrre.
Résumé.
Au commencement du dix-huitième siècle, dans les
contrées dont Tensemble naguère encore constituait
la France, les Israélites n'avaient d'existence légale
comme Israélites que dans trois lieux de résidence : à
Metz, en Alsace et à Avignon ; deux de ces provinces,
la Lorraine et TAlsace, venaient d'être réunies à la
patrie commune dont elles devaient être si cruellement
arrachées en 1871; le Comtat-Venaissin appartenait
encore à la papauté.
A Metz, ville impériale, conquise par Henri II, les
Juifs, tolérés par les empereurs à titre d'étrangers et
soumis â des redevances, avaient continué à être
tolérés aux mêmes conditions par les rois de France.
En Alsace, après les traités de Munster et de
Riswick, il en avait été de même; le roi de France
avait succédé aux droits de l'empereur, comme les
seigneurs spirituels ou temporels avaient conservé
leurs droits féodaux sur les Juifs qui habitaient en si
grand nombre cette région.
A Avignon, ville papale depuis qu'en 1 348 Jeanne,
reine des deux Siciles et comtesse de Provence, avait
obtenu l'absolution du meurtre de son époux et donné
Avignon et le Comtat au pape, les Juifs étaient tolérés
comme dans les autres États de l'Église.
Dans les États du roi de France, il n'y avait donc
148 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
de Juifs reconnus qu^à Metz et en Alsace. Ceux qui
vivaient à Bordeaux sous la dénomination de nou-
veaux chrétiens et d'Espagnols ou Portugais n'avaient
d'existence légale qu'en cette qualité. Aussi Basnage
pouvait-il dire, en 17 10, que s'il y avait des Juifs en
France, c'est qu'ils dissimulaient et feignaient de
professer une religion qu'ils détestaient, c II y a peut-
> être dans ce royaume, disait-il, de ces Juifs déguisés;
> mais ces déguisements particuliers ne sont pas
» matière d'une histoire. »
C'est précisément cette histoire que nous écrivons,
celle de ce groupe juif arrivé à Bordeaux à la fin du
quinzième et au commencement du seizième siècle,
et que nous avons vu vivre sous l'apparence extérieure
de la religion catholique.
Un changement favorable allait s'opérer dans les
conditions d'existence de ces réfugiés.
Le dix-huitième siècle vit s'affaisser les passions
religieuses qui avaient ensanglanté pendant si long-
temps l'Europe et n'avaient cessé de diriger la poli-
tique des peuples divers. La préoccupation générale
des esprits semble être désormais de rechercher et de
consacrer les droits et les devoirs des hommes réunis
en société ; et, en nous servant d'une expression qui a
été appliquée à Montesquieu : l'humanité paraissait
avoir perdu ses droits, il fallait les retrouver.
Au point de vue qui nous occupe, ce mouvement
se traduit dans l'histoire des Israélites bordelais par
une tendance de plus en plus marquée à pratiquer et
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE II. 149
à conquérir la liberté de conscience jusqu'au moment
où TAssemblée nationale viendra la proclamer. Les
Israélites, dès le commencement du siècle, ne dégui-
sent plus avec autant de soin la religion quHls ont
conservée dans leur cœur; ils s'astreignent de moins
en moins aux pratiques catholiques qu'ils avaient dû
subir ; ils élèvent, timidement d'abord, plus hardiment
ensuite, des synagogues et des écoles; ils élisent un
rabbin et pratiquent avec une certaine réserve, mais
sans les entourer désormais du profond mystère qui
les avait cachées jusque-là, les cérémonies de leur
culte.
La population qui les entoure, les pouvoirs divers
auxquels ils obéissent, ne se dissimulent plus la reli-
gion israélite des marchands espagnols et portugais
établis à Bordeaux depuis si longtemps. Lorsque le
pouvoir royal veut les inquiéter, le pouvoir local vient
à leur aide; leur qualité de Juif n'est ignorée de per-
sonne, elle figure pour la première fois dans les actes
de l'autorité, et cependant le Parlement et les jurats,
aidés de l'intendant, sortent toujours victorieux de la
lutte.
C'est parce que le caractère d'Israélite est reconnu
que d'ardents catholiques essaient, non plus de les
brûler ou de les expulser, mais de les convertir à la
foi du Christ. C'est par le même motif que, ne les
considérant plus que comme des Israélites, le pouvoir
royal tente, malgré les efforts du Parlement et des
jurats, de leur enlever les antiques privilèges accordés
par les rois aux nouveaux chrétiens et de les assimiler
l50 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
aux Juifs de Metz, sujets à des taxes annuelles pour
obtenir Tautorisation révocable de séjour en France.
Lorsqu'ils rencontrent âes adversaires, ce ne sont
plus des ennemis fanatiques de leur religion, mais le
plus souvent des rivaux guidés par des jalousies com-
merciales, jalousies dont ils se montrent eux-mêmes
animés contre des hommes de leur race et de leur
culte, lorsque ceux-ci. Portugais nouveaux venus.
Allemands, Avignonais, essaient de partager les privi-
lèges qu'ils ont obtenus.
Enfin la tolérance toujours croissante pour la reli-
gion juive se traduira, en 1776, par un édit royal qui
autorisera l'exercice du culte de Moïse.
Telles sont les lignes générales du tableau que nous
allons esquisser.
Suivant Benjamin Francia, dont la famille était
établie à Bordeaux depuis fort longtemps, ce serait en
1 686 que les nouveaux chrétiens commencèrent à ne
plus présenter leurs enfants au baptême catholique et
à ne plus faire bénir leurs mariages à l'église. Les
registres des paroisses confirment cette assertion; et
nous pouvons énoncer qu'à la fin du dix-septième
siècle, si les Juifs ne professent pas ouvertement à
Bordeaux la religion de Moïse, du moins ne cachent-
ils plus leur foi, et surtout ne pratiquent-ils plus les
cérémonies extérieures du culte catholique.
C'est à ce moment que quelques-uns d'entre eux
renonceront à leur foi et se convertiront au christia-
nisme.
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE II. l5l
Avant de parler des efforts du pouvoir royal, soit
pour assimiler les Juifs espagnols et portugais de la
Guienne à ceux de Metz, soit pour expulser de Bor-
deaux ceux d^ Avignon, sur les plaintes de certains
commerçants de Bordeaux et celles des portugais eux-
mêmes, nous croyons utile, pour n'y pas revenir, de
parler des conversions de Juifs à la religion catholique
et des moyens employés pour y arriver. Quelque
désireux que nous soyons d'être sobre de réflexions,
nous ne pouvons cependant quelquefois nous empêcher
de constater tout Todieux de ces moyens, ainsi que de
rendre hommage au bon sens, à la générosité et au
courage des intendants qui essayèrent souvent , mais
presque toujours sans succès, de rappeler les principes
sacrés du droit des gens , et des membres des cours
souveraines du Parlement qui leur prêtèrent un solide
appui.
La conversion d'un juif, le gain d'une âme à Dieu,
étaient considérés comme une action méritoire qui
devait attirer sur son auteur les grâces divines. C'était
aussi un moyen de gagner des grâces temporelles,
lorsque le souverain était porté à la dévotion. La vieil-
lesse de Louis XIV subissait le joug de sa bigote
maîtresse et de son rude confesseur. Sous les inspira-
tions du père Le Tellier et de madame de Maintenon,
la conversion des Juifs devait s'opérer comme celle ,
des protestants. Sous la régence, les tentatives furent
moins suivies. Les archives de la Gironde ont conservé
les pièces de ces tristes scènes, où l'on aime cependant,
au milieu de l'oubli le plus complet de tous les prin-
l52 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
cipes sociaux, à retrouver de temps en temps la voix
courageuse du bon sens et de Thumanité.
Pendant près d'un siècle , les dossiers des archives
ne nous révèlent que 23 conversions Israélites, dont
1 6 de femmes ou plutôt d'enfants. La première con-
version que mentionne la Chronique bordelaise fut
celle de la fille du juif Gaspard. Le baptême eut lieu
en grande pompe à Saint- André le 3o octobre lôgS;
les jurats de la ville étaient parrains, la marraine était
madame de Lancre, veuve de M. de Labat, secrétaire
du roi.
En 17 14, le père Maria, jésuite de Bordeaux, écrivit
au père Le Tellier que Suianne Henriquès, âgée de
vingt ans, voulait se convertir, et qu'il fallait lui en
faciliter les moyens. M. de Pontchartrain, alors minis-
tre, écrivit le i®' juillet 1714a M. l'intendant de faire
enlever cette fille très secrètement, de la mettre au
couvent des filles Notre-Dame et de la faire instruire
avec soin par le père Maria. L'intendant rendit
compte de sa mission à M. de Pontchartrain. La
jeune fille avait été enlevée, et avait paru d'abord fort
irritée et fort éloignée de se faire baptiser. Depuis
quelques jours, ajoute-t-il, elle écoute plus tranquille-
ment, mais je crains bien que le principal motif de sa
conversion ne soit le désir d'épouser un jeune écolier
catholique.
« Le roi, répond M. de Pontchartrain, a été bien
» aise d'être informé de l'exécution de ses ordres, et
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE II. l53
> désire savoir ce qui se passera à l'égard de cette
i> fille. 3
Le père Maria se chargea de ce soin. Il annonça au
père Le Tellier qu'elle avait été baptisée , qu'elle était
au couvent, et demanda qu'on forçât le père à lui faire
une pension au couvent.
En juin 171 5, M. de Pontchartrain expédia à
rintendant une lettre de cachet, signée Louis et
Phélippeaux, pour mettre le père en prison jusqu'à
ce qu'il ait payé une pension.
L'intendant crut devoir surseoir à l'exécution de cet
ordre; il obtint du père, à l'amiable, une pension de
3oo livres; on approuva sa conduite. « Je connais le
> père Maria, écrivait l'intelligent administrateur, il
> est fort zélé, mais son zèle est fort indiscret. »
Le i5 mai 1722, M. de La Vrillière écrivit à
M. de Boucher, intendant, que monseigneur le duc
d'Orléans, régent, avait appris que la fille du juif
Gomès était entrée de son plein gré au couvent de
l'Annonciade de Bordeaux et que son père faisait tous
ses efforts pour l'en faire sortir ; de s'informer si elle
était entrée volontairement et si les religieuses voulaient
la garder, parce qu'alors il enverrait un ordre pour
qu'on ne la remît pas au père; qu'en attendant, il ne
fallait pas la laisser sortir.
L'intendant répondit, le 25 mars, que Rachel, fille
de Jean Gomès Delbatlle, famille établie à Bordeaux
depuis plus de 40 ans, n'aurait hiiit ans que le 16 juin
lors prochain ; que c'était là un point important ; que
l54 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
son père s^était adressé à M. Despujol, grand vicaire
de monseigneur Tarchevêque; que < M. Despujol
» n'ayant fait l'honneur de me consulter, je lui dis que
:» cette fille n'ayant pas encore huit ans, elle n'était
3 pas en âge de prendre parti pour la religion, et
3^ que par conséquent il ne paraissait guère convenable
» de l'ôter de la maison paternelle; que cela était même
» contraire aux lois divines et humaines. M. Despujol
9 en convint et donna sur le champ ordre à la supé*
» rieure des Annonciades de rendre cette fille. Elle
» répondit qu'elle voulait un ordre de moi, ce que je
» lui accordai. Mais, ayant changé d'avis dans la suite,
:> elle m'écrivit qu'elle ne pouvait consentir à rendre
» cette fille entre les mains de son père. Je lui proposai
» de la mettre en maison tierce, elle ne voulut pas y
J) consentir; et elle me fit dire que, si on voulait la
}» retirer de force , elle la cacherait si bien dans sa
» maison que personne ne la pourrait trouver. »
Sur l'avis de l'intendant, le père présenta requête au
Parlement. Celui-ci rendit le même jour une ordon-
nance de « soit montrée », et le 7 mai furent données
les conclusions du procureur général tendantes à ce
que la jeune Rachel fût mise en maison tierce pour
être interrogée par la Cour. L'intendant, M. de
Boucher, écrit que les réponses faites à cet interroga-
toire étaient € évidemment soufflées par les reli-
» gieuses 3 .
M. de Boucher envoya au ministre un mémoire
très remarquable, et 'que nous regrettons de ne pouvoir
reproduire, tant il est digne d'éloges par les senti-
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE II. l55
ments élevés qu'il respire. Il invoque les lettres-patentes
accordées en i55o aux Juifs établis en France depuis
1 5oo et venant d'Espagne et de Portugal, confirmées
en i574 et en i655; il démontre que l'enlèvement de
la petite Rachel est en opposition avec l'esprit et avec
la lettre des actes publics ci-dessus relatés ; il rappelle
la doctrine de l'Eglise et des conciles sur la matière;
enfin il demande avec énergie que cette enfant soit
rendue à son père au nom du droit naturel.
Le 3 juin 1722, le ministre, M. de La Vrillière, lui
répondit : « J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait
1 l'honneur de m'écrire le 25 du mois dernier, au
:» sujet de la nommée Rachel, fille de Jean Gomez
1 Delbail, juif estably à Bordeaux, et l'ay lue en entier
1 au Conseil de conscience, où on l'a trouvée pleine
» d'érudition ; mais cela n'a pas empêché qu'il n'ait
» été décidé que je vous écrirois que dès lors que cette
t fille est dans un couvent, et qu'elle désire y rester,
» on ne doit pas l'en tirer ; que l'on ne trouve cepen-
> dant pas mauvais que ses parents la voient, pourvu
» que ce soit en présence de M. le grand vicaire de
» monseigneur l'archevêque de Bordeaux, et de quel-
j» ques-unes des religieuses du couvent de l'Annonciade
» où elle est. }»
Les trois soeurs Rachel, Rica et Abigaïl Me^e, âgées
de quatorze, douze et dix ans, furent attirées au cou-
vent ; leur mère désolée feignit de vouloir embrasser le
catholicisme , afin d'entrer au même couvent que ses
filles et de les enlever. Cette tentative fut découverte
l56 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
et occasionna beaucoup d^émotion; elle ne profita pas
aux trois jeunes filles, mais à leurs coreligionnaires. Le
roi rendit en effet, à Versailles, le 1 5 juillet 1728, une
ordonnance portant : S. M. veut que les lettres-patentes
portant établissement de la nation juive dans la ville
de Bordeaux soient exactement exécutées; e et, bien
:> que S. M. approuve que les trois filles d'Alexandre
3^ Meze, rentrées aux Ursulines, d'où leur mère a
» voulu les retirer par surprise, y restent, » daignant
ne pas punir la mère, il est fait <c défense aux maisons
» religieuses de recevoir les enfants des Juifs sous
]^ prétexte de religion avant Tâge de douze ans. Et
j^ il est enjoint à l'intendant, M. de Boucher, d'y tenir
:» la main. » Les Juifs ne pouvaient se plaindre, ils
étaient traités bien plus favorablement que les protes-
tants. Une déclaration du roi, en date du ig juillet
i65i, enregistrée au Parlement de Bordeaux, porte
que les enfants de la religion prétendue réformée pour-
ront se convertir à l'âge de sept ans.
Lorsqu'une jeune fille embrassait le catholicisme,
c'était souvent, comme le disait l'intendant à propos
de Suzanne Henriquès, par amour pour un jeune
catholique; c'était aussi quelquefois par vocation
véritable. Mais, dans tous les cas, pour épouser un
catholique ou pour épouser le couvent, il fallait une
dot. Quelquefois le roi se chargeait de la fournir;
mais le plus ordinairement on s'adressait aux parents,
même collatéraux, et il leur était difficile de ne pas
obéir.
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE II. 167
^nne del Campo était entrée au couvent à Libourne.
Les religieuses voulaient une dot, ou tout au moins
une pension, et demandaient qu^on obligeât le père à
fournir Tune ou l'autre. On écrivit au duc d'Orléans,
régent, qui fit répondre que a: la loi ne permet pas de
* forcer un père à doter sa fille % .
Le 1 2 juillet 1 72 1 , le chancelier d'Aguesseau écrit
à rintendant qu'à la vérité on ne peut forcer un père
à donner une dot , mais qu'on peut l'obliger à payer
une pension parce qu'il a l'obligation naturelle de
nourrir ses enfants. Le chancelier ne se faisait d'ail-
leurs pas d'illusions sur les motifs et la valeur de la con-
version des jeunes juives, car il ajoute : a: Il y a d'ailleurs
3 si peu de stabilité dans les conversions des juifs et des
> juives qu'on ne peut guère s'y fier, et il y a lieu de
* craindre que celles qui vous ont envoyé un placet,
> n'ayent plus de dévotion pour le mariage que pour
» la religion chrétienne. »
Il résulte d'une lettre de M. de La Vrillière en 1723
que le roi accorda une pension de 200 livres, sur
l'impossibilité d'en faire payer une à del Campo.
C'était d'ailleurs un acte si odieux aux Israélites que
la conversion au catholicisme d'un des leurs, que les
parents, plutôt que de payer une dot ou une pension,
préféraient, lorsqu'ils étaient riches, se dépouiller, au
moins en apparence, de tous leurs biens, et mettre sur
le compte de leur pauvreté l'impossibilité de payer ce
que Ton exigeait d'eux. Alors, ainsi que nous l'avons
dit, on s'adressait aux collatéraux.
]58 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Esther Gradis, fille d'Antoine Gradis et nièce de
David Gradis, riches juifs portugais, s'était convertie
en 17 14 et était entrée au couvent de Notre-Dame.
L'intendant, dans ses lettres au ministre, dit qu'un
honnête homme s'est offert à l'épouser, si on lui don-
nait une dot de 10,000 livres. Il fait remarquer que
sa sœur aînée a reçu en mariage 20,000 livres. Antoine
Gradis, interrogé, répond qu'il ne peut rien donner,
qu'il ne possède rien, et que la dot de sa fille aînée
; a été donnée par son frère David. Sur cette réponse^,
l'intendant, informé qu'il vient d'arriver à Bordeaux^,
pour David Gradis, oncle de la jeune fille, deux vais-
seaux venant dçs îles et chargés de sucres et indigos,
fait saisir ces marchandises et prie le ministre de
demander à monseigneur l'évêque de Fréjus, premier
ministre, s'il n'est pas possible de forcer non seule-
ment le père, mais à son défaut l'oncle, à fournir la
dot de 10,000 livres exigée par le jeune homme.
M. de Saint- Florentin répond qu'il a reçu la lettre
adressée à son père, auquel il vient de succéder, mais
que ces matières ont été détachées de son départe-
ment et qu'il l'a transmise à qui de droit. M. de
Morville demande des explications à l'intendant.
Celui-ci, n'oubliant pas que le premier ministre est
un grand dignitaire de l'Église, fait montre d'un grand
zèle catholique.
L'évêque de Fréjus lui répond qu'on n'a pas le
droit de forcer l'oncle ni le père à fournir une
dot; il recommande de procéder par les voies de la
persuasion. M. d'Armenon ville écrit pour défendre
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE II. l5cf
d'user de violence pour obtenir la dot, mais il faut
obliger les parents à faire une pension alimentaire
de 3oo livres.
M. de Boucher raconte ses embarras pour tirer
quoi que ce soit d'Antoine Gradîs, père d'Esther, qui
paraissait sans fortune, et qui, suivant l'intendant,
simulait cette situation, quoique, en réalité, il fût
l'associé de son frère David, qui était fort riche, et
sur la tête duquel toutes les valeurs auraient été
portées.
Une longue correspondance s'établit à ce sujet.
Antoine Gradis meurt quelque temps après. L'inten-
dant renouvelle ses instances auprès du ministre pour
être autorisé à faire payer une dot à sa nièce par David.
Le cardinal de Fleury, par sa lettre du 26 juillet 1727,
autorisa M. de Boucher à agir, si le fait d'association
des deux frères se trouvait exact. Une enquête fut
alors ouverte sur ce point par l'intendant ; les résultats
en furent transmis à la cour, et un ordre du roi fut
expédié pour forcer David Gradis adonner 8,000 livres
de dot à sa nièce.
Sur les réclamations de celui-ci, une lettre de M. de
Chiauvelin, du 22 septembre 1728, ordonna un nouvel
examen. David Gradis dut payer les 8,000 livres.
Esther Gradis avait épousé Coustau, procureur au
Parlement, qui donna quittance. Cependant David
Gradis craignait d'être inquiété au sujet de cette
prétendue société avec son frère, société qu'il déniait,
et qui, si elle eût été reconnue comme ayant eu lieu,
l'exposait à être obligé de fournir des dots aux autres
\
l6o HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
enfants de son frère, mort sans fortune. Il obtint un
ordre du roi, portant que la prétendue société et le
paiement par lui fait ne pourraient tirer à conséquence
pour Ta venir.
C'était aussi pour épouser un catholique que
Afane-Thérèse Ttnoër avait abjuré sa religion. Elle
obtint, le 27 février lySi, contre Emmanuel Nunès
Tinoër, son frère, qui s'était emparé à son préjudice
de la succession de leur mère Anne Vaz Tinoèr, un
ordre du ministre adressé à l'intendant et portant :
^ Sa Majesté ayant accordé sa protection à ceux
» de la nation juive qui ont le bonheur de se con-
» vertir, et voulant les soutenir contre la haine et
» l'oppression de leurs parents, son intention est que<,
3 dans cette occasion, vous obligiez le sieur Nunès
» Tinoër à rendre justice à sa sœur, et que vous
i> usiez des voies d'autorité, s'il est nécessaire, pour
» l'y forcer. * On fît exécuter Tordre ainsi donné par
M. de Chauvelin.
Le même motif, le désir d'épouser un catholique,
avait poussé Anloinetle Lopès, sœur d'Abraham
Lopès, qui se maria avec le sieur Pierre Vigier;
devenue veuve, elle réclamait pour elle et son fils
la continuation des secours qu'elle avait reçus de
Sa Majesté.
Jeanne-Catherine Salon Dalpuget, convertie en
1742, avait été mise aux Dames religieuses de Bourg
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE II. l6l
pa.T monseigneur de Maniban, archevêque de Bor-
deaux, qui payait sa pension. Après la mort du prélat,
elle avait obtenu de la cour que son père lui payât
une pension de 120 livres; mais celui-ci allait être
expulsé comme Avignonais, et la pension ne serait
plus payée. M. de Tourny fut chargé de prendre les
mesures nécessaires.
Une autfe fille de la famille Dalpuget, à Tâge de
quatorze ou quinze ans, voulut se convertir. L'inten-
dant écrivit, le 26 mai 1769, à M. du Muy, que cette
jeune fille était retirée par la femme d'un sieur Jour-
dain ; que le père réclamait sa fille , prétendant que le
sieur Jourdain voulait la séduire. M. de Saint- Florentin
ordonna une information, afin de c s'assurer avec soin
j» de la sincérité de sa vocation, que ses parents mêmes
* n'en puissent douter, pour ôter tout prétexte à dire
> qu'on n'observe pas les ordres portant règlement
1 sur cette matière donnés en leur faveur. »
Le roi accorda une pension de 100 livres.
Marie-Augustine Lopès de Pai était la fille de
Joseph Lopès de Paz, et avait été élevée par sa
grand'mère à Monségur, où il n'y avait pas de Juifs.
Elle était donc, en apparence du moins, catholique.
La grand'mère amena Tenfant à Bordeaux pour la
montrer à ses parents. M. de Tourny s'inquiéta de
ce voyage et pensa qu'on amenait à Bordeaux cette
enfant chrétienne pour là faire retourner au judaïsme
dans lequel elle était née. Il la fit enlever de la maison
de ses parents, rue Bouhaut, et la fit mettre au cou-
1 1
l62 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
vent de la Madeleine. Malgré les cris et les pleurs de
la )eune fille, malgré le désespoir de toute sa famille,
M. de Tourny se montra inexorable et obtint une
lettre de cachet qui défendait à la jeune Lopès de
sortir du couvent.
Elle finit par abjurer la religion juive et fit profes*
sion de religieuse. Elle eut pour parrain M. Boutin,
qui venait de succéder, comme intendant, à M. de
Tourny.
Mais elle avait à payer sa pension au couvent. On
s'adressa à sa grand'mère, la veuve Francia, à ses
oncles et tantes, à Toledo Francia, à Lopès Indigo
Brandon, à la veuve Cardozo. Cette dernière, Lau-
rence Francia, veuve du docteur en médecine Joseph
Cardozo, était très opulente. La famille fit une pension
de 3oo livres, accompagnée de diverses donations.
Marie-Augustine Lopès de Paz vécut longtemps
dans le couvent de la Madeleine. Elle en fut chassée,
comme les autres religieuses, par les lois de la Révo-
lution en 1 793, et vécut misérablement d'une pension
de 200 livres que la République nouvelle accordait et
payait mal aux nonnes décloîtrées.
Claudine Lindo était aussi entrée, nous ne savons
dans quelles circonstances, au couvent de la Made-
leine. Elle avait dix-sept ans, y fit profession et reçut
du roi une pension de 200 livres.
Esther Francia, fille d'Abraham et d'Esther Fran-
cia, se convertit en lySy, à Tâge de vingt-deux ans.
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE 11. l63
mais sans entrer au couvent. Elle demandait inutile-
ment une pension à sa mère qui se disait dans Tindi-
gence, et qui, suivant elle, dissimulait ses biens.
Toutes ces conversions, apparentes ou réelles,
étaient celles d'enfants attirés et entraînés par de
zélés catholiques, ou de jeunes filles qui, pour la
plupart, obéissaient, peut-être à leur insu et selon
l'expression de d'Aguesseau, à une vocation plutôt
pour le mariage que pour la religion chrétienne. Nous
ne trouvons qu'un exemple d'une femme dans la force
de l'âge et ne paraissant pas sous l'influence d'une
passion amoureuse, qui ait embrassé le catholicisme.
C'est celui de Rebecca Mendès, fille de Mardochée
Mendes France et de Rachel Peixotto, et femme
d'Isaac Peixotto (lySS). Elle abjura sa religion à l'âge
de trente-six ans, et eut pour parrains M. de Vigier,
procureur au Parlement, et M°^® veuve de Murgès,
veuve de l'ingénieiir en chef de Blaye, qui lui obtin-
rent une pension de 120 livres sur le trésor royal.
Dans deux cas les enfants furent faits catholiques
par le père.
Israël Bomarin avait quatre filles; il avait été
converti par l'évêque de Vannes, qui le recommandait,
le i5 février lySS, comme ayant « le zèle le plus pur
) pour la religion catholique i> . Il avait placé ses deux
filles Blanche et Esther aux Ursulines de Vannes, et
voulait y placer les deux autres, que sa femme ne
voulait pas lui donner. Il s'adressa à M. de Saint-
l64 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Florentin pour les obtenir, et celui-ci donna ordre à
rintendant de les faire mettre au couvent à Bordeaux.
Le i8 novembre 1767 l'intendant annonce qu'elles
refusent de se faire catholiques ; ordre de les envoyer
à Vannes. Le docteur Silva s'était employé pour
obtenir leur liberté : e M. Silva, disait le ministre, m'a
> demandé la liberté de ces filles : je ne pense pas
> qu'il puisse l'obtenir. >
François Telles Dacosta se fît baptiser à quarante-
deux ans à Saint- André, en 1768. Il eut pour parrain
M. de Farges et pour marraine M^® Adélaïde Dillon,
de cette héroïque famille écossaise qui était fixée à
Bordeaux. Le même jour, il fit baptiser sa fille Éléo-
nore Dacosta, âgée de six ans, qui eut pour parrain
M. le comte Alexandre de Ségur et pour marraine
M"® Éléonor Dillon. Il va sans dire que le père obtint
une gratification et la fille une pension.
Les Juifs qui se convertissaient paraissent tous
avoir été dans une mauvaise situation pécuniaire.
Isaac Sossa se disait le fils d'Isaac Sossa et d'Esther
Rodrigues de Léon. Il se plaignait de ce que son
père, contrarié de sa conversion opérée en 1 7 1 8 à la
Guadeloupe, l'aurait déshérité en faveur des enfants
d'un second lit. L'intendant écrit (1730) que Sossa ne
peut établir le mariage de sa mère, et qu'il est repoussé
non comme converti, mais comme bâtard.
La dame Nonès, juive convertie, était, en 1782,
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE II. l65
supérieure du couvent de Notre-Dame du Refuge à
Toulouse. Ses deux neveux, Nonès et Pinto, natifs de
Bordeaux, abandonnent leur famille et se rendent à
Toulouse auprès d'elle. Beaufleury dit que c'étaient
deux jeunes gens très distingués; qu'ils furent instruits
dans la religion catholique par M. de Fermât, cha-
noine de Saint-Cernin, et baptisés avec beaucoup de
pompe et de magnificence par monseigneur l'arche-
vêque, ayant pour parrains MM. les capitouls.
Les archives officielles nous donnent les détails
suivants :
Charles-Honoré Pinto, après des folies de jeunesse,
S2 réfugia, en 1760, pour éviter la colère de son père,
chez les Jésuites, qui l^envoient à Lyon, le convertis-
sent et le font baptiser sous les auspices du duc de
Villars et de la duchesse d'Aiguillon, parrain et mar-
raine. Pinto était jeune et de bonne mine, portait
fièrement l'épée et avait avec lui un cousin taillé sur
le même modèle. Il parvint à plaire à W^^ de Parade,
petite-fille de messire de Parade, grand président au
Parlement de Toulouse, et alliée à la plus distinguée
noblesse de la province. Quoique protégé du duc de
Villars et de la duchesse d'Aiguillon, il fallait à Pinto
une dot pour se marier. Il la fit demander à son père
par M. Amelot, contrôleur général, qui chargea
l'intendant de ce soin. M. de Boucher répondit à
M. Amelot :
ce Pinto et son cousin sont deux mauvais sujets qui
1 se sont mis à porter l'épée, font le libertinage et des
1» dupes. )» Et il ajoute : c Les conversions des Juifs
\
l66 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
I ne sont pas solides : elles n^ont lieu la plupart du
» temps que par des motifs humains et pour le liber-
]» tinage. Je viens d^en faire la triste expérience à
» Toccasion d'un juif que j'ai tenu moi-même avec
» M"'* la comtesse de Clermont, sœur de monseigneur
» Tarchevêque, lequel a eu la bonté d'en faire la céré-
9 monie, dont il se fepend beaucoup, aussy bien que
» moi. »
Il y avait cependant des conversions qui parais-
saient sincères :
Le célèbre médecin Joseph Cardozo, portant un
nom illustre dans l'histoire de la médecine, faisait
profession officielle de la religion catholique. Dans
son testament il voulut, par humilité, être enterré au
pied de la croix du cimetière Saint-Michel, sa paroisse.
II laissait à l'Académie de Bordeaux sa magnifique
bibliothèque. Il avait été l'ami de Montesquieu et de
Réaumur.
Après sa mort, la nation portugaise comprit sa
veuve dans ses taxes, comme juive, quoique son mari
fût devenu chrétien. De son côté, le collège des méde-
cins l'avait compris dans ses impositions. Laurence
Francia, veuve Cardoze, dut, malgré ses réclamations,
payer des deux côtés. Cette dame, fort riche et fort
considérée, se montra très bienfaisante pendant sa
vie, et fît aux pauvres, sans distinction de religion,
des legs très importants.
Elle était, quant à elle, très attachée à sa religion
et ne pouvait souffrir les convertis, du moins c'est ce
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE II. 167
que lui reprochait un neveu de son premier mari.
Elle avait été, fort jeune et fort belle, veuve du riche
Jacques Lopès, qui lui avait laissé plus de 800,000 liv.
et Pavait chargée de legs importants en faveur de son
neveu Joseph-Alfonse Alvarès. Celui-ci plaidait contre
elle en 1720, et prétendait qu^il était devenu odieux à
sa tante parce qu^il était sorti de Taveuglement du
judaïsme et s^était fait baptiser.
Nous avons vu les Juifs refuser tout secours à ceux
de leurs parents qui abandonnaient leur religion : ils
n^étaient pas sans haine et sans injures pour les autres
convertis.
En 1749, Pereyre aîné présenta un placet à M. de
Saint-Florentin pour se plaindre que, né de père et
mère juifs, il s^était converti à la religion catholique,
et qu^à Toccasion de cette conversion les Juifs de
Bordeaux lui faisaient toutes sortes dHnsultes et d^ava-
nies; qu'il avait été hué, traité de renégat, d^apostat
et d'idolâtre, lorsque, le jour de la publication de la
paix, il était de la cavalcade qui accompagnait le maire
et les jurats dans la rue Bouhaut; il se plaignait du
boucher Mardochée, dlsaac Barazan, des deux
Torrès, de Jacob et Chimènes Dias, etc. Cette plainte
fut envoyée à l'intendant, qui trouva les faits grossis :
c II n'y a eu, dit-il, que quelques huées; c'est d'ailleurs
» Pereyre qui a commencé les invectives; il est d'un
» caractère inquiet et tracassier. J'ai fait venir ceux
> dont il se plaint et le syndic, et les ai menacé de
}» peines si cela se renouvelait, j»
l68 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
En résumé, un très petit nombre de Juifs et de Juives
abandonnèrent leur religion; la plus grande partie
des convertis furent des enfants n^ayant pas Tâge de
raison, et quelques jeunes filles obéissant à un senti-
ment qui fait oublier les différences de culte ; parmi les
hommes et sauf d^honorables exceptions, le plus sou-
vent des motifs purement humains et quelquefois un
caractère inquiet et tracassier amenèrent un très petit
nombre de Juifs à adopter un autre culte.
2 II. — LUTTES CONTRE LE POUVOIR ROYAL POUR CONSERVER
LES PRIVILÈGES ACCORDÉS EN i55o.
Les Juifs protégés par les autorités locales, le Parlement et les jurats.
Nom de quelques négociants juifs.
Dénombrement et situation des Juifs de Bordeaux en 1718 — M. Leblanc. >-
M. de Courson. «^ Arrêt du Conseil du 21 février 1722. — M. de Courson
demande que l'arrêt ne soit pas exécuté A Bordeaux. — Son Mémoire. —
Lettres-patentes de juin 1723.
Nouvelles tentatives, pour soumettre les Espagnols et Portugais à une taxe. —
Arrêts du Parlement de Dijon en faveur des Juifs de Bordeaux cassés par le
Conseil d'État.
Taxe de 4o livres par tète et par an proposée. — Réponse de l'intendant fiivorable
aux Bordelais. — Les Avignonais.
Rapport de l'intendant sur la situation des Juifs k Bordeaux en 1733 -> Dénom-
brement. — Importance commerciale. — Synagogues. — Rabbins. — Pratiques
du culte Israélite. — Qmetières. — Domestiques. ~ Assimilation aux autres
habitants de Bordeaux.
Moyens proposés par M. de Boucher pour empêcher les Juift de pratiquer leur
religion. — Approbation de ces mesures par le chancelier d'Aguesseau. —
Ordre d'expulser les Avignonais.
Contribution des Espagnols et Portugais pour les pauvres. — État de répartition
de 1730.
Nous avons déjà indiqué qu'en France, depuis inédit
d'expulsion de 1 394, édit qui avait été successivement
appliqué aux provinces réunies à la couronne, telle
que la Guienne, les Juifs étaient légalement et offi-
ciellement proscrits, ' et que si quelques-uns d'entre
eux avaient pu y faire un séjour plus ou moins toléré,
ils n'avaient jamais eu de droits reconnus, ni comme
régnicoles, ni même comme étrangers. Une seule
exception était faite en faveur des marchands espa-
gnols et portugais, venus en France vers i55o, sous
la qualification de nouveaux chrétiens. Mais les droits
lyO HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
de naturalisation accordés à ceux-ci, tout en leur
permettant de vivre suivant leurs usages, ne les
autorisaient pas à exercer la religion de Moise.
Nous avons vu qu'à plusieurs reprises, et malgré
les lettres royales de i55o et 1674, de i58o et i656,
il avait fallu toute Ténergie du Parlement et des jurats
pour faire respecter les droits, ou, comme on disait
alors, les privilèges de la nation espagnole et portu-
gaise.
Désormais, le voile qui cachait des Juifs sous la
dénomination de nouveaux chrétiens ou de marchands
espagnols et portugais, ne dissimule plus que très
imparfaitement leur véritable religion. Le pouvoir
royal qui, dans Torigine, l'avait complaisamment
«étendu pour mettre à Tabri des fureurs populaires ces
nouveaux sujets qui lui apportaient un puissant élé-
ment de richesse commerciale, cherchait, au contraire,
à confondre la nation espagnole et portugaise avec
les Juifs de Metz et d'Avignon, non pour les expulser
du royaume, mais pour en faire une source de revenus
fiscaux en ne tolérant leur séjour que moyennant des
redevances souvent renouvelées.
D'un autre côté, ce ne sera plus le fanatisme
religieux qui demandera l'éloignement des Juifs, ou
la restriction de leurs droits de commerçants, ce sera
la rivalité commerciale qui cherchera à éloigner du
marché ces redoutables concurrents.
Contre les tendances fiscales du gouvernement,
contre les jalousies des commerçants, les Juifs de
Bordeaux seront protégés le plus souvent par les
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE II. I7I
intendants, presque toujours par le Parlement de
Bordeaux et par les jurats.
Cette protection des pouvoirs locaux repose sur
Futilité, pour le commerce de la ville et de la province,
des Espagnols et des Portugais, sur la considération
qu'ils s'étaient généralement acquise par leur probité
et leur bonne conduite. Elle finira par s'étendre en
partie à quelques-uns de ceux de leurs coreligionnaires
de Metz et d'Avignon qui étaient venus s'établir dans
la même ville, mais en laissant, pendant bien long-
temps du moins, une ligne de démarcation très
tranchée avec ces derniers.
Au commencement du dix-huitième siècle, plusieurs
nnaisons de commerce fort importantes appartenaient
aux Portugais et aux Espagnols de Bordeaux.
La maison fondée par Diego Rodriguez Gradis,
en i685, allait prendre quelques années plus tard un
grand éclat avec Antoine, David et Samuel Gradis.
Philippe Fernandez continuait une maison qui datait
du quinzième siècle. Aaron Sasportas et son fils
Abraham; Henri et Léon Peixotto; Abraham Lamega;
Isaac Rodrigues Henriquez; Emmanuel et Alexandre
Mèze père et fils ; Antoine Lopès de Paz, et Michel
Toledo; Jacques Pereyre Souarès; Joseph Enriquez
Medine, banquier; Henry Gomès; George Francia;
Antoine et Samuel Dacosta; Jacques Lopès; Jean
Lozade Péreire; les Fonseca; Isaac de Sosa; les
Raphaël frères; Antoine Rodrigues; Mendès-France ;
Gabriel de Silva; Antoine Lameyra, etc., faisaient
172 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
le commerce de banque et des armements. Ils avaient
des correspondants dans les principales places, et
presque tous étaient bourgeois de Bordeaux.
La plus puissante maison de banque était alors celle
de Pereire et O, dont le chef, Joseph Nunès Pereire,
allait devenir vicomte de la Ménaude et baron d'Am-
bès en 1720.
Malgré la prudence de ces négociants, des sinistres
commerciaux les atteignaient parfois.
Azévédo ne put soutenir sa fabrique de maroquin,
et les procès que fit naître sa faillite furent renvoyés
devant le tribunal consulaire de Bordeaux, ainsi que
ceux des faillites dlsaac Carvalho, Jacob Rodriguez,
Antoine et Manuel Lopès, Moise Mercadé et Isaac
Rodriguez de Campos ( 1 7 1 5) .
Malgré ces faillites, le crédit et la situation finan-
cière des négociants juifs étaient excellents.
Ces riches commerçants offraient une surface
imposable attrayante, et le fisc ne tarda pas à porter
sur eux son attention.
Le 22 mai 17 18, M. le contrôleur général Leblanc
écrivit à M. de Courson, sous-intendant de Bordeaux,
pour lui demander secrètement des renseignements
sur les Juifs de Bordeaux et sur leur situation de
fortune. Il demandait aussi un état détaillé de leurs
familles.
M. de Courson répondit, le 1 1 juin, qu^il existait à
Bordeaux environ 100 familles juives, dont 70 avaient
de quoi subsister, et contribuaient par leurs aumônes
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE II. I73
à faire vivre les 3o autres qui étaient pauvres; qu'avec
les femmes et les enfants, elles formaient une popula-
tion de 4 à 5oo personnes; que ces Juifs étaient d^une
grande utilité à la ville, et les seuls qui entendissent
quelque chose au commerce, surtout à celui de la
banque; qu'ils étaient très dociles et avaient bonne
conduite; qu'ils étaient administrés par un syndic
et ne faisaient aucun exercice de leur religion en
public.
Cependant, le contrôleur général insista.
A ce moment, la Chambre de commerce recevait
un mémoire contre les Portugais, auxquels on repro-
chait de faire le courtage des lettres de change.
Sur les instances du contrôleur général Leblanc,
un arrêt du Conseil, en date du 21 février 1722,
ordonna qu'il serait dressé par les intendants des
généralités de Bordeaux et d'Âuch un état des Juifs y
établis, contenant le temps et le lieu de leur résidence,
le nombre de leurs enfants, celui de leurs domestiques
juifs et chrétiens; leur commercé et leurs immeubles.
Il ordonnait, en outre, de saisir tous leurs immeubles
et de les mettre en la main du roi.
Une rivalité ministérielle ne fut pas inutile pour la
protection des Juifs de Bordeaux. M. de La Vrillière,
ministre de la police, se plaignit hautement de ce que
M. le contrôleur général empiétait sur ses attributions.
Il réclama la direction des affaires des Juifs, et blâma
M. de Courson d'avoir obéi aux demandes du contrô-
leur général.
M. de Courson s'excusa sur ce qu'il avait dû exécuter
174 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Tarrêt du Conseil ; il ajouta qu'il avait envoyé non un
état des Juifs portugais, mais un mémoire relatant les
privilèges des Portugais et demandant que Tarrêt ne
fût pas exécuté.
Dans ce mémoire, le sous-intendant expose qu'il y
a à Bordeaux deux sortes de Juifs formant deux corps
distincts : i^ les marchands portugais, qui sont les
plus considérables et les plus riches , établis à Bor*
deaux en vertu de lettres-patentes des rois de France ;
et 2® les Juifs avignonais, qui n'ont aucune autorisa-
tion, qui font généralement le conmierce des vieux
habits et des galons, et n'ont aucune relation avec les
premiers.
Il fait l'historique de l'établissement des Portugais
vers i5oo; des lettres de i55o et de 1674; il dit
qu'en 1700 ils ont payé 20,000 livres, et en 1709 ont
été compris dans la répartition de 20,600 livres de
rente qui ont été imposées à tous les étrangers natu-
ralisés en France, suivant les édits et les arrêts de
1697 et 1709.
Il mentionne les services qu'ils ont rendus à la càÊC
de Bordeaux ; ils ont, en diverses occasions, prêté des
sommes considérables à la ville sans aucun intérêt;
en 1709, lors de la disette, ils ont avancé de fortes
sommes pour l'achat des blés que M. de la Bourdon-
naye a fait faire. Un seul avait prêté 12,000 livres. Ils
ont refusé l'intérêt qu'on leur offrit. En 17 10, autre
prêt; en 1712, nouveau prêt de 100,000 livres pour
le même objet, toujours sans intérêt. En 171 5, ators
qu'une crise commerciale amenait beaucoup de faillites
DEUXIEME PARTIE, — CHAPITRE II. lyS
à Bordeaux, les Portugais ont payé toutes leurs dettes
et ont soutenu de leur crédit la place de Bordeaux.
Leur principal commerce, ajoute M. de Courson,
est de prendre des lettres de change et d'introduire
Tor et l'argent dans le royaume ; ils en ont porté à la
monnaie de Bordeaux pour des sommes considérables
depuis Textinction des billets de banque (0 ; ils font
leur commerce avec honneur, et, sans eux, le com-
merce de Bordeaux et celui de la province périrait
infailliblement.
Le commerce de Bordeaux, continuait-il, consiste
dans la vente des vins et eaux-de-vie, qui sont le prin-
cipal revenu de cette ville et de presque toute l'élection
de Bordeaux, qui est considérable. Les propriétaires
de vignes trouvent dans la bourse des Juifs portugais
les sommes dont ils ont besoin pour leur culture ; les
marchands commissionnaires, des lettres de change
pour remplir leurs commissions, acheter les vins et
payer les droits du roi.
Il terminait en disant : c Les Juifs avignonais sont
> seulement tolérés. »
Les observations du sous-intendant eurent pour
résultat de faire accorder aux Juifs portugais leur
requête. Le roi Louis XV donna, à Meudon, en
juin 1723, des lettres-patentes par lesquelles, « sur les
]» suppliques des Juifs des généralités de Bordeaux et
> d'Auch, connus et établis dans le royaume sous le
> titre de Portugais, autrement nouveaux chrétiens,
(i) De la banque de Law.
176 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
]) et la représentation des lettres-patentes de i55o et
» autres, > le roi annula Tarrêt du Conseil de 1722, et
ordonna Texécution des privilèges. Ces lettres furent
enregistrées au Parlement de Bordeaux le 1 1 septem-
bre suivant.
La confirmation des privilèges accordés aux Juifs
portugais et espagnols en i55o, 1574, i58oeti656
coûta 100,000 livres et 2 sous pour livre en plus.
Cependant le fisc ne perdait pas les Juifs de vue, et
à peine trois ans s^étaient écoulés depuis qu'il leur
avait fait acheter 100,000 livres la confirmation de
leurs antiques privilèges, que M. le contrôleur général
Leblanc demanda à l'intendant de Bordeaux s'il n'y
aurait pas possibilité de soumettre les Juifs portugais
à une taxe quelconque. Celui-ci lui répondit, le
4 août 1727, qu'ils avaient obtenu, en juin 1723, des
lettres-patentes portant confirmation de leurs privi-
lèges; que le mémoire en vertu duquel ces lettres
avaient été enregistrées avait été communiqué à mon-
seigneur le maréchal de Berwick, commandant la
province, à MM. ^du Parlement et aux jurats; que
d'ailleurs les Juifs avaient payé 100,000 livres pour
la confirmation de leurs privilèges ; il insista vivement
sur leur utilité pour le commerce de Bordeaux et de
la province.
Cependant, après avoir dressé l'état des Juifs avi-
gnonais, on n'avait pris contre eux aucune mesure,
parce qu'ils ne possédaient pas d'immeubles qui pus*
sent être saisis au nom du roi. Ils étaient restés dans
la ville, et les plus influents d'entre eux avaient, à
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE. II. 177
l'exemple des Juifs portugais, tenté d'étendre leurs
opérations commerciales hors du ressort du Parlement
de Bordeaux. Le Parlement de Dijon avait accueilli
les demandes que les uns et les autres lui avaient
adressées, et avait rendu deux arrêts, Tun le 22 juin
et Tautre le 29 juillet lySo, portant autorisation, par
le premier aux portugais Joseph- Raphaël de Sazia
père et fils, Saine Roger, David Ranès et Joseph de
Saint -Paul; par le second aux avignonais Lange
Mozé, David Petit et Jacob Dalpuget, tous de Bor-
deaux, de négocier pendant un mois de chaque saison
de Tannée dans le ressort de ce Parlement.
Sur l'opposition formée parles marchands de Dijon,
ces deux arrêts furent cassés par un arrêt du Conseil
d'État du 20 février lySi , qui défendit aux Juifs de
vendre et négocier hors du lieu de leur doihicile.
Le besoin de remplir les coffres toujours vides du
gouvernement poussait constamment l'autorité supé-
rieure à rechercher les moyens d'établir un impôt sur
les Portugais, qui payaient déjà toutes les taxes
auxquelles étaient soumis les bourgeois de Bordeaux.
Le 5 mai lySi, M. Orry, conseiller d'État, écrivit à
l'intendant pour lui marquer que S. M. avait fixé, le
3i décembre 17 15, par arrêt du Conseil, à 40 livres
par an, pour chaque chef de famille, le droit de
protection et d'habitation pour les Juifs de Metz, et
qu'elle désirait percevoir le même droit à Bordeaux
11 demandait toutefois l'avis de l'intendant.
Celui-ci répondit le 29 juin qu'il y avait une grande
12
lyS HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
différence entre les Juifs de Metz, qui étaient simple*
ment tolérés, et les Portugais de Bordeaux, dont les
droits reposaient sur des lettres -patentes des rois,
souvent renouvelées; qu'on ne pouvait imposer à
ceux-ci la taxe des Juifs de Metz, applicable tout au
plus aux Avignonais établis à Bordeaux.
M. Orry insiste. Le 24 novembre, il accuse récep-
tion à M. de Boucher du mémoire exposant les
privilèges des Juifs; il demande sUls paient la taille et
les capitations, et pense qu'ils ne doivent pas être
entièrement exempts de la taxe de protection, c Au
:» reste, dit-il, vous distinguez les Juifs connus sous le
]» nom de marchands portugais d'avec les Avignonais,
> je ne comprends pas très bien cette distinction. »
L'infatigable M. de Boucher recommence à exposer
la thèse si souvent plaidée par lui. Il répond, le
7 décembre lySi, que les marchands portugais établis
à Bordeaux jouissent des mêmes privilèges que les
habitants de la ville, qu'ils paient la même capitation
et sont sujets aux mêmes corvées; mais qu'ils ne
passent jamais par les charges municipales parce
qu'ils ne peuvent posséder aucun office ;
Qu'il y a d'ailleurs une grande différence entre eux
et les Avignonais. Ceux-ci ne sont venus qu'à la faveur
des autres, ils sont en général fort pauvres et fort
misérables. Leur principal commerce consiste à vendre
dans les rues de vieilles hardes et de vieux habits. Ils
n'ont aucune union ni commerce avec les Portugais,
qui les méprisent fort. Us paient la capitation, et ont
dernièrement payé 4,000 livres pour droit de confir-
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE II. 179
mation à cause du joyeux avènement de S. M. à la
couronne.
Ce don de joyeux avènement ne devait pas empêcher
S. M. de donner Tordre de chasser les Avignonais.
Quant aux Portugais, on s'occupait de rechercher
les moyens de les empêcher de pratiquer leur religion.
Le 27 septembre lySS, M. de Boucher reçut de
M. le chancelier la demande de renseignements détaillés
pour savoir si les Israélites de Bordeaux pratiquaient
ostensiblement leur religion et s'ils avaient des
synagogues.
L'intendant ordonna à M. de Puddefer, aide-major
de Bordeaux, de lui faire un rapport à ce sujet.
Ce rapport fut remis le 8 décembre 1733 à M. de
Boucher, qui fournit, le 7 février 1734, les renseigne-
ments qui lui étaient demandés.
Le rapport constate que les recherches ont été
faites avec toute la circonspection et le secret requis.
Il donne des renseignements importants sur l'état
de la population juive de cette époque, aussi allons-
nous en citer les passages les plus saillants :
« Il y a à Bordeaux 35o familles juives tant portu-
1 gaises qu'avignonaises , formant un ensemble de 4 à
È 5,000 âmes (0: toutes ces familles sont venues s'établir
» à des époques différentes ; quelques-unes y sont de
> père en fils depuis un temps immémorial et pren-
» nent la qualité d'anciens bourgeois de Bordeaux.
1 Le nommé Gradis a été reçu bourgeois en 1731 .
(1) Cela ne pouvait faire que 1,400 à i^Soo âmes.
l80 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
» 5 OU 6 de ces familles font le commerce d'arme-
» ment et de denrées avec TAmérique, quelques
» autres la banque ; leur commerce est très considé-
> rable; ils ont Targent des principaux de la ville soit
» dans la robe, soit dans Tépée, ou ceux-ci tiennent le
» leur; plusieurs font le courtage de papier et de
» marchandises; nombre d^autres le commerce de
» toiles de coton ; d^autres celui du chocolat, thé, café,
:» porcelaine. Parmi les Avignonais (tribu de Benja-
:» min), quelques-uns font le commerce de draperie,
]» mais la majeure partie revend par la ville des vieux
> galons d'or et d'argent, ou fait le commerce de la
» friperie.
» Ils ont établi sept synagogues ou congrègues,
> dans lesquelles ils exercent leur culte avec liberté
]) et sécurité, et même ostentation. Ils ont pour leurs
1» cérémonies de très beaux ornements, des chappes de
» drap d'or, d'étoffes d'argent et de velours, ornées
]) de magnifiques crépines ; des ornements et des lustres
]» et lampes en argent massif d'un poids considérable.
> La synagogue servant aux juifs qualifiés est située
]» dans la rue Bouhaut, dans une maison appartenant
9 à M. de Guilleragues , chevalier d'honneur du Par-
> lement, occupée par le sieur Henriquès Lopès. Elle
:» est établie depuis huit mois.
» Même rue, dans la maison appartenant au sieur
]) Petit, tailleur catholique, il y a une synagogue
» appartenant aux Juifs avignonais de la tribu de
:d Benjamin.
9 Même rue , dans la maison occupée par le sieur
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE II. l8l
> Léon Peixotto et lui appartenant , est une autre
:à synagogue de la tribu de Juda.
Y Même rue, dans la maison appartenant à M. Du
> Plessy de PoJBFerrat, conseiller aux requêtes, et
> occupée par un juif, est une autre synagogue de la
9 tribu de Juda.
)» Dans la rue des Augustins et vis-à-vis la grande
» porte de Téglise du couvent, est une autre synagogue
:à. dans une maison appartenant à Bastouil, huissier
1 de la Bourse consulaire, et occupée par un juif
3 nommé Fereyra.
» Dans la même rue, dans une maison occupée par
>. un juif, et appartenant au sieur Tannesse, catholique,
» il y a une synagogue qu^on appelle synagogue géné-
» raie.
> Enfin , dans la rue du Cahernan , maison appar-
» tenant à M. Bensse, secrétaire du Roy, est une
9 septième synagogue tenue par le sieur Gradis.
1 II y a des rabbins pour prêcher la loi et renseigner
» aux enfants. Voici le nom de deux : Joseph Falcon
> et Attias. Ils sont vêtus avec de grandes robes
3 noires, et n^ont pas d^autre habillement. Ils ont
» plusieurs prêtres, du nombre desquels sont Abraham
3 Ferreyre, Jacob Mendès et Abraham Lopès.
» Il y a 5 à 6 ans que les Juifs portaient encore
3 leurs enfants dans nos églises pour y recevoir le
3 baptême ; mais depuis cette époque ils font publique-
3 ment la circoncision aux enfants en présence des
3 rabbins. Ceux-ci font les mariages aussi publique-
3 ment que les chrétiens. 3 Et le brave aide-major
l82 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
ajoute naïvement : c sans même demander dans Toc-
:» casion de dispenses à Tofficialité, ni de bulles au
> pape.
> Ils ferment leurs boutiques le samedi,, portent
]» publiquement à là main leurs livres de prières, leurs
» voiles blancs et autres ornements. Tantôt ils vont à
» la synagogue pieds nus, leurs souliers en pantoufles,
:» et déjarretés, tantôt les ailes de leur chapeau rabat-
» tues sur les yeux. Tout cela se fait sans mystère et
> à la vue des chrétiens. Leurs fêtes principales sont
» au mois de septembre pour les cabanes , à la lune
> de mars leurs Pâques ; à certaines époques , ils sont
^ revêtus du tala, et portent sur eux des cecis avec
D des bouts pendants de laine blanche. Ils chantent et
^ prient à haute voix. Ils se servent souvent d^une
j» corne appelée le Sosopha pour appeler Tange qui
^ était dans le désert.
T^ Ils ont pour domestiques de jolies paysannes,
ï qu'ils rendent enceintes pour servir de nourrices à
^ leurs enfants ; et font porter ceux dont ces jeunes
> paysannes accouchent à la boëte des enfants trouvés.
1^ Les Juifs ont acquis depuis 2 ou 3 ans des terrains
^ sous les murs de la paroisse Saint-Julien. Ce sont
^ les lieux de la sépulture de leurs morts ; ils font leurs
ï> enterrements très publiquement, et souvent même
» pendant le jour; et quand ils craignent que le peuple
j^ les insulte, ils se font escorter par un des chevaliers
> du guet avec des soldats. 1^
Pour donner une idée complète de l'état des Juife à
Bordeaux dans ce moment, nous ajouterons qu'ils
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE II. l83
étaient assimilés aux autres habitants de Bordeaux,
sauf qu^ils étaient exempts des gardes bourgeoises
leurs jours de fête et ceux de sabbat.
Le rapport constate qu'il arrivait de temps en temps
de nouvelles familles venant d'Espagne et de Portugal.
€ Il y a environ quatre mois qu'il arriva trois familles
* venant d'Espagne ; tous ont été circoncis et remariés
> par les rabbins. >
Cette dernière phrase indique qu'en Espagne, depuis
la conversion forcée de 1492 , les Juifs devenus chré-
tiens conservaient leur foi religieuse en secret , et que
lorsqu'ils pouvaient arriver dans une contrée plus
tolérante, bien que près de trois siècles se fussent écou-
lés, ils s'empressaient de repousser le culte qui leur avait
été imposé et de reprendre les marques de la loi de
Moise.
En envoyant son rapport, M. de Boucher y joignait
un autre mémoire pour expliquer les moyens qu'il
croyait propres à faire cesser les entreprises des Juifs
au sujet de l'exercice de leur religion.
€ La nation juive, disait-il, ne compte de nombreux
> religionnaires qu'à Bordeaux et à Bayonne. Cette
3 nation est très craintive et toujours en alarmes sur
» les ordres de la cour. Bien loin d'être aimée des
Y chrétiens, elle leur est en horreur; et si elle se main-
> tient avec autant de succès, ce n'est que par l'utilité
ï qu'en retirent quelques personnes d'autorité dans
> les divers tribunaux et états, mais qui les abandon-
» neraient à la première disgrâce.
184 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
> Le petit nombre des Juifs meslé et confondu
]» parmi tant de chrétiens ne doit jamais faire craindre
3> le moindre soulèvement de leur part.
» Le roi peut, sans difficultés, ordonner que les
]» synagogues seront détruites, avec défense aux Juifs
» de quelque tribu qu'ils puissent être de les rétablir.
:t En conséquence, il ne sera plus permis aux Juifs
» de s'assembler pour prier, sous quelque prétexte que
^ ce puisse être, sous peine d'être chassés du royaume
^ avec confiscation de leurs biens, et même de peines
» corporelles;
D Leur défendre d'avoir des chrétiens pour domes-
ï> tiques, et de communiquer charnellement avec eux ;
» Leur défendre d'avoir des rabbins ou autres
]» personnes caractérisées pour leurs cérémonies ; saisir
:> les ornements et vases sacrés pour en disposer ainsi
» que le roi l'ordonnera; défense de fermer leurs
:» boutiques, si ce n'est dans les jours ordonnés par
» l'Église romaine;
:» Ordonner qu'ils se retireront dans leurs maisons
» aux jours de procession du saint-sacrement, et que,
» s'ils se trouvent par hasard dans les rues lorsqu'on
> portera le viatique à un malade, ils devront se tenir
» avec décence et respect comme les chrétiens. >
Il est regrettable de voir que ces mesures obtinrent
l'approbation complète de la cour, et qu'un illustre
magistrat crut devoir y attacher son nom. Le
14 juin 1734, le chancelier d'Aguesseau écrivit à l'in-
tendant pour donner ordre de faire exécuter rigou-
reusement toutes les mesures qu'il avait proposées
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE H. ïfiîS
contre les Israélites, et il ajouta : cVous aufez soin
1 de leur faire connaître que c^est par un excès de
1 bonté qu^on n'a pas voulu d'abord se porter à de
]» plus grandes extrémités en les traitant avec toute
» rigueur... Je ne sçais s'il ne seroit pas mieux de
» faire agir le Parlenjent par voie de police et de
:f règlement général, que d'employer le nom du Roi
» dans cette affaire. >
Quant aux Avignonais, qui n'étaient pas protégés
par des lettres-patentes, l'ordre du ministre, conforme
à l'avis de l'intendant, était d'exécuter à leur égard
l'arrêt du 21 janvier 1722, c'est-à-dire de les expulser:
Avant de nous occuper de cette portion de la popu*
lation Israélite, nous devons, pour compléter le tableau
que nous avons présenté relativement aux Portugais,
indiquer quelle était à cette époque l'importance de
leur nombre et leur police particulière.
Pour secourir les pauvres, la nation espagnole et
portugaise s'était de tout temps imposé des contri-
butions annuelles et proportionnelles sur chaque chef
de famille. En lySo, le nombre des pauvreç et celui
des vagabonds de leur nation, qui venaient s'établir à
Bordeaux sans en être originaires, ayant beaucoup
augmenté, les syndics de la nation s'adressèrent à
l'intendant, et lui demandèrent de rendre exécutoires
les rôles des impositions arrêtés, conformément à
l'usage, par le trésorier des pauvres et par ses adjoints,
et d'ordonner que les Juifs vagabonds seraient ren-«
voyés de la ville avec défense de s'y établir.
i86
HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
M. de Boucher rendit, le 12 avril lySo, une
ordonnance pour rendre les rôles exécutoires et pour
ordonner que les vagabonds de la Nation seraient
tenus de sortir de la ville sur le requis des syndics,
avec défense d'y revenir à peine de punition exem-
plaire.
Cette ordonnance amena des exécutions judiciaires
contre divers imposés qui refusaient de payer.
En vertu de cette ordonnance, il fut dressé, le
35 avril lySo, un état de répartition qui indique le
nom des chefs de famille établis à Bordeaux, et leur
fortune relative, puisque Timposition était proportion-
nelle. Voici ce document :
17 Avril 1730. — Taxe faite par la Nation pour
de 2,000 livres.
Vannuel
MM.
Pcreyre et 1 3o livr.
Peizotto et fils 100 —
Antoine Lameyra..... 80 —
David Gradis 80 —
Georges Francia 80 —
Antoine Francia jS —
Philippe Fernandez... 75 —
Samuel Gradis 60 *
Lamego 60 —
Veuve Médina et fils. • 60 —
Mendès père et fils... . 5o —
Lopèa Depat frères ... 5o —
Veuve Toledo et fils • • 5o —
Raphaël frères 3o —
Veuve Niero 4x> —
A. Lameyra 40 —
Abraham Lameyra ... 40 —
Alexandre 40 —
MM.
Tinoques 40 livr.
Mesquite 40 ^
Gabriel Silva 40 —
Henri et A. Dacotta... 40 -^
Daniel Campo 3o —
Pierre Henriquèt 3o —
Mosé Henriques 3o —
Henri Gomès 3o ^
Philippe Lopèt 3o —
Henri Lopèt 3o *
Aaron Campos ...... . 25 —
Salzedo 20 —
Carvalho 20 —
Gabriel Lopès Depas.. 20 *
Salomon Lameyra. ... 20 —
Silva jeune 20 —
David Mendèt 20 —
Pere)rra Suarès • 20 —
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE II.
187
Jacob Fernandez
Pinto
DelbaiUe
Baez Faîne
Abr. Alvarès de Léon.
Mendès France ,
Samuel Navarro ,
Abr. Ferreyre
A. Lopès ,
Sarrotte
Biaise Dacosta
Abr. Paez
Aaron Rodrigues . . . . ,
Gaspard Francia
20 livr.
25 -
i5 -
i5 —
i5 -
i5 —
i5 -
i5 -
12 —
12 —
12 —
12 —
12 —
12 —
MM*
Jacques Lopès fils 12 livr.
Dominique Campo.... 10 —
Paez jeune xo —
Castro 10 >-
Veuve del Campo 10 —
Gradis frères 10 —
Cadet Cardozo 10 —
Samuel Ferreyre 10 — -
Charles Louis 10 —
Isaac Rodrigues 10 <—
Veuve Nonès et fils . . . 10 •*
Veuve Sasportas 10 —
Fonséca. 10 -^
Cardozo 10 —
Bordeaux, le 25 avril 1730. Signé : Abnh. Psizotto, trésorier;
Jos. fAEoinAf adjoint ; Samuel Graùis^ adjoint; J.-B. Brandon,
Ant. Lametra et Alphonse Laxbgo, Alizaicdre fils, Philippe
FasMANDis et Henry Lopès.
Tel était donc Tétat et le nombre des chefs de
famille portugais au moment où d^Aguesseau ordon-
nait de faire revivre, à leur égard, les prescriptions
vieillies et tombées en désuétude des anciens conciles
et les ordonnances rendues par les rois aux époques
d^ignorance et de fanatisme.
{in. — JUIFS AVIONONAIS.
État d«s. Juifs avignoûaU en 173a. — 1734. Nonvel arrêt d'espaliion. -* Tempé-
raments apportés par M. de Boucher.
Les' marchahdfe d'étoffes de Bordeaux réclament l'expulsion des Avignonais. —
Importance du commerce des étoffes k Bordeaux. «^ Nouvelle ordonnance de
rintendant'pour chasser les Avignonais. <— Résistance de ceux-ci. <— Les
Daipuget appuyés par le Parlement , les principaux gentilshonunes et plusieurs
- religieux. ^^ Ils obtiennent la permission de- rester : ordonnance du roi de 1749.
Nouvelles pli^iptes des miirchandsde draperie et de soierie. -* Industrie de& habits
confectionnés. — Autorisation de séjour à de nouvelles familles avignonaises.—
Astruc. »- Lange.
Vues de M. de fourny sur l'autorisation de séjour. — Ordonnance de M. de
Toumy, du 6 juin 175 1, et demande de renseignements par le maréchal de
Belle-lsle.
1753. Mémoire et projet de règlement adressés k M. de Saint-Florentin psr
M. de Toumy. *- Dispositions proposées par Tintendant.
Les Avignonais, avons -nous dit, devaient être
expulsés. Mais cette opération, ordonnée par arrêt du
conseil du 21 février 1722, rencontra de nombreuses
résistances et ne put être exécutée qu'en partie.
L'arrêt- ordonnait de dresser l'état des Israélites
avignonais et tudesques et de leurs familles, et de
confisquer leurs immeubles.
Les lettres-patentes de 1723, favorables aux Por-
tugais, n'avaient pas pour efiFet d'annuler l'arrêt du
Conseil quant aux Avignonais et aux Allemands.
L'état de ces Israélites fut dressé, le 20 avril 1722,
par Lange Mossé et Joseph Vidal. Il comprenait vingt
et une familles :
Joseph Vidal né à Beaucaire, à Bordeaux depuis 2 5 ans ;
5 enfieints.
Mofse Lange né à Avignon, à Bordeaux depuis 3o ans ;
2 fils mariés avec enfieints.
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE II. 189
Joseph Petit. ,,% né à Avignon, à Bordeaux depuis z 2 ans ;
I fils marié avec i enfant.
Joseph Dalpuget né à Avignon, à Bordeaux depuis 7 ans ;
père, mère, femme, 3 enfiints.
Sema David né à Avignon, à Bordeaux depuis 1 8 ans ',
marié.
Joseph Cassin • . . « . né à Avignon^ à Bordeaux depuis 48 ans ;
I fils marié avec enfants.
Moïse Saint-Paul né à Avignon, à Bordeaux depuis 14 ans ;
marié, 2 enfants.
Salon Dalpuget né à Avignon, à Bordeaux depuis 6 ans;
marié, 2 enfiints.
Léon Carcassonne né à Avignon, à Bordeaux depuis 17 ans;
marié, 2 enfiints.
Isaac Rouget né à Avignon, à Bordeaux depuis 1 2 ans;
marié.
Samuel Atar né à Avignon, à Bordeaux depuis 14 ans ;
marié.
Israël Dalpuget. né à Avignon, à Bordeaux depuis 20 ans ;
4 enfants.
Joseph Cohen né à Nice (Provence), à Bordeaux depuis
4 ans; i enfant.
Jaquassue dit Perpignan, né à Avignon, à Bordeaux depuis 4 ans;
I enfant.
Samuel Rouget né à Avignon, à Bordeaux depuis 14 ans ;
I enfant.
Samuel de Sazia né à Avignon, à Bordeaux depuis 14 ans ;
femme, 4 enfants.
Salomon Astruc né à Avignon, à Bordeaux depuis 14 ans;
femme, i enfant.
Lange Rouget né à Avignon, à Bordeaux depuis 14 ans ;
. I fils marié.
David Petit né à Avignon, à Bordeaux depuis 3 ans;
X fils marié.
Joseph de Carcassonne. . né à Avignon, à Bordeaux depuis 4 ans;
I fila marié.
Quelques-uns de ces Avignonais faisaient le cour-
tage; d^autres, notamment les Dalpuget, le commerce
des étoffes et des soieries; enfin, les autres étaient
marchands de vieux habits.
igo HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Les Avignonais, qui étaient de la tribu de Benjamin,
avaient pour adversaires, en premier lieu, leurs
coreligionnaires venus d^Espagne et de Portugal,
descendants de la tribu de Juda, et, en second lieu,
les marchands de la ville, auxquels ils faisaient
concurrence.
L^arrêt duG>nseil de 1722 n'avait guère été exécuté
que par le recensement des Juifs avignonais; il ne
paraît pas, en effet, d'après la correspondance de
M. de Boucher, qu'ils eussent d'immeubles qu'on
eût confisqués; il ne paraît pas non plus qu'on ait
tenu la main à leur expulsion. Mais il ne pouvait en
être de même en 1734, au moment où nous venons
de voir les Portugais eux-mêmes, jusque-là si bien
protégés par l'intendant, être l'objet des mesures
surannées ordonnées sur son avis par le chancelier
d'Aguesseau. Un nouvel arrêt du Conseil renouvela
les ordres de 1722 :
« Le Roi étant informé... qu^au préjudice des défences qui
ont été faites par diverses ordonnances... ouY le rapport du
sieur Orry, conseiller d*État... S. M. étant en son conseil, a
ordonné et ordonne que tous les Juifs avignonais, tudesques
ou allemands qui se sont établis à Bordeaux ou autres lieux
de la province de Guienne, seront tenus d'en sortir, eux et
leurs familles, sans aucun délqy. Et leur foit S. M. très
expresses inhibitions et défences d*y rentrer ni séjourner
sous les peines portées par Aos ordonnances ; et enjoint au
sieur commissaire départy pour l'exécution de ses ordres
dans ladite province de Guienne de tenir la main à Texécution
du présent arrêt, qui sera lu, publié et affiché partout où
besoin sera.
» Fait en conseil d^État du Roy, S. M. y étant, tenu à
Marly le ai janvier 1734. Signé Chauvelin. »
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE II. I9I
Commission sur arrêt fiit donnée à M. de Boucher,
qui ordonna aux Avignonais et Allemands de quitter
la province dans trois jours de dilay, ou que sinon
ils seraient jetés en prison.
Cependant, malgré le texte de son ordonnance,
M. de Boucher accorda un délai général d'un mois;
mais, en outre, il y avait des malades, des vieillards,
des femmes grosses, des négociants dont les affaires
étaient difficiles à liquider dans un aussi bref délai et
dont la liquidation intéressait des chrétiens. Un nou-
veau délai de deux mois fut accordé à neuf familles,
et toutes les autres durent partir. Suivant une lettre
de M. Orry, du 14 mai, ces familles espéraient se
faire oublier; elles continuaient en silence leur petit
commerce d'étoffes de drap, de soieries et de galons.
L^autorité sommeillait, mais la rivalité commerciale
n'était pas endormie. En novembre 1734, les mar-
chands drapiers et merciers de Bordeaux adressèrent
un mémoire à M. de Boucher pour lui représenter
que les Juifs avignonais ou tudesques étaient encore
dans la ville sous divers prétextes, et y vendaient
clandestinement leurs marchandises, ce qui replon-
geait les suppliants dans les malheurs que la bonté
et la justice de Sa Majesté et la protection de mon-
seigneur l'intendant leur avaient fait espérer éviter. Ils
réclamaient l'entière expulsion des Juifs de la province
de Guienne, conformément à l'arrêt du Conseil du
21 janvier.
Cette requête est signée : Bellate, Bordes, Jean-
102 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
dreau et Pourctn, S. Miramond, Agard, Roberdeau,
J. Chapu, PiffoD, J. Catas, Cornilhot, J. Manent,
Congés et Arrouch, Beaulon, Brun, Boyreau, S.
Aignan et Belly, Vincent, Laflargue et Rey, Larti-
gue, Lartigue lîls, Beaulon aîné.
Par ordre de l'intendant il fut dressé un inventaire
des marchandises, draperies, soieries, galons d'or et
d'argent, etc., avec estimation de leur valeur, qui se
trouvaient dans les magasins des Juife avignonaîs
Joseph et Jacob Dalpuget, Lange Mozé, Manuel Dal-
puget, Léon de Carcassonne, Salon Dalpuget, Joseph
Petit, David Petit, Nathan Astruc, Joseph Cassein.
Ces inventaires sont très instructifs, soit quant aux
dénominadons et aux qualités des étoffes usitées, soit
au point de vue comparatif de leur prix.
Le commerce des étoffes paraissait d'ailleurs fort
important à Bordeaux dès cette époque, car le roi
avait cru devoir établir dans cette ville, par un arrêt
du Conseil de février 1734, un bureau de visite et
plomb de contrôle sur les étoffes. « Sur ce qui a été
» représenté au roi en son conseil que le commerce
» des draps et autres étoffes de laine ou mêlées de
» laine, soye, poil, fil, coton et autres matières, qui se
» fait dans la ville de Bordeaux, mérite d'autant plus
» d'attention qu'outre le commerce considérable qui
9 s'y consomme pour l'usage des habitants, les mar-
B chands de la province de Guienne et autres provinces
n voisines y achètent pendant les foires et autres temps
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE II. igS
» de Tannée, les draps et autres étoffes dont ils ont
^ besoin, i»
Cependant les familleS avignonaises qui avaient
obtenu un répit à Tordre d'expulsion, avaient réussi
tellement à prolonger ce délai qu'elles étaient encore à
Bordeaux le 12 décembre lySg. A cette date M. de
Boucher rend une ordonnance pour faire rigoureuse-
ment exécuter Tordre de sortie de Bordeaux; il la
notifie, en accordant huitaine, aux Dalpuget, Lange,
Cassein, Astruc, Petit, Carcassonne, Rogé-Vineygre,
Jacob Perpignan et Rouget; et comme elle n'était
pas assez sévèrement exécutée, il la renouvela le
28 février 1740, en n'accordant que trois jours pour
sortir de la ville.
Alors, les uns essayèrent de ruser et de se cacher
dans les environs : à Lormont, par exemple, d'où ils
se rendaient secrètement à Bordeaux. L'intendant les
fit saisir, mettre en prison, puis relâcher avec injonc-
tion de départ. D'autres essayèrent d'obtenir une per-
mission de séjour et de résidence.
Les Dalpuget, riches marchands de soieries et
d'étoffes, se firent vivement appuyer par les plus hauts
personnages, parmi lesquels nous citerons M™® la
princesse de Conti et M™® la princesse de Rohan.
Ils présentèrent des attestations portant qu'ils étaient
établis depuis plus d'un siècle à Bordeaux; qu'ils
faisaient un commerce utile au public et dans lequel
ils s'étaient toujours montrés probes et honnêtes. Le
i3
194 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Parlement presque tout entier appuya leurs demandes
des signatures de ses membres. Nous y remarquons
les suivantes :
M. le procureur général D« Vigier, baron de Saint-
Martin; le premier avocat général Pierre Dudon,
baron de Boinet;
Le doyen du Parlement, M. de Vincent; les pré-
sidents Le Comte, de Lavie, d'Augeard, Denis; les
conseillers Ragueneau; Bigot; de Licterie; Mathieu
de Bacalan; Majance de Camiran, vicomte de Fon-
caudc; de Nort; Leblanc de Mauvezin; de Paty de
Julies, baron du Rayet ; Delpy de La Roche ; Chillaud-
Desfieux, comte de Sommensac ; Barthélémy de Baste-
rot; Malvin, marquis de Montuzet; le greffier en chef
du Parlement, M. Roger; le chevalier d'honneur du
Parlement, M. de Guilleragues. — D'autres magis-
trats influents : Joseph Duroy, premier président de
la Cour des aydes; Bernard Aubry, trésorier de
France. — Plusieurs gentilshommes des plus impor-
tants : le marquis de Montferrand, premier baron et
grand sénéchal de Guienne; le comte de Sainte-Maure;
M. du Bouzet, marquis de Poudenas; le comte de
Foix-Candale ; Savîgnac; Bensse; de Gaufreteau; de
la Neufville; Morel de Ferrachapt; de Boucaut; du
Sault, etc. En^n les chefs de plusieurs communautés
religieuses d'hommes et de femmes avaient aussi
appuyé la demande des Dalpuget : le prieur des car-
mes, celui des augustins, etc.
Grâce à ces nombreux et puissants protecteurs,
Jacob et Emmanuel Dalpuget obtinrent la permission
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE II. igS
de rester; mais il leur fut défendu de faire le com-
merce des draperies et soieries.
Leur position fut régularisée par une ordonnance
du roi en date du 22 avril 1749.
Il paraît cependant qu'ils continuèrent à faire clan-
destinement le commerce des draperies et soieries qui
leur avait été interdit, car les marchands catholiques
portèrent leurs plaintes à l'intendant. M. de Tourny
rendit, le 11 février 1760, sur la requête des mar-
chands de draperies, soieries et dorures, afin de faire
exécuter l'arrêt d'expulsion contre les Avignonais et
de faire défense aux sieurs Dalpuget de vendre les
objets dont s'agit, une ordonnance par laquelle, visant
l'ordonnance royale du 1 2 août 1 749 qui prescrivait
aux Dalpuget de se borner au commerce de banque et
à celui des îles d'Amérique, il fit défense aux Dalpuget
de débiter à Bordeaux leurs draperies, soieries et
dorures en d'autres temps que celui des foires, en leur
permettant toutefois de faire ce commerce avec les
îles, — et débouta les marchands drapiers de Bor-
deaux du surplus de leurs demandes.
Les marchands drapiers virent bientôt surgir une
nouvelle espèce de concurrence, celle des habits con-
fectionnés, qui fit sa première apparition à Bordeaux
en 1750, et ils s'adressèrent au Parlement pour la
faire cesser.
Les sieurs Rouillard, Périer, Cornilhot et Chapus,
gardes jurés des marchands de draperie et soierie de
196 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Bordeaux, dans leur requête au Parlement, exposèrent
que, conformément à l'arrêt du 22 juin 1743, il était
défendu à tous marchands forains et autres étrangers
de vendre à Bordeaux, en temps de foire ou autre-
ment, aucune sorte de marchandise du commerce des
suppliants à peine de saisie, confiscation et de 3oo liv.
d'amende, sans préjudice aux marchands étrangers de
venir à Bordeaux pendant le temps des foires et d'y
vendre les marchandises en gros, en pièces et sous
cordes et ficelles; que ces dispositions ont eu pour
objet de favoriser les suppliants en leur permettant de
soutenir leurs familles, de payer les impositions
royales, et aussi de faire fleurir le commerce ; que le
nommé Dubillon, soi-disant chaussetier et poulpoin-
tier, s'est avisé pendant le cours de diverses foires de
Bordeaux d'y faire porter une quantité prodigieuse
de toutes sortes d'habits, vestes et culottes de toutes
sortes d'étoffes et les vendre en détail ; qu'en vendant
ces habits tout faits, il porte préjudice aux suppliants.
Le Parlement, par son arrêt du 27 février 1750,
rendu sous la présidence du premier président Leber-
thon, fît défense à tous de vendre aucune espèce
d'étoffe du commerce des suppliants, soit en pièces,
soit en habits, en temps de foire ni autrement.
Cependant d'autres familles que celle des Dalpuget
avaient réussi à laisser passer l'orage de 1734 et
n'avaient obéi qu'en apparence aux ordres d'expulsion
de 1734, 1739 et 1740; elles continuaient discrète-
ment leur commerce d'étoffes; mais les marchands
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE II. 197
drapiers de Bordeaux ne voulaient pas tolérer cette
concurrence, et dans leur requête à M. de Toumy, en
1760, ils avaient demandé en même temps que de
faire rentrer les Dalpuget dans les limites qui leur
avaient été fixées, de faire exécuter rigoureusement
Tarrêt d'expulsion de 1734 contre touslesAvignonais.
Plusieurs de ceux-ci sollicitèrent l'autorisation de
séjour pour eux et leur famille. Nathan et Salom
Astruc et Moyse Lange s'engagèrent à se borner au
commerce maritime avec les îles et à la banque. Les
jurats de Bordeaux et le conseil des directeurs du
commerce furent consultés ; il fiit décidé qu'il y aurait
des inconvénients à accorder une permission générale,
mais qu'on pouvait accorder des autorisations indivi-
duelles. L'intendant donna un avis favorable aux
pétitionnaires, et, le 12 janvier 1760, une ordonnance
royale permit aux familles Astruc et Lange d'habiter
Bordeaux, ainsi que leurs descendants, pour faire la
banque et le commerce de mer. Il est constaté dans
cette ordonnance que les Dalpuget, les Astruc et les
Lange étaient justement estimés des habitants de
Bordeaux, et que leur demande avait été favorisée par
les jurats et la Chambre de commerce.
Cette brèche aux prohibitions générales de l'arrêt
d'expulsion de 1734 allait en entraîner d'autres. En
1751, M. de Toumy proposa au ministre de lever
l'arrêt de 1734, en ce sens* qu'il serait permis aux Juifs
avignonais de résider en France, par un brevet de
Sa Majesté rendu sur le rapport de l'intendant et par
igS HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
personne individuelle. Il se plaignait en même temps
qu'un grand nombre de vagabonds se disant Juifs
portugais infestaient le commerce de banque auxquels
ils se livraient sans autres fonds que Tintrigue et la
fraude, et il demandait de pouvoir, tout en respectant
les privilèges concédés aux Portugais par lettres-
patentes, retirer la permission de séjour à ceux dont
il parlait.
M. de Saint-Florentin approuva ses vues.
En conséquence M. de Toumy rendit, le 6 juin 1761,
une ordonnance pour enjoindre à tous les chefs de
famille juifs, portugais ou avignonais, tudesques et
allemands, de se présenter devant M. de Sorlus,
délégué, pour y déclarer leur nom, profession, âge,
demeure , leurs enfants, leurs domestiques et le temps
depuis lequel ils étaient établis à Bordeaux.
La question de la résidence des Juifs continuait à
préoccuper la cour, et, le 9 février 1752, M. le maré-
chal duc de Belle-Isle priait M. de Tourny de lui
envoyer des renseignements sur Tétat des Juifs de
Bordeaux.
M. de Tourny adressa à M. de Saint- Florentin un
mémoire et un projet de règlement.
Il est dit dans le mémoire que la saisie des biens des
Israélites qu'on avait voulu faire en 1722, avait eu
pour but de fournir une dotation à Tordre militaire de
Saint- Louis; qu'on n'avait pu atteindre entièrement ce
but, parce que les Avignonais n'avaient pas d'im-
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE II. * 199
meubles, et que les Espagnols et Portugais étaient
protégés par leurs lettres-patentes. Il reconnaît toute-
fois que s'ils réussirent à se faire confirmer dans leurs
privilèges en 1723, ce fiit moyennant un don gracieux
de 100,000 livres et 2 sous pour livre en faveur du
joyeux avènement de S. M. à la couronne.
Le rapport donne Tétat des Israélites à Bordeaux.
Les Portugais, établis en vertu de lettres-patentes,
sont au nombre de 327 familles, comprenant 1 698 indi-
vidus, et ayant 5 servantes Juives et 147 catholiques.
Les Avignonais, simplement tolérés, forment 8 1 fa-
milles, 348 individus, et ont 1 1 servantes catholiques.
Le rapport constate entre les Avignonais et les
Portugais une ligne de démarcation très apparente,
résultant non seulement de la différence de leur situa-
tion légale, mais surtout de l'inimitié qui existait entre
eux, et qui était beaucoup plus forte qu'entre les catho-
liques et les Portugais.
Il rappelle que les Portugais et Espagnols ont des
droits acquis reposant sur des lettres-patentes des rois ;
qu'ils sont sujets aux droits, aux taxes et aux patrouilles
comme les autres citoyens de Bordeaux ; mais il fait
remarquer qu'ils ont été reçus non en leur qualité de
Juifs, mais sous celle de nouveaux chrétiens; que
pendant longtemps , s'ils ont été fidèles à leur culte,
du moins ne l'ont-ils pas publiquement exercé, et se
sont-ils conformés pour les baptêmes, les mariages et
les sépultures, aux rites catholiques de leur paroisse ;
que cependant ils paraissent avoir exercé leur culte en
particulier ; mais que l'abus est arrivé, et que s'ils n'ont
200 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
pas de synagogue publique , ils en ont sept particu-
lières , avec de riches ornements et des vases sacrés,
qu^ils y accomplissent avec leurs prêtres les cérémo-
nies de leur loi, quHls y vont sans mystère et chôment
les jours de leurs fêtes et ceux du sabbat.
Quant aux Juifs avignonais , il fait remarquer que
trois familles seules ont le droit légal d'habiter Bor-
deaux, mais à la condition de ne pas faire le commerce
des étoffes de draperie et soierie, et de se borner
au commerce maritime et à la banque.
L'intendant propose un projet d'arrêt dont les dis-
positions principales sont les suivantes :
i^ Il serait dressé un état détaillé de chacun des Juifs,
comprenant tous renseignements sur lui ; 2® ceux qui
seront reconnus riches ou industrieux et de bonnes
vie et mœurs, seront autorisés à rester, ainsi que leur
postérité, et immatriculés à jamais, comme régni-
coles, à l'Hôtel de Ville; les vagabonds et gens sans
aveu seront expulsés; 3® les Espagnols et Portugais
qui voudront à l'avenir s'établir à Bordeaux, devront
justifier de leurs moyens d'existence; 4® quant aux
Avignonais et aux Tudesques, il sera statué indivi-
duellement sur chacun d'eux ; 5® dans tous les cas le
commerce de la draperie et des soieries leur sera
interdit; 6° il sera accordé le délai d'un mois à ceux
qui devront sortir du royaume.
Nous verrons plus tard quelles suites furent données
à ces dispositions.
} IV. — DISSENSIONS DES ISRAÉLITES ENTRE EUX.
Désunion entre les Portugais, les Allemands et les Avignonais.
i« Dissensions des Portugais avec les Allemands.
Vins Kasser. — MM. Harmeasen, SchrMer et Schyler, commissionnaires en
1740 des Israélites de Hambourg et d'Altona, pour l'achat des vins de
Bordeaux. — Taxe sur le vin Kasser payée au rabbin portugais de Bordeaux.
Le rabbin Jonathan Eybeschuck, à Hambourg, fait naître des doutes sur la valeur
des certificats du rabbin de Bordeaux.
Mandement du rabbin de Bordeaux. — Plaintes des négociants commissionnaires
et des propriétaires de vignobles à l'intendant — L'intendant maintient la taxe.
20 Dissensions des Portugais avec les Avignonais.
Motifs de ces dissensions.— Les familles avignonaises ayant permis d'habitation
demandent à jouir des mêmes privilèges que les Portugais. — Opposition des
marchands de draperie et de soierie. •— Opposition des Portugais.
Règlement des Portugais approuvé par le roi en 1 760.
Ordonnance du maréchal de Richelieu pour faire sortir de la ville les Avignonais
autres que les familles autorisées (1761). — Permission de rester accordée à §
quelques-uns : Tallemand Ephralm, les avignonais Sasias, Rousse de Rouagre,
Jacob Perpignan.
Les Portugais se font appuyer, auprès du maréchal de Richelieu, par un Portugais
de La Haye, M. de Pinto. — Lettre de M. de Pinto au maréchal de Richelieu.
» Réponse du maréchal. — Observations de Pereire. — Arrêt du Conseil
du 1 3 mai 1 763. — Situation des Avignonais vis-è-vis des Portugais.
30 Dissensions des Portugais entre eux.
Refus de plusieurs Portugais de se soumettre à la taxe. ~ Que devait-on entendre
par anciens? •— Griefs des anciens. — Décision du Conseil du 27 avril 1765,
et arrêt du as février 1766, qui règlent la police.
Nous avons déjà eu occasion dUndiquer que les
Juifs espagnols et portugais se considéraient comme
d'une race plus illustre que ceux de leurs coreligion-
naires qui n'étaient pas issus comme eux de la tribu
de Juda ou de celle de Lévi, qui seule avait le droit de
s'allier à la maison royale.
Fiers non seulement de la noblesse de leur origine,
202 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
mais encore de leurs richesses, de la situation prépon-
dérante qu'ils avaient acquise et que leur méritaient
leur probité et leurs lumières, ils avaient toujours
élevé une barrière entre eux et les autres sectateurs de
Moïse, non seulement à Bordeaux, mais dans tous
les lieux où ils s'étaient établis , à Venise , à Londres,
à Amsterdam. Ils étaient en outre séparés des Alle-
mands et des Avignonais non pas peut-être par des
dissentiments sur le dogme , mais du moins par des
différences sur l'observation plus ou moins sévère de
diverses prescriptions de la loi, ou encore sur certaines
pratiques religieuses.
Une de ces différences , intéressante pour le com-
merce des vins, amena des difficultés entre les Espa-
•gnols et Portugais de Bordeaux et les Allemands
d'Altona.
Les Allemands et les Avignonais, fidèles et minu-
tieux observateurs de toutes les pratiques du culte , ne
boivent que le vin qui a été fabriqué par des personnes
de leur religion et conformément aux recommanda-
tions des livres saints. Ils accusaient les Portugais de
ne se servir du vin consacré, ou Kasser, que pour
certaines cérémonies ; et, dans l'usage habituel, de ne
pas s'inquiéter de savoir si le raisin avait été foulé par
des juifs ou par des chrétiens, et de boire avec
plaisir le vin non consacré lorsqu'il provenait d'un
des bons crûs du Bordelais.
Les Juifs allemands avaient, eux aussi, appris à
connaître les qualités du vin de Bordeaux , et n'enten-
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE II. 2o3
daient pas s^en priver; mais ils voulaient le faire
travailler et préparer à leur manière par des ouvriers
de la loi Israélite.
Depuis le commencement du dix-huitième siècle^
les Juifs allemands de Hambourg et d'Altona faisaient
acheter en France, par deux maisons de commerce
chrétiennes, Harmensen et fils, et Schrôder et Schyler,
à des propriétaires bordelais, des vins qu'ils faisaient
préparer suivant leur rite. MM. Harmensen et
Schrôder et Schyler, pour Justifier que les vins qu'ils
expédiaient étaient Kasser, avaient l'habitude de se
munir d'un certificat du rabbin de la nation portu-
gaise à Bordeaux, et de payer un droit de 4 livres
par tonneau de vin, somme qu'ils portaient en compte
à leurs correspondants.
Les Juifs de Londres et d'Amsterdam payaient la
même redevance pour les vins qu'ils recevaient de
Bordeaux.
Le revenu de cette taxe était appliqué par le rabbin
et les anciens de la nation portugaise au soulagement
de leurs pauvres.
Vers 1 744, le rabbin Jonathan Eybeschuck, qui de
la synagogue de Metz était passé à celle de Hambourg,
soit par esprit de rivalité contre le rabbin de Bor-
deaux, soit parce qu'il préférait les vins du Rhin et
de la Moselle, recueillis sur les coteaux de son pays
natal, à ceux que mûrit le soleil sur les bords de la
Gironde, fit concevoir aux rabbins et aux savants
juifs de Hambourg et d'Altona des soupçons sur
204 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Texactitude du rabbin de Bordeaux et sur la valeur des
certificats qu'il délivrait. Il ne tarda pas à déclarer que
ces certificats étaient suspects, et défendit, dans toutes
les synagogues de sa secte, de recevoir le vin prétendu
Kasser de Bordeaux, même muni du certificat du
rabbin portugais de Bordeaux. Les marchands de vin
de Hambourg subirent par là de grandes pertes, obli-
gés de vendre à vil prix aux chrétiens ces vins
disqualifiés pour les Juifs. Ils envoyèrent alors à
Bordeaux le sieur Ephraïm avec un aide, pour assister
par lui-même à la préparation du vin Kasser suivant
la loi judaïque, et en certifier Torigine. Ces deux
hommes étant entretenus aux frais des négociants juifs
de Hambourg et d'Altona, ceux-ci se refusèrent à
payer la taxe de 4 livres par tonneau mise par les
Portugais sur le vin Kasser, disant que ne prenant
plus le certificat du rabbin de Bordeaux, ils ne devaient
pas le payer.
Par suite, en lySi, les Juifs de Hambourg et
d'Altona envoyèrent Tordre à MM. Harmensen et
Schrôder et Schyler d'acheter directement la vendange
sur pied aux propriétaires de vignobles, de la livrer
pour la faire travailler aux ouvriers juifs qui leur
seraient désignés par Ephraïm, et de refuser de payer
le droit qu'avait jusqu'alors perçu le rabbin de Bor-
deaux. Mais il ne fut pas possible de trouver des
ouvriers juifs, parce que le rabbin de Bordeaux publia
dans les s}magogues un mandement qui défendait de
travailler, pour rendre le vin Kasser, avant d'avoir
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE II. 2o5
payé le droit. Cette défense était faite sous les peines
religieuses les plus sensibles aux Juifs, comme de voir
leurs femmes bannies des bains publics et d'être privés
de sépulture. Les ouvriers intimidés refusèrent ou
abandonnèrent le travail.
Les négociants commissionnaires, fort embar-
rassés, portèrent plainte à Pintendant, qui, après
les avoir entendus, ainsi que le rabbin et les anciens,
ordonna, le 12 février 1752, que la taxe serait payée.
MM. Harmensen et Schrôder et Schyler présen-
tèrent requête à l'intendant pour qu'il revînt sur son
ordonnance. Les anciens des Portugais produisirent
la preuve que les Juifs de Londres et d'Amsterdam
payaient le droit du vin et des eaux-de-vie Kasser,
comme ils percevaient des taxes sur les marchandises
qui leur étaient expédiées par les Juifs de Bordeaux,
tous ces droits étant d'ailleurs au profit des pauvres.
L'intendant confirma son ordonnance le 27 jan-
vier 1753.
Cependant les Juifs de Hambourg et d'Altona ne
se tinrent pas pour battus ; ils remirent un mémoire
à M. Lagau, commissaire de la marine de France à
Hambourg; ils insistaient sur ce qu'ils prenaient par
an 3oo tonneaux de vin Kasser à Bordeaux, que
laisser subsister cet impôt c'était favoriser les vins
Kasser du Rhin et de la Moselle, qui ne payaient
rien.
Les propriétaires de vignobles se joignirent aux
206 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
demandes des Juifs allemands et danois pour deman-
der à rintendant la suppression de Timpôt établi au
prolSt du rabbin portugais. MM. de Trudaine et
Rouillé reçurent ces plaintes. Le 3 décembre lySS,
M. Rouillé écrivait à M. de Tourny : « Si vous trou-
j> vez la prétention injuste en elle-même ou contraire
p kla liberté du commerce, vous penserez qu'il n'y a
» point à hésiter à interdire aux Juifs de Bordeaux ce
p monopole. »
LHntendant laissa subsister le droit.
Le but de la taxe sur les vins Kasser était, avons-
nous dit, de subvenir au soulagement des pauvres
de la nation portugaise.
C'était également dans ce but qu'il avait été mis une
taxe pour l'usage des bains publics, pour la boucherie
et pour la fabrication des pains azymes.
A l'exemple des Allemands, qui avaient voulu
s'affranchir de la taxe sur les vins Kasser, les Avî-
gnonais voulurent s'affranchir des droits sur la bou-
cherie, les azymes et les bains, et, dans ce but, avoir
leurs établissements particuliers. Ils voulurent aussi
avoir leur police propre et indépendante des Portu-
gais; en un mot, s'ériger en nation séparée et indé-
pendante de celle formée par les Portugais et les
Espagnols.
Ils venaient à peine de recevoir le droit de résider
à Bordeaux , et déjà ils tendaient à croître en nombre
et en puissance.
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE II. 207
Les familles avignonaises qui seules avaient obtenu
en 1 749 la permission d'habiter Bordeaux pour elles
et leur postérité, venaient de voir d'autres familles
admises aux mêmes droits.
En 1757 les Dalpuget, Astruc et Lange, ainsi que
les Petit, Vidal et Cassin s'étaient adressés par sup-
plique au roi, et avaient demandé à jouir des mêmes
privilèges que leurs coreligionnaires espagnols et por-
tugais; ils avaient exposé que leur religion était la
même; qu'ils étaient dignes des mêmes faveurs par
une bonne foi, une probité pareilles ; que l'intérêt de
la ville de Bordeaux, cette ville commerçante, était de
conserver son ancienne franchise et son antique liberté
qui permettaient à tous de venir s'y établir et d'y faire
toute sorte de commerce sans être assujettis à obtenir
la permission des officiers de police. Ils exposaient
que si quelques marchands les rivalisaient, c'était sans
motifs véritables ; et que, s'ils donnaient leurs mar-
chandises à meilleur prix que d'autres, ce qui était
dans l'intérêt public, c'est qu'ils étaient économes et
assidus au travail.
Les exposants offraient de payer dans les mains du
sieur Morel, receveur des tailles à Bordeaux, la
somme de 60,000 livres pour être employée au bâti-
ment projeté pour les enfants-trouvés au lieu appelé
la Plate-Forme, par les soins de l'intendant M. Aubert
de Tourny.
Le roi, par lettres-patentes données à Versailles en
mai 175g, accorda aux six familles avignonaises
d'être exemptées des dispositions de l'arrêt du Conseil
208 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
du 21 janvier 1734 et des clauses et conditions prohi-
bitives portées par les brevets royaux des 22 avril 1 749,
12 juillet 1760 et 3 décembre 1753.
Les lettres-patentes du roi en faveur des Juifs ou
nouveaux chrétiens avignonais établis à Bordeaux,
portent que les sieurs Jacob et Emmanuel Hialpuget,
gendre et frères ; veuve Nathan Astruc et fils ; Léon
et Vidal Lange et frères; Salon Dalpuget et enfants;
Léon Petit et enfants ; David Petit et enfants, com-
posant ensemble le nombre de ' six familles, ont très
humblement fait exposer au roi que depuis longtemps
leurs auteurs, originaires d'Avignon, sont venus s'éta-
blir à Bordeaux sous le nom de marchands avigno-
nais, pour y faire le commerce, et qu'à leur exemple
ils s'y sont adonnés eux-mêmes, et n'ont rien oublié
pour le faire fleurir; mais que quelques-uns de leur
nation, pareillement établis à Bordeaux, ayant vendu
des marchandises prohibées et non conformes aux
règlements. Sa Majesté, sur le motif de cet abus, et
sur ce qu'un grand nombre d'autres marchands avi-
gnonais , tudesques ou allemands , s'étaient aussi
établis à Bordeaux depuis quelques années, au préju-
dice des défenses portées par l'arrêt du Conseil du
21 janvier 1734, ordonna qu'ils seraient tous expulsés
de la ville de Bordeaux et de la province de Guienne;
que cependant les exposants y ont continué leur rési-
dence, d'abord par tolérance, en considération de leur
bonne conduite et de leur bonne foi, attestées par des
personnes de tous les états de la ville ; ensuite en vertu
de différents brevets que Sa Majesté a bien voulu leur
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE II. 209
accorder, en les relevant et dispensant, ainsi que leurs
enfants et leur postérité, de la rigueur dudit arrêt; à
la charge néanmoins de ne pouvoir faire par eux-
mêmes, ni par personnes interposées, directement ou
indirectement, le commerce de draperie, ou de soierie,
en gros ou en détail, sous quelque prétexte que ce fut;
et sous la condition expresse de se borner et renfermer
uniquement dans le commerce de la banque et des
îles de l'Amérique, ou autres commerces maritimes;
Mais que, quelques choses qu'ils aient pu faire
depuis, à la faveur desdits brevets, pour faire fructifier
leur commerce, il s'est trouvé par là si restreint et si
borné qu'ils ont eu la douleur de le voir diminuer
successivement, surtout depuis les circonstances de la
guerre; et au point que, pour en prévenir l'entière
ruine, ils sont dans la nécessité de supplier Sa Majesté
de leur concéder, dans la ville de Bordeaux, les mêmes
droits et privilèges dont jouissent les marchands por-
tugais ou nouveaux chrétiens, en exécution de la
déclaration d'Henri II du mois d'août i55o, etdes
lettres-patentes, tant d'Henri III du 1 1 novembre 1674
et 19 avril i58o, que du feu roi du mois de décem-
bre i656, confirmées par celles de Sa Majesté de
juin 1723, moyennant le paiement par eux fait de la
' somme de 100,000 livres et 2 sols par livre à cause
de l'heureux avènement de Sa Majesté à la couronne;
Par lesquelles lettres-patentes il a été permis auxdits
Portugais de se retirer et habiter librement dans telles
> villes et lieux du royaume, pays et terres de l'obéis-
► sance du roi que bon leur semblera, pour y vivre avec
14
210 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
leurs femmes^ enfants, familles, commis et facteurs,
suivant leurs usages, avec la faculté d^y trafiquer,
commercer ; même avec pouvoir d'y acquérir et pos-
séder toutes sortes de biens meubles et immeubles, et
d'en disposer à leur volonté, comme aussi de succéder,
et généralement de procéder comme s'ils étaient origi-
naires français, aux mêmes, privilèges, franchises et
libertés des sujets du roi.
Les six familles avignonaises étaient ainsi assimilées
aux familles portugaises anciennement établies à Bor-
deaux. Elles voulurent que l'assimilation fût complète,
et le I®' décembre lySg ces six familles présentèrent
au Conseil un projet de règlement analogue à celui
qui régissait les Juifs espagnols et portugais. Elles
s'intitulaient nation avignonaise; elles demandaient à
avoir les droits de boucherie et de fabrication des pains
azymes indépendants des Portugais ; à avoir le droit
de police exclusive sur les Avignonais pour expulser
les vagabonds de leur nation ; elles demandaient enfin
que nul Avignonais, en dehors de ces six familles, ne
pût s'établir à Bordeaux sans une permission spéciale
du roi.
Les prétentions des six familles Avignonaises
soulevèrent contre elles les jalousies des marchands de
draperie et l'opposition des Portugais.
Les drapiers avaient formé opposition à la requête
présentée au Parlement de Bordeaux par les Dalpuget,
Astruc, Lange et Petit, pour l'enregistrement des
lettres-patentes de mai lySg. Les sieurs Jacques
Millas, Antoine Modéry, Charles Rouillard et Philippe
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE II. 21 ï
Perrier, syndics des marchands de draperies et de
soieries de la ville de Bordeaux , furent déboutés de
leur opposition sur le rapport de M. de Mauvezin,
conseiller, et les lettres-patentes furent enregistrées le
14 juillet 1759.
Ces marchands de draperie et soierie furent plus
heureux devant l'autorité supérieure; se fondant sur
les arrêts et ordonnances antérieurs , ils obtinrent, le
18 janvier 1760, une commission du grand sceau,
qui interdit aux six familles avignonaises tout com-
merce autre que celui des îles et de la banque, et
qui ordonna la saisie des marchandises des contre-
venants.
Les Avignonais, soutenus par le Parlement, par-
vinrent à faire casser la commission du grand sceau
par un arrêt du Conseil à la date du 26 août 1760.
Le règlement de police proposé par les six familles
avignonaises fut vivement attaqué par les Portugais,
Ceux-ci avaient eux-mêmes réuni les anciens et
révisé leurs règlements , qui avaient été approuvés et
autorisés par le roi le 14 décembre 1760.
Ces règlements en 1 2 articles étaient relatifs à la
nomination du syndic et du trésorier, à la taxe pour
les pauvres, à la ferme de la boucherie et du pain de
Pâques, à la police des vagabonds et des étrangers.
Ces règlements, émanés des anciens de la nation
portugaise, étaient signés par eux. Ils étaient quatorze :
Jacob Peitotto fils, syndic; Brandon, adjoint; Raphaël
212 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Pereyra, adjoint; David Lameyra; Alexandre-Raphaël;
Mendes Mirande; Jacome Alexandre; Abraham Fran-
cia, fils de Georges; Mendes Veyga; Abraham Lameyra;
Daniel Mendes Furtado; Médina; Abraham Peixotto;
Antoine Dacosta, et Jacob- Rodrigues Pereire, agent
de la nation à Paris. Ils étaient rédigés par ce dernier.
L'article lo de ces règlements portait que comme il
s'était introduit depuis quelques années à Bordeaux
! un grand nombre de gens sans aveu et de vagabonds,
d'une conduite irrégulière et réprochable, qui se
disaient de la nation, il en serait fait un état, qui serait
. présenté à la nation assemblée, et que ceux qui seraient
jugés par l'assemblée, à la pluralité au moins des
trois quarts des voix, ne devoir pas rester dans la
ville , seraient avertis par le syndic et forcés de quitter
Bordeaux sous trois jours.
En conséquence, une liste de i52 personnes fut
adressée par les syndics au maréchal de Richelieu,
gouverneur de la Guienne, qui rendit, le 1 7 septembre
1 76 1 , une ordonnance par laquelle il enjoignait aux
1 52 individus compris dans cette liste de sortir de la
ville dans i5 jours, et chargeait les syndics de la nation
portugaise de l'exécution pour laquelle ils devaient
requérir la force publique en s'adressant au maire et
aux jurats.
Presque tous les expulsés étaient Avignonais; parmi
ceux-ci il n'y avait eu d'exception que pour les six
familles protégées par les lettres-patentes de 1759.
Cependant plusieurs obtinrent l'autorisation person-
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE II. 2 1 3
nelle, mais non héréditaire, de rester à Bordeaux.
Ce furent le juif allemand Ephraim et sa famille,
c^était lui qui était chargé de surveiller la confection
du vin Kasser; Josué de Sasias, âgé de quatre-vingt-
six ans ; Rousse de Rouagre , âgé de soixante-quinze
ans; et Jacob Perpignan, âgé de soixante ans, né à
Avignon, mais qui habitait Bordeaux depuis fort
longtemps. Ce dernier se fit plus tard naturaliser
Français , pour conserver à sa famille son domicile à
Bordeaux. Il avait fondé deux places d'élèves à Técole
de dessin. Ses lettres de naturalité, obtenues plus tard
(mars 1776), rappellent son patriotisme et sa libéra-
lité. Il dut payer 3,ooo livres applicables aux enfants
trouvés. On toléra aussi deux femmes très âgées.
Les Portugais se montraient jaloux du droit de
police que leur assurait sur tous les Juifs le règlement
approuvé par le roi , et ils n'entendaient pas voir les
six familles avignonaises le leur enlever, pas plus
qu'ils ne voulaient leur permettre de se fondre avec
eux. Ils s'adressèrent à un fameux juif portugais de
La Haye, M. de Pinto, auteur d'un ouvrage estimé
sur la circulation et le crédit en matière de banque,
et qui avait d'excellentes relations avec le maréchal de
Richelieu, pour appuyer leurs arguments auprès de ce
gouverneur.
M. de Pinto répondit à leur appel et écrivit au
maréchal, le 20 mai 1762 :
« Je ne saurais me dispenser de vous représenter, Monsei-
gneur , que les Portugais et les Espagnols , qui ont l'honneur
214 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
d'être issus de la tribu de Juda, ou de se croire tels , ne se
sont jamais mêlés par mariage, alliance ou autrement, avec
les enfants de Jacob connus sous le nom de Tudesques,
Italiens ou Avignonais. Les premiers ont conservé par cette
saine politique des mœurs et des maximes qui les ont toujours
distingués aux yeux mêmes des nations chrétiennes de la
foule des Israélites, avec lesquels par conséquent il est de
leur honneur et de leur intérêt de ne point s'incorporer
aujourd'hui comme on semble le leur proposer. Les Portugais
établis en Hollande et en Angleterre ont de tout temps été
là-dessus de la délicatesse la plus scrupuleuse; et c'est unique-
ment à cela qu'ils doivent la considération à laquelle plusieurs
d'entre eux sont parvenus, jusqu'à être employés avec succès
par plusieurs Cours, et à obtenir des lettres de noblesse. Les
Portugais de Bordeaux auraient donc grand tort d'avoir
moins de délicatesse que ceux d'Amsterdam et de Londres
et de ne pas continuer à suivre leur exemple.
» Je suis persuadé, Monseigneur, qu'après ce qui vous a
été représenté là-dessus, loin de vouloir les contraindre à se
départir de ces principes, vous les exhorterez plutôt à les
conserver encore plus exactement. Je crois même que leurs
plaintes à ce sujet sont illusoires ; mais je ne saurais condamner
tout à fait les démarches qu'ils font pour assurer une disci-
pline qu'ils considèrent si essentielle à leur constitution.
» Je vous supplie. Monseigneur, de faire attention aux
articles 9 et 10 du règlement dont je prends la liberté de vous
envoyer un exemplaire; j'espère que les privilèges qu'on
voudra accorder aux Juifs avignonais, et auxquels je ne
m'oppose nullement, ne seront point dérogatoires à ceux dont
les Portugais jouissent par l'acte ci-joint. »
Le maréchal de Richelieu répondit à M. de Pinto :
« Je suis bien éloigné, Monsieur, de vouloir altérer un
règlement aussi sage que celui que la nation portugaise a,
pour ainsi dire, fait sous mes yeux et si récemment. J'envoyai,
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE II. 2l5
sans même le lire , le mémoire des Avignonais qui me firent
demander (c'est-à-dire les six familles qui ont eu permission de
rester) la permission de faire entre eux un règlement ; ce qui ne
me parut pas tirera conséquence, attendu qu'ayant tant fait que
de les faire rester authentiquement, il a paru utile qu'ils eussent
aussi une sorte de régime autorisé ; mais je n'ai jamais autorisé
qu'il pût altérer celui de la nation portugaise, dont je connais
toutes les distinctions accordées et très bien méritées ; à quoi
je crois qu'on n'a nulle envie de toucher. Je vous promets
même d'y avoir grande attention.
» Elle ne peut d'ailleurs avoir un solliciteur plus efficace
auprès de moi, qui suis pénétré pour vous, Monsieur, des
sentiments d'estime et de considération avec lesquels je fais
profession de vous honorer bien véritablement. »
Jacob-Rodrigues Pereire, qui s'était fait une grande
réputation comme instituteur des sourds-muets, et
qui remplissait avec la plus grande distinction les
fonctions, créées pour lui, d'agent à Paris de la nation
portugaise et espagnole de Bordeaux et de Bayonne,
présenta ses observations sur les réclamations des
Avignonais, et s'opposa à ce qu'ils obtinssent les
droits de police, de boucherie et de boulangerie qu'ils
réclamaient. Son mémoire, adressé à M. de Saint-
Florentin, eut un plein succès.
Le 1 3 mai 1 763, le Conseil rendit un arrêt conforme
aux réclamations des Portugais, et dont la rédaction
est due, dit-on, à Péreife. Il commence ainsi :
< S. M. étant informée que depuis qu'il lui a plu
j» d'accorder, par ses lettres -patentes du mois de
» mai 1749, aux six familles juives avignonaises y
y> dénommées, leurs femmes, enfants, descendants et
2l6 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
)^ postérité, la permission d'habiter et résider libre-
» ment dans la ville de Bordeaux, pour y vivre selon
i> leurs usages, y trafiquer et commercer, lesdites
» familles seraient convenues d'un règlement formant
» onze articles qu'elles désireraient être revêtu de
» l'autorité de S. M., s'il lui plaisait de l'approuver;
» S. M. se le serait fait représenter, et aurait remar-
» que dans la plupart des articles dont il est composé
3) des dispositions qui tendraient à émouvoir, entre
]> les Juifs portugais établis depuis très longtemps à
» Bordeaux et les six familles avignonaises tout récem-
]> ment admises dans ladite ville, des contestations
» importunes, et à introduire entre les six familles
y> avignonaises et la nation portugaise, notamment par
D les art. 8, g, lo du projet de règlement, une source
» perpétuelle de querelles, de troubles et de divisions,
» dont S. M. aurait déjà prévenu les inconvénients
» par son ordonnance du 14 décembre 1760, appro-
j> batrice d'un règlement pour la nation portugaise,
» par lequel le droit exclusif de boucherie à l'usage
D des familles juives et la fabrique du pain de Pâques
j> sont jattribués aux Portugais, ainsi que la vigilance
3) et la manutention pour procurer l'expulsion des
j> Juifs vagabonds ou passagers... »
Sa Majesté, ne voulant pas cependant que les six
familles avignonaises fussent entièrement privées d'une
police intérieure, leur permit d'avoir un syndic, avec
adjoints, et de s'imposer des taxes. Les articles de ce
» règlement furent approuvés le 19 février 1764.
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE II. 217
Pendant que les Portugais réussissaient ainsi à
conserver leurs droits de police sur tous les Israélites
de Bordeaux, et à les obliger à se fournir à leur bou-
cherie et à leur fabrique de pains azymes, ils avaient
entre eux des graves dissidences à propos de la taxe
des impositions que Tautorité mettait quelquefois sur
eux, et de celles qu'ils décidaient eux-mêmes pour les
besoins de leur communauté.
Plusieurs d'entre eux refusèrent de se conformer à
la répartition qui était faite en vertu de Tart. 5 du
règlement approuvé par le roi, le 14 novembre 1760;
il fallut plaider. On présenta une supplique à Sa
Majesté pour la prier de fixer par qui devait être
déterminé le chiffre .de la cotisation, et à quelle auto-
rité on pourrait avoir recours pour contester ce chiffre.
Le roi rendit, le i3 mai 1768, une ordonnance qui
fut enregistrée à l'Hôtel de Ville le 27 juin, et par
laquelle il fut décidé que les rôles seraient faits par le !
syndic et les adjoints, assistés de quatre anciens, etj
pourraient être attaqués devant une assemblée déci-
dant souverainement, parce qu'il s'agissait de pure
police intérieure, et composée de treize anciens, dans
lesquels ne pouvait être aucun des sept cotisateurs. Le
syndic devait y assister comme partie pour défendre
la cotisation, mais sans voix délibérative.
Les difficultés ne firent qu'augmenter : cinquante-
quatre chefs de famille s'assemblèrent le 24 juin 1764
et nommèrent six d'entre eux pour travailler avec les
anciens à un nouveau plan d'administration et de police.
2l8 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Les anciens refusèrent de recevoir cette députation ;
ils se pourvurent au Conseil'du roi pour faire annuler
la délibération de leurs adversaires et ordonner l'exé-
cution des règlements approuvés par le roi en 1760
et en 1763.
Le roi chargea l'intendant, M. Boutin, d'entendre
les parties et de donner son avis. Celui-ci dressa, le
26 juillet, son procès- verbal.
Il s'agissait d'interpréter le terme anciens dont se
servaient le règlement et l'ordonnance.
Les opposants, à la tête desquels se trouvaient
Moïse et Joseph Azevedo, courtiers, prétendaient
représenter le corps de la nation portugaise; ilâ
disaient que le mot anciens devait désigner les chefs
de famille les plus âgés ou ceux domiciliés depuis le
. plus longtemps; tandis que leurs adversaires soute-
naient que le terme anciens s'était toujours appliqué
, dans la nation aux syndics ayant quitté leur charge.
Les syndics alors vivants étaient, d'après la date de
leur syndicat :
1725. Abraham Psixotto, banquier,
1726. Samuel Alexandre, do.
1735. Benjamin Gradis, armateur,
1738. Abraham Gradis, do.
1739. Abraham Lameyra, négociant.
1740. TOLEDO, do.
1743. David Lameyra, ^tfft^MiVr.
1744. Raphaël Mendez, armateur,
1745. Biaise Da Costa, négociant,
1747. E. Brandon, do.
174g. Philippe Fernandez, banquier,
1750. Jacomo Alexandre, do.
1751. Mendes Fenis, négociant.
«
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE II. 219
1754. Ant. Da Costa, négociant,
1755. MiRANDA, do.
1758. David Mendes Furtado, négociant,
1760. Raph. Da Costa Peretra, do.
1 761. Jacob Peixotto, do.
1762. Isaac Mercadé, do.
1763. Daniel Da Silva, do.
Le syndic était alors E. Brandon pour la deuxième
fois.
On faisait remarquer que ces vingt anciens formaient
un très petit nombre de familles, et que les quatorze
qui avaient signé le règlement de 1 760 se prétendaient
seuls représentants héréditaires et perpétuels de la
nation, prétention qui ne pouvait être accueillie.
De leur côté, les anciens attaquaient personnellement
chacun de leurs cinquante-deux adversaires ; ils soute-
naient que presque tous étaient des gens sans aveu;
que plusieurs avaient eu des parents condamnés à
mort par arrêt du Parlement dans l'affaire de Dansant
et de Verneuil, et y avaient été impliqués; que d'autres
avaient vendu des navires qui leur étaient consignés ;
que le père de Tun d'eux, après avoir abjuré plusieurs
fois le judaïsme et le catholicisme, avait été pendu en
Hollande; que d'autres avaient laissé déclarer leur
sœur courtisane publique par arrêt du Parlement,
pour ne pas payer 1,000 livres; que d'autres, faillis,
ne payaient pas leurs créanciers, quoique fort riches ;
que d'autres, enfin, étaient d'origine abjecte ou des
vagabonds inconnus; que les meneurs étaient des
gens ambitieux et turbulents.
220 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Le 27 avril 1765, une décision du Conseil approuva
à nouveau les règlements de 1760 et de 1763; un
arrêt du 22 février 1766 reconnut le titre d* anciens
aux syndics sortant de charge, maintint les règle-
ments précédents, et accepta les offres des anciens de
s'adjoindre, pour la répartition des impositions royales,
deux contribuables non anciens; et, pour celles de la
nation, de les faire taxer par les syndics, les adjoints
et par les treize anciens.
Cet arrêt régla définitivement la police intérieure de
la nation portugaise.
i V. — TOLISrANCE accordée aux ISRAELITES DE BORDEAUX
POUR l'exercice de leur culte.
Les Juifs sont acceptés comme professant la religion de Moïse. — Prières pabUqaes
fûtes suivant le rite judaïque par les Israélites de Bordeaux, et acceptées par
le roi — Ils cessent d'être astreints aux baptêmes, aux mariages à Téglise, aux
s^ultnres catholiques. — Synagogues. — Rabbins. — Jour du sabbat. — Jours
fériés.
Édit de 1776 permettant aux Juife d'exercer leur religion et d'habiter dans tous
les lieux du royaume. *- 11 est dû à Jacob Rodrigues Péreire.
Exécution de cet édit à Blaye. — Exécution de l'édit dans les colonies françaises.
— Son importance aux colonies. — Les Juifs des colonies devaient-ils être
considérés comme régnicoles ou comme aubains? — Avis du procureur
général an Parlement de Bordeaux.
Les Juifs peuvent-ils recevoir des Chrétiens par donations entre vifs ou testamen-
taires? — Les Juifs français peuvent-ils divorcer? — La conversion d'un Juif
au catholicisme annule-t-elle le mariage précédemment contracté par lui avec
une Juive ? — Peixotto.
Les Juifs possesseurs d*immeubles et de terres titrées. ~ Joseph Nunès Péreire,
vioMnte de la Ménaude et baron d'Ambès.
Situation générale des Juifs portugais en Europe à la fin du dix-huitième siècle. »
Labbé Guénée.
Jacob-Rodrigues Péreire, créateur en France de l'art de faire parler les sourds-
muets. — Rapport de M. de Buffon.
Les frères Raphaél.
Les médecins juifii de Bordeaux. » Silva père et fils. — Cardoze.
Résumé.
Nous venons de voir quelles étaient les luttes des
Israélites établis à Bordeaux soit entre eux, soit auprès
des autorités diverses pour obtenir ou faire consacrer
le droit de résidence.
Nous avons raconté quelques tentatives d'expulsion,
motivées quelquefois par le caractère des étrangers
sans aveu qui cherchaient à s'établir à Bordeaux,
quelquefois par les rivalités des marchands de la cité.
222 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
OU la jalousie des Juifs eux-mêmes à Tégard des nou-
veaux venus ou de ceux qui étaient moins bien proté-
gés par des privilèges ; quelquefois enfin, par le désir
du gouvernement de se procurer de l'argent; mais en
définitive le droit des Portugais et Espagnols a été
consacré de la manière la plus formelle ;. des droits
analogues ont été accordés à plusieurs familles avigno-
naises, et des conditions individuelles ont été faites à
quelques autres.
La différence capitale qui existe entre l'état des Juifs
au dix-huitième siècle et leur état précédent, c'est
qu'ils ne se déguisent plus sous la qualification de
nouveaux chrétiens, et ne se cachent plus sous les
cérémonies extérieures d'un culte qui n'est pas le
leur. Ils sont considérés comme Juifs et acceptés à
ce titre.
Dès l'année 1 706, lors des malheurs qui accablèrent
la France à la fin du règne de Louis XIV, les Juifs
de Bordeaux avaient fait publiquement en hébreu et
selon le rite judaïque des prières pour le soulagement
des maux du royaume, et il leur avait été permis d'en
faire imprimer la traduction.
En 1744, lors de la maladie du roi Louis XV à
Metz, les Juifs portugais de Bordeaux firent des prières
pour demander son rétablissement. Ces prières, com-
posées en hébreu par le rabbin Attias, furent impri-
mées. Le 16 septembre et le 19 du même mois,
M. d'Argenson, lieutenant de police, et monseigneur
le duc de Bourbon, premier ministre, adressèrent à
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE II. 223
rintendant des lettres de remercîments pour les Juifs
de Bordeaux.
Le lo mars 1748, ces Juifs firent encore des prières
publiques pour demander à Dieu le rétablissement
de la santé de la reine; ils se soumirent à un jeûne
général et firent des aumônes dans le même but. Ces
prières furent composées en hébreu et en espagnol
par le rabbin David Attias, et traduites en français
par Jacob- Rodrigues Pereire, pensionnaire et inter-
prète du roi, membre de la Société royale de Londres,
agent général des Juifs portugais à Paris.
Le 25 août 1762, M. de Florentin remercia M. de
Tourny de lui avoir envoyé le texte de la prière des
Juifs pour monseigneur le dauphin. M. d'Argenson
lui adressa les mêmes remercîments.
Ofiiciellement, on n^affectait donc plus de ne voir
dans les Juifs que des nouveaux chrétiens, de certains
marchands espagnols et portugais.
L'acceptation de ces prières publiques faites en
hébreu suivant le rite judaïque, impliquait tout au
moins une sage tolérance pour l'exercice de leur culte.
Le rapport de 1734 dont nous avons déjà parlé,
énonce que les Juifs avaient cessé depuis quelques
années de présenter leurs enfants au baptême et qu'ils
les faisaient circoncire assez publiquement. Depuis
1705, ils cessèrent également de se marier suivant le
mode catholique : jusqu'alors, même lorsque le mariage
était béni par le rabbin pour satisfaire à leur loi reli-
gieuse, ils allaient encore le faire enregistrer auprès du
curé de la paroisse pour obéir au mensonge officiel
224 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
qui les cachait sous le nom de chrétiens. Le dernier
mariage qui fut ainsi enregistré paraît Pavoir été à
réglise Saint- Pierre, en février 1748. Ce fiit celui
d'Isaac-Lopes de Paz, marchand de la rue Bouhaut,
fils de Louis- Lopes- de Paz et de Rica Gradis.
Les Juifs avaient d'abord été enterrés dans leurs
paroisses respectives, de la même façon et avec les
mêmes cérémonies religieuses que les catholiques,
dont ils étaient censés faire partie; ils le furent ensuite
chez les Cordeliers, qui allaient chercher leurs morts
avec la croix. Des désordres qui eurent lieu vers 1720
leur firent accorder le droit d'acheter un local pour
leur cimetière. Ils achetèrent dans ce but, le 18 novem-
bre 1728, un terrain près les murs de ville et en
dehors, dans la paroisse Sainte-Croix, qu'on appela
le cimetière Saint-Jean; et le 24 septembre 1764 ils
achetèrent deux terrains sur le chemin de Toulouse.
C'est là que fut officiellement transféré le cimetière
Israélite.
Les Portugais et les Espagnols avaient déjà sept
synagogues en 1734.
Les six familles avignonaises avaient vu leurs pri-
vilèges concédés, en 1775, à trois nouvelles familles.
Les Avignonais avaient une synagogue qui leur était
commune avec les Portugais; ils étaient alternative-
ment chargés des fonctions qui en dépendaient, et
avaient un lévite avignonais qui remplissait les fonc-
tions sacerdotales, mais qui ne faisait pas partie des
familles privilégiées.
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE II. 2^25
Les Israélites de Bordeaux désirant, afin de se
conformer à leur loi, ne pas ouvrir leurs boutiques
les jours de fête et de sabbat, avaient pu obtenir
que M. Âc Saint-Florentin écrivît en leur faveur, le
24 novembre 1761, aux jurats de Bordeaux, que les
Juifs ne pouvant, d'après leurs lettres-patentes, être
recherchés pour leur manière de vivre, et leur religion
leur défendant le travail à certains jours, on ne pouvait
les obliger ces jours-là ni à monter la garde, ni à tenir
leurs boutiques ouvertes. Et le 12 décembre 1761, les
jurats de Bordeaux écrivaient à M. de Saint- Florentin
pour reconnaître la justesse de ses observations, et
s^engageaient à ne pas obliger les Portugais à faire de
patrouilles le samedi. •
Cependant les Juifs portugais désiraient encore
m
obtenir deux choses : Tune, de faire consacrer la tolé-
rance qui leur laissait exercer leur religion ; l'autre, de
faire tomber les restrictions imposées au droit d'ha-
biter en France qui, par les lettres-patentes, ne leur
était permis que pour la province de Guienne, et de
le faire étendre à tout le royaume.
Ce but fut poursuivi par Rodrigues Pereire, leur
agent à Paris. Il obtint du roi Louis XVI, en juin 1 776,
des lettres-patentes portant confirmation des privilèges
des Juifs portugais. Ces lettres furent enregistrées au
Parlement de Bordeaux le 8 mars 1777, et au Conseil
colonial du Cap le 22 juin 1782. En voici le texte :
« Louis... par lettres-patentes de Henri II du mois d'août
i55o, en forme de chartes, enregistrées au Parlement de Paris
le 22 décembre de la même année, et par plusieurs autres
i5
226 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
lettres-patentes de règne en règne pour la confirmation de
ces premières, et notamment par Henri III au mois de
novembre iSjS; par Louis XIV, notre très honoré seigneur
et aïeul, au mois de décembre i656; et par Louis XV, notre
très honoré seigneur et aïeul, au mois de juin 172); lesdites
lettres enregistrées en notre Parlement de Bordeaux, il a été
permis... Lesdits marchands portugais nous ont très humble-
ment fait exposer par ledit sieur Rodrigues Pereire, leur agent
à Paris, membre de la Société royale de Londres, notre pen-
sionnaire et notre amé secrétaire interprète pour les langues
espagnole et portugaise, que leur admission en France et la
confirmation de leurs privilèges qui, depuis plus de deux
siècles, leur a été accordée de règne en règne, ont été justifiées
tant par leur attachement inviolable pour les rois nos prédé-
cesseurs, et pour notre personne sacrée, que par leur applica-
tion et leurs talents dans le commerce , à la prospérité et à
l'étendue duquel ils ont contribué dans notre royaume, par le
moyen de leurs relations au dedans et au dehors, et qu ils
ont même étendu par les nouvelles branches qu'ils y ont
ajoutées, le tout à l'avantage du public et de nos revenus, sans
qu'il soit jamais résulté de leur séjour en France et de leurs
usages particuliers aucun inconvénient pour nos autres sujets;
et voulant favorablement traiter lesdits exposants, après nous
être assurés de la bonne conduite desdits marchands portugais
dans les lieux où ils se sont établis, et les ayant reconnus pour
bons, utiles et fidèles sujets, nous avons bien voulu, à
l'exemple des rois nos prédécesseurs, leur accorder des
marques de notre bienveillance et de notre royale protection;
» A ces causes, etc..
» Confirmons tous et chacuns privilèges, franchises et
immunités qui ont été accordés auxdits marchands portugais
par les lettres-patentes, en formes de chartes, données en leur
faveur au mois d'août i55o, et par les autres lettres-patentes
des rois nos prédécesseurs; maintenons lesdits marchands
portugais, tant ceux qui sont déjà établis et domiciliés dans
notre royaume, pays, terres et seigneuries de notre obéissance,
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE II. 227
que ceux qui voudront y venir dans la suite, dans la pleine
possession et paisible jouissance desdits privilèges, à la charge
de se faire immatriculer devant les juges des lieux qu'ils auront
choisis pour leur résidence ; leur permettons d'y demeurer et
vivre suivant leurs usages, ainsi qu'à leurs femmes et à leurs
enfants, commis, facteurs et serviteurs, à perpétuité; voulons
qu'ils soient traités et regardés ainsi que nos autres sujets nés
en notre royaume, et réputés tels tant en jugement que
dehors ; faisant très expresses inhibitions et défenses de leur
donner aucun trouble ni empêchement.
» Si, donnons en mandement à nos amés et féaux conseillers
les gens tenant notre Cour de Parlement à Bordeaux, prési-
dents, trésoriers de France, généraux de nos finances, et à
tous autres officiers et justiciers qu'il appartiendra. »
Les Portugais s'empressèrent de profiter de ces
lettres-patentes pour aller s'établir dans d'autres villes
que celles où ils habitaient auparavant dans le ressort,
et pour y vivre suivant leurs usages. Ils éprouvèrent
quelquefois des tentatives d'empêchement, mais elles
durent céder devant les arrêts du Parlement. C'est
ainsi qu'Isaac Léon, juif portugais de Bordeaux, alla
s'établir à Blaye en 1777; et ayant eu un fils dans
cette ville, il voulut appeler de Bordeaux un de ses
coreligionnaires pour pratiquer la circoncision selon les
rites. Le curé et les jurats de Blaye s'y opposèrent;
mais, le 12 juin 1779, un arrêt du Parlement autorisa
Isaac Léon à fixer son domicile à Blaye, et à vivre
suivant les usages de sa nation, à la charge de se faire
immatriculer ; et dans le cas où il voudrait tenir bou-
tique de mercerie, d'en obtenir la permission du maire
et des jurats, suivant les usages observés à Blaye.
228 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
L'enregistrement des lettres -patentes de 1776 au
Conseil colonial du Cap avait une grande importance.
Plusieurs fois des diflBcultés s'étaient élevées à propos
de la succession des Juifs de Bordeaux qui venaient à
décéder aux îles. Les représentants du fisc soutenaient
que les Juifs étaient étrangers et soumis au droit d'au-
baine, et ils voulaient s'emparer de la succession
comme vacante. En 1767, del Campo, du Pont-Saint-
Esprit de Bayonne , était décédé à Saint-Domingue,
laissant des enfants légitimes ; toutefois le procureur
aux successions vacantes s'empara de ses biens. Les
héritiers réclamèrent auprès de M. de Moras, ministre
de la marine. Celui-ci soumit la difficulté au procureur
général du Parlement de Bordeaux. Ce magistrat se
montra digne de la Cour souveraine où il représentait
l'autorité royale. Dans sa lettre au ministre en date
du 28 mars 1768, il s'exprime en ces termes :
« Les Juifs doivent être regardés dans ce royaume et autres
pays de la domination de S. M. comme régnicoles, et, comme
tels, capables de tous effets civils, en vertu des diverses lettres-
patentes qui ont été accordées par nos rois depuis plusieurs
siècles ; et c'est pour cette raison qu^ils ont toujours été admis
et autorisés , non seulement à disposer de leurs biens par
testament, donation ou autrement, mais encore à accepter
des legs, donations et institutions héréditaires qui pourraient
être faites en leur faveur non seulement par d'autres juifs,
mais même par des chrétiens dont ils ne seraient pas parents.
Nous en avons plusieurs exemples, entre autres un arrêt de
ce Parlement en faveur du sieur Médine, juif de cette ville,
qui avait été institué héritier d'un chrétien. On querella cette
institution sous prétexte qu'elle était faite sur la tête d'un
juif inhabile à succédera un chrétien. Mais le Parlement la
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE II. 229
confirma, et son arrêt qu'on avait attaqué par la voie de
cassation au Conseil, fut approuvé et eut son effet. On jugea
dans cette cause qu^on ne saurait valablement disposer en
faveur d'une synagogue ou autre corps semblable de juifs,
mais que toutes autres dispositions en faveur d'un particulier,
quoique juif, étaient bonnes et valables... Je ne pense pas
que les Juïh qui ont un domicile fixe en France, puissent être
considérés comme aubains, »
La succession fut rendue aux héritiers. Des cas
analogues se sont présentés pour les héritiers Daguilar
et Tota, juifs portugais décédés à Saint-Domingue,
qui étaient domiciliés et immatriculés à Bordeaux.
La question de savoir si les Juifs pouvaient succéder
aux biens des chrétiens par donations entre vifs ou
testamentaires avait été posée en 1729, à l'occasion
d'une donation entre vifs faite par Gaubert à la veuve
Médina, et en lySS à l'occasion du testament d'un
avocat au Parlement en faveur de Joseph Médina, juif
judaïsant. Le premier procès avait été jugé au sénéchal
de Guienne en faveur de la validité de la disposition.
Appel au Parlement. Pendant l'instruction, le chan-
celier demanda qu'on lui rendît compte de l'affaire,
et fit rendre un arrêt du Conseil évoquant le procès.
L'arrêt du Conseil au fond fut favorable à la validité
de la donation, et nous venons de voir le procureur
général de la Cour de Bordeaux s'appuyer sur l'arrêt
rendu par le Parlement en faveur de Joseph Médina,
confirmant le droit pour un juif d'être héritier testa-
mentaire d'un chrétien.
23o HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Deux questions relatives au mariage furent soule-
vées : Tune, celle de savoir si les Juifs naturalisés
Français pouvaient faire prononcer le divorce par
les tribunaux français; Tautre, celle de savoir si la
conversion d'un juif au catholicisme avait pour effet
d'annuler un mariage précédemment contracté par lui
avec une juive.
Le sieur Paul Peixotto, banquier juif, avait épousé
à Londres, en 1762, la demoiselle Mendès Dacosta.
Il intenta en 1773, contre celle-ci, une action en nullité
de mariage; il y renonça en 1778, pour signifier à sa
femme qu'il la répudiait, et il l'assigna pour voir
déclarer la répudiation valable.
Devant le Châtelet de Paris, on invoquait de part
et d'autre les doctrines de la loi de Moïse, et le mari
notamment s'appuyait sur les docteurs de la secte
d'Hillel, qui autorisent le divorce sur les plus légers
motifs. Le 20 juillet 1779, le Châtelet renvoya l'affaire,
avant faire droit, devant les anciens de la nation établie
à Bordeaux, qui étaient Raphaël Mendès, Abraham
Raba, Salomon Lopès-Dubec et Jacob Pissaro.
L'assemblée des anciens ne put présenter son rap-
port, parce que Peixotto fit une nouvelle évolution.
Il venait de se faire baptiser en Espagne , et il pré-
sentait requête à l'évêque de Siguenza pour faire
décider que sa conversion annulait son mariage. La
mort de la dame Peixotto, qui survint à cette époque,
laissa l'affaire sans solution.
Les Juifs de Bordeaux avaient le droit de posséder
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE II. 23 1
des immeubles, et beaucoup d'entre eux étaient pro-
priétaires de maisons de ville et de domaines ruraux.
A cette époque la possession d'une maison noble
ou d'une terre titrée autorisait Tacheteur à porter le
titre delà terre. Les bourgeois de Bordeaux, comme
ceux de Paris, avaient pour cela des privilèges particu-
liers, tels que Texemption des droits de franc-fief, etc.
En leur qualité de bourgeois de Bordeaux, les Portu-
gais et Espagnols naturalisés pouvaient posséder des
terres nobles.
Cest ainsi que Joseph Nunès Péreire se rendit
adjudicataire, le 7 septembre 1720, de la vicomte de
la Ménaude et de la baronnie d'Ambès, saisies sur
les héritiers de M. de La Chèze, conseiller au Parle-
ment, et qu'à partir de ce jour il se titra : seigneur
vicomte de La Ménaude et baron d'Ambès.
Il exerça tous les droits appartenant au seigneur
féodal, tels que les droits de justice haute, moyenne et
basse. On a même écrit, mais sans en doijner aucune
preuve , qu'il avait le droit de présenter aux cures de
ses seigneuries (0. Et il nous a été dit qu'un arrêt du
Parlement avait confirmé ce droit. Nous avons eh
vain recherché cet arrêt; il serait possible qu'il s'appli-
quât non à Joseph Nunès Pereire, mais à son fils
Jacques qui lui succéda vers 1 743, et qui, croyons-nous,
s'était fait catholique.
Quoi qu'il en soit , des lettres-patentes données à
Metz au mois d'août 1 744 par le roi Louis XV, en
(i) Francisque Michel. Histoire du Commerce et de la Navigation
à Bordeaux, t. II, p. 436.
232 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
faveur de Jacques Nunès de Pereyra et de ses descen-
dants, confirment rérection en vicomte, faîte en 1669,
de la terre de La Ménaude, située à Ambès , donnent
à cette terre le nom de Pércyra, c voulant, disent les
» lettres, donner à l'exposant les témoignages d'estinne
"ù et de distinction qu'il mérite par sa naissance et par
» le rang, et les places honorables qu'a toujours eues
» sa famille dans le royaume de Portugal ; et recon-
» naître en sa personne les services importants qu'a
» rendus à notre État le sieur Péreyra, son père, soit
i> en fournissant de ses deniers et sans aucun intérêt
i> des sommes considérables pour le soutien de la
i> foire de Beaucaire, soit par le crédit qu'il a donné
]> à ses correspondants dans les principales villes du
» royaume ; soit enfin par les avantages que ses con-
i> seils, son crédit et ses talents ont procuré au cora-
il merce au dedans et au dehors de notre royaume. >
Le vicomte de Péreyra était astreint à l'hommage
envers le roi ; il devait jouir des mêmes honneurs,
armes, blasons, prérogatives que les autres vicomtes
du royaume en fait de guerres, assemblées d'États et
de noblesse; il devait exercer les droits de haute,
moyenne et basse justice dans ses terres par des
officiers exerçant en son nom, et recevoir les homma-
ges, aveux et dénombrements de ses vassaux nobles
et roturiers.
Ces lettres-patentes furent enregistrées au Parle-
ment le 10 décembre 1744, à Bordeaux (0.
(i) Archives du département : Parlement, vol. 87, f« 19.
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE II. 233
A la fin du dix-huitième siècle, à Texemple des
Nunès Pereira et des Peixotto de Beaulieu, un grand
nombre des descendants des anciens Portugais et
EIspagnols de Bordeaux, convertis ou non convertis,
se qualifient de seigneur, d'écuyer, de noble homme.
Leurs descendants portent encore aujourd'hui des
qualifications nobiliaires.
Nous ne pouvons citer des noms, ce serait nous
livrer à un aride travail généalogique, dont nous
n'avons pas d'ailleurs tous les éléments. Il suffit de
constater le fait général. Il est déjà énoncé en 1762,
dans la lettre de M. de Pinto à M. le maréchal de
Richelieu, dans laquelle il dit : c Plusieurs d'entre eux
> sont parvenus à être employés avec succès par plu-
> sieurs cours et à obtenir des lettres de noblesse. 1
Le savant abbé Guénée, dans ses Lettres de quelques
Juifs à M. de Voltaire, constate ainsi la situation
favorable qu'avaient su se faire les Portugais et les
Espagnols vers la fin du dix-huitième siècle :
« Le baron de Belmont n'a-t-il pas été employé par
> la cour de Madrid en qualité de son résident en
> Hollande, au grand contentement des deux puis-
]D sances ? D. Alvaro Nunès d'Acosta , ainsi que son
"» père , n'ont-ils pas servi la cour de Lisbonne avec
> autant de dignité que de fidélité ? Les Suassos, les
> Texeira , les Prados , les Ximenès , les Péreira et
» beaucoup d'autres n'ont-ils pas mérité la considéra-
j» tion de ceux qui les ont connus ? Machado était un
> favori du roi Guillaume ; ce monarque reconnaissait
9 qu'il avait rendu de grands services à ses armées en
234 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
» Flandre. Le baron d'Aguilard , trésorier de la reine
» de Hongrie, est encore regretté à Vienne; M. Gradis
» est estimé à la cour de France (0. »
Nous parlerons plus tard de M. Gradis.
Les Lettres de M. Tabbé Guénée relatent le fait que
les Portugais et Espagnols de Bordeaux recoururent
au juif portugais Pinto, et le prièrent de joindre ses
sollicitations â celles de leur agent à Paris, auprès du
maréchal duc de Richelieu. Elles mettent en note :
« Cet agent est M. Péreire, connu par Tart de faire
j» parler les sourds de naissance. i^
Jacob -Rodrigues Pereire était né à Berlanga
(Estramadure) le ii avril 171 5, de Abraham-
Rodrigues Pereire et de Abigaïl Ribca Rodrigues, qui
eurent neuf enfants. Il paraît avoir habité Caduc et
être venu à Bordeaux en 1734. C'est du moins ce
qu'on peut induire d'une lettre à lui adressée, le
23 août 1734 par M. Bar bot, qui fut président au
Parlement et secrétaire de l'Académie de Bordeaux.
Cette lettre prouve que Pereire s'occupait déjà de
l'éducation des sourds-muets. Nous n'avons pas de
documents précis sur le séjour qu'il fit à Bordeaux.
Une notice biographique, insérée dans le Bulletin du
Muséum (2), indique qu'en 1735, il a tenu une école
de sourds-muets à Bordeaux, dans la rue des Augus-
tins. Dès 1745 à La Rochelle, l'année suivante à
l'Académie de Caen, on constate le succès de sa
(1) Voir p. i5, i2»« édition; 1826.
(3) Bulletin du Muséum de Bordeaux, an XI, 1. 1, p. 148.
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE II. 235
méthode. En 1747, il se rend à Paris, et pré.sente
en 1749 un élève à T Académie des Sciences.
La commission, qui se composait de Tanatomiste
Ferrein, de Mairan et du célèbre Buffon, fit le plus
grand éloge du savant instituteur (0. BufTon écrit dans
son Histoire naturelle : « Un sourd de naissance est
» nécessairement muet, il est cependant possible...
» de l'amener à... comprendre le sens des paroles
> par le mouvement des lèvres de ceux qui les pro-
* noncent... M. Jacob Rodrigues Péreire,... ayant
> cherché les moyens les plus faciles pour faire parler
]» les sourds-muets de naissance, s'est exercé assez
» longtemps dans cet art singulier pour le porter à un
1 grand point de perfection... On peut, avec de Tart,
1 amener tous les sourds-muets de naissance au point
1 de commercer avec les autres hommes (2). >
Le roi Louis XV se fit présenter Péreire et son
élève; il accorda à Péreire une gratification, et en 176 1
lui donna une pension de 800 livres. La cour, les
savants, accueillirent avec faveur l'instituteur des
sourds-muets. Buffon, Rousseau, La Condamine,
d'Alembert, Diderot, Lecot, le P. André, assistèrent
souvent aux leçons de Péreire et devinrent ses amis.
Sollicité d'ouvrir à Paris une école publique pour
les sourds -muets, il en avait publié le prospectus
en 1750.
Péreire s'était occupé de mathématiques et de
finances; il fournit en 1776, au banquier Necker, son
(i) Journal des Savants, juillet 1747, p. 433, et juillet 1749, p. 622.
(3) Buffon. Histoire naturelle, i^ édition.
236 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX-
ami, un projet d'emprunt à lots dont Tidée-mère a
été souvent appliquée de nos jours (0.
Il rendait à Paris les plus grands services à ses
coreligionnaires de Bordeaux, <c services dont sa
générosité lui a fait refuser la récompense, :d dit une
délibération des Portugais et Espagnols de Bordeaux
en 1756. On finit par lui faire accepter une modique
pension, et il reçut les fonctions d'agent à Paris des
Espagnols et Portugais de Bordeaux et de Bayonne.
Il s'occupa activement des règlements de 1760 et
de 1763; il obtint les lettres-patentes de 1776.
Le 5 novembre 1777, M. Lenoir, intendant de la
police, le chargea de la police de tous les Juifs qui
venaient résider à Paris, et lui accorda, le 7 mars 1 780,
rétablissement du cimetière Israélite de la Villette.
Il n'existait point alors à Paris de lieu de sépulture
pour le culte Israélite.
Le nouveau cimetière fut presque inauguré par
Péreire, qui mourut le i5 septembre 1780.
Péreire fut le précurseur de l'abbé de l'Épée et de
l'abbé Sicard dans l'enseignement des sourds-muets.
Son système ne se bornait pas à leur apprendre le
langage des signes, mais aussi à articuler les sons du
langage ordinaire et à comprendre la parole parlée.
La notice du Bulletin du Muséum, que nous avons
déjà citée, dit qu'il a écrit sur sa méthode de dactylo-
logie plusieurs articles dans les journaux de l'époque.
Les enfants et les petits-enfants de Péreire ont fait
(1) E, Seguin. Jacob- Rodri gués Péreire, Paris, BaiUière, 1847.
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE II. 237
les plus minutieuses recherches pour retrouver dans
son entier le système de leur aîeul. Ils se proposent
de fonder, pour honorer sa mémoire, un établissement
d'éducation pour les sourds-muets, dans lequel l'en-
seignement serait une nouvelle application de celui
qui eut de si beaux succès à la fin du dernier siècle.
Nous avons déjà parlé des banquiers Joseph et
Jacques Nunès Péreyra, vicomtes de la Ménaude et
barons d'Ambès, père et fils.
D'autres banquiers, les frères Raphaël, jouèrent
aussi un rôle important. C'est à l'un d'eux que l'on
doit la construction, en 17 38, d'une salle de théâtre
qui manquait à Bordeaux. On a fait remarquer, non
sans raison, qu'à cette époque les Juifs n'avaient pas
le droit d'être reçus au théâtre.
La renommée des médecins juifs de Bordeaux ne
s'était pas éteinte. Silva père, c^ui était médecin de
l'Hôtel de Ville de Bordeaux et remplissait dignement
cet emploi, dit la Chronique bordelaise, fut remplacé
dans sa charge ; le motif de cette destitution fut qu'il
était étranger. Il se rendit à Paris, où il acquit
une grande réputation, et devint médecin consultant
du roi.
Son fils, Jean-Baptiste Silva, né à la fin du dix-
septième siècle à Bordeaux , se convertit avant d'aller
faire ses études à Montpellier. Docteur en 171 1, il
s'établit à Paris avec la protection de Chirac et
d'Helvétius. Il devint, comme son père, médecin
consultant du roi, et reçut des lettres de noblesse.
Silva était réputé pour le charme de son commerce.
238 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Voltaire, qui en faisait le plus grand cas, a écrit à
propos de lui :
Malade, et de douleurs sur un lit accablé,
Par réloquent Silva vous êtes consolé ;
II sait Tart de guérir autant que Part de plaire.
Silva refusa les offres de Timpératrice de Russie,
Catherine, qui voulait le nommer son premier méde-
cin. Il mourut à Paris en 1742, laissant une fortune
considérable.
Moins célèbre que Silva, Cardoze fut cependant en
grande réputation à Bordeaux vers le milieu du dix-
huitième siècle. Il s^était fait catholique.
Ainsi, à la fin du dix-huitième siècle, les Juifs por-
tugais et espagnols et les avignonais, régulièrement
domiciliés à Bordeaux, jouissaient de la plénitude des
droits civils appartenant aux autres régnicoles; ils
jouissaient, sinon d^une liberté religieuse complète, du
moins d'une tolérance bienveillante dans l'exercice
de leur culte, sous le prétexte du droit de vivre suivant
les usages de leur nation.
Il leur manquait la reconnaissance formelle et
légale de la liberté religieuse entraînant la jouissance
des droits politiques.
La Révolution de 1789 et TEmpire allaient les
assimiler complètement aux autres citoyens, en com-
prenant dans ce bienfait tous leurs coreligionnaires
français, jusque-là moins favorisés.
CHAPITRE III.
RÉVOLUTION FRANÇAISE,
{ I. — LES JUIFS ADMIS AUX DROITS DE CITOYEN.
Tendances à li tolérance religieuse au commencement du règne de Louis XVI. —
Édit de novembre 1787.
M. Dupré de Saint-Maur. -> La maison Gradis. -- M. Moyse Gradis. — Lettre
sur diverses questions. — MM. Lopès-Dubec et Furtado, délégués par les
anciens auprès de M. de Malesherbes.
Mémoire des délégués. — Ses conclusions.
Leur système laisse subsister les Portugais en nation séparée même des autres
Juifj. — Lettre des syi^dics, MM. Raba junior et de George, aux délégués. —
Lettre de M. David Gradis à M. Dupré de Saint-Maur.
Convocation des États généraux. — Les Juifs de Bordeaux et de Rayonne ont le
droit de s'assembler pour élire leurs députés. ^ Di£Bcultés à Rayonne.
Assemblée nationale. — Les Protestants privés des droits politiques comme les
Juifs.
3 août : Tabbé Grégoire. — 32 aoftt : M. de Castellane. dom Gerle, M. de la
Rochefoucauld. — Les Juifs d'Alsace invoquent la protection de l'Assemblée.
Séances des 23 et 24 décembre 1789. — L'abbé Maury, Robespierre, l'évêquede
Nancy, Rewbell. — Le prince de Broglie, Bamave, Target, Beaumetz et
Mirabeau. — Décret du 24 décembre 1789.
Il inquiète les Espagnols et Portugais de Bordeaux. — Leurs délégués auprès de
riVssemblée. — Adresse à l'Assemblée présentée par eux. — M. dcTalleyrand.
-~ Décret du 28 janvier 1790, qui reconnaît aux Juifs de Bordeaux les droits
de citoyen. — Émotion à Bordeaux.
Admission des Allemands aux droits politiques. — Constitutions de l'an III et de
l'an VIII.
La tolérance dont le pouvoir usait envers les Juifs
en fermant les yeux sur Texercice de leur culte, était
trop précaire pour qu'on puisse considérer leur religion
comme reconnue, ou même comme légalement tolérée
par l'État.
240 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Depuis la révocation de Tédit de Nantes, la religion
catholique pouvait seule être exercée dans le royaume.
L^édit de mai 1724 confirmait, sur ce point, celui
d^octobre 168 5, qui révoquait le fameux édit accordant
aux réformés la liberté de conscience et de culte.
Le règne de Louis XVI s'ouvrit sous Tinfluence
d'idées religieuses empreintes de tendances toutes
différentes. La liberté de conscience existait déjà en
France dans tous les esprits, elle était inscrite dans les
cahiers du tiers état, et réclamée même par ceux qui
voulaient conserver à la religion catholique un caractère
dominant, lorsqu'elle fut enfin insérée dans les lois.
Le jeune roi, dans son édit de novembre 1787
abrogeant celui de i685, s'il ne reconnut pas la reli*
gion prétendue réformée, du moins la fît tolérer, et
leva les incapacités dont étaient frappés tous ceux qui
ne professaient pas la religion catholique.
Le gouvernement s'occupait très sérieusement des
mesures à prendre pour arriver, sinon à l'émancipa-
tion légale des Israélites, du moins à leur conférer
certains droits civils et politiques.
M. Dupré de Saint-Maur, conseiller d'État, qui
avait été intendant à Bordeaux et y avait eu des rela-
tions avec M. Gradis, lui fit part de ces intentions.
M. Gradis était un des armateurs les plus considé-
rables de la place de Bordeaux.
L'importance de la maison David Gradis à cette
époque nous engage à entrer dans quelques détails
intéressants pour l'histoire du commerce de Bordeaux.
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE III. 24 1
La famille Gradis, originaire du Portugal, était
établie à Bordeaux depuis le seizième siècle. Divers
de ses membres avaient contracté des alliances ou
établi des relations avec des familles portugaises de
Londres et d^Amsterdam.
Nous avons déjà rencontré (0 le nom de Diego
Rodrigues Gradis et celui de ses trois fils Antoine,
David et Samuel. Pendant que Samuel continuait la
maison Gradis père et fils , David créait aux colonies,
sous la raison David et Mendès, deux maisons impor-
tantes : Tune à Saint-Domingue (1724), l'autre à
Saint-Pierre Martinique (1727), et enfin, en 1728, à
Bordeaux, la maison David Gradis et fils, qui allait
prendre un développement considérable, avec le con-
cours de son fils Abraham.
Cette maison, pendant la guerre contre l'Angleterre,
de 1744 à 1748, affréta pour compte du gouverne-
ment plus de dix navires , dont quelques-uns furent
pris par les corsaires anglais. Les risques de guerre
avaient alors porté le taux des assurances maritimes
à 5o pour 100, et le fret variait de 5oo à 600 fi'ancs
par tonneau. Abraham Gradis fonda, en 1748, la
Société du Canada, et établit à Québec de vastes
magasins pour recevoir les approvisionnements qu'il
faisait venir de France pour compte du roi.
Après la mort de David, en 1761, les opérations
d'Abraham Gradis continuèrent à s'étendre. Il était
entré en relations, par une avance de 400,000 francs,
(I) P. 171.
16
242 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
avec le fameux Père La Valette, supérieur général
des Missions à la Martinique, qui avait entrepris de
vastes exploitations agricoles et un commerce consi-
dérable. Quelques années plus tard, la faillite du Père
La Valette et les procès que cette faillite suscita contre
les Jésuites devaient avoir un immense retentissement.
Les opérations de la maison Gradis avec le gouver-
nement l'avaient préservé du sinistre, en lui faisant
concentrer ses ressources, et Tobligeant ainsi à renon-
cer aux affaires proposées par le P. La Valette.
L'importance de ces opérations pour l'approvision-
nement du Canada et de l'île royale peut s'apprécier,
en sachant qu'en 1758, au moment de la guerre avec
l'Angleterre, la maison Gradis mit en mer quatorze
navires, portant 4,5oo tonneaux de marchandises, et
fit au roi plusieurs millions d'avances. Ces navires,
richement chargés, étaient guettés comme une proie
par les corsaires anglais ; plusieurs furent pris, quel-
ques-uns se défendirent vaillamment. Il n'était plus
question d'assurances maritimes en 1769, et le fret
pour le Canada, par le navire le Duc-de-Fronsac,
fut payé 1,000 livres par tonneau.
Le Trésor français payait mal ; il venait même, le
18 octobre 1769, de suspendre le paiement des traites
tirées des colonies par ses agents. Malgré les embarras
que ces retards pouvaient occasionner à une maison
de commerce, la maison Gradis donna une preuve
éclatante de sa générosité et de son patriotisme. La
flotte française, commandée par le maréchal de
Conflans, avait été attaquée et dispersée par la flotte
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE III. 2^3
anglaise aux ordres de Tamiral Hawkes. Abraham
Gradis donna aussitôt Tordre à M. Benjamin Mendes
Dacosta , son correspondant à Londres, c d^écrire à
3 MM. les capitaines ou commandants (qui se trouve-
> raient prisonniers), pour leur marquer que vous avez
]> ordre de notre part, et pour notre compte, de leur
» fournir tout l'argent dont ils pourraient avoir occa-
> sion , en écrivant à votre ami dans le port où ils
» seront conduits, de les voir et de leur offrir ce qu'ils
9 demanderont. Je compte assez sur votre amitié pour
» espérer que vous voudrez bien me rendre ce service.
1^ Vous ne sauriez m'en rendre de plus signalé, i»
Il est inutile de dire qu'Abraham Gradis avait eu
à juste titre la confiance et souvent l'amitié des divers
ministres de la marine, MM. de Rouillé, de Machault,
de Moiras, Berryer, duc de Choiseul. — Il était lié
d'amitié avec un grand nombre de hauts personnages,
et notamment avec le maréchal d'Harcourt et avec le
duc de Richelieu.
La maison David Gradis et G® avait acquis, vers
1777, des habitations à Saint-Domingue et à la
Martinique. Mais elle éprouvait des craintes sur la
solidité dç cette acquisition, les lois coloniales s'étant
longtemps opposées à ce que les Juifs possédassent des
terres. David Gradis et O® reçurent du roi Louis XVI,
le 21 août 1779, des lettres-patentes les autorisant
à posséder des terres dans toutes les colonies fran-
çaises, en rappelant que leur maison, établie de père
en fils à Bordeaux depuis deux siècles, étendait son
commerce dans toutes les parties de l'Europe, ainsi
244 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
qu^en Amérique ; qu^elle avait fait des avances consi-
dérables à rÉtat pour i^approvisionnement du Canada
et d^autres colonies françaises en Amérique et en
Afrique, et s^était fait remarquer par sa probité et son
désintéressement.
Peu après, en 1780, la maison D. Gradis contrac-
tait avec M. de Sartines rengagement de faire pour
la colonie de Saint-Domingue une avance annuelle de
neuf millions.
Abraham Gradis mourut le 17 janvier 1780, en
recevant les témoignages de Testime publique. Les
princes frères du roi, Monsieur, comte de Provence,
et le comte d^ Artois, qui furent depuis les rois
Louis XVIII et Charles X, se trouvaient de passage
à Bordeaux, pendant la maladie de Gradis; ils lui
envoyèrent leur médecin. Les jurats avaient défendu
de sonner les cloches, dont le bruit aurait pu impor-
tuner le malade.
Abraham laissait pour héritier son neveu et associé,
Moyse, fils de Samuel, qui maintint jusqu^à sa mort,
en octobre 1788, la maison Gradis au rang élevé
qu'elle avait su conquérir.
C'est à Moyse Gradis que s'était adressé M. Dupré
de Saint-Maur.
Moyse lui écrivit, le 22 mars 1768 :
a Vous pensez. Monsieur, qu'il ne serait pas impos-
» sible que les vues du gouvernement en faveur des
]> protestants ne se tournassent du côté de la nation
}> juive. j> Il le félicitait de cette intention patriotique;
disait que les Juifs portugais la méritaient par leur
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE III. 245
conduite morale et charitable; et que les Juifs des
autres provinces pourraient devenir un jour des
citoyens utiles. ^
Quelques jours après, nouvelle lettre que nous
transcrivons presque en entier :
« A Monsieur Dupré de Saint-Maur,
» Bordeaux, le 8 avril 1788.
» En rendant, Monsieur, justice à la satisfaction que doi-
H vent me donner les vues bienfaisantes que le gouvernement
>» paraît avoir dans ce moment en faveur des Juifs...., vous
» me faites Thonneur de me charger d'éclaircir vos doutes sur
» les questions suivantes :
» Si le divorce, permis par la loi judaïque, a ou n'a pas lieu
» chez nous; et si, dans ce premier cas, les juges et tribunaux
» du pays statuent d'après notre loi ? *
» S'il y aurait quelques causes, générales ou non, qui ten-
» draient à détourner les Juifs de s'adonner à la culture des
M terres?
» Si, dans le cas où ils n'exerceraient qu'en vertu de privi-
n léges particuliers les arts mécaniques et les professions
» soumises à des jurandes et réunies à des corps de commu-
» nautés, ils ne devraient pas désirer d'être admis dans ces
n corps, comme l'édit en faveur des non-catholiques semble
» en autoriser formellement la demande ?
» Quels sont les moyens dont nous nous sommes servis
>» jusqu'à ce jour pour constater nos mariages, naissances et
» morts, dans les villes où nous n'avons ni rabbins ni syna-
» gogues?
» Si la séparation qui existe entre les Juifs portugais, avi-
» gnonais et d'autres provinces du royaume réputées étran-
» gères, n'est qu'une affaire de personnalités qui devraient
» être effacées depuis longtemps, ou si elle est fondée sur
» quelque différence soit dans le dogme, soit dans les pratiques
» et cérémonies religieuses?
246 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
» Quel est à peu près Tétat de notre population à Bordeaux,
» et si la multiplication des Portugais est aussi active que celle
» des autres Juifs ?
>» Si, pour assurer le bonheur ^ie tous, je pense que nous
» soyons dans le cas de solliciter pour ceux de Bordeaux, afin
» de mieux assurer leur tranquillité et les mieux incorporer
» dans rÉtat, en profitant de la bonne volonté du gouverne-
» ment et de Tesprit de tolérance qui le dirige ?
» Permettez, Monsieur, que je suive le même ordre dans
M mes réponses, en les faisant aussi succinctement qu'une
» lettre peut l'exiger :
» i^ Le divorce n'a anciennement jamais eu d'effet parmi
» nous que dans les seuls cas d'adultère ou de consentement
» réciproque entre les époux; et le sieur Peixotto est le seul
w qui ait prétendu le faire valoir en France ; mais les pour-
» suites qu'il a faites pour cette affaire devant les tribunaux de
» Bordeaux et de Paris prouvent que la Justice n'y statuerait
» que d'après notre loi. Et quoique, par la loi judaïque, la
» polygamie nous fût également autorisée, nous n'avons
» jamais voulu nous la permettre dans les États où elle n'était
» pas admise. Mais l'admission légale dans le restant de la
» France des Juifs des provinces réputées étrangères pourra
« rendre nécessaire une interdiction générale sur ces objets,
» auxquels les Juifs régnicoles se trouvent volontairement
» soumis, comme ils le sont, et entendent l'être, sur toutes
» les autres lois du royaume.
» 2« Aucune cause générale ou particulière ne tend à détour-
» ner les Juifs de s'adonner à la culture des terres , qu'on ne
» peut considérer que comme le plus estimable et le plus
» important des arts. Vous avez observé que l'usage des plus
» aisés d'entre ceux de Bordeaux est de convertir une bonne
» partie de leur fortune en des propriétés foncières qu'ils
» dirigent ou font valoir; et ceux qui ont des moyens plus
» bornés, profitent aussi de la faculté qu'ils ont de prendre des
» baux à ferme.
» 3*> et 4» Cette liberté , et celle que nous avons de professer
» toutes les branches de commerce où nous nous sommes
>» rendus principalement utiles dans les ports de mer les plus
» commerçants de l'Europe et de l'Asie, où les Juifs portugais
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE llï. 247
» font leur domicile , ne nous empêche pas d'ambitionner la
» faculté que Fédit en faveur des non-catholiques paraît nous
» donner en France d'entrer dans les communautés d'arts et
» métiers soumises à des jurandes; et, à cet effet, il n'est
» point de sacrifices que nous ne soyons disposés à faire en
» ÊLveur de nos pauvres , pour payer leur apprentissage d'où-
» vriers, et pour procurer chaque année des maîtrises à tous
» ceux qui se rendront les plus capables.
» 50 II n'est point de ville de résidence des Portugais , où ils
» n'aient, à ce que je crois , des registres pour constater leurs
• mariages, leurs naissances et morts; et, quoique ceux
» que nous entretenons fassent au besoin pleine foi en Justice,
» nous ne sommes pas moins disposés à nous conformer à cet
» égard à la nouvelle loi en faveur des non-catholiques, parce
» qu'il a toujours été dans nos principes de nous assimiler aux
» autres citoyens du royaume en tout ce qui peut dépendre
» de nous.
» 6^ Il est vrai. Monsieur, qu'il existe une ligne de démar-
» cation très ancienne entre les Juifs originaires d'Espagne et
» de Portugal et tous les autres Juifs , avec lesquels ils ne se
» sont jamais confondus même par les liens du mariage ; mais
» ce n'est l'effet d'aucune personnalité ni malveillance , ni par
» aucune différence par les dogmes religieux. Cela n'est prin-
» cipalement fondé que sur la distinction très particulière
» dont ils ont joui sous les Califes en Espagne, sur les grands
n privilèges qui leur ont ensuite été accordés exclusivement
» aux autres Juifs dans les États les plus commerçants de
>• l'Europe.
»• 7» Je pense que pour les Portugais (leur nombre) peut
» s'élever à environ 2,000 personnes, et pour les Avignonais
» et autres Juifs de 3 à 400. Si la population des Portugais ne
» s'accroît pas autant que celle des Juifs d'Alsace, de Lorraine
>» et d'Avignon, on ne peut l'attribuer qu'à notre manière de
» vivre, entièrement semblable à celle des peuples chez lesquels
» nous sommes naturalisés.
» 8<> Je pense qu'en assujétissant les Juifs des autres pro-
» vinces à toutes les lois du royaume , auxquelles ceux de la
!• Guienne sont si jaloux de se conformer, et en leur accordant
n la liberté et les droits qui sont assurés à tous les non-catho-
248 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
» liques, on doit espérer, je le répète, de pouvoir en former
» des citoyens utiles à eux-mêmes et à l'État.
. » A regard de l'extension que nous serions dans le cas de
» solliciter de l'humanité bienfaisante de S. M. pour nous
» incorporer, s'il est possible , mieux que nous ne le sommes,
» dans l'État sous la protection duquel nous avons le bonheur
» de vivre , elle peut consister pour beaucoup de nos moins
>» aisés à pouvoir être incorporés dans les communautés d'arts
» et métiers; et, pour ceux qui peuvent être parmi nous les
» plus recommandables , à être admis dans la Chambre de
» commerce, à être régulièrement appelés dans ses assemblées,
» et même dans celles convoquées par la municipalité. Il
» serait aussi bien important d'abroger, comme il serait possi~
» ble, l'article du code 3 qui forme contradiction manifeste
» avec les lois de France qui nous concernent...
» Quant à notre constitution , nous n'aurions que quelques
» changements peu importants à désirer, si ce n'est pour le
M mariage, qui, étant parmi les Juifs réputé valable lorsque la
» cérémonie s'est faite en présence de trois témoins seulement,
» occasionne un grand abus auquel nous avons nous-mêmes
» assez de peine à remédier , qui est celui de pouvoir se faire
» sans le concours du rabbin, ni du consentement des père et
» mère ou tuteur. Il serait essentiel qu'il y eût une loi de
rigueur...
» J'ai profité librement. Monsieur, des ouvertures que vous
» avez eu l'extrême bonté de me faire en faveur des Juifs
» Portugais et autres; et... j'ai insinué à MM. les anciens de
» notre nation, que je trouvais important qu'ils députassent
M deux de leurs membres pour les représenter à Paris. Ils ont
» choisi à cet effet MM. Lopès-Dubec et Furtado qui partent
» aujourd'hui pour s'y rendre. Ces députés pourront par&ite-
M ment satisfaire à de plus amples éclaircissements que vous
» pourriez souhaiter. Ils méritent une entière confiance. »
Les deux députés, auxquels s'était adjoint M. Fon-
seca neveu, désigné par les Juifs de Bayonne, furent
présentés au ministre, M. de Malesherbes, qui leur
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE III. 249
remit une série de questions et leur demanda un
mémoire. M. Fonseca n'ayant pu s'en occuper, le
mémoire fut l'œuvre de MM. Lopès-Dubectt Furtado,
et remis par eux au ministre le i5 juin.
Nous avons sous les yeux une copie de ce travail
remarquable.
Il ne fut pas remis au ministre sans quelques hési-
tations. MM. Gradis, Raba et Benjamin de George,
syndics à Bordeaux, recommandaient la plus grande
circonspection.
Ce mémoire présente le tableau de la situation des
Juifs dans les divers États de l'Europe; il fait l'histo-
rique de leur établissement en France, et enfin il
indique les vœux des syndics sur le mode de consti-
tution que les Juifs désiraient obtenir.
Sur ce dernier point, il demande :
I® Le maintien des privilèges accordés en i55o aux
Espagnols et Portugai^de Bordeaux et de Bayonne;
2® Le droit d'établissement des Juifs dans toute
rétendue du royaume;
3^ La célébration des mariages juifs suivant les rites
et usages judaïques, mais avec interdiction expresse
de la polygamie ;
4° Le maintien du divorce ;
5° et 6® Le règlement des fiançailles et du mariage ;
7®, 8®, 9® Les déclarations pour naissance, mariage
et décès faites aux juges royaux ;
I o*^ Le mode de partage des successions, selon la
loi de Moïse, pour les Allemands ;
25o HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
11° et 12° Le droit d'exercer toutes professions,
notamment celles de chirurgien et de médecin ;
1 3° Le droit de posséder et cultiver des fonds de terre ;
14° Le droit de transmission de biens, donations et
testaments, avec toutes personnes;
1 5° Les Juifs continueront, comme par le passé,
d'avoir leurs synagogues, leurs rabbins, leurs écoles
et leurs cimetières; leurs enfants seront admis dans
les collèges et universités ;
16° L'admission des négociants juifs aux chambres
de commerce;
17° Leur admission aux charges municipales;
1 8° Le droit de statuer sur les admissions nouvelles
de Juifs demandant à s'établir dans le royaume ;
1 9° La continuation du passé pour le paiement des
impositions royales et de la taxe des pauvres ;
20° Un certain droit de juridiction de conciliation
entre Juifs, et la réserve formelle des cas de divorce
pour l'assemblée de la Nation?
En résumé, le système présenté par les députés
Lopès-Dubec et Furtado laissait subsister une diffé-
rence légale considérable entre les Juifs et les autres
Français pour les mariages et le divorce, et en cer-
tains cas pour les successions ; continuait à constituer
une nation particulière avec des droits et des privilèges
particuliers ; enfin, consacrait, même entre coreligion-
naires, une différence entre les Portugais et Espagnols
d'une part, les Avignonais, Allemands et Italiens dç
l'autre.
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE III. 25 1
Cette distinction était chère aux Portugais de Bor-
deaux. Leurs syndics écrivaient à ce sujet à leurs
mandataires à Paris :
a Bordeaux, le 8 mai 1788.
• Messieurs,
• Nous avons reçu la lettre que vous nous avez fait l'hon-
neur Nous devons vous assurer du même secret... que,
de notre côté/nous vous recommandons sur votre mission..,
afin que rien de ce que vous avez à traiter ne vienne à la
connaissance des Juifs avignonais et allemands qui, sur cette
notion, ne pourraient que nuire infiniment à ito/rej7ri/rcipa/
objet de conserver notre corporation, par les démarches et
sollicitations qu'ils feraient pour s'y opposer, et être con-
fondus avec nous sous la seule dénomination générale de
Juifs
» Nous sommes charmés que vous soyez fixés, pour vos
réponses aux éclaircissements qui vous ont été demandés
sur le divorce, la polygamie, l'agriculture, notre admission
dans les communautés d'arts et métiers, etc. Mais vous nous
dites ne Têtre pas encore par la distinction faite, et à main-
tenir, entre les Juifs portugais et les autres Juifs.... Sur quoi
vous nous demandez de vous aider de nos instructions,
parce que vous croyez apercevoir que les vues du gouverne-
ment pourraient être d'abolir en France les corporations
particulière^ de Juifs entre eux ; ce qu'il serait essentiel de
Élire humainement tout ce qu'il serait possible pour l'éviter
par rapport à la nôtre.
• Nous croyons que personne ne pourra mieux éclaircir
vos doutes à cet égard que M. Dupré de Saint-Maur, ni
mieux vous diriger lorsque vous vous serez ouvert à lui sur
les craintes que nous avons qu'on veuille prendre ce parti.
Vous connaissez trop toute l'incompatibilité des usages,
coutumes et manière de vivre des autres Juifs d'avec les
nôtres, pour ne pas, à cette occasion, la &ire valoir comme
vous le devez. Et, sans avouer ouvertement, dans les con-
252 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
versitions que vous aurez avec lui la différence qui existe
entre leurs mœurs et les nôtres, pour ne pas trop les dépré-
cier, ni convenir qu'il y en ait aucune dans le dogme reli-
gieux, vous pouvez représenter qu'ils le surchargent de
beaucoup de cérémonies ridicules, d'idées rabbiniques, et
qu'ils sont en quelque manière tellement asservis à toutes
sortes de superstitions ou de bigoterie, que cela les a encore
rabaissés à nos yeux au point de ne nous être jamais permis
avec eux d'alliances sous les liens du mariage. Peut-être s'il
était absolument besoin, ce que* nous ne pensons pas, ne
serait-il pas difficile de justifier par quelques recherches la
supériorité originaire qu'on a toujours reconnue aux Portu-
gais, et la tradition qui s'est toujours conservée jusqu'à nos
jours qu'ils descendent, sans aucun mélange, des anciens
chefs de la nation juive, qui furent enlevés de Jérusalem par
Nabuchodonosor avant la captivité de Babylone, et qui
furent conduits en Espagne, puisque plusieurs de nos anciens
auteurs citent des lettres de leur part adressées aux Juifs qui
réédifièrent le second Temple, et dont il a été extrait : Emet
Veyachib, que nous avons conservé dans nos prières jour-
nalières. »
Les députés des Juifs de Bordeaux ne partageaient
pas les illusions des Portugais et écrivaient le 1 3 mai :
• Malgré la répugnance que nous y aurions, le gouvcrne-
» ment, qui paraît disposé à diminuer ou à effacer les distinc-
• tions entre les autres sujets et nous, doit l'être bien moins
» à en laisser subsister parmi nous-mêmes ; il serait donc
• inutile de se flatter qu'il soit &it une loi séparée et dis-
• tincte... •
Ces dispositions du gouvernement étaient redoutées
des Portugais. Ils désiraient ardemment conserver
leur position privilégiée, tout au plus avec quelques
avantages nouveaux, mais sans se mêler ni au corps
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE III. 253
de la nation française ni à leurs coreligionnaires alle-
mands et avignonais. Ils étaient d^ailleurs satisfaits
de redit qui effaçait les distinctions entre les catholi-
ques et les non-catholiques, et redoutaient tout nou-
veau changement.
Ces sentiments étaient exprimés dans une lettre
adressée à M. Dupré de Saint-Maur, le i8 avril 1789,
par M. David Gradis, qui, depuis la mort de Moyse,
était le chef de la maison David Gradis :
« L'intérêt que vous avez daigné nous témoigner en faveur
des Juifs, en désirant qu'ils fussent incorporés, s'il était
possible, mieux qu'ils ne l'étaient, dans l'État, nous engage
à vous informer que vos souhaits sont déjà par&itement
remplis à Tégard de la nation portugaise de Bordeaux et
Bayonne par l'attention qu'a eue notre Parlement de ne rien
mettre dans l'enregistrement de Tédit en faveur des non-
catholiques, qui pût nous empêcher de jouir de tous les
avantages de cette loi, sans que les réserves qui y ont été
mises puissent nuire à aucune des prérogatives dont nous
jouissions déjà.
• Mais ce qui a mis, Monsieur, le comble à notre satisfac-
tion, c'est l'article 26 du règlement de convocation aux États
généraux qui nous rend partie constitutive de l'État; et
d'après lequel le corps de notre nation, ayant reçu sa lettre
d'invitation de la part des officiers municipaux, a nommé
qviatre députés au nombre desquels était notre sieur David
Gradis, MM. Furtado, Lopès-Dubec et Azevedo. M. David
Gradis a été lui-même élu par ses concitoyens un des
90 réservés à la ville de Bordeaux, et qui, à ce titre, a été
admis dans toutes les assemblées des trois ordres, et dans
toutes celles du tiers état de la sénéchaussée et de la ville ;
avec une suffisante approbation générale pour n'avoir
manaué que de peu de voix pour être un des quatre députés
aux États généraux,
t L'agrément avec lequel cette admission s'est opérée, et
254 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
les avantages résultant pour les Juifs portugais de Fédit en
faveur des non-catholiques ne leur laissent absolument rien
à désirer de la tolérance de la nation et de l'humanité bien-
&isante du gouvernement. Nous vous prions instamment
de vouloir bien le représenter à M. de Malesherbes, en lui
faisant sentir que tout changement à leur situation actuelle
ne pourrait que nuire à leur bonheur; et, comme vous
savez rinsurmontable éloignement qu'ils ont dans toute
l'Europe à s'allier ou incorporer avec toute autre sorte de
Juifs avec lesquels ils ne veulent pas être confondus, ce sera
leur rendre le plus signalé des services que de vouloir bien
engager M. de Malesherbes de ne les comprendre en rien
dans la nouvelle loi qu'il est chargé de rédiger en faveur des
Juifs d'Alsace et de Lorraine (0. •
Les États généraux allaient se réunir, et la question
des droits politiques et civils indépendants de Texer-
cice d^un culte quelconque ne devait pas tarder à les
occuper.
Les lettres-patentes données à Versailles, le 24 jan-
vier 1789, par le roi Louis XVI, pour la convocation
des États généraux, comprenaient comme annexe un
règlement pour les convocations des diverses assem-
blées qui devaient concourir à Télection des députés
aux États généraux. Nous avons vu, par une lettre
de M. Gradis, comment les choses s'étaient passées à
Bordeaux.
A Bayonne il y avait eu quelques difficultés. Le
juge de Saint-Esprit se refusa à recevoir la dépêche
du grand sénéchal d'Albret, qui lui ordonnait de
convoquer la communauté juive. Sur la requête de
(0 Communication de M. Alexandre Léon.
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE IIÎ. 255
celle-ci , le baron de Batz , grand sénéchal d^Albret,
ordonna au syndic de Saint-Esprit, M. Larré ou à tout
notaire, d^appeler par députation la nation portugaise à
rassemblée. Cette communauté, convoquée avec l'en-
semble des habitants du bourg Saint-Esprit, protesta
de son droit de réunion particulière et de nominations
de députés spéciaux; et, après s'être retirée le même
jour, 19 avril, dans le lieu ordinaire de ses réunions,
procéda devant notaire à la nomination des députés
qui devaient porter ses cahiers à Tartas, chef-lieu de
la sénéchaussée. Ces députés furent Jacob Silveyra,
Furtado jeune. Benjamin Tavarès, et Mardochée
Lopès Fonseca.
Ce ne fut pas sans discussions et sans difficultés que
l'Assemblée nationale adopta les principes qui devaient
plus tard amener l'assimilation complète des Israélites
aux autres habitants de la France. Et il ne sera pas
sans intérêt de retracer ces étapes successives par
lesquelles les Juifs durent marcher, quelquefois malgré
leurs propres désirs, à la conquête de la jouissance
entière des droits du citoyen.
Ce n'étaient pas seulement les Juifs qui étaient privés
de ces droits; ainsi que nous l'avons déjà dit, depuis
la révocation de l'édit de Nantes par Louis XIV
en i685, et la confirmation de cette révocation par
Louis XV en 1724, les chrétiens protestants étaient,
eux aussi, impuissants à exercer les droits de citoyen
et à être admis aux emplois publics.
L'édit de Louis XVI de novembre 1787 avait ouvert
256 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
une ère nouvelle, en levant, à certaines conditions,
quelques-unes des prohibitions portées contre ceux
qui ne professaient pas la religion catholique.
L^ Assemblée nationale voulait aller plus loin.
Des scènes regrettables avaient eu lieu en Alsace.
Une population ignorante et fanatique s'était portée à
des violences envers les Juifs. Un des députés à
l'Assemblée nationale , Tabbé Grégoire, qui venait de
publier VEssai sur la régénération des Juifs, fît à
l'Assemblée , dans la séance du lundi 3 août 1789, le
tableau des persécutions que les Juifs venaient de
souffrir en Alsace. Comme ministre d'une religion
qui regarde tous les hommes comme frères, il réclama
l'intervention du pouvoir de l'Assemblée en faveur de
ce peuple proscrit et malheureux.
Le 22 août, M. de Castellane proposa à l'Assemblée
d'insérer dans la déclaration des droits de l'homme
que € nul ne doit être inquiété pour ses opinions reli-
:^ gieuses ni troublé dans l'exercice de sa religion > .
Mirabeau soutint la proposition en demandant c la
j» liberté la plus illimitée de religion. j> Et le lendemain
il demanda c hautement la liberté religieuse, 3> sous la
condition de ne pas troubler l'ordre public, et s'éleva
avec force contre l'idée de reconnaître un culte comme
dominant, L'Assemblée adopta la rédaction suivante :
« Nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même
» religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble
» pas l'ordre public établi par la loi. d
Dom Gerle et les partisans d'une religion dominante
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE III. 25?
proposèrent à rAssemblée de décréter que la religion
catholique, apostolique et romaine serait à jamais la
religion de l'État, et la seule reconnue en France.
L'Assemblée, sur la proposition de M. de La Roche-
foucauld, et après avoir entendu Mirabeau, rejeta la
proposition, € considérant que l'Assemblée n'a et ne
» peut avoir aucun pouvoir à exercer sur les cons-
3 ciences et les opinions religieuses; que la majesté
» de la religion et le respect profond qui lui est dû
» ne permettent pas qu'elle devienne un sujet de
B délibération, j»
Cependant la situation des Juifs d'Alsace et de
Lorraine continuait à être menacée., ils demandaient
protection à l'Assemblée nationale. Le 3 septembre
on examina leurs demandes. Ils désiraient : i® que
l'Assemblée leur reconnût le titre de citoyen; 2** le
droit de résidence dans toute l'étendue du royaume ;
3** l'abolition des taxes de résidence; 49 le droit
d'exercer leur religion.
Notons en passant que la taxe payée par les Juits
d'Alsace pour le droit de résidence ne profitait guère
à l'État, car il avait été donné à la famille de Brancas.
Le 28 septembre 1789, sur la demande de M. de
Clermont- Tonnerre, l'Assemblée nationale décida
que son président écrirait à toutes les municipalités
de la Lorraine pour leur recommander de protéger
les Juifs, et pour leur manifester que la déclaration
des droits de rhomme étant commune à tous les
habitants, le roi serait supplié de l'appuyer de toute
son autorité.
>7
258 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Le 14 octobre, dans la séance du soir, les députés
de Lorraine firent admettre à la barre les délégués des
trois évêchés. M. Berr-Isam-Berr, Tun d'eux, exposa
leurs demandes.
La discussion s'ouvrit le 23 décembre sur la motion
de M. de Clermont-Tonnerre portant que désormais les
Français, quels que fussent leur culte et leur profession,
seraient admissibles à tous les emplois publics.
Il s'agissait des protestants, des juifs et des comé-
diens.
L'abbé Maury se montra favorable aux protestants;
mais , tout en admettant la tolérance la plus grande
pour la personne et pour la religion des Juifs, il
repoussa leur admission au rang des citoyens, et les
représenta comme un peuple vivant et voulant vivre
dans l'isolement, formant une nation dans la nation,
et impropre d'ailleurs à fournir des cultivateurs et des
soldats.
Robespierre parla en fiaveur de la liberté religieuse.
Monseigneur de La Fare, évêque de Nancy, se
rallia au système de l'abbé Maury, qui lui était imposé
par son cahier. Il craignait une sédition populaire
contre les Juifs s'ils obtenaient leur demande, tant ils
étaient détestés en Alsace et en Lorraine.
Le lendemain un des députés d'Alsace, Rewbell,
alla jusqu'à dire. « Le décret qui élèvera les Juifs au
]^ rang de citoyen sera, n'en doutez pas , leur arrêt de
» mort en Alsace , tant le peuple les y déteste, et tant
» je crains que sa fureur se réveille sur eux. »
A la séance du 24, lorsque le prince de Broglie
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE lîî. îSg
proposa de réserver la question relative aux Juifs, en
proclamant Tadmissibilité aux emplois publics de tous
les autres habitants, Rewbell s'opposa à Tajournement
et demanda à TAssemblée de prononcer nettement
Texclusion des Juifs.
L'abbé Maury parla dans le même sens et insista
pour que la question fût ainsi posée : Les Juifs auront-
ils, en France, les droits de citoyen, oui ou non ?
Barnave et Target s'opposèrent à rajournement en
demandant qu'aucune exclusion ne fut prononcée pour
cause de religion.
Baumetz, au contraire, appuya la demande d'ajour-
nement : il dit que la question n'était pas étudiée, qu'elle
était peu connue ; que les Juifs avaient jusqu'alors vécu
comme des étrangers, qu'ils avaient des privilèges
particuliers, que leurs intérêts séparés de ceux des
autres habitants leur avaient fait attribuer des tribu-
naux distincts pour les juger d'après leurs lois spéciales.
En demandant que l'admissibilité aux emplois publics
fût ajournée quant aux Juifs, il dit que c jusqu'à ce
]» jour ils avaient été flétris par la loi politique, comme
^ ils. paraissaient maudits par la religion. :» Et la voix
indignée de Mirabeau s'écria : € La religion, notre
:» religion sainte, ne maudit personne, elle bénit au
j» contraire tous les hommes sans distinction. »
L'Assemblée accepta l'ajournement, et, par son
décret du 24 décembre 1 789, qui admit les non-catho-
liques à tous les emplois civils et militaires, elle déclara
c n'entendre rien préjuger relativement aux Juifs, sur
:» l'état desquels elle se réservait de prononcer. »
200 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
L'Assemblée nationale avait été impressionnée par
ce qui lui avait été dit au sujet des Juifs d'Alsace et
de Lorraine, de leurs usures énormes, de la haine
qu'avaient pour eux les populations, de leur sépara-
tion complète des autres habitants, de leur caractère
d'étrangers, du régime légal réglé par les ordonnances
royales sous lequel ils vivaient. Mais l'Assemblée
n'avait pas connu la situation bien différente des
Israélites de Bordeaux, d'origine portugaise ou avi-
gnonaise, protégés par les lettres-patentes, et dont les
droits, reconnus et confirmés par une longue posses-
sion, avaient amené entre eux et les autres régnicoles
une assimilation plus complète, et contre lesquels
d'ailleurs ne s'élevait aucun reproche.
Les Espagnols et les Portugais de Bordeaux, qui
avaient la possession de l'état de citoyen, s'émurent
du décret du 24 décembre. Leur assemblée générale,
réunie le 3o, délégua à Paris MM. Gradis aîné, Raba
junior, David Dacosta, Abraham Rodrigues, Lopès-
Dubec, Benjamin de George et Salom.
Le journal de leur séjour à Paris constate qu'ils
essayèrent de s'entendre avec les Alsaciens et Lor-
rains, sans cependant nuire à la situation acquise de
leurs commettants. Ils virent à cet effet, chez M. Cerf-
Beer, les délégués de leurs coreligionnaires. Ceux-ci
leur avouèrent ^ que si on leur accordait les droits
» de citoyen pour pouvoir acquérir des immeubles,
)> les vendre et en disposer à leur volonté, avec la
» faculté aussi d'exercer tout commerce, arts et
» métiers, ils seraient satisfaits, n'ambitionnant pas
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE III. 26 1
* cette extension des droits de citoyen qui les rendrait
> capables d'être électeurs et éligibles dans les places
> d'administration, emplois civils et militaires. i>
Les délégués de Bordeaux s'occupèrent avec activité
de voir les députés des trois ordres de leur contrée :
Monseigneur de Cicé, archevêque de Bordeaux ; Lhé-
ral, vicaire-général ; Piffon, curé de Valeyrac; Delage,
curé de Saint-Christoly en Médoc, députés du clergé;
MM. Leberthon, premier président du Parlement de
Bordeaux; le président de La vie, le vicomte de Ségur
et le baron de Verthamon, pour la noblesse; Lafargue,
Cachet de Lislc, Paul Nairac, négociants, Desèze,
médecin, et Mercier de Terrefort, pour le tiers état.
Ils virent aussi les deux Garât, l'abbé Grégoire,
Monseigneur de Clermont-Tonnerre, M. de Meuniers,
Thouret, Lecoulteux de Chanteleu, le marquis de
Fumel, Talouet, l'abbé Sieyès, le comte et le vicomte
de Mirabeau, le maréchal de Mouchy et ses fils,
MM. de Poix et de Noailles, Alexandre et Charles de
Lameth, Rewbel, l'abbé Maury, etc.
Le 22 janvier, ils distribuèrent des exemplaires de
Fadresse signée par les principaux Portugais et Espa-
gnols de Bordeaux, et qui mécontenta assez vivement
les représentants d'Alsace.
Les ministres, MM. de Saint-Priest , Necker et
Latour-Dupin, reçurent favorablement les délégués.
Monseigneur de Talleyrand, évêque d'Autun, chargé
du rapport, ne se montra pas moins bienveillant.
L'adresse à l'Assemblée avait pour but de la supplier
de décréter de la manière la plus précise que les Juifs
202 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
de Bordeaux étaiem citoyens français et devaient
participer à tous les avantages attachés à ce titre.
« Nous osons croire, disaient-ils, que notre état en
» France ne se trouverait pas aujourd'hui soumis à
» la discussion, si certaines demandes des Juifs
» d'Alsace, de Lorraine et des trois évêchés n'eussent
)> fait naître une confusion d'idées qui paraît nous
» envelopper. Nous ne savons pas encore bien quelles
» sont ces demandes ; mais à en juger par les papiers
)> publics, elles devaient paraître assez extraordinaires,
» puisque ces Juifs aspiraient à vivre en France sous
» un régime particulier, à avoir des lois qui leur
» fussent propres, et à constituer une classe de citoyens
]» séparée de toutes les autres.
» Quant à nous, notre état en France est fixé depuis
:» longtemps. Nous sommes naturalisés Français
» depuis i55o; nous possédons toute espèce de pro-
» priétés, et nous jouissons du droit indéfini d'acquérir
» des immeubles. Nous n'avons ni lois, ni tribunaux,
» ni officiers particuliers. »
Le 28 janvier 1790, M. de Talleyrand, évêque
d'Autun, fut le rapporteur de la commission sur cette
demande, et conclut, au nom du comité de cons-
titution, que tous ceux des Juifs de Bordeaux qui
auraient les qualités et conditions requises pour être
éligibles ou électeurs fussent admis à l'être.
Alors le député d'Alsace Rewbell, le même qui avait
précédemment insisté pour faire refuser aux Juifs les
droits de citoyen, prit la parole pour que l'Assemblée
ne se bornât pas à reconnaître ces droits aux Portu-
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE III. 203
gais qui les réclamaient, mais qu'elle les étendît aux
Juifs d'Alsace.
La question réservée le 24 décembre revenait devant
TAssemblée, et donna lieu à de longs débats, auxquels
prît part M. Desèze, et qui furent terminés par le
décret suivant :
« L'Assemblée nationale décrète que tous les Juifs connus
en France sous le nom de Juifs portugais, espagnols et avi-
gnonais, continueront de jouir des droits dont ils ont joui
jusqu'à présent, et qui seront consacrés en leur faveur par des
lettres-patentes; et, en conséquence, ils jouiront des droits de
citoyen actif lorsqu'ils réuniront d'ailleurs les conditions
requises par les décrets de l'Assemblée. •
Le droit des Juifs de Bordeaux à Tadmission aux
fonctions publiques fut ainsi formellement consacré.
L^ Assemblée nationale n^avait pas discuté sans que
les passions religieuses aient été vivement excitées, et
la séance avait été orageuse.
Le décret ne fiit pas reçu à Bordeaux sans soulever
quelques émotions. L'ordre, que certains malveillants
cherchaient à troubler, fut promptement rétabli.
Les mêmes droits ne furent reconnus que plus tard
aux autres Israélites de France.
Les Juifs allemands furent Tobjet d'un grand nom-
bre de décrets dont nous n'avons pas à nous occuper
spécialement. Le 16 avril 1 790, leurs personnes et leurs
propriétés furent mises sous la sauvegarde de la loi et
la protection de l'Assemblée nationale. Le 20 juillet,
on supprima les redevances qui étaient imposées à
264 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
ceux de Metz et des trois évêchés sous la dénomination
de droits d'habitation, de protection, de tolérance.
Ce ne fut que le 27 septembre 1791 que TAssemblée
reconnut les droits politiques du citoyen actif à tout
Juif qui prêterait le serment civique, et révoqua tous
ajournements, réserves et exceptions insérées dans les
précédents décrets.
Ces principes d'égalité furent proclamés dans la
constitution de Tan III et dans celle de Tan VIII.
L'assimilation politique des Juifs aux autres citoyens
fut alors complète au point de vue légal. Une longue
série de dispositions législatives relatives à la liberté
des cultes vint effacer les différences religieuses dans
les rapports des Juifs avec l'État.
2 II. — LES JUIFS A BORDEAUX SOUS LA TERREUR.
Les Juifs à la municipalité bordelaise.
F£te de la Raison, — Une comédienne, un nain, un Juif.
Jaifs victimes de la Révolution : S. Astruc, — D. AzeTedo, — D. Errera,
M. Lange, — Aaron Lopès, — Isaac Péreyre, — M. Salom, — J. Pimentel,
J. Perpignan, — les frères Raba, — Peixotto : il se dit descendant d' Aaron.
Sa maison de Talence. — Jean Mendès, condamné à mort. —A. Furtado.
Souscription des Juifs pour adoucir la crise des subsistances en 1792.
En vertu des droits que leur avait reconnus ou
concédés TAssemblée nationale, les Israélites de Bor-
deaux exercèrent leurs droits de citoyens sans soulever
d'opposition.
Nou$ avons déjà vu qu'ils avaient été convoqués
comme électeurs en 1789 pour la nomination des
États généraux, et que l'un d'eux, David Gradis,
avait reçu un nombre de suffrages presque suffisant
pour être un des députés du tiers état.
Les fonctions municipales ne leur étaient plus
interdites : la municipalité qui entra en fonctions
à Bordeaux le 6 décembre 1790, sous le maire
Armand Saige, comptait, parmi les quarante nota-
bles, MM. A. Furtado et S. Lopès-Dubec. Ce dernier
figurait encore l'année suivante parmi les notables.
Abraham Furtado fut membre de la municipalité
du 12 janvier 1793.
Vinrent bientôt les mauvais jours de la Révolution,
ceux où tous les cultes furent également proscrits, où
266 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
catholiques, protestants et juifs durent s'incliner devant
Tautel de la Raison.
Lorsque la fête de la Raison fut célébrée à Bor-
deaux, la déesse était représentée par une comédienne,
la Duchaumont, couchée presque nue sur un char qui
parcourait la ville.
Dans le cortège, un nain ridicule était revêtu des
ornements pontificaux du pape, et parodiait son minis-
tère. Un Israélite d'une taille colossale jouait un rôle
grotesque dans cette ignoble parodie.
Au moment où la guillotine était en permanence,
après que la Commission militaire, présidée par
Lacombe, eut été installée à Bordeaux par Ysabeau
et Tallien, au moment où le négociantisme était
un crime, souvent puni par Téchafaud et presque
toujours par d'énormes amendes, dont ne profitait
pas le trésor public, il n'était pas possible qu'un
certain nombre d'Israélites ne fussent victimes des
excès de la Révolution.
Samuel Astruc, né à Bordeaux, marchand de
soieries, âgé de soixante-sept ans, accusé de préférer
ses intérêts à ceux de la patrie, au lieu d'être un
homme véritablement pénétré des principes de la
liberté, et d'avoir manifesté pour les assignats des
craintes indignes d'un bon Français, fut condamné à
3o,ooo livres d'amende, dont 10,000 pour les sans-
culottes et le reste pour la République (2 fév. 1794).
Le même jour David A^evedo, agent de change.
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE III. 267
né à Bordeaux, démontra qu^il avait toujours été bon
citoyen et avait combattu Taristocratie; il fut mis en
liberté.
Daniel Errera, de Bayonne, fut aussi mis en
liberté le 24 février.
Le i^ mars, Moïse Lange, dit l'Américain, né à
Bordeaux, âgé de trente-six ans, accusé d'avoir spéculé
sur les changes, d' c avoir montré des sentiments
» pusillanimes et indignes d'un républicain, d'être un
}» de ces hommes faibles sur lesquels la patrie ne peut
:» guère compter, » fut condamné a à une correction
» fraternelle qui servira à lui donner cette énergie
]p qui caractérise le bon républicain, » c'est-à-dire à
80,000 livres d'amende.
Le i3 mars, Aaron Lopès, commerçant, âgé de
quarante ans, né à Bordeaux, fut aussi condamné à
l'amende, a La Commission militaire, convaincue,
1^ d'après ses propres aveux, que sa fortune est
D augmentée depuis la Révolution; qu'il a tenu une
y> neutralité indigne d'un républicain, et qui le rend
» coupable envers la patrie; que cette indifférence
]» pourrait le faire ranger dans la classe des égoïstes
» et des modérés... » Il eut à payer 5o,ooo livres
d'amende, dont 10,000 pour les sans-culottes.
Isaac Pereyre, agent de change, né et domicilié à
Bordeaux, âgé de trente-cinq ans, avait été arrêté
comme c suspect d'agiotage, attendu qu'il appartient
7> à une classe d'hommes cupides (juifs) qui, par leurs
» opérations frauduleuses, ont amené la baisse exces-
]> sive des changes, la ruine du commerce de Bor^
268 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
]» deaux et la stagnation des affaires, qui a aggravé la
y> misère du peuple. »
Péreyre se défendit bien, et dit qu'étant Juif, il
avait toujours béni la Révolution, qui lui avait donné
une existence civile; qu'il a fait des dons à la patrie.
Il fut mis en liberté (2 janvier 1794).
Mofse Salom^ marchand, fut aussi mis en liberté
le 5 février.
Le Portugais Jacob Pimentel, demeurant à Cau-
déran, obtint la même faveur le 19 février.
Jean Perpignan, âgé de quarante-cinq ans, mar-
chand, n'avait pas été aussi heureux, a Accusé d'in-
» souciance pour la République, de n'être pas exact au
» service de la garde nationale, ni assidu aux assem-
» blées de sa section, et d'avoir voulu aider des prêtres
]> perfides à ramener la royauté, :» il fut condamné à
une amende de 5o,ooo livres et à être détenu jusqu'à
la pabc.
Ceux qui payèrent les plus fortes amendes furent
les Raba et Peixotto.
Lts frères Raba. fvirent condamnés, le 3o octobre
1793, à une amende de 5oo,ooo livres, dont 400,000
pour l'armée révolutionnaire et 100,000 pour les
sans-culottes.
Charles- Paul- Joseph Peixotto de Beaulieu, ban-
quier, se prétendait descendant d'Aaron et chef de la
maison de Lévi. Le 1 7 février 1 786 il avait déposé
en l'étude de M® Troupenat, notaire, diverses pièces,
et notamment : un certificat du rabbin Jacob Attias,
rabbin de Pont-Saint-Esprit, près Bayonne, consta-
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE III. 269
tant que son père, Abraham Cohen Peixotto, et son
grand -père, Isaac Cohen Peixotto, de Bordeaux,
ainsi que ses aieux, avaient toujours été reconnus
pour Cohen ou Sacerdotes; divers certificats analo-
gues, délivrés par David Attias, rabbin; d'autres
délivrés par le rabbin des Portugais de Hambourg,
que ceux qui portent le nom de Cohen, mot hébreu
qui signifie Sacerdote, sont reconnus comme descen-
dants d'Aaron, premier pontife; des pièces constatant
que la qualité de Cohen avait été reconnue aux
Peixotto par le rabbin de Londres; enfin une copie
des registres de la synagogue de Bordeaux établissant
qu'Isaac Peixotto Cohen, son aïeul, avait fondé une
synagogue et lui avait donné un Pentateuque avec
tous ses ornements, et qu'on lui avait reconnu la
première place en sa qualité de Cohen et la préémi-
nence sur les autres Israélites, ainsi signée : Jacob
Gdhen Peixotto, Isaac Cohen Peixotto, Abraham
Cohen Peixotto, Isaac Pereire, David Gradis, Abra-
ham Lameyra, Isaac Rodrigues Gradis, Isaac Paez
de Léon, David Navarro, Jacob Francia, Israël
Henriquès, Abraham-Benjamin Francia, Abraham
Rodrigues.
Peixotto possédait une belle maison de campagne
à Talence. Sur le fronton il avait fait graver ses
armoiries, surmontées d'une couronne de comte. La
municipalité de Talence se plaignit de cet écusson.
Dans son mémoire en défense, Peixotto expose qu'il
est le chef de la maison de Lévi, si célèbre dans
l'Ancien Testament et dans l'histoire politique de tous
270 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
les empires, reconnu en cette qualité dans toute l'Eu-
rope, TAsie et dans tous les lieux où la nation juive
est établie ; que le roi d^ Espagne a lui-même reconnu
l'exposant pour chef de la maison de Lévi ; que la
marque de la maison de Lévi a toujours été un pedreal,
qui représente les douze tribus auxquelles elle prési-
dait; que c'est ce pedreal qu'il a fait sculpter sur le
fronton de sa maison ; qu'il est prêt à faire enlever la
couronne qui surmonte le pedreal, mais que celui-ci
ne peut être considéré comme des armoiries.
Devant la Commission militaire, Peixotto fut
accusé d'avoir € poussé l'aristocratie, même sous
:» l'ancien régime, jusqu'à prétendre qu'il descendait
> de la famille de Lévi, et qu'il était par cela même le
> premier noble du royaume; d'avoir platement fait
> sa cour aux rois et de leur avoir élevé des statues;
» d'avoir montré de la haine pour les ouvriers... >
Le 16 décembre 1798, la Commission militaire,
€ convaincue que l'homme qui idolâtra les rois et
» eut l'orgueil de vouloir, même sous l'ancien régime,
]» être au-dessus de tous les nobles, ne pourra jamais
» être l'ami de la liberté ; — ayant cependant égard à
JD son empressement à acheter des biens nationaux,
» quoiqu'il ne puisse avoir eu en vue que ses propres
» intérêts, le condamne à une amende de 1,200,000
j> livres, dont i ,000,000 pour la République et 200,000
» livres pour les sans-culottes de Bordeaux; et, jus-
:ù qu'au paiement de cette dernière somme, il gardera
]^ prison. ]» Il lui fut accordé trois mois pour le paie-
ment du million restant.
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE Hî. 2jl
Peixotto, dont nous avons plus haut relaté les
procès contre sa femme, avait rempli Bordeaux de
ses prétentions comme descendant d^Aaron. Lors de
sa conversion, il avait eu pour parrain le roi d'Es-
pagne. Un écrit contemporain prétend qu'il avait fait
placer dans Téglise de Talence près Bordeaux un
tableau où Ton voyait la Sainte Vierge sur une nuée,
tenant Tenfant Jésus dans ses bras ; le roi d'Espagne
lui présentait Paul Peixotto qui était à droite , Tépée
au côté ; un ruban sortait de la bouche de la Sainte
Vierge, on y lisait : € Étant de ma famille, il est juste
]> qu'il me soit présenté par le roi d'Espagne. »
Peixotto avait commandé sa généalogie à un avocat,
M. de Saint-Georges; mais il refusa de lui payer son
travail, et ils plaidèrent pour les honoraires.
Un seul Israélite fut condamné à mort, Jean
Mendès; il avait dit à l'audience que ses principes
religieux ne s'accordaient point avec la constitution
(20 juiUet 1794).
Abraham Furtado, lié avecVergniaudetGensonné,
fut proscrit comme eux. Il trouva un asile chez son
parent et ami Solar.
La population Israélite, éprouvée dans quelques-uns
de ses membres, se montra généralement éloignée
des excès de l'époque; un seul Juif figure parmi les
hommes dangereux que la municipalité fit désarmer
après le 9 thermidor.
2^2
HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Cette population s'était montrée généreuse dans la
disette qui avait signalé la fin de Tannée 1 792 , et
qui devait continuer d'une façon plus terrible Tannée
suivante.
Presque tous les négociants juifs avaient souscrit,
quelques-uns même pour des sommes considérables.
Voici jeurs noms :
MM.
David Gradis et fils.. .F. 20,000
Raba frères 20,000
A. Dacosta 10,000
Alexandre AU et neveu.. 6,000
Alexandre fils 4,000
Jultan et neveu 3 ,000
Pimentel frères 3 ,000
R&ba junior 3,ooo
A. Cardoze 3,ooo
I. et Pereyre frères 3,ooo
Azevedo i,5oo
Rodrigues et fils x ,000
Dacosta cadet i ,000
Fonsèque jeune i ,000
Lopès-Dubec 1,000
Peixotto 800
MM.
Marie Gonzalès F. 800
Veuve Astruc et fils aîné. . 3 00
Vidal I^nge et fils 3oo
Veuve Astruc et frère cadet. 5 00
Lange jeune 3oo
Moïse Salom 3oo
Carvalho fils 3oo
Raba Victoria Soo
Motse Lange 400
Veuve Pereyra et filles. . . . Soo
Veuve Jacob Petit Soo
Robles Soo
Delvaille Soo
Mosraès Soo
Israâl Astruc Soo
Lopès Pereyra Soo
En Tan III les Juifs souscrivirent pour les hospices,
et ils corltribuèrent largement à Tétablissement d'une
Société de charité maternelle.
CHAPITRE IV.
l'empire.
ACCORD DE LA LOI RELIGIEUSE JUIVE AYEC LA LOI CIVILE FRANÇAISE.
Les Juifs allemand! ne désiraient pas les droits de citoyen ; les Portugais auraient
▼oulu conserver leur existence en corps de nation. — Difficultés pour Fassimi-
lation des Juifs aux autres citoyens.
I..a loi de Motse est une loi civile : ses règles sur le mariage. — Les Juifs de
Bordeaux étaient jugés suivant cette loi par les tribunaux. — Jugement qui
valide un mariage juif.
La polygamie. — Mariage du frère avec la veuve de son frère. — Le Kalissa, —
Ses formalités. — Le Parlement fait exécuter les décisions des anciens. •—
Arr€t du 7 mai 176S. — Cas où les deux parties sont en pays éloignés.
Rapports prescrits par la loi Israélite avec les étrangers. — I^ question de l'usure;
elle va devenir la cause de la fusion.
Napoléon veut organiser le culte Israélite. — Décret du 3o mai 1806^ qui convoque
une assemblée israélite. — Exécution du décret à Bordeaux.
Situation des Israélites à Bordeaux en 1806. — Rapport du préfet.— Population.
— Principaux noms. — Domiciles. — Professions. — Synagogues. — Rabbins.
— Mendiants. — Israélites marquants signalés par le préfet.
Assemblée générale à Paris. — Noms des députés. -> Analyse des séances. —
Le président. — Abraham Furtado. — Discours de M. Mole. — Questions
posées à l'Assemblés:. — Réponses de l'Assemblée.
Clôture de l'Assemblée. — Convocation du Grand Sanhédrin. — Projet de règle-
ment du I o décembre 1 806.
Ouverture des séances du Grand Sanhédrin. — Ses décisions. — Adhésions. ->
Clôture.
Frais des Assemblées. ~ Répartition.
Organisation du culte israélite dans ses rapports avec l'Etat. — Projets de décrets
combattus par MM. Furtado et Lévi. — Décrets du 17 mars 1808.
Exécution des décrets à Bordeaux. — Liste des notables.
Organisation de la Synagogue à Bordeaux. — Élections du rabbin et des membres
du Consistoire. — .Vbraham Furtado, de Pont-Saint-Esprit.
Construction du temple. — Inauguration.
Résumé.
En vertu des décrets de rAssemblée nationale, les
Juifs venaient d'entrer, un peu trop brusquement
18
274 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
peut-être pour un grand nombre d'entre eux, dans la
grande famille française.
Nous avons vu que les Allemands ne désiraient
pas les droits de citoyen, et se seraient contentés de
la jouissance des droits civils et commerciaux. Les
Portugais et les Espagnols, plus fiers et plus impa-
tients d'ambition, auraient cependant voulu, tout en
entendant exercer les droits politiques, continuer à
vivre en corps de nation et suivant leurs usages, leurs
lois particulières ou coutumes, et leur religion.
Il se présentait, en effet, . des difficultés considéra-
bles à Tassimilation complète des Juifs aux autres
citoyens régis par la loi française, difficultés qui
.avaient échappé aux législateurs, trop pressés, de
l'Assemblée nationale. Elles provenaient du désaccord
réel ou apparent des lois civiles prescrites par la reli-
gion israélite et des lois civiles françaises.
La loi de Moïse n'est pas, en effet, une loi pure-
ment religieuse, c'est aussi une loi civile complète.
Elle règle le dogme et les cérémonies du culte, tous
les rapports de l'homme avec la divinité. Mais elle
règle aussi les rapports de l'homme avec l'homme,
non seulement au point de vue de la morale et du
droit naturel, mais aussi au point de vue du droit
positif et social, du droit privé et du droit public. Elle
enferme dans ses prescriptions toutes les relations des
Israélites, soit entre eux, soit avec les autres peuples.
Cette loi, d'une antiquité plus de cinquante fois
siculairc, a pris naissance en Orient, et, portant le
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE IV. 276
double cachet de son âge et de son origine, elle cons-
titue la famille, ce premier fondement de la société
humaine, sur des principes très différents de ceux qui
ont été consacrés par les peuples de TOccident.
La loi de Moïse a ses règles particulières pour la
validité du mariage ; elle défend le mariage avec cer-
taines personnes ; elle admet le divorce, qui d'ailleurs
était alors permis par la loi française, et en règle la
forme et les conditions. Enfin, la polygamie était
permise par leur loi aux descendants d'Israël, et
sévèrement punie en France.
♦
Il y avait là des questions délicates à résoudre pour
faire entrer cette législation particulière dans le cadre
général des lois du pays.
Dans les dernières années de la monarchie, les Juifs
de Bordeaux, que les lettres-patentes de i55o auto-
risaient à conserver leurs usages, avaient vécu sous
Templre de la loi de Moïse pour tous les actes de la
vie civile qui ne regardaient qu'eux-mêmes.
C'était la loi de Moïse qui réglait la forme du
mariage, le consentement des contractants, leur âge
pour la capacité au mariage; qui réglait le divorce, le
mariage avec la veuve du frère. Pour les successions,
les Bordelais suivaient la loi française, mais les Alle-
mands avaient gardé celle de Moïse.
Et les Parlements appliquaient dans ce sens les
lettres-patentes de i55o.
Nous avons déjà vu Paul Peixotto demander le
divorce devant les tribunaux français, et le Châtelet
de Paris ordonner, le lo mai 1779, que l'assemblée
276 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
des anciens de Bordeaux examinât s'il avait le droit
de former cette demande.
Un autre Peixotto nous fournit une espèce dans
laquelle les tribunaux français reconnurent la validité
du mariage contracté en France suivant le rite et dans
les conditions de la loi juive.
Abraham PeLxotto fils méconnaissait son mariage
avec Rachel Rodrigues, en invoquant sa minorité et
rinaccomplissement des conditions exigées par la loi
française. Rachel invoquait la loi juive, et l'assemblée
du Beth-Dim lui avait donné raison, en validant le
Kidousstm. La question consistait à savoir s'il fallait
appliquer la loi juive.
Le tribunal du district de Bordeaux rendit, le
14 mai 1792, sous la présidence de M. de Brézets,
un jugement où nous lisons :
« Considérant que le sieur Ab. Peixolto et la demoiselle
Rachel Rodrigues professant la religion juive, leur mariage
doit être réglé d'après les principes de cette religion, et non
pas d'après les principes et les ordonnances qui s'observent
dans le royaume relativement aux mariages des catholiques;
car le décret de PAssemblée nationale du mois de janvier 1790,
en déclarant les Juifs citoyens actifs, maintient les droits dont
ils jouissaient auparavant ; par conséquent les Juifs ne sont
soumis qu'aux lois politiques qui forment la constitution
française, mais ils sont maintenus dans l'exercice de leur
religion ; ils suivent la loi de Moïse et leurs usages particuliers
pour le mariage et tous les actes qui tiennent au culte reli-
gieux , ce qui ne peut souffrir le moindre doute d'après le
dernier décret de l'Assemblée nationale sur le mariage, où
l'Assemblée annonce qu'elle en fixera la forme pour les
Français pratiquant diverses religions. Cette forme n'étant pas
encore fixée, l'ancien ordre de choses doit subsister.
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE IV. 277
M Considérant que, diaprés les décisions des rabbins et des
docteurs de la loi de Moïse, la manière de former un mariage
indissoluble parmi les Juifs consiste à remettre à une femme,
en présence de deux témoins, une pièce d'or de la valeur de
2 réaies, ou un anneau de même métal, en lui disant : Par
cet anneau vous êtes unie à moi, suivant la loi de Moise et
d'Israël. Si la femme reçoit cet anneau, le mariage est conclu,
et l'homme et la femme deviennent irrévocablement unis.
»... Qu'il est encore décidé par les docteurs que la bénédic-
tion du rabbin n'est pas nécessaire pour la validité du mariage
des Juifs, qui se forme irrévocablement par le don de Panneau
fait de la manière ci-dessivs indiquée ; que la bénédiction du
rabbin peut être donnée après le don dudit anneau; que,
d'après les décisions des mêmes docteurs de la loi de Moïse,
les enfants sont majeurs, à l'effet de contracter mariage, savoir:
les filles à douze ans et demi, et les garçons à treize ans ; et
que, dans cet état de majorité, ils peuvent contracter mariage
sans le consentement de leur père et de leur mère. »»
Telle était donc à cette époque la situation légale
des Juifs par rapport à la contractation du mariage.
La polygamie, quoique permise ou tolérée par la
loi de Moïse , n'était pas usitée parmi les Juifs de
Bordeaux ; ils se conformaient à la loi civile française
et n'épousaient qu'une femme.
Il est cependant un cas où la polygamie est sollicitée
par la loi mosaïque, c'est le cas où elle ordonne le
mariage du frère avec la veuve de son frère , et où
répoux ainsi obligé peut lui-même être marié.
Le mariage entre beaux-frères était d'ailleurs sévère-
ment prohibé dans Tancienne législation du royaume.
Le Deutéronome (ch. XXV, v. 5 et 6) dit :
« Lorsque deux frères demeurent ensemble et que
c
»
278 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
j» Tun d'eux sera mort sans enfants, la femme du
^ mort n'en épousera point d'autre que le frère de son
)D mari qui la prendra pour femme, et suscitera des
» enfants à son frère.
]> Et il donnera le nom de son frère à Taîné des fils
» qu'il aura, afin que le nom de son frère ne se perde
j> pas dans Israël, j»
Que le frère survivant fût marié ou garçon, le
mariage civil ne pouvait avoir lieu suivant la loi
française ; dans le premier cas la polygamie se serait
ajoutée au fait prohibé du mariage entre beau-frère et
belle-sœur.
La difficulté pouvait se dénouer par le refus que
faisait le frère d'épouser la veuve, et la liberté qu'il
lui donnait d'en épouser un autre. Mais il était néces-
saire d'observer exactement les formalités prescrites
pour obtenir cetfc permission (Kalissa); car autre-
ment nul parmi les Juifs n'eût voulu épouser cette
veuve.
Or le Kalissa, pour être valable, doit vêtir rigoureu-
sement les prescriptions mosaïques. La loi veut que
la femme adresse sa demande au frère de son mari ;
s'il la refuse, elle va faire part du refus aux anciens.
a: Aussitôt les anciens le feront appeler et l'intcrro-
» geront. i> S'il répond : ^ Je ne veux point épouser
» cette femme, j> la femme s'approchera de lui devant
les anciens, et lui ôtcra son soulier du pied et lui
crachera au visage en disant : <r C'est ainsi que sera
» traité celui qui ne veut pas rétablir la maison de son
y) frère. »
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE IV. 279
« Et sa maison sera appelée dans Israël la maison
^ du déchaussé. ]>
Pour obéir à ces formalités, le frère prend un
soulier, l'attache à son pied droit , et le présente à sa
belle-sœur qui dit en hébreu, « il refuse de susciter
> lignée à son frère, et d'accomplir la loi du Lévirat. »
HUe détache le soulier, le jette par terre, et crache à
côté en disant en hébreu. « Ainsi soit fait à celui qiii
» ne veut pas rétablir la maison de son frère , et sa
3> maison sera appelée dans Israël la maison du
» déchaussé. » Les spectateurs crient trois fois o: le
déchaussé! ]>
La femme reçoit un acte authentique constatant
qu'elle a obéi à la loi; et, munie du Kalissa, elle
peut, s'il lui convient, consentir un autre mariage.
Ces formalités pour la validité du Kalissa ne peuvent
être suppléées par aucune autre; elles exigent la présence
réelle et personnelle du beau-frère et de la belle-sœur
devant les anciens.
Cette nécessité a très souvent occasionné des diffi-
cultés.
Quelquefois le beau -frère ne voulait pas se pré-
senter. Dans ces cas, la veuve s'adressait à la Nation
pour l'obliger à donner le Kalissa. L'assemblée des
gens de loi, nommée le Bellin, condamnait alors le
beau-frère à donner le Kalissa ou à des dommages-
intérêts.
Avant 8g, la veuve présentait requête au Parlement
pour rendre exécutoire la sentence du Bellin, et le
Parlement ordonnait cette exécution.
28o HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Le Parlement de Bordeaux a rendu sur cette ques-
tion, le 7 mai 1 768, Tarrêt suivant :
« Veu par la Cour la requête à elle présentée par Blanche
Silva, veuve de Jacob Telles Dacosta, juif, tendant à ce que,
pour les causes et raisons à ce contenues , il lui plaise luy
permettre de remettre à exécution la délibération prise par
l'assemblée des anciens de la nation le 17 avril dernier,
i\ Daniel Telles Dacosta de l'exécuter, de s'y soumettre et s'y
conformer,... ladite requête signée Pénicaut vieux, procureur,
répondue : soit montré au procureur général du Roy, avec ses
conclusions à suite signées Dudon des 5 et 6 du présent mois ;
veu aussy In délibération prise par la nation juive au bas de
la requête de la suppliante du 17 avril dernier, et autres pièces
énoncées et attachées à ladite requête ; avec le rapport et tout
considéré.
» Il sera dit que la Cour, faisant droit de ladite requête,
a permis et permet à ladite Blanche Silva de ramener à exécu-
tion la délibération prise par l'assemblée des anciens de la
nation ledit jour 17 avril dernier, enjoint au sieur Daniel
Telles Dacosta de l'exécuter, de s'y soumettre et s'y conformer;
à quoi faire il sera contraint par saisie de ses biens, même par
emprisonnement de sa personne; ordonne que le présent
arrêt sera exécuté nonobstant toutes oppositions; sans préju-
dice à ladite Blanche Silva, de pouvoir demander dans la suite
des dommages et intérêts à cause de son refus, condamne
ledit Daniel Telles Dacosta aux dépens faits en la Cour, envers
ladite Blanche Silva.
» Signé : Lacolonie, rapporteur.
n DE CaSEAUX (0. »
Mais il pouvait se faire que l'époux désigné par la
loi fût absent et fort éloigné, qu'il habitât un pays
étranger. Il était indispensable toutefois qu'il com-
(i) Archives de la Gironde : Parlement; chambre de$ enquêtes,
h sa date.
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE IV. 28 1
parût devant les anciens. Un cas s'est présenté où le
frère vivant habitait Saint-Domingue et sa belle-sœur
était une jeune et riche veuve de Bordeaux. La jeune
dame ne voulait pas faire le voyage de Saint-Domin-
gue; le beau-frère, qui était vieux, préférait une
somme ronde à une jolie femme, et il répondit aux
sollicitations qui lui étaient adressées de venir en
France donner le Kaltssa, que s'il lui fallait faire deux
mille lieues pour venir renoncer à la possession d'une
personne aimable, il lui fallait un dédommagement,
qu'il fixa à 40,000 livres, et qui lui fut payé.
Le divorce est permis à l'homme par la loi de
Moïse. Le divorce était également permis par la loi
française; mais on avait à se préoccuper du point de
savoir dans quelles conditions la loi juive l'autorise ;
si le mari, pour répudier sa femme, peut invoquer sa
seule volonté, ou s'il doit alléguer et prouver des
causes légères ou graves; en un mot, si les causes de
divorce concordaient avec celles reconnues par la loi
civile.
Ainsi le mariage entre beau-frère et belle-sœur, la
polygamie, certains cas de divorce permis par la loi
religieuse et défendus ou restreints par la loi civile, les
conditions nécessaires pour la validité du mariage,
telles étaient les principales questions qu'il s'agissait
de régler.
D'un autre côté la loi Israélite n'élevait-elle pas une
282 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
barrière entre le peuple juif et les autres nations^
barrière plus difficile à abaisser que celles qu'avait
emportées la Révolution? Permettait-elle d'exercer
l'agriculture ? de combattre comme soldats d'un pou-
voir chrétien ?
Était-il vrai que l'usure fut commandée par la loi
de Moïse au vis-à-vis des chrétiens ?
La fusion que les institutions récentes venaient
d'ordonner entre les Français de diverses religions,
n'était pas encore faite dans les mœurs et rencontrait
plus où moins d'obstacles dans les diverses contrées
de la France; et, tandis qu'à Bordeaux les Portu-
gais et les Espagnols n'avaient pour ainsi dire obtenu
que la légalisation d'un état de choses déjà existant,
le droit commun nouvellement édicté n'était pas faci-
lement accepté dans les anciennes provinces alle-
mandes.
Les tristes résultats des temps de persécution avaient
parqué les Juifs allemands dans des habitudes d'usure
qui avaient exaspéré les populations de l'Alsace et de
la Lorraine, et, pour liquider ce passé déplorable, il
fallut à diverses reprises l'intervention de l'autorité
publique.
Ces usures immodérées que l'opinion publique attri-
buait aux Israélites des départements septentrionaux
réunis à la France, et qui, selon les croyances vulgaires,
étaient tolérées, ordonnées même par la loi de Moïse
à regard des étrangers au peuple de Dieu, allaient
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE IV. 283
être Toccasion de rassimilation complète des Israélites
aux autres Français.
Il ne s'agissait pas seulement, en effet, d'arrêter des
poursuites contre des débiteurs imprudents et malheu-
reux, il fallait surtout fixer les rapports que la loi de
Moïse permettait à ses sectateurs avec les autres
hommes, tant pour le prêt à intérêt que pour la sou-
mission aux lois du pays dont ils étaient reconnus
citoyens.
A ce moment l'Empire venait de se fonder, et
Napoléon, qui avait compris l'immense importance du
sentiment religieux, et avait promulgué, le i8 germinal
an X (8 avril 1802), la loi relative à l'organisation des
cultes catholique et protestant, ne pouvait pas oublier
le culte Israélite.
II rendit, le 3o mai i8o5, un décret motivé «sur
> l'urgence de ranimer parmi ceux qui professaient la
» religion juive les sentiments de morale civile qui,
» malheureusement, avaient été amortis chez un trop
» grand nombre d'entre eux par l'état d'abaissement
» dans lequel ils ont longtemps langui, d Le décret
constatait qu'il n'entrait pas dans l'intention de
l'empereur de maintenir ni de renouveler cet état, et
que, pour l'accomplissement de ce dessein, il avait
résolu la réunion d'une assemblée des premi^s d'entre
les Juifs pour recueillir leurs vœux « sur les moyens
ï qu'ils estiment les plus expédients pour rappeler
» parmi leurs frères l'exercice des actes et des profes-
» sions utiles, afin de remplacer, par une industrie
284 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
» honnête les ressources honteuses auxquelles beaucoup
» d'entre eux se livrent depuis plusieurs siècles. >
C'est ainsi qu'à propos des usures des Juifs de la
frontière nord-est, une assemblée générale des Israé-
lites de France allait être convoquée.
L'article 2 du décret du 3o mai 1 806 prescrivait la
formation à Paris, pour le i5 juillet, d'une assemblée
des personnes les plus distinguées parmi les Juifs
habitant le territoire français.
Les membres de cette assemblée devaient être dési-
gnés par les préfets, au nombre déterminé sur le
tableau porté au décret, parmi les rabbins, les pro-
priétaires et les autres Juifs les plus distingués par leur
probité et leurs lumières.
Les Juifs allemands du Haut et Bas- Rhin, du
Mont-Tonnerre, du Rhin-et-Moselle, de la Sarre, du
Roer, de la Moselle, de la Meurthe, des Vosges,
avaient 61 représentants; ceux du Vaucluse, 2; de la
Seine, 6 ; des Basses-Pyrénées, 2 ; de la Côte-d'Or, i ;
enfin ceux de la Gironde, 2. Le nombre total des
représentants était ainsi fixé à 74.
Le ministre de l'intérieur, M. de Champagny,
envoya le décret dès le 10 juin à M. Fauchet, préfet
de la Gironde, en l'invitant à désigner au plus tôt les
deux représentants des Israélites de Bordeaux. Le
préfet essaya d'obtenir que le nombre des représentants
fût porté à 4, en se fondant sur ce que le décret du
3o mai portait qu'il en serait désigné i par 5oo Israé-
lites, et qu'on en comptait 1,700 dans la Gironde. Le
ministre répondit que le décret avait régie le nombre
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE IV. 285
spécial et irrévocable des représentants pour le dépar-
tement de la Gironde.
Avant de nous occuper des actes de l'assemblée,
il peut être intéressant de connaître quels étaient le
nombre et la situation des Israélites de Bordeaux.
Dès le i8 juin, le conseiller d'État chargé de la
police générale avait demandé au préfet de la Gironde
des renseignements précis sur les Juifs de son dépar-
tement, et portant sur leur nombre, leur profession,
le taux d'intérêt usuel, leurs synagogues, leurs établis-
sements d'instruction publique, enfin sur la manière
dont ils observaient les lois civiles et surtout celle de
la conscription.
La réponse du préfet est en date du 27 juin. Elle
porte 1° que l'existence des Juifs domiciliés dans la
Gironde était la même que celle des autres citoyens;
que plusieurs avaient rempli et remplissaient des fonc-
tions publiques; 2° que leur nombre approximatif
était de 1,800, répartis en 460 familles; 3° que 200 de
ces familles possédaient des immeubles, et que plusieurs
figuraient parmi les plus imposés ; 4° qu'ils exerçaient
les professions d'agents de change, de banquiers, de
négociants, de revendeurs; qu'ils ne comptaient parmi
eux que peu d'ouvriers; 5° que le taux de l'intérêt par
eux stipulé dans leurs transactions suivait le cours de
la place, et qu'aucune plainte semblable à celles qui
avaient été si vivement articulées contre les Juifs
d'Alsace, n'avait été formulée contre ceux de Bor-
deaux; 6* qu'ils n'avaient point de synagogues orga-
286 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
niséee selon leur loi, mais seulement des chambres où
ils se réunissaient pour prier; que leurs enfants étaient
envoyés aux écoles publiques ordinaires, telles que
celles primaires, secondaires, et au lycée impérial; que
la langue hébraïque était enseignée à quelques-uns par
des maîtres particuliers; 7^ enfin quils observaient
exactement les lois civiles et, notamment, celle du
1 9 floréal an VI sur la conscription, comme les autres
citoyens, et qu'aucune plainte ne s'était élevée contre
eux.
Le ministre de rintérieur demanda à son tour des
renseignements plus précis encore que ceux donnés
au conseiller d'État directeur de la police; il exigea
un état détaillé qui devait servir pour l'établissement
du nombre des synagogues dont s'occupait l'assemblée
des Juifs à Paris.
Le préfet s'adressa, pour avoir ces renseignements,
à la Société de bienfaisance Israélite dont M. Lopès-
Dubec était le président.
Le travail de la Société de bienfaisance et l'état
nominatif furent remis au préfet, qui envoya son
rapport au ministre (10 novembre, 5 et 11 décem-
bre .1806).
L'état nominatif par chef de famille, avec l'indi-
cation de l'origine et du domicile comprenait, comme
individus :
Espagnols et Portugais 1 ,G5 1
Avignonais 144
Allemands 336
Formant un total de. . , . 2,i3i
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE IV. 287
Les principaux noms espagnols et portugais sont :
Albuquerque, Alexandre, Almeyda, Alonzo, Alvarès, Attias,
Azevedo ;
Baëza, Blanche, Brandam, Brandon;
Del Campo, Cardozo, Carrion, Carasco, Carrance, Carvalho,
CastiUo, Castro, Ceza, Chavès, Corios, Cordova, Correge,
Cc-ietîno;
Da Costa, Depaez ;
Esdra ;
Fernandez, Foy, Fonseca, Francia, Furtado ;
Garcias, Georges , Goel , Gomez , Gonzalez , Gradis, Guima-
ra(:ns, Guastalla ;
Henriquez;
IfBa, Janic, Jullian ;
La Gonna, Lameyra, Lattad de Rose, Léal, Léon, de Léon,
Lindo, Lopès-Diaz, Lopès-Dubec;
Médina, Melendez, Mendès, M endès- France, Mezes, Molina,
Moraës ;
Naxara, Noë, Nunès ;
Oliveira, Oxeda ;
Paez, Peinado, Peixotto, Pereyra, Pereire, Pimentcl ;
Queillo ;
Raba, Raphaël, Robles, Rodrigues, Rophé ;
Sacerdote, Salzedo, Salvator, Senegan, Silva, Soria ;
Tota, Taverez, Torrès ;
Vaez;
Ximenez.
Les principaux noms avignonais sont :
Astruc; Carcassonne, Crémieux; Gard; Lange; Moïse;
Perpignan, Petit ; Roget ; Salom, Sazias ; Vidal.
Les principaux noms allemands sont :
Barabram, Barrouri, Baruch ; Cerf, Coblentz, Cohen;
Ephraïm, Eymar; Goel; Hamiz; Jacob; Levy, Limman,
Léon; Mardochée, Mellcr, Meyer, Michel, Moïse, Morangc;
Polonais; Ruben ; Salomon, Samson, Sarranes, Séby; Wcil.
288 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Le domicile du plus grand nombre des Juifs,
surtout de ceux dont les familles étaient les plus
anciennes, était sur les Fossés, dans les rues Lalande,
Bouhaut, et autres environnantes.
La plus grande partie des Avignonais étaient nés à
Bordeaux , et plusieurs s^étaient alliés à des familles
portugaises et espagnoles. Les Allemands étaient en
majorité originaires de la Lorraine , de FAlsace et du
pays Messin, pays réunis à la France depuis déjà
longtemps.
Il y avait g synagogues établies dans des maisons
privées. Les Allemands et les Avignonais avaient autre-
fois chacun une synagogue particulière, qui existaient
encore sous leur dénomination , mais ils fréquentaient
aussi les autres synagogues et y étaient presque tous
affiliés.
Il n'y a, disait le préfet, ni sacerdoce, ni prêtrise;
quelques-uns prétendent descendre de la famille
d'Aaron, ce qui ne leur est pas contesté par les
autres, et ejtercent à ce titre quelques cérémonies
particulières; mais ils n'ont aucune autorité ecclé-
siastique.
Il n'y a qu'un seul rabbin, qui n'est qu'un casuiste,
et n'a non plus aucune autorité sacerdotale. Tout
Israélite qui sait l'hébreu, et qui est de bonnes mœurs,
est admis à faire les prières et les sermons.
Ils n'ont pas de mendiants, car leur Société de
bienfaisance suffit à secourir leurs malades et leurs
indigente.
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE IV. 289
Enfin le préfet signalait parmi les Israélites les plus
marquants :
MM, Gradts, ancienne maison de commerce toujours
recom manda bie par la confiance du gouvernement dans les
expéditions relatives à la marine royale ; son chef était membre
du Conseil municipal ;
MM. Raba frères; ils avaient formé une maison considé-
rable à Saint-Domingue, et jouissaient à Bordeaux d'une
grande considération ; l'un d'eux était consul de Portugal;
M. Lopès-Dubec, ancien armateur, avait exercé les fonctions
de juge au tribunal de commerce; son fils était juge suppléant
audit tribunal ;
Rodrigues fils, ancien armateur, correspondant du Trésor
royal de la Compagnie des Indes et de la Caisse d'escompte
avant la Révolution et banquier lui-même, jouissait de Testime
publique; il avait une maison de banque à Paris, tenue par
son frère, sous la raison Rodrigues, Patto et C^« ;
A . Furtado, homme de lettres, membre du Conseil municipal ;
A, Dacosta, Chavès, Alexandre, Sasportas, veuve Fonséca,
veuve Rodrigues, Pimentel, A, Cardo^o, Peynado et plusieurs
autres, retirés du commerce et rentiers ;
Lange Roget junior et O'*, armateurs ; Lopès-Dias, Fonseca,
Péreire et plusieurs autres, agents de change ;
Parmi les Juifs, plusieurs étaient propriétaires fonciers;
d'autres marchands en gros et en détail; quelques-uns
cultivateurs; dans la classe peu aisée, ils étaient colporteurs
et revendeurs; d'autres manouvriers. Les indigents étaient
secourus par le Bureau de bienfaisance.
Le préfet terminait son rapport en disant que les
rabbins étaient en général trop occupés de discussions
théologiques, et qu'ils ne devraient jamais figurer dans
les assemblées politiques, ni dans celles ayant pour
objet d'arrêter des règlements de police intérieure.
Cependant l'assemblée des principaux Israélites de
l'empire français et du royaume d'Italie était réunie à
19
290 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Paris. Le préfet avait choisi, pour représenter leurs
coreligionnaires de la Gironde, MM . Abraham Furtado
et Isaac Rodrigues.
Nous ne mentionnons les noms que des députés
des départements qui font aujourd'hui partie de la
France, ainsi que ceux de TAlsace et de la Lorraine.
Alpes-Maritimes : Avigdor, de Nice;
BoucheS'dU'Rhône : Sabaton Constantini, négociant à Mar-
seille ;
Côte-d'Or : David Blum, négociant à Dijon ;
Doubs : Lippman, horloger à Besançon ;
Gard : Cadet-Carcassonne, de Nîmes ;
Gironde : Abraham Furtado, homme de lettres ; Isaac Rodri-
gues, négociant;
Hérault : Naquet-Vidal, marchand de soieries ;
Landes : Abraham Andrade, rabbin; Castro fils; Patto jeune ;
Meurthe : Berr Isaac Béer, fabricant de tabacs à Nancy;
Elias Salomon, propriétaire à Sambourg; Gumpel-Lévy,
négociant à Nancy; Jacob Brisach, de Lunéville ; Lazare
Lévy, maire de Donnelay; Léon Cahen, de Toul; Moïse
Lévy, de Nancy ;
Moselle : Astron-MsiTii Lévy, marchand à Metz; Cerf-Jacob
Goudchaux, correspondant de la Banque de France à Metz ;
Jacob Goudchaux Béer, propriétaire à Metz; Jacob I^rtz,
à Sarreguemines ; Iswab jeune, marchand de Metz;
Nord : Salomon, négociant à Lille ;
Basses-Pyrénées : Furtado jeune, armateur; Mare Foy aîné,
négociant ;
BaS'Rhin : Abr. Cahen, de Saverne ; Ab. Peccard, A. Ratis-
bonne, marchands de draps; Baruch Cerf Béer, proprié-
taire; Cerf Salomon, Daniel Levy, marchands; David
Zinheisner, rabbin ; Hirsch Bloch, lsra(îl Rhens, tous de
Strasbourg; Jacques Meyer, rabbin; Joseph Dreyfoss,
propriétaire, et Hirsch Lazare, rabbin, de Haguenau;
Lazare Wolf, de Neuviller ; Rueff Peccard, de Strasbourg ;
Samuel Witersheim, de Haguenau;
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE IV. 29 1
i/ai//>/^tn ; Abraham Jacob, de Colmar; Baruch Lang, de
Siérentz; Caïman, rabbin, de Beisheim; David, rabbin;
Heiman Peccart, tanneur à Belfort; Hirtz Salomon,
marchand de chevaux, de Colmar; Jacob Brunswick,
rabbin; Lippman Cerfbeer, de Paris; Mayer Samuel, de
Strasbourg; Meyer Nauheimer, d'Ufifoltz; Salomon,
rabbin, de Colmar; Wolf Baruch, fabricant de Turkeim;
Seine : Michel Béer, Cerfbeer, Saûl Crémieux, Lazare Jacob,
Olry-Hayem Worms, Rodrigues, banquier; Rodrigues
fils, Aaron Schmoll, Simon Meyer, Witersheim ;
Vaucluse : Joseph Montaud, marchand de soieries, d'Avignon ;
Moïse Millaud;
Vosges : Isaac May, Moïse May, Michel Lazare.
Les autres départements de Tempire : Adige,
Adriatique, Crostollo, Doire, Marengo, Meuse-Infé-
rieure, Mincio, Montenotte, Mont-Tonnerre, Olona,
Panaro, Pô, Bas-Pô, Reno, Rhin-et-Moselle, Roer,
Sarre, Sesia, Sturra, avaient aussi envoyé leurs
représentants.
Les députés entrèrent en séance à THôtel de Ville,
le 26 juillet, et nommèrent leur bureau. Président :
Abraham Furtado; secrétaires : Isaac-Samuel Avigdor
et Rodrigues fils ; scrutateurs : Théodore Cerf-Beer,
Olry-Hayem Worms et Emine Vitta. Les commis-
saires du gouvernement étaient MM. Mole, Portalis
fils et Pasquier.
Ce n'était pas sans dessein que Tempereur avait fait
choix du jeune Mole, descendant du célèbre garde des
sceaux, et dont un ancêtre, le premier président Mathieu
Mole, avait épousé, le 22 septembre lySS, la fille du
riche et célèbre banquier juif Samuel Bernard, comte
de Coubert. La famille Mole n'était pas d'ailleurs la
292 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
première dans laquelle un personnage issu de sang
juif ait pu porter dans ses armoiries le manteau d'her-
mine des chanceliers de France. Le célèbre chancelier
Michel de THospital était le fils d'un juif d'Avignon,
médecin du fameux connétable de Bourbon.
Dans la séance du 29, M. Mole fit connaître les
intentions de Sa Majesté, c Les lois qui ont été impo-
3) sées aux individus de votre religion, dit-il, ont varié
D par toute la terre, l'intérêt du moment les a souvent
D dictées. Mais de même que cette assemblée n'a point
> d'exemple dans les fastes du christianisme, de même.»
» pour la première fois, vous allez être jugés avec
» justice, et vous allez voir, par un prince chrétien,
» votre sort fixé. S. M. veut que vous soyez Français.
p C'est à vous d'accepter un pareil titre, et de songer
» que ce serait y renoncer que de ne pas vous en
» rendre dignes. » Il demanda « la vérité tout entière,
» franche, complète, » sur les questions qui allaient
leur être adressées. « S. M. a voulu que vous jouis-
D siez de la plus grande liberté dans vos délibérations.]»
Les questions posées à l'Assemblée par l'empereur
et roi étaient les suivantes :
i^ Est-il licite aux Juifs d'épouser plusieurs femmes?
2° Le divorce est-il permis par la religion juive ?
Le divorce est-il valable, sans qu'il soit prononcé
par les tribunaux, et en vertu de lois contradictoires
à celles du code français ?
3° Une Juive peut-elle se marier avec un chrétien,
et une chrétienne avec un Juif? ou la loi veut-elle que
les Juifs ne se marient qu'entre eux?
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE IV. 293
4° Aux yeux des Juifs, les Français sont-ils leurs
frères ou sont-ils des étrangers ?
5" Dans l'un et dans l'autre cas, quels sont les
rapports que leur loi leur prescrit avec les Français
qui ne sont pas de leur religion ?
6^ Les Juifs nés en France et traités par la loi
comme citoyens français, regardent - ils la France
comme leur patrie ? Ont-ils Tobligation de la défendre ?
Sont-ils obligés d'obéir aux lois et de suivre les
prescriptions du code civil ?
7** Qui nomme les rabbins?
8*^ Quelle juridiction de police exercent les rabbins
parmi les Juifs? Quelle police judiciaire exercent-ils
parmi eux ?
g^ Ces formes d'élection, cette juridiction de police
judiciaire, sont-elles voulues par leur loi ou seulement
consacrées par l'usage ?
I o° Est-il des professions que la loi des Juifs leur
défende ?
11° La loi des Juifs leur défend-elle de faire l'usure
à leurs frères ?
12® Leur défend-elle ou leur permet-elle de faire
l'usure aux étrangers ?
Le président rendit hommage à l'empereur : « Il
:ù nous semble voir, dit-il, l'Histoire tenant son burin
» immortel, et traçant sur ses tables d'airain, au
» milieu de tant d'événements qui signalent ce règne,
» ce qu'a fait le héros du siècle pour que le mur de
9 séparation élevé entre les nations et les restes épars
294 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
]> de l'un des plus anciens peuples du monde dispa-
]) raisse à jamais. y>
L'Assemblée fit précéder ses réponses aux questions
posées par une déclaration portant que la religion
de Moïse ordonne de considérer la loi du prince
comme loi suprême en matière civile et politique.
Sur la première question, elle déclara que les
Israélites se conformaient à la loi générale de l'Eu-
rope ; que la loi de Moïse tolère, mais n'ordonne pas
la polygamie; qu'au onzième siècle, le synode de
Worms, composé de plus de cent rabbins, présidé
par le rabbin Gerson, prononça anathème contre tout
Israélite qui, à l'avenir, épouserait plus d'une femme.
Le divorce n'est valable, dit l'Assemblée, que s'il
est prononcé par les tribunaux civils.
La question des mariages mixtes fut vivement dis-
cutée. Un rabbin avait demandé que les membres
laïques abandonnassent aux rabbins de l'Assemblée
le droit de décider tout ce qui avait rapport à la reli-
gion. L'Assemblée dit que la loi religieuse ne prohibe
nominativement le mariage qu'avec les sept nations
chananéennes , avec Amon et Moab, et avec les
Égyptiens; qu'avec les sept nations la défense est
absolue, avec Amon et Moab elle ne s'applique qu'aux
femmes, avec les Égyptiens elle ne portait que pour
trois générations; que le mariage est prohibé avec les
idolâtres, mais le Talmud porte que les nations
modernes ne le sont pas, parce qu'elles adorent un
Dieu unique ; qu'ainsi plusieurs mariages mixtes ont
eu lieu en France, comme en Espagne et en Portugal,
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE IV. 296
mais que ropinion des rabbins est contraire à ces
mariages, tout comme celle des prêtres catholiques.
Sur les quatrième, cinquième et sixième questions,
le rapport de Moïse Lévy, de Nancy, rappela les
textes : « Souvenez-vous que vous ave\ été étrangers
> en Egypte. » « Aime ton semblable comme toi'
» même, d Et les paroles du rabbin Hillel : <r Ne fais
> pas à ton semblable ce que tu ne voudrais pas qu^on
> te fît. » L'Assemblée reconnut que les rapports des
Juifs avec les autres Français devaient être les mêmes
qu'entre Juifs, et que la France était leur patrie.
Elle répondit aux septième, huitième et neuvième
questions, que les rabbins étaient nommés à la majorité
par les chefs de famille; qu'ils n'avaient en France et
en Italie aucune juridiction, et se bornaient à prêcher
la morale, à bénir les mariages et à prononcer les
divorces.
A la dixième, que la loi religieuse n'interdisait aux
Juifs aucune profession. Sur les onzième et douzième,
qu'il ne fallait pas confondre le prêt de bienfaisance,
ordonné comme aumône et sans intérêt entre coreli-
gionnaires, et le prêt commercial permis avec tous ;
que l'usure n'était permise envers personne, et que si
on avait mal interprété le mot necheck, intérêt, qui
se trouve dans un passage de Maïmonides, cette
interprétation a été réfutée par Abravanel, Moïse de
Gironda, Salomon ben Aderet, et tous les docteurs
On était arrivé au i8 septembre 1806, M. Mole
remercia l'Assemblée de ses travaux, et, tout en se
^
296 HISTOIRE DES JUIFS A BORDExVUX.
montrant satisfait des réponses données, il indiqua la
nécessité d'une garantie religieuse. Cette garantie ne
pouvait être demandée qu'à une assemblée dont les
décisions fussent de nature à être placées à côté du
Talmud et pussent acquérir la plus grande autorité. Il
annonça que Tempereur allait faire revivre le Grand
Sanhédrin, tombé avec le temple de Jérusalem.
Le président, après avoir remercié Tempereur dont
la bienveillance allait mettre un terme à des souffrances
séculaires, posa en principe que tout culte religieux
doit obéissance civile et politique à l'autorité souve-
raine; que la loi de Moïse n'offre rien qui puisse être
en opposition avec les lois civiles et politiques des
Français. Il désira que les réponses de l'Assemblée
fussent mises sous la sanction des synagogues de
France et d'Italie pour servir de règles à toutes celles
de l'Occident.
L'Assemblée adopta, à l'unanimité, une adresse à
l'empereur et une proclamation à toutes les synago-
gues de l'Europe pour leur annoncer que le 20 octobre
s'ouvrirait à Paris un grand Sanhédrin dont feraient
partie : i® les rabbins membres de l'Assemblée;
2*^ vingt-cinq membres laïques de l'Assemblée élus
au scrutin secret; 3® vingt-neuf autres rabbins.
Un comité de neuf membres. Portugais, Allemands,
Italiens, devait préparer le travail.
Ces neuf membres furent MM. Furtado, Avigdor,
Andrade; — Jacob Lazare, Moyse Levy, Béer Isaac
Berr; — Sègre, Cologna, Cracovia.
Les vingt-cinq membres laïques furent aussi désignés.
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE IV. 297
Le 10 décembre 1806, TAssemblée adopta un projet
de règlement pour l'organisation du culte israélite,
rétablissement des synagogues et consistoires dépar-
tementaux et d'un consistoire central à Paris; et pour
le choix, les fonctions et le traitement des rabbins.
Enfin, le 5 février 1807, elle arrêta la rédaction
des décisions doctrinales qui devaient être soumises
au grand Sanhédrin.
Elle n'avait bientôt plus qu'à se séparer pour faire
place à la nouvelle assemblée.
Le grand Sanhédrin avait procédé, dès le 4 février,
dans l'hôtel de M. Mole, à la vérification des pouvoirs
de ses membres.
Le 9 février, avant d'ouvrir les séances à l'Hôtel de
Ville, les membres de l'assemblée assistèrent, dans la
synagogue de la rue Sainte-Avoye, à la prière reli-
gieuse.
La salle des séances était disposée en demi-cercle.
Le narsi, chef du Sanhédrin, nommé par le ministre
de l'intérieur, le rabbin D. Sintzheim, de Strasbourg,
avait pour premier et second assesseurs (ab bet din et
cachant) les rabbins Segre, de Verceil, et Cologna, de
Mantoue.
Ab. Furtado, de Bordeaux, et Cracovia, rabbin de
Venise, étaient les rapporteurs de la commission des
Neuf.
Le rapport de M. Furtado traita avec éloquence les
hautes questions relatives à la polygamie, au divorce,
au mariage, à la fraternité. L'assemblée, sortant un
298 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
instant de la gravité religieuse qui était son caractère,
se livra à des applaudissements unanimes. Le grand
Sanhédrin consacra les solutions données par l'assem-
blée qui Tavait précédé.
Il reçut les adhésions des Israélites de Francfort,
de Livoume, d'Amsterdam.
€ Vous avez, dit le président dans la séance de clô-
» ture, vous avez signé le pacte social du Peuple de
» Dieu avec les nations qui Font accueilli dans leur
3 sein. Votre tâche est remplie. — Vos vœux sont
9 accomplis. >
L'Assemblée de 1 806 avait été convoquée dans le
but de faire cesser les difficultés qu'aurait pu faire
naître l'admission des Juifs au nombre des citoyens
français; elle avait été faite dans leur intérêt, et c'est
à eux qu'on s'adressa pour payer les frais qu'elle avait
occasionnés.
La part contributive des Juifs de Bordeaux fut fixée
à 1,070 francs; et, par ses lettres des 2 et 12 jan-
vier 1807, le ministre de l'intérieur chargea le préfet
de faire la répartition par chefs de famille classés selon
leur degré de fortune.
M. Lopès-Dubec, auquel le préfet transmit l'ordre
du ministre, demanda que, suivant ce qui s'était tou-
jours passé, on laissât aux anciens la liberté d'agir par
les voies de douceur auprès des retardataires, et que,
d'autre part, le rôle arrêté par les anciens fût rendu
exécutoire par l'autorité publique contre les récalci-
trants.
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE IV. 299
Il résulte de Tétat qui fut dressé que les députés
reçurent une indemnité calculée à raison de 5,ooo fr.
par an, outre leurs frais de voyage.
Il s'agissait d'organiser le culte Israélite dans ses
rapports avec TÉtat.
Dans ce but, trois projets de décrets furent présentés
à la signature de l'empereur : Tun portait approbation
du règlement du i o décembre ; le second était relatif à
la conscription ; le troisième, aux créances des Juifs sur
les chrétiens, principalement en Alsace et en Lorraine.
Ces projets, dont nous ne donnons pas le texte,
émurent profondément la population Israélite. Non
seulement ils étaient loin de donner satisfaction aux
vœux que l'Assemblée avait émis publiquement,
comme aux propositions contenues dans un mémoire
confidentiel remis par le président au ministre de
l'intérieur, mais ils pouvaient avoir les conséquences
les plus graves, et remettaient en question tous les
droits précédemment accordés.
Le président de l'Assemblée, Abraham Furtado,
rédigea un mémoire contre les projets de décrets.
Il demandait qu'au premier décret portant approba-
tion du règlement on ajoutât que les rabbins seraient,
en partie du moins, salariés par l'État. Il trouvait dans
cette disposition une reconnaissance et une assurance
politique de l'existence du culte.
Il demandait la suppression complète du décret sur
la conscription qui rendait responsables pour les
réfractaires ou les déserteurs juifs non seulement les
300 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
parents, mais des individus qui leur étaient complète-
ment étrangers, sous le prétexte qu'ils étaient Israé-
lites; il réclamait le droit commun.
Il s'élevait enfin contre le projet de règlement des
créances en Alsace, projet qui mettait hors la loi civile
toute une classe de citoyens, simplement à cause de
leur religion, et qui, loin de réprimer les usures, ne
pouvait avoir d'autre effet que de les rendre plus fré-
quentes et plus désastreuses.
<r Ou l'existence des Juifs en France est un mal,
» disait le mémoire, et alors il faut les en bannir; ou
:» elle n'est point un mal, et alors ce ne sont plus des
D Juifs qu'il faut voir en eux, mais des Français... Ils
» aimeraient mieux être proscrits que déshonorés. >
M. Furtado ne se contenta pas de présenter son
mémoire au Conseil d'État : M. Lévy, de Nancy, et
lui le portèrent jusqu'à l'empereur, à Tilsit.
L'empereur supprima le projet de décret sur la
conscription, modifia celui sur les créances des Juifs ;
mais il n'admit pas le salaire des rabbins par l'État.
Le 17 mars 1808, deux décrets furent rendus sur
l'organisation du culte Israélite.
Le premier ordonnait l'exécution du règlement du
I o décembre 1 806 ; le second prescrivait les mesures
nécessaires pour cette exécution.
Le premier décret portait :
ti Le règlement, délibéré dans l'assemblée générale des Juifs
tenue à Paris le 10 décembre 1806, sera exécuté et annexé au
présent décret.
M^Les députés composant rassemblée des Israélites convo-
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE IV. 3oi
quée par décret du 3o mai 1 806 , après avoir entendu le
rapport de la commission des Neuf, nommée pour préparer
les travaux de l'assemblée , délibérant sur l'organisation qu'il
conviendrait de donner à leurs coreligionnaires de l'empire
français et du royaume d'Italie, relativement à l'exercice de
leur culte et à sa police intérieure, ont adopté unanimement
le projet suivant. »
Il était établi une synagogue consistoriale et un
grand rabbin par département comptant 2,000 indi-
vidus professant la religion de Moïse, ou par circons-
cription composée de plusieurs départements. Le
consistoire était composé du grand rabbin, d'un
second rabbin et de trois membres laïques. Il devait
être formé dans chaque circonscription une liste de
2 5 notables chargés de procéder à Télection des
3 membres du consistoire. Les fonctions du consis-
toire étaient déterminées, ainsi que celles des rabbins,
et celles d'un consistoire central établi à Paris.
Le traitement des rabbins et les frais du culte
étaient à la charge des Israélites, et payés par voie de
répartition faite par le consistoire.
Le second décret, du 17 mars 1808, prescrivait les
mesures nécessaires pour l'exécution du règlement du
10 décembre 1806, c'est-à-dire pour la nomination
des notables, des membres des consistoires départe-
mentaux et du consistoire central. Il ordonnait que le
rôle de répartition fût rendu exécutoire par le préfet.
Le ministre des cultes, M. Bigot de Préameneu,
donna avis officiel au préfet de la Gironde, le 29 mars,
des deux décrets du 17, et lui demanda le dénombre-
302 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
ment de la population israélite, ainsi que la liste des
rabbins et des vingt-cinq laïques les plus notables de
la circonscription.
M. Lopès-Dubec dressa la liste sur Tinvitation du
préfet. Elle comprenait MM. Alexandre aîné, Astruc
cadet, David Azevedo, Chavès, Salomon Cardoze,
Abraham Carvalho, Antoine Dacosta, Fonsèque jeune,
Furtado, B. Francia, David Gradis, Salomon Lopès-
Dubec, Daniel Lopès-Dias, Jacob Lange, Jacob
Pimentel, Aaron Peixotto, Aaron Peynado, Isaac
Péraire-Suarès, Raba aîné, Raba junior, le fils de
A. Rodrigues aîné, Robles jeune, A. Sasportas et
Tota.
Quant au rabbin, il n'y en avait pas, le dernier
étant décédé depuis peu. On attendait, pour le rem-
placer, l'élection à faire en vertu des décrets du
17 mars.
Le II décembre 1808, l'organisation des synago-
gues consistoriales fut réglée par un décret.
Il fut institué treize synagogues juives, et un consis-
toire fut attaché à chacune d'elles.
La circonscription de chaque synagogue fut arrêtée
conformément au tableau annexé au décret.
Les sièges de ces synagogues furent établis à Paris,
Strasbourg, Wintzenheim, Mayence, Metz, Nancy,
Trêves, Coblentz, Creveld, Bordeaux, Marseille,
Turin, Casai.
Il résulte du tableau de circonscription des syna-
gogues, inséré au Bulletin des Lois (p. 534), ^^^ '^
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE IV.
3o3
nombre total de la population juive dans Tempire
français, tel qu'il se composait à cette époque, était
de 77,162 individus;
Que la circonscription dont Bordeaux était le chef-
lieu comprenait une population juive de 3,7x3 indi-
vidus, et s'étendait sur dix départements.
Les membres du comité central israélite siégeant à
Paris, MM. B. Cerfbeer, David Sinztheim, Abraham
Cologna et J. Lazard, arrêtèrent, le 9 janvier 1809,
la liste des notables de l'arrondissement consistorial
de Bordeaux, suivant le tableau ci-dessous :
DÉPARTEMENTS.
Gironde
Landes
Basses- Pyrénées
Haute-Garonne
Charente-Inférieure . . . ,
Puy-de-Dôme
Haute-Vienne
Charente
Aude
Dordogne
Totaux
POPULATION.
2l3l
II98
127
107
70
38
29
8
4
I
3173
NOMBRE
des
NOTABLES.
16
8
I
25
En réalité, il n'y avait que deux groupes importants :
ceux de Bordeaux et de Bayonne.
Les vingt-cinq notables choisis furent : Abraham
Furtado, David Gradis, Samuel Alexandre aîné, Isaac
3o4 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Chavès, Antoine Dacosta, Fonsèque jeune, Salomon
Lopès-Dubec, Daniel Lopès-Dias, Jacob Lange jeune,
Jacob Pimentel, Aaron Peynado, Isaac Pereyre
Souarès, Raba aîné, le fils de Rodrigues aîné, Abra-
ham Sasportas, Tota aîné, pour la Gironde.
Moïse Nonnès, Joseph Furtado, Marcfoy aîné,
pour Bayonne; Isaac Patto jeune, Louis-Benjamin
Nonnès, Isaac Nonnès, Jacob D. Rodrigues, Salo-
mon Lévy, Mendès, pour Pont-Saint-Esprit.
Les électeurs furent convoqués à Bordeaux pour
le 5 mars, à l'effet d'élire le rabbin et les membres
laïques du consistoire.
Le procès-verbal constate que les électeurs se réu-
nirent dans la principale synagogue de la ville de
Bordeaux, sous la présidence de M. Salomon Lopès-
Dubec, désigné par le préfet; qu'aucun des électeurs
des Landes et des Basses- Pyrénées ne comparut;
que deux des électeurs de Bordeaux firent défaut pour
cause de nialadie, et que quatorze notables prirent
part au vote.
Abraham Furtado, de Saint-Esprit, l'un des rabbins
du grand Sanhédrin, fut élu grand rabbin du consis-
toire de Bordeaux. Quatre membres laïques furent
élus : David Gradis, Lopès-Dubec, le fils de Rodri-
gues aîné et Samuel Alexandre aîné.
On avait élu un membre de trop. Le décret impérial
du 1 3 avril nomma le grand rabbin Furtado et les
trois membres laïques Gradis, Lopès-Dubec et Rodri-
gues aîné.
Le 17 avril, le ministre des cultes donna Tordre
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE IV. 3o5
au Préfet d'installer le consistoire. La cérémonie eut
lieu le lo mai, et les membres prêtèrent le serment
dont la formule était : ^ Je jure et promets à Dieu,
» sur la Sainte Bible, de garder obéissance aux cons-
» titutions de TEmpire et fidélité à TEmpereur. Je
j» promets aussi de faire connaître tout ce que
:> j'apprendrai de contraire aux intérêts du souverain
3 ou de rÉtat. i>
Il n'est peut-être pas inutile de remarquer que ce
serment était analogue à celui que prêtaient les évê-
ques catholiques, en vertu de Part. 6 du Concordat :
€ Je jure et promets à Dieu, sur les saints Évangiles,
» de garder obéissance et fidélité au Gouvernement...
^ et si, dans mon diocèse ou ailleurs, j'apprends qu'il
» se trame quelque chose au préjudice de TÉtat, je le
» ferai savoir au Gouvernement. »
Le personnel de la synagogue étant ainsi régulière-
ment constitué, les Israélites de Bordeaux voulurent
avoir un temple convenable. — Ils s'adressèrent à
M. Corcelle, architecte, qui en dressa les plans.
Deux décrets, l'un du 28 février 18 10, autorisant
l'édification du temple; l'autre du 21 octobre, auto-
risant un emprunt, permirent la construction de cet
édifice. Le 6 mai 18 10, l'entrepreneur avait commencé
les travaux; mais bientôt il fut obligé de s'arrêter,
et, après un procès, les travaux furent remis aux
enchères.
Cependant les Israélites de Bordeaux avaient fait
frapper une médaille en commémoration de l'érection
20
3o6 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
de la synagogue. Cette médaille fut transmise par le
baron Gary, préfet, à M. de Montalivet, ministre de
rintérieur, le 22 juin 18 10.
Les travaux touchaient à leur fin le 27 mars 181 2.
Le consistoire :
« Considérant que Touverture du temple devant avoir lieu
pour la Pâque de Sebuhot ou des Semaines^ et qu'un grand
nombre d'objets qui se trouvent dans les synagogues exis-
tantes doivent être employés, partie à sa décoration et partie
vendus pour fournir aux dépenses, *»
Délibéra :
« Art. i"". La synagogue dite des Avignonais, celles de
Gradis, de Peixotto, de Lévy, de Francia et des Allemands
seront fermées le lendemain de la Pâque des azymes.
M Art. 2. Les synagogues de La Hebera et de Paez seront
maintenues jusqu'à l'ouverture du temple.
» Art. 3. Tous les objets existant, soit dans les synago-
gues supprimées, soit dans celles maintenues, et qui ne seront
pas reconnus être des propriétés particulières, seront mis à
la disposition de l'administration du temple. •
L'inauguration du temple de la rue Causserouge
eut lieu le 14 mai 1812. MM. Raba junior, Lopès-
Dubec, Rodrigues aîné, étaient membres laïques du
consistoire. Quelque temps après, par décret du
5 août 18 12, M. Samuel Alexandre aîné leur fut
adjoint.
Peu de jours avant l'inauguration du temple, le
6 novembre 181 1, était mort David Gradis. Les
désastres de Saint-Domingue avaient amené des
pertes immenses pour sa maison , mais n'avaient pu
DEUXIÈME PARTIE. — • CHAPITRE ÏV. Soy
diminuer ni sa bienfaisance, ni Testime publique. Le
maire, le conseil de la commune, les chambres et
tribunaux de commerce, et surtout les pauvres,
raccompagnèrent à sa dernière demeure. Il laissait
plusieurs ouvrages philosophiques.
La Révolution française avait conféré aux Juifs
français les droits civils et politiques, mais elle n'avait
pas résolu les questions qui naissaient de Topposition
sur quelques points entre la loi de Moïse et le Code.
Ce fut là l'œuvre de l'Empire. Il obtint pour ainsi
dire la légitimation religieuse Israélite pour le Code,
et soumit tous les Français aux mêmes lois et aux
mêmes obligations civiles.
Désormais, les Israélites étaient réellement Français.
CHAPITRE V.
Ll HONARCHtE CONSTITUTIONNELLE : RESTAURATION,
LOUIS-PHILIPPE.
II-
I^ Chtrte de i6i4 reoonnatt la liberté religieuse.
Liquidation des dettes de Tancienne communauté juive d'Avignon. — RéÂstance
des Avignonais établis à Bordeaux. —• Leurs noms.
Changements dans la liste des notables et des membres du G>nsistoire : 1816.
Mort d'Abraham Furtado.
Ordonnance royale du 10 juillet 1819. — Diverses élections de notables.
Ordonnance du 20 août i8a3. — Nouveaux notables. — Membres du Consistoire
Budget du culte Israélite de i8a6. — Rdie des impositions.
III.
i83o. — Commission municipale. — MM. Lopès-Dubec et Rodrigues. — Charte
de i83o. — I^i du 10 février i83i, et ordonnances relatives au service, par le
Trésor public, du traitement des rabbins.
Ordonnance réglementaire du i4 juin i844.
Assimilation compictc du culte Israélite aux autres cultes reconnus par l'Ftat.
Participation des Juifs de Bordeaux à la politique et à Tad mi nist ration.
Embellissements au temple. — Écoles. » Hospice civil.
La chute de Napoléon et la rentrée des Bourbons
n'amenèrent point de changement dans la situation
des Juifs. L'article 5 de la Charte du 4-14 juin 18 14
portait : « Chacun professe sa religion avec une égale
» liberté, et obtient pour son culte la même protection. *
Cependant la religion catholique, apostolique et
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE V. Sog
romaine était considérée comme la religion de TÉtat,
et les cultes chrétiens seuls recevaient pour leurs
ministres des traitements du Trésor royal.
Pendant la Restauration, Thistoire des Juifs de Bor-
deaux ne contient guère que deux ordres de faits : Tun
relatif aux Avignonais établis dans cette ville, le
second relatif à la succession et au remplacement de
notables et de membres du consistoire, ainsi qu'au
budget du culte.
Il existait à Avignon, à la fin du dix-huitième siècle,
une communauté juive, lorsque le décret du 1 4 novem-
bre 1 79 1 vint réunir à la France le Comtat-Venaissin
et la ville d'Avignon. La Révolution française amena
la dissolution de cette communauté ; et, dans la suite,
les biens de cette communauté furent considérés comme
biens nationaux çt vendus comme tels.
Cependant la communauté, par le ministère de ses
chefs ou bayions, avait contracté diverses dettes, et
dans les contrats la communauté tout entière avait été
engagée, ainsi que ses membres, leurs héritiers ou
ayants-cause. Le plus ancien de ces contrats datait
de 1760.
Après la destruction de la communauté, les créan-
ciers poursuivirent individuellement quelques-uns de
ses anciens membres ou leurs héritiers. Ceux-ci portè-
rent leurs plaintes à la Convention nationale, et se
plaignirent de la spoliation dont la communauté avait
été victime. Le 9 germinal an III, la Convention
ordonna qu'il serait sursis aux poursuites.
3 10 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
La situation n'avait pas été réglée sous l'Empire; un
décret du 7 octobre 1807 avait ordonné la liquidation
des dettes et mis leur paiement à la charge de la
communauté d'Avignon ; un arrêté, rendu le 9 avril
i<So8 par le préfet du Vaucluse, avait nommé une
commission de liquidation. Cette commission, compo-
sée de membres étrangers à l'ancienne corporation,
avait fixé la dette de l'ancienne communauté à
1 1 3,782 fr. 73 c. de principal, et, y compris les intérêts
et les frais, à 240,40a fr. 74 c.
C'est sous la Restauration, le 3o mars 1817, qu'un
arrêté du préfet liquida à ce chiffre la dette, et ordonna
que la répartition en serait faite et poursuivie contre les
représentants de l'ancienne communauté d'Avignon.
Cet arrêté fut approuvé par ordonnance royale, qui
chargea le consistoire d'Avignon d'opérer le décompte.
Le consistoire d'Avignon fixa une taxe annuelle
pour amortir la créance, et il comprit dans cette taxe
certaines familles existant à Avignon pour 100 fr.
par an, certaines familles établies à Bordeaux pour
i6,5oo fr. par an, et quelques autres pour 7,440 fr.
La plupart des Israélites de Bordeaux imposés par
le consistoire d'Avignon réclamèrent énergiquement
et soutinrent n'avoir jamais fait partie de la commu-
nauté d'Avignon dont on opérait la liquidation, et
que leurs auteurs, comme eux-mêmes, y avaient été
étrangers.
Ils exposèrent leurs griefs dans un Mémoire qui porte
la date du 4 septembre 1820. Il se résume ainsi :
Jacob Waidil, né en Suisse de parents établis en
DEUXIEME PARTIE. — CHAPITRE V. 3 II
Suisse depuis des siècles, a épousé une Perpignan, de
Bordeaux.
David Melendès, fils de Moïse Méiendès, issu de
Jacob, né à Séville, a pour mère Judith;, fille d'Abraham
Nonès d'Almeyda, né en Pornigal/Il est né à Bor-
deaux, ainsi que son père et sa mère.
Lyon, Jacob et David Norzy sont originaires du
Piémont; les deux derniers sont nés à Bordeaux,
comme leur mère, Marie-Anne Segré.
Moïse Guttierès Requenne est né à Bordeaux, où
résidaient son père et sa mère ; son aïeul, Mardochée
Guttierès et Sara-Femandès Médina , son aïeule ,
étaient nés et avaient vécu à Requenna (Espagne).
Lyon et Jacob Petit, père et fils, appartiennent à la
famille Petit, qui obtenait en 1769 des lettres-patentes
du roi pour avoir domicile à Bordeaux, où ses ancê-
tres étaient venus s'établir. La première dette de la
communauté d'Avignon ne remontant qu'à 1760,
avait été contractée bien après que leur famille se fut
établie à Bordeaux. Moïse Petit, père de Lyon, était
né à Lesparre, et Lyon Petit, son aïeul, à Bordeaux.
Samuel Lange était né à Bordeaux de Jacob Lange
et Sépora Astruc, et ses aïeux y avaient aussi pris
naissance.
Josué et Abraham Perpignan frères, petits-fils de
Jacob Perpignan, établi à Bordeaux en 1718, sont
étrangers à Avignon depuis plus d'un siècle. Les lettres-
patentes obtenues par Jacob en 1778 constatent qu'il
était établi à Bordeaux depuis plus de cinquante ans à
cette date.
3 12 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
La veuve Benjamin Petit et Isaac Petit appartien-
nent à la famille Petit, dont le chef Joseph, né à
Bordeaux, obtint des lettres-patentes en 1769 pour
résider à Bordeaux.
Moyse Carcassonne était fils d'un père né à Bor-
deaux, où son aïeul s'était marié en 1732 avec une
Italienne.
Samuel Roget invoquait la naissance à Bordeaux
de son père et de son aïeul.
Roget junior était fils d'Aaron Roget, né à Bor-
deaux il y avait un siècle. Sa mère, Abigaïl Solar, née
à Lisbonne, était établie au Pont-Saint-Esprit. Il avait
épousé Rebecca Lopès-Dias, née à Bordeaux comme
ses père et mère, et d'origine espagnole.
Nathan Astruc, petit-fils de Nathan Salom Astruc,
né à Bordeaux il y avait cent cinquante ans, et marié
à Esthcr Astruc. Samuel Astruc père avait épousé
Gentille Millaud. En 1759, Samuel Astruc obtint par
lettres-patentes droit de cité à Bordeaux.
Nathan-Michel et Joseph-Adolphe Astruc avaient
la même origine.
Le temps amenait nécessairement quelques chan-
gements dans la liste des notables et dans celle des
membres du consistoire.
Le 10 juillet 1816, MM. Abraham Cardoze et Ab.
Pereire furent nommés notables en remplacement
d'Isaac Péreire et d'Abraham Dacosta, décédés. Le
23 avril 181 7, MM. Jacob Dalmeyda, Abraham
Lopès-Dias et Abraham Léon aîné remplacèrent
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE V. 3l3
MM. Furtado et Jacob Lange, décédés, et Chavès,
démissionnaire.
Le 29 janvier 181 7 mourait à Bordeaux l'ancien
président de T Assemblée de 1806 qui prépara les
travaux du grand Sanhédrin, Abraham Furtado.
Ses obsèques eurent lieu avec magnificence et avec le
concours de toutes les autorités, ainsi que d'un grand
nombre des plus considérables citoyens de Bordeaux,
sans distinction de culte.
La famille d'Abraham Furtado était établie à Lis-
bonne. Le terrible tremblement de terre de ijSS
ensevelit sous les maisons écroulées son père et sa
mère. Le père fut écrasé; la mère qui portait Tenfant
dans son sein, fut retirée de dessous les décombres par
des soldats. Elle se retira à Londres, où naquit son fils,
puis se rendit à Bordeaux en 1756. Furtado s'occupa
quelque temps d'assurances maritimes, et finit par se
consacrer entièrement à Tétude. Nous l'avons vu,
investi de la confiance de ses coreligionnaires, être
officieusement délégué avec son ami Salomon Lopès-
Dubec auprès du ministre, M. de Malesherbes, par
les anciens de Bordeaux.
Lié avec Vergniaud et Gensonné,*il fut proscrit
avec eux et se trouvait sans asile et sans ressources
lorsqu'il fut recueilli et sauvé par M. Solar.
Nous ne reviendrons pas sur le grand rôle qu'il a
joué lors de la convocation de l'Assemblée des députés
juifs de l'empire firançais et de la réunion du grand
Sanhédrin .
En 18 14, à la chute de l'Empire, il accepta les
3 14 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
fonctions de membre de la commission provisoire
formée à Bordeaux après Tarrivée du duc d'Angou-
lême, et refusa d'être adjoint au maire pendant les
cent jours. Au retour de Louis XVIII, il fut adjoint
au maire pour les finances.
C'était un travailleur infatigable. Il a laissé un
grand nombre d'écrits politiques presque tous ina-
chevés. Nous citerons entre autres ceux intitulés :
Harmonie des pouvoirs publics; Essai sur les diS"
sensions civiles et les religions (i).
Le 29 juin — 10 juillet 18 19, une ordonnance
royale vint modifier quelques articles du règlement
du culte mosaïque.
Elle fut rendue sur la réclamation des synagogues
consistoriales et sur la demande du consistoire cen-
tral. Elle ajoutait un cinquième membre au consis-
toire, membre qui devait être élu par les notables, et
indiquait de préférence le second rabbin. Elle portait
que les Israélites qui viendraient s'établir en France
contribueraient de droit aux charges consistoriales.
Elle fixait en outre une assemblée annuelle du consis-
toire et des notables pour former le budget annuel et
la répartition du rôle, ainsi que pour entendre le
compte-rendu par le trésorier des recettes et dépenses.
L'ordonnance réglementait encore les dépenses
d'instruction religieuse et celle des écoles primaires.
En outre elle maintenait le mode de perception en
(i) V. Alliance israélite, t. Il, p. 36 1.
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE V. 3l5
usage, qui consistait à faire recouvrer les fonds par le
receveur général du Trésor, qui les versait dans la
caisse du trésorier Israélite.
En vertu de cette ordonnance, M. Abraham Lopès-
Dias fut élu pour le cinquième membre du consis-
toire.
En 1820, 1821 et 1822, il y eut à remplacer
plusieurs notables.
En 1820, un arrêté du comte Siméon, ministre
de rintérieur, remplaça MM. Ab. Cardoze, Aaron
Marcfoi, ToUa aîné et Jacob- Louis Nonès, par
MM. Aaron Cardoze, Moïse Patto, Benjamin Gradis
et Samuel Nonès.
MM. Lopès-Dubec et Lopès-Dias, membres du
consistoire, qui avaient donné leur démission, malgré
les prières des notables et les demandes du ministre,
eurent pour successeurs Abraham Sasportas et Abra-
ham Péreire. Ceux-ci prêtèrent ainsi le serment, le
1 1 mars 1822, devant le préfet, M. le comte de Bre-
teuil : «Je jure et promets à Dieu, sur la Sainte
]» Bible, fidélité au Roi et obéissance à la Charte
» constitutionnelle, j»
Isaac Pimentel et Isaac Robles devinrent, en 1821
et 1822, notables, en remplacement de Jacob Pimentel
et de Rodrigues père, le premier décédé, le second
démissionnaire.
Le 20 août 1823, une nouvelle ordonnance vint
modifier le règlement fondamental du 10 décem-
bre 1806.
Il était ordonné de renouveler, dans le cours de
3l6 HISTOIRE DES JUIFS A BOKDEAUX.
l'année 1823, la liste des notables, dont le coU.'ge
devait voir sortir cinq de ses membres tous les deux
ans par la voie du sort. Les conditions d'éligibilité
exigées déjà des membres du consistoire étaient appli-
quées aux notables.
Les notables qui allaient être nommés en 1823
devaient procéder, dans le mois, au renouvellement
intégral des consistoires.
Ces consistoires devaient également perdre un
membre tous les deux ans par la voie du sort.
D'autres dispositions réglaient Télectign des rabbins,
leur traitement, la formation des budgets et la répar-
tition des taxes.
Le nombre des membres du consistoire central fut
porté à 9, dont 2 rabbins et 7 laïques. Chaque collège
de notables devait élire 2 candidats, sur lesquels le roi
devait en choisir un.
Enfin chaque consistoire devait nommer tous les
ans son président et son vice-président. Tous les
fonctionnaires, notables, membres des consistoires,
présidents, étaient d'ailleurs indéfiniment rééligibles.
Le ministre de Tintérieur, M. de Corbière, en trans-
mettant l'ordonnance du 20 août au préfet de la
Gironde, lui demandait une liste de notables. Le maire
de Bordeaux remit au préfet une liste avec cette note :
a Les chefs de famille qui composent ces listes sont,
» de tous les Juifs établis à Bordeaux, ceux qui se
» recommandent le mieux par leur conduite honorable
1 et la sagesse de leurs opinions. » — Il les classait
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE V. ilj
toutefois en deux catégories t sous le rapport de
:» l'opinion politique ^ .
M. de Corbière, par arrêté du 1 3 mai 1824, nomma
les notables :
MM.
Salomon Lopès-Dubec.
Jacob Fonsèque jeune.
Daniel Lopès-Dias.
Abraham Mendès.
David Lopès-Dubec.
Benjamin Raba.
Abraham Péreire.
Aaron Cardoze.
Benjamin Gradis.
Isaac Pimentcl.
Isaac Robles.
Jacob Dalmeyda.
Abraham Léon.
MM.
Abraham Lopès-Dias.
Samuel Alexandre aîné.
De Bordeaux.
Joseph Furtado.
Abraham Marcfoy.
Isaac Léon.
Moïse Brandam.
Moyse Patto.
Josué Léon .
David Salcedo.
Salqmon Léon.
Joseph Nunès.
De Bayonne et de Saint-Esprit .
Une ordonnance royale du 11 août 1824 nomma
membres laïques du consistoire, en validant leur élec-
tion, MM. Lopès-Dubec frères, Alexandre aîné,
Fonsèque junior et Elysée Raba.
Deux candidats au consistoire central avaient été
désignés dans l'assemblée du i" juillet : MM. Isaac
Rodrigues aîné et Emmanuel Péreire aîné; M. Rodri-
gues fut choisi par ordonnance du mois de mai 1825.
Le consistoire de France se composait de MM . SchmoU,
Worms de Romilly et Benoît Fould, de Paris ; Mayer
Lazare Dalmbert, de Strasbourg; Halphen, de Metz;
Rodrigues aîné, de Bordeaux, et Schiama, d'Alep en
Syrie. Ce consistoire était présidé par M. le grand-
rabbin de Cologna.
3l8 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Pour compléter Inaperçu de la situation des Juifs à
Bordeaux à cette époque, nous donnons un budget de
leurs dépenses et recettes, celui de 1826, qui peut être
pris pour type de ceux de 181 5 à i83o :
BUDGET DE 1826.
"DÉPENSES.
10 Synagogue :
1 . Contingent aux frais du Consistoire central . . F. i ,800 »
2. Traitement du grand-rabbin 3,ooo »
3. Frais d'administration ii700 »
4. Frais de recouvrement 190 4S
20 Secours :
1. Soins à donner aux pauvres; médecins, chirur-
giens, bouillons. 2,750 »
2. Pains azymes i ,000 »
3 . Charité maternelle 200 w
4. École primaire 200 »
3. Impositions, assurances, dépenses imprévues.. 410 »
6. Loyers de la succursale 3oo »
7. Appointements du secrétaire 400 »
8. Intérêts de 42,250 fr., dus sur la construction
du temple 2,262 5o
Total F. 14,212 95
30 Dépenses extraordinaires :
1 . Indemnité de logement du grand-rabbin F. 3uu »
2 . Frais de recouvrement 234 G5
3. Dépenses intérieures du temple 3,585 »
Total F. 4, 1 1 9 65
Ces dernières dépenses correspondent à la recette
particulière faite dans le temple et ne sont comprises
ni dans le rôle de répartition ni dans les frais de
recouvrement.
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE V. 3l9
Les autres dépenses étaient réparties et payées
comme les taxes publiques ordinaires.
Dans les rôles des contributions publiques, les Juifs
figuraient d'ailleurs pour une fraction importante.
Le ministre de Tintérieur demanda, le i5 octo-
bre 1828, la liste des cinquante plus fort imposés du
ressort du consistoire.
Dans la liste qui lui fut envoyée figurent :
•
Rodriguès Henriques pour F. 6,236 07
B. Gradis aîné pour 3,064 97
Lopès Daniel, Moïse Solar, A. Dalmeyda, Samuel
Alexandre aîné, Joseph Rodrigues, Hippolyte
Raba De i ,000 à i ,400 »
Lopès-Dubec père, Salomon Lopès-Dubec, Latad de
Rose, Léon aîné, J. Raba, Fonsèque, H. Léon,
N. Astruc, J. Perpignan, S. Alexandre, S. Cas-
tille, C. Julian, Gradis 4eune, Alexandre fils,
Pereyra Lopès, Chavès fils aîné De 5oo à 1,000 »
Lorsqu'en janvier i83o la résistance aux ordon-
nances du roi Charles X fut devenue à Paris uns
révolution qui renversa le trône des Bourbons de la
branche aînée, le contre-coup de ces événements se fit
ressentir à Bordeaux.
Le préfet, M. de Gurzay, et le maire, le comte
Duhamel, ayant été obligés d'abandonner l'adminis-
tration, rassemblée des notables de la ville de Bor-
deaux se réunit le 3 août 1 83o dans la principale salle
de r Hôtel de Ville, et nomma, vu Turgence, une com-
mission municipale de douze membres pour remplir
320 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
provisoirement les fonctions administratives dans la
ville de Bordeaux, Parmi ces notables, figuraient à
côté de M. Dufaure, aujourd'hui ministre de la justice,
MM. Benjamin Lopès-Dubec et Joseph Rodrigues.
Ce dernier fit partie, comme M. Dufaure, de la com-
mission municipale.
Cette commission cessa ses fonctions le 1 6 août et
fut remplacée par un conseil régulièrement élu.
La Charte de i83o proclama de nouveau la liberté
des cultes, mais elle ne mettait à la charge de TÉtat
que le traitement des ministres des cultes chrétiens.
Ce fut la loi du 8-10 février i83i qui décida qu'à
partir du i®^ janvier i83i les ministres du culte Israé-
lite recevraient un traitement du Trésor public.
Une ordonnance du roi (22 mars i83i) visant le
règlement organique du 10 mars 1806, fixa provisoi-
rement le traitement du grand-rabbin du consistoire
central à 6,000 francs, et ceux des rabbins des consis-
toires départementaux à 3,ooo francs.
Une autre ordonnance (6 août i832) fixa le traite-
ment des rabbins communaux ou ministres officiants.
L'article 3o de la loi du 18 juillet 1837 et le titre 2
de l'ordonnance du 6 septembre 1842, accordèrent
une indemnité de logement aux rabbins consistoriaux
et communaux.
Enfin l'ordonnance du 14 juin 1844 régla complè-
tement l'organisation du culte Israélite .
Cette ordonnance avait été préparée par des études
et des projets émanés des consistoires départementaux
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE V. 321
et du consistoire central. Son caractère principal est
indiqué dans le rapport fait au roi par le ministre de la
justice et des cultes, M. Martin du Nord : <r La loi du
j> 8 février 1 83 1 , dit ce rapport, en mettant à la charge
» du Trésor public les traitements des ministres du
D culte israélite, a effacé pour toujours les nuances
]D existant encore, au point de vue administratif, entre
:» les divers cultes reconnus par TÉtat. :»
Aussi, le 29 mai 1844, ^^ consistoire central, écri-
vant au ministre des cultes, disait-il : € Le consis-
» toire central a lu dans le Moniteur d'hier, avec le
> sentiment de la plus véritable satisfaction , Tordon-
j^ nance royale qui constitue le culte israélite en
» France. Il s'empresse de vous adresser tous ses
» remercîments. Le principe de Tégale protection de
]» la loi à regard de tous les cultes reçoit de cette
j» ordonnance une éclatante consécration. ]>
Ce principe de Tégalité des cultes devant la loi avait
déjà été hautement proclamé par le chef du gouver-
nement. Le \^^ mai 1840, le roi recevait M. Crémieux,
vice-président du consistoire central de France, qui,
au nom de ses coreligionnaires , manifesta leur satis-
faction d'être « citoyens de ce beau pays qui place
^ au faîte de ses institutions la sainte liberté des
9 cultes )».
Le roi répondit : « Vous savez avec quel empresse-
» ment j'ai voulu que votre culte fût l'égal des autres
p cultes reconnus dans l'État, avec quel empresse-
}» ment j'ai présenté la loi qui consacrait cette égalité
» complète; combien j'ai été heureux de donner à cet
21
322 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
D cgard un exemple que je voudrais voir adopter par
* tous les gouvernements. »
L'ordonnance de 1844 détermina les fonctions du
consistoire central de Paris, des consistoires départe-
mentaux et des assemblées de notables, ainsi que
celles du grand-rabbin, des rabbins consistoriaux et
communaux, des ministres officiants, du Mohel et du
Schobet,
Ainsi le règne de Louis- Philippe compléta Tassimi-
lation des Israélites aux Français professant un autre
culte, en reconnaissant et salariant les ministres de
lour religion.
Sous le règne de Louis -Philippe, les Israélites
prenaient une part active au mouvement politique du
pays.
Ils étaient représentés à la chambre des députés par
MM. Achille Fould, Adolphe Crémieux, colonel Max
Cerfbeer.
Un Bordelais, Emile Péreire, directeur du chemin
de fer de Paris à Versailles et Saint-Germain, avait
vu échouer, en 1842, sa candidature à Nogent-lc-
Rotrou .
A Bordeaux même les Israélites figuraient avec
honneur dans l'administration de la cité, comme dans
les chambres et les tribunaux de commerce.
Les anciens n'avaient pas perdu de vue Tembellis-
scment du temple de la rue Causserougc. On y avait
dépensé 60,000 fr. en 1844.
A la même époque, et au moment où prenait nais-
san:c Técole rabbinique de Metz, une école d'hébreu
DEUXIEME PAnTin. — CHAPITRE V. 323
était créée à Bordeaux sous la direction dlsaac Alvarès
de Léon.
L'instruction religieuse pour les enfants des deux
sexes n'avait jamais été négligée. Les écoles primaires
israélites remontent, à Bordeaux, à une époque fort
reculée. En 1817, renseignement mutuel fut orga-
nisé, avec Tappui du consistoire, par Tinitiative de
]^me Robles, dont le nom se retrouve dans toutes les
institutions de bienfaisance et d'éducation israélites de
Bordeaux à son époque. Un rapport, fait en 1848,
par M. Borchard, sur les écoles juives de Bordeaux,
constate que, grâce à la générosité de M"*® Robles,
les institutions de garçons, qui comptaient 65 élèves
en 1843, 74 en 1844, 80 en -1845, atteignaient le
chiffre de 100 en 1848. Une école de filles et une
école d'apprentissage complétaient l'ensemble de ces
institutions.
Les Israélites n'avaient point d'hospice particulier;
ils étaient admis, comme les autres citoyens, dans les
hôpitaux civils. La commission administrative des
hospices avait, dès 1841, facilité au grand-rabbin les
moyens de donner les secours religieux aux malades
professant son culte.
CHAPITRE VI.
l'époque actuelle.
Adhésion da Contistoire oentrtl à It RépubliqiM de i848. — ÛHnille Lopèi-Dabec,
reprétcntant du peaple pour It Gironde.
Présidence. — Augmentation du nombre des membres du Consistoire.
Assemblée nttiontle : Conseil supérieur de l'instruotion publique. — Jules FtYre.
— L'Alliance israélite, — Le repos du dimanche.
Benjamin Lopès-Dubec.
L'Empire. — Mouvement financier. — Millaud. — Solar. — Mirés.
Emile et Isaac Péreire.
Les deux Benjamin Gradis. — Henri Gradis.
MiM Robles. — Alfred Léon — Adrien L.éon. — Alexandre Léon. — Camille et
Félix Lopès-Dubec. — Dias de Soria. •* Carvalho. ^ Astruc.
M. Simon Lévy, grand-rabbin. — Membres du Consistoire et de l'administration
du temple. — Députés. — Conseillers généraux. •» Conscillcrj municipaux. —
Chambre et Tribunal de commerce. — Consuls. — Agents de change.
Les Israélites en Médoc.
Un dernier mot. — Inauguration d'une salle d'asile. — Le grand-rabbin et le curé
de Notre-Dame. — Le grand-rabbin, le cardinal-archevêque et le président
du Consistoire protestant lors de l'incendie du temple. — Le» grands-rabbins
éligibles au futur Sénat.
Résumé.
Les trois époques de l'histoire juive en France depuis la dispersion : Persécution,'
Tolérance, Liberté.
Fraternité humaine indépendante de la croyance religieux.
La République proclamée en 1848, qui comptait
parmi les membres du gouvernement provisoire
Tavocat Adolphe Crémieux, et qui avait Michel
Goudchaux pour ministre des finances, recueillit
Tadhésion ofGcielle des Israélites. Le consistoire cen-
tral fut reçu à T Hôtel de Ville par Armand Marrast.
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE VI. 325
M. Cerf Béer, président, en apportant Tadhésion de
ses corelijgionnaîres, dit, entre, autres choses : « Notre
]» foi s'accorde avec notre patriotisme pour nous faire
"t aimer cette nouvelle ère de notre histoire. »
Armand Marrast, dans sa réponse, regretta que
Crémieux, c dont la voix a plus d'autorité que la
» mienne, d dit-il, ne se trouvât pas présent pour
exprimer les sentiments du gouvernement provisoire.
« Nous regardons comme d'un intérêt suprême,
» ajouta-t-il, la protection de tous les cultes. »
Parmi les 1 5 représentants du peuple à l'Assemblée
nationale, les électeurs de la Gironde nommèrent, le
i3 avril 1848, M. Camille Lopès-Dubec.
Sous la République et la Présidence, les questions
générales qui intéressaient le culte Israélite furent peu
nombreuses.
Un décret du i5 juin i85o porta à six le nombre
des membres laïques des consistoires départementaux.
L'Assemblée nationale discuta la question du Conseil
supérieur de l'instruction publique, et décida que dans
sa composition entreraient les ministres de tous les
cultes reconnus , malgré l'opposition de Jules Favre,
qui, pour faire écarter le prêtre Israélite, demandait
comment on pouvait avoir la pensée de faire asseoir
à côté des évêques catholiques et des ministres protes-
tants, « le grand-rabbin, successeur et continuateur
» des bourreaux de Jésus-Christ ! »
Les journaux Israélites, et notamment VAlliance,
s'élevèrent av^c force contre ces paroles. Ils ne faisaient
320 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
pas seulement remarquer combien elles étaient peu en
harmonie avec les sentiments de la fraternité humaine;
ils leur reprochaient encore de répéter une erreur
historique souvent réfutée par eux. La condamnation
de Jésus-Christ, disaient-ils, n^a eu pour cause que des
motifs purement politiques; et sa mort fut bien moins
Tœuvre des Juifs que celle des Romains, qui étaient
alors les souverains du pays.
La question du repos forcé du dimanche, portée
en i85i à l'Assemblée, souleva vivement les inquié-
tudes des Israélites.
Le 9 juillet i85i mourut Benjamin Lopès-Dubec,
fils de Salomon, le député au ^anhédrin, qui était
mort treize ans auparavant. Benjamin Lopès*- Dubec,
très estimé de tous, avait été plusieurs fois adjoint au
maire de Bordeaux et membre du Conseil municipal,
du Conseil général, de la Chambre et du Tribunal de
commerce. Il était chevalier de la Légion d'honneur
depuis 1841. Le deuil était conduit par Camille
Lopès-Dubec, représentant du peuple, son fils; par
ses deux gendres, Félix Lopès-Dubec et Worms de
Romilly; et par son neveu Alfred Léon, alors sous-
lieutenant d'infanterie.
'L'Empire imprima au mouvement financier en
France une activité jusqu'alors inconnue. D'immenses
entreprises de travaux publics, des guerres brillantes,
des expositions luxueuses et de nouvelles relations
DEL'XifeME PARTIE. — CHAPITRE VI. Sîy
commerciales avaient nécessité la création à Paris
d'un marché de capitaux qui rivalisait -avec celui de
Londres. L^un des principaux ministres des finances
de r Empire, M. Fould, avait favorisé ce mouvement.
Parmi les Israélites de Bordeaux, quelques-uns y
prirent part avec un éclat qui, pour plusieurs, ne
devait être qu'éphémère.
Les noms de Millaud, de Solar, de Mirés, se révé-
lèrent à la fois. Moïse Millaud, né à Bordeaux en
i8i3, clerc d'huissier, fondateur de petits journaux
de théâtre, et d'une feuille bonapartiste en 1848;
Solar, né à Castelmoron en 18 1 5, attaché à Bordeaux,
par Henri Fonfrède, à la rédaction du Courrier de
Bordeaux, puis rédacteur de divers journaux de Paris,
fondateur de VEpoque avec Granier de Cassagnac et
quelques autres; Jules-Isaac Mirés, né à Bordeaux
en 1809, courtier d'affaires jusqu'en 1848, gérant de
la Compagnie du gaz d'Arles ; tels étaient les trois
hommes qui allaient fonder , en 1 84g , la Caisse des
chemins de fer. Cette création financière donnad'abord
les plus beaux résultats ; les actionnaires reçurent des
dividendes énormes; les fondateurs touchèrent des
bénéfices plus énormes encore. En i853, Millaud se
retira. Mirés et Solar, restés seuls, embrassèrent les
plus vastes opérations : un emprunt pour le départe-
ment de la Seine, les houillères de Portes et Sénéchas,
les ports de Marseille, les chemins romains.
En 1861, leur étoile jusqu'alors si brillante vint à
pâlir; des poursuites judiciaires furent exercées contre
eux. La persévérance de Mirés parvint à conquérir le
328 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
succès, et la Cour de Douai l'acquitta . Mais sa vie
financière était terminée. Il est mort en 187 1, laissant
une fille, veuve du prince Alphonse de Polignac.
Millaud, séparé de Mirés depuis i853, compromit
la fortune qu'il venait d'acquérir; la Compagnie
immobilière qu'il avait fondée, ne réussit pas; la
Caisse générale des actionnaires ne fut pas plus heu-
reuse. Mais, en i863, la création du Petit Journal
fit revivre les succès des premiers jours. Millaud a fait
jouer en 1859 au Palais- Royal une bouflFonnerie fort
gaie : Ma nièce et mon ours.
Les deux frères Emile et Isaac Péreire devaient
prendre une plus large et plus durable part dans le
mouvement financier de l'Empire. Ils étaient nés à
Bordeaux : Emile, le 3 décembre 1800, et Isaac, le
25 novembre 1806. C'étaient les petits-fils de Jacob-
Rodrigues Péreire, l'instituteur des sourds-muets.
Dès la fin de la Restauration , leur parent Olinde
Rodrigues les avait mis en relation avec Saint-Simon,
originaire lui aussi de Bordeaux, et dont le père, le
marquis Claude de Saint-Simon, avait été propriétaire
du château Giscours en Médoc, que la Révolution
confisqua. Les idées de rénovation religieuse, sociale et
financière de Saint-Simon et de son disciple Enfantin,
avaient été adoptées avec ardeur par les frères Péreire.
Ils avaient accepté l'adage resté célèbre : « L'âge d'or,
» qu'une aveugle tradition a placé jusqu'ici dans le
» passé, est devant nous. » En 1828, Emile Péreire
fut l'un des collaborateurs d'Enfantin avec A. Blanqui,
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE VI. 329
Duveyrier, Bûchez, Artaud, Laurent de TArdèche,
Lazard et Léon Halévy. La Révolution de i83o
développa la nouvelle école, qui reçut Tappui du
journal le Globe.
Lorsqu'en i83i Lazard et Rodrigues se séparèrent
d'Enfantin, Emile Péreire lui resta fidèle et le suivit
en i832 à Ménilmontant , avec Michel Chevalier,
Paulin Talabot,' Gustave d'Eichtal, Stéfane Flachat,
et tant d'autres, qui depuis se sont fait un nom dans
rindustrie et les finances.
La vie industrielle d'Emile et d'Isaac Péreire
commença en 1834; ils se rendirent adjudicataires
du chemin de fer de Saint-Germain, sous la garantie
de MM. de Rothschild, d'Eichtal, Thurneyssen et
J. Davilliers. Plus tard, sous les mêmes auspices, ils
entreprirent la construction du chemin (Je fer du
Nord.
Dès le commencement de l'Empire, en i852, les
frères Péreire créèrent la Société générale du Crédit
mobilier, instrument financier dont ils avaient depuis
longtemps conçu l'idée, pour le mettre au service de
leurs créations industrielles comme de leurs opérations
de banque et de crédit. Nous n'avons pas à examiner
ici les entreprises de MM. Péreire, soit à l'étranger,
soit en France. Une grande partie des chemins de
fer espagnols, des chemins autrichiens, des chemins
russes, a été créée par eux. La Compagnie immobi-
lière de Paris a puissamment contribué à l'embellisse-
ment de cette magnifique capitale. Il n'entre pas
dans notre sujet de rechercher les causes qui ont pu
330 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
amener la baisse des titres de diverses de ces entre-
prises.
Nous nous bornons à signaler la création des chemins
de fer du Midi, qui, en réalisant la pensée de Tillustre
Riquet, a réellement réuni les deux mers. Nous nous
rappelons l'enthousiasme que nous avons éprouve à
Toulouse en 1857, avec toutes les personnes conviées
à la magnifique cérémonie de Tinduguration de la
ligne de Cette, lorsque les deux frères Emile et Isaac
arrivant, Tun de Bordeaux, Tautre de Cette, s'embras-
sèrent dans la gare, entourés d'une foule de préfets,
de généraux, de présidents, à côté des deux cardinaux-
archevêques de Bordeaux et de Toulouse qui bénis-
saient la voie nouvelle, et entre lesquels Emile était
placé à table, quelques heures après, dans la salle du
Capitole.
Emile Péreire est mort à Paris en 1874. En dehors
des afiaires financières, il s'était toujours distingué
par un goût éclairé pour les arts.
Après ces noms, qui ont jeté un vif éclat, nous
pouvons citer quelques noms plus particulièrement
bordelais et dont les possesseurs n'ont pas abandonné
leur ville natale.
Le premier qui se présente à noter est celui du
grand-rabbin, David Marx, mort en 18(14, et qui
exerçait ces fonctions à Bordeaux depuis vingt-neuf
ans. Il s'était fait remarquer non seulement par ses
talents, mais encore par une tolérance intelligente La
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE VI. 33 1
ville de Bordeaux s'associa tout entière au deuil de sa
famille et de ses coreligionnaires.
Nous avons souvent parlé de la famille Gradis, En
1 8 1 1 , les deux neveux de David Gradis, Benjamin
rainé et Benjamin jeune, tous deux cousins, avaient
pris la direction de la maison de Bordeaux. Ils
créèrent Tentrepôt réel qu'ils établirent dans la rue
Lombard, jusqu'en 1825, époque à laquelle la Cham-
bre de commerce fit construire l'entrepôt de la place
Laine et en prit la direction. Benjamin l'aîné, plus
porté par ses goûts vers les lettres que vers le com-
merce, fit partie avec Martignac, Peyronnet, Edmond
Géraud, Laurendo, Rodrigues, d'une société de vau-
devillistes, créée par Martignac. Il a écrit des contes
et des romances. Il mourut sans enfants en 1843.
Son cousin. Benjamin jeune, mort en i858, a publié
plusieurs ouvrages politiques estimés (i).
Henri Gradis, fils de Benjamin jeune, a hérité des
goûts littéraires de sa famille. Il a publié en 1872
V Histoire de la Révolution de 1848, œuvre que
l'Académie de Bordeaux a couronnée en 1873. Il a
été en i863 adjoint au maire de Bordeaux pour les
finances; il est depuis longtemps juge au Tribunal de
commerce.
m
En 1867, la mort enleva aux pauvres A/"^ Robles,
le type accompli de la femme charitable; elle avait
(1) Voir la liste de ses œuvres, Alliance Israélite, t. XXII, p. 25.
iil HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX. -
mis une grande fortune aux ordres d'une chanté plus
grande encore.
A la même époque mourut M. Alfred Léon, mem-
bre de la Chambre de commerce, dont le fils Adrien
Léon est aujourd'hui l'un des députés de la Gironde,
nommé en 1871. — Le préfet, comte de Bouville, le
maire, Henri Brochon père, le Tribunal de commerce,
asMstaient aux obsèques de cet homme de bien.
M. Alexandre Léon, gendre d'Alfred Léon, adjoint
au maire de Bordeaux, en i853, administrateur des
chemins de fer du Midi, chevalier de la Légion d'hon-
neur, vice-président du Conseil général de la Gironde,
est un des hommes tes plus marquants de la ville de
Bordeaux.
M. Camille Lopès-Dubec, qui avait été, sous le
règne de Louis- Philippe, membre du Conseil muni- •
cipal et du Tribunal de commerce, et que le départe-
ment avait élu représentant à l'Assemblée nationale
de 1848, est mort en 1860.
Le nom de Lopès-Dubec continue à être digne-
ment porté. M. Félix Lopès-Dubec est le président
actuel du consistoire.
Mentionnons encore M. Dias de Soria, le char-
m:mt chanteur de salons; et, parmi ceux qui ont
quitté Bordeaux, l'ingénieur Carvalho et M. Astruc,
grand-rabbin de Bruxelles.
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE VI. 333
Ne pouvant nous arrêter à tous ceux qui mérite-
raient d'être nommés, nous nous contentons de
donner l'état religieux, politique et civil, des Israélites
de Bordeaux au moment où nous écrivons (juillet
1875).
Le consistoire est ainsi composé :
Grand-rabbin : M. Simon Lévy *.
Membres laïques : MM.R.-F. Lopès-Dubèc, pré-
sident; Brandam, vice-président; A. Raba, P. Del-
vaille, E. Gomez-Vaëz, Adrien Léon, J. Urhy,
secrétaire.
L'administration du temple a pour président
M. H. Gradis; MM. Henri Léon, D. Dalmeyda, L.
Del vaille, E. Oxéda, Al. Sazias, sont administra-
teurs; M. Dacosta, secrétaire-trésorier, et M. A. Cas-
tro, ministre officiant.
Le temple, situé dans la rue Causserouge et où se
célébraient les offices des samedis et jours fériés, a été
incendié le 27 juin i8^3; un temple provisoire a été
établi rue Honoré-Tessier, n° 1 1 .
Le cimetière Israélite est situé route d'Espagne.
Les Israélites comptent un député, M. Adrien Léon;
deux membres du Conseil général, MM. Alexandre
Léon *^ , David Raynal ; un membre du Conseil muni-
cipal, M. Min-Barabraham;
A la Chambre de commerce, M. Schœngrun-
Lopès-Dubec;
Au Tribunal de commerce, M. Henri Gradis.
M. A. Raba a été membre du Conseil de Tordre
des avocats.
334 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Consuls des puissances étrangères à Bordeaux : Élîe
Landau, du Chili; Jules Salzedo, de la République
Dominicaine; J. Provenzal ^, de Grèce et d'Italie;
Léon Wcill, de Monaco; H. Carvalho lîi, de Perse.
Parmi les agents de change on compte : MM. J.-H.
Bénédit, A. Nonnes- Lopès, Arthur Léon.
Quelques Israélites non' bordelais sont possesseurs
de quelques-uns des grands crûs du Médoc.
MM. Alphonse, Gustave et Edmond de Rothschild
ont hérité du baron James de Rothschild, leur père,
en 1868, du célèbre château Lafite.
Le château Mouton, voisin et presque rival de Lafite,
appartient à leur cousin le baron James de Rothschild.
M™® Rhoné-Péreire possède Raùzan-Gassies, et le
baron d'Erlanger est le propriétaire de Léoville.
M. Isaac Péreire a le château Palmer; M. Michel
Heine, de la maison Fould, vient d'acheter le château
Beychevelle; M. Henri Kœnigswarter et M. Constant
Halphen sont devenus propriétaires : le premier, du
château du Tertre, à Arsac; et le second, du château
Batailley, à Pauillac.
Nous sommes arrivé au terme de la longue carrière
que nous avons parcourue.
Un mot cependant avant de nous arrêter :
En 1859 avait lieu à Bordeaux l'inauguration d'une
salle d'asile Israélite établie par le consistoire, avec
le concours de la ville et de l'État. A cette solennité
assistaient toutes les autorités, et, aux côtés du grand-
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE VI. 335
rabbin, président, étaient assis le préfet, le maire,
plusieurs adjoints, le recteur de TAcadémie, et le curé
de Notre-Dame, membre du Conseil académique.
Le discours du grand -rabbin avait pour texte :
« Aime ton prochain comme toi-même. » — On y
remarque cette pensée :
€ La clarté et l'autorité de la parole de Dieu conti-
» nuent tons les jours davantage à dissiper les nuages
^ et à éclaircir les ténèbres des temps barbares. Son
» triomphe sur les mauvaises passions est dû, d'un
:» côté à la persévérante fidélité avec laquelle les des-
3) cendants d'Israël n'ont cessé de veiller sur l'intégrité
» du livre sublime qui la renferme; et, de l'autre, à
» la puissance d expansion du christianisme qui , à
JD l'exemple de la religion de Moïse, a proclamé
» V amour du prochain y une des colonnes sur lesquelles
D reposent le salut et la félicité des mortels. »
Comme le rabbin David Marx, le grand -rabbin
Simon Lévy a, dans ses lettres pastorales, prêché
l'amour du prochain.
Il présidait, le 12 novembre 1867, à l'inauguration
d'une nouvelle école primaire de garçons, construite
avec le concoufs de l'État, du département et de la
ville; et, après avoir montré les bienfaits de l'éduca-
tion, il remerciait notamment la ville de Bordeaux de
sa particulière sollicitude pour les Israélites. Le prési-
dent du consistoire, M. Félix Lopès-Dubec, constatait
« les heureuses conséquences des grands principes de
» l'égalité des cultes, ces principes si bien appréciés
» par les hommes de cœur et de progrès. — C'est, »
336 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
ajoutait-il^ a: en les consacrant par des actes semblables
:» à celui qui nous réunit aujourd'hui, que le Gouver-
i> nement, les administrateurs, les représentants des
j» cités concourent à faire de tous les citoyens une
» même famille, la grande et belle famille française. >
Les sentiments de respect pour tous les cultes sont
depuis longtemps mis en pratique à Bordeaux. Et,
lorsqu^en 1872 Tincendie consumait le <emple de
la rue Causserouge, quelques heures à peine après
rincendie, le cardinal-archevêque de Bordeaux et le
président du conseil presbytéral de T Église réformée
envoyaient assurer le grand-rabbin de leur concours
pour rebâtir le temple israélite.
Il y a peu de jours, la commission des Trente de
TAssemblée nationale examinait les conditions d^ad-
mission au Sénat. Elle venait de proclamer éligibles les
archevêques et évêques; les présidents des consistoires
protestants et Israélites; sur la demande de M. Adrien
Léon, elle a voté l'addition des grands-rabbins (i).
Nous arrêtons avec complaisance nos regards sur
ces tableaux, si diiférents de ceux que nous avons vus
en commençant notre récit.
Que nos lecteurs nous permettent de résumer en
quelques mots Tétude que nous venons de faire -, quUls
(1) Séance du ii juin 1873.
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE VI. SSj
laissent de côté les imperfections de toute sorte qui s'y
trouvent, les négligences de style, la sécheresse ou la
prolixité des détails, même les erreurs commises à
propos de certains faits et de certains personnages ;
qu'ils examinent l'ensemble du tableau à la distance où
s'estompent les contours, où se massent les détails, et
ils pourront constater avec nous la loi consolante qui
régit l'humanité, loi parfois bien lente dans sa mani-
festation, mais toujours certaine, la loi du progrès de
la civilisation, qui amène l'adoucissement graduel des
haines religieuses, pour les réduire à n'être plus un
jour que des dissidences dogmatiques.
Nous avons vu ce petit peuple juif que ses traditions
propres, ainsi que celles des chrétiens et des musul-
mans, représentent comme l'antique dépositaire de la
parole divine, toujours en lutte avec les peuples voi-
sins, souvent vaincu par eux; enfin asservi par Rome,
au moment même de l'apparition du Christ, qui était
sorti de son sein et allait changer la face du monde
païen. Nous avons vu ce peuple chassé de sa patrie,
vendu comme bétail en foire, dispersé aux quatre
vents du monde, ne trouvant plus un lieu où reposer
la plante de ses pieds. Pendant des siècles un vent de
malédiction courbe, sans le rompre, ce roseau toujours
agité ; quelques instants de repos et de gloire lui sont
accordés en Espagne vers le douzième siècle, mais la
tempête reprend bientôt.
Au moment où s'ouvrent les temps modernes,
chassés comme Juifs de tous les pays de l'Europe,
22
338 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
n'ayant plus le droit de vivre qu'à la condition d'abjurer
leur foi religieuse, ces éternels proscrits ne sont même
pas toujours sauvés par l'abjuration, ni du soupçon,
ni du supplice. Ceux qui le peuvent essaient de fuir les
regards inquiets de l'Inquisition; ils se réfugient comme
au hasard, en Afrique, en Italie, en Orient; d'autres
à Londres, à Amsterdam, à Bordeaux; et cette fuite
dure pendant des siècles.
Ceux qui arrivent à Bordeaux à la fin du quinzième
siècle et au commencement du seizième, sont en petit
nombre. Les uns sont médecins, légistes, riches com-
merçants; d'autres humbles et pauvres : tous se
cachent sous le nom de nouveaux chrétiens. Bientôt
les uns, sincères dans leur nouvelle foi, alliés aux
familles chrétiennes, verront leurs descendants perdre
jusqu'au souvenir de leur origine. Les autres, fidèles
en secret à la loi de Moïse, se courbent officiellement
sous le joug du culte catholique, font baptiser leurs
enfants, se marient à l'église, font des legs pieux aux
prêtres de Jésus-Christ. Et lorsqu'ils sont poursuivis
par le Parlement pour s'entendre chasser comme
Juifs, ils invoquent leur possession d'état comme
catholiques. Ils ne vivent qu'à la condition du men-
songe, mais ils vivent.
Au commencement du dix-huitième siècle, le fana-
tisme religieux s'est adouci; la tolérance conserve aux
Israélites de Bordeaux, désormais reconnus comme
tels, les privilèges qu'ils avaient reçus en qualité de
nouveaux chrétiens, et ferme presque les yeux sur
l'exercice de leur culte. On s'essaie à les convertir;
DEUXIÈME PARTIE. — CHAPITRE VI. SSg
on leur impose quelques taxes nouvelles ; mais on les
tolère, et c'est un nouveau progrès.
Après les époques de persécution, de mensonge et
de tolérance, arrive celle de la liberté des cultes et de
régalité civile et politique.
Aujourd'hui, depuis la fin du siècle dernier, la
France ne fait plus de distinction entre les divers cultes
religieux. Elle appelle aux mêmes droits et convie aux
mêmes devoirs tous ses enfants. Sous Tempire de lois
intelligentes et sages disparaissent les haines religieu-
ses, produites autrefois par l'ignorance et par l'envie,
s'adoucissent et s'effacent les fanatismes ennemis. On
voit enfin naître et se constituer entre tous les honnêtes
gens, quelle que soit d'ailleurs la diversité de leurs
croyances religieuses, ce lien sacré de la fraternité
humaine, que la loi de Moïse n'ordonne pas moins
que celle du Christ.
TABLE DES MATIERES.
AVANT-PROPOS
PREMIÈRE PARTIE.
évÉNEMENTS QUI ONT PRécÉDÉ L* ARRIVEE EN OUIENNE
DES JUIFS D*BSPAGNE ET DE PORTUGAL.
CHAPITRE I«. — Dispersion des Juifs i
Origine des noms d'Hébreux , Israélites, Juifs. ~ Établissement des
Hébreux en Egypte et en Palestine. — Royaumes d'Israèl et de Juda. •--
Di<«persion des habitants du royaume d'Israél. — Captivité à Babylone des
habitants du royaume de Juda. — Retour en Palestine permis par les rois de
Perse : commencement du second temple.
Divisions intestines. — Premières relations des Juifs avec les Romains. —
Prise de Jérusalem par Pompée; les captifs Israélites vend :s en Italie, en
Gaule et en Espagne. — Traditions fabuleuses sur l'établissement des Juifs
en Italie.
état des Juifs à Rome et en Italie au commencement du siècle d'Auguste. —
Naissance du christianisme. — Persécutions contre les Juif et contre les
Chrétiens confondus avec eux. — Prise de Jérusalem par Titus. — Prise de
Jérusalem par Adrien. — Expulsion définitive des Juifs de la Palestine. —
Captivité d'Occident, — Captivité d'Egypte.
CHAPITRE II. — État des Juifs dans V empire romain jusqu'à
Constantin 20
Importance du nombre des Juifs dans l'empire. — Esprit de prosélytisme
du christianisme. — Tolérance pour les dogmes juifs amenée par l'esprit
philosophique. — Lois de Constantin et des empereurs chrétiens.
CHAPITRE III. — État des Juifs au moyen dge en France et
en Aquitaine 25
La conversion des Barbares au christianisme leur inspire haine et mépris
pour les Juifs. — Le clergé catholique prescrit aux fidèles de s'isoler des
342 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Juifs. — Charlemagne se sert des Juifs sans leur donner les droits civils. —
Leur situation sous Charlemagne et Louis le Débonnaire. — Naissance de
la féodalité. — Usures des Juifs.
Les Juifs à Bordeaux au neuvième siècle. — Situation des Juifs en France
à cette époque. — Persécutions contre les Juifs sous Philippe l^ et sous
Philippe- Auguste. — Invention présumée de la lettre de change. — Rappel
des Juifs. — Leur condition. — Règlement du prêt à intérêt. — Sceau des
Juifs. — Les Juifs serfs de main-morte ou aubains. — Ventes de Juifs.
Les Juifs en France sous saint Louis. — Les Juifs en Aquitaine au
treizième siècle. — Les rois Jean sans Terre et Henri III.
Le roi Edouard I«r protège les Juifs d'Aquitaine. — Les Juifs chassés des
États des rois de France et d'Angleterre. — Rappelés à prix d'argent. — Ils
sont chassés de France à perpétuité en 1394. — Les Juifs de Guiennc
jusqu'à la conquête de cette province par le roi de France.
CHAPITRE IV. — État des Juifs en Espagne et en Portugal
jusqu'à leur expulsion de ces pays à la fin du quin:^ième siècle, 5o
Traditions fabuleuses sur l'origine de l'établissement des Juifs dans la
Péninsule hispanique. — Probabilités historiques.
Les Juifs d'Espagne persécutés par les Visigoths. — Ils sont tour à tour
persécutés et protégés par les Califes. -— Fanatisme des Chrétiens espagnols
contre les Juifs et les Musulmans. — Les Juifs piotégés par les évêqucs
d'Espagne et par le roi Alphonse.
Les croisades raniment le fanatisme contre les Juifs. — Leur situation en
Espagne et dans le Midi de la France au douzième siècle. — Juifs espagnols
célèbres au douzième siècle.
Persécutions aux treizième et quatorzième siècles.
Quinzième siècle. — Persécutions. — Conversions forcées. — Massacre
des Juifs. — Les Juifs chassés d'Espagne par Ferdinand et par Isabelle
(1492). — Ils se réfugient en Portugal, en Italie et en Afrique. — Les Juifs
portugais participent aux grandes découvertes maritimes. — Le roi Emma-
nuel chasse les Juifs du Portugal (1496). — Récit de Michel de Montaigne. —
Les Juifs convertis ou nouveaux chrétiens. — Principaux Juifs célèbres
d'Espagne et de Portugal du treizième au seizième siècle.
Conséquences politiques et commerciales de l'expulsion des Juifs d'Espagne
et de Portugal. — Les Juifs sont autorisés à rentrer en Portugal en 1820, et
en Espagne en 1868, après la chute d'Isabelle.
DEUXIEME PARTIE.
HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX DEPUIS l5oo.
CHAPITRE W. — Seizième et dix - septième siècles, — Les
nouveaux chrétiens ; 87
Existait-il des Juifs à Bordeaux au moment de l'expulsion des Anglais ? —
Arrivée à Bordeaux des Juifs d'Espagne et de Portugal sous la qualification
l
TABLE DES MATIERES. 343
de nouveaux chrétiens. — Les principaux d'entre eux : Ramon de Granolhas,
Dominique Ram, Bertrand Lopès et Anthoine de Louppes de Villeneuve. —
Relations de la famille de Louppes avec celle d'Ayquem de Montaigne. —
Antoinette de Louppes, mère de Michel de Montaigne. ^ Les Govea. — Les
régents du Collège de Guienne : Gelida, F. et M. Dacosta, Jacques de Teyve,
Antonio Mcndës.
Lettres-patentes de i55o, autorisant l'établissement des Portugais à Bor-
deaux. — Arrêt du Parlement de Bordeaux (1574). — Lettres-patentes de
1 574, communes aux Portugais et aux Espagnols.
Les nouveaux chrétiens protégés par le Parlement de Bordeaux et par les
jurats. — Arrêts de 1596 et 1597. — Lettres-patentes de 1602 non exécu-
tées. — Noms de quelques-uns des Portugais et Espagnols de cette époque.
Ils spnt protégés par le maréchal d'Ornano (1604).
Fanatisme religieux con're les Juifs. — Le conseiller Pierre de Lancre et
l'avocat Laroche ; procès au Parlement pour demander l'expulsion des Juifs.
•— Lettres-patentes du 23 mai 161 5 contre les Juifs. — Ceux de Bordeaux
sont protégés par Elie de Montalte, médecin de la reine Catherine de
Médicis, par le Parlement et par les jurats.
Situation des nouveaux chrétiens. — Mariages et baptêmes à l'église. —
Défiance qu'inspire leur nationalité au moment de la guerre contre l'Espagne.
— Ordonnance de 1624. — Le président de Gourgues. — Les jurats.—
Exercice des droits de cité.
i63o. Plaintes des marchands de la ville. — i636. Recensement des
nouveaux chrétiens ordonné par les jurats. — Principales familles. —
i656. Confirmation des privilèges. — Situation des Portugais et Espagnols.
— Leurs droits de bourgeoisie ; leur importance commerciale. — Les jurats
et Colbert. — Expulsion de 93 familles ordonnée en 1684 par arrêt du
Conseil royal. — Annulation de l'arrêt. — Taxes et impôts. — Taxes de
communauté.
Situation générale à la fin du dix-septième siècle. — Persécutions en
Espagne. — Un auto-da-fé en 1680. — Arrivée à Bordeaux de nouveaux
fugitifs.
CHAPITRE II. — Dix-huitième siècle jusqu'à la Révolution
de lySg, — Les Juifs 146
Les Juifs à Metz, en Alsace, à Avignon. — Différence de leur situation
légale de celle des Juifs de Bordeaux.
Caractère général que va offrir le dix-huitième siècle pour la situation de
ces derniers.
J 1. — Conversions 14^
Réflexions générales.
La fille de Gaspard. — Les jurats parrains. — Mm* de Labat.
Suzanne Henriquez. — Le père Maria. — M. de Pontchartrain.
Rachel-Gomès Delbaille, âgée de huit ans. — Mémoires de l'intendant
M. de Boucher. ~ Réponse du Conseil de conscience, transmise par M. de
La Vrillièrc.
[
344 HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Rachcl, Rica et Abigatl Mezès, âgées de quatorze, douze et dix ans. —
Défense par le roi (172H) aux maisons religieuses de recevoir les enlants
des Jui.s avant Vflge de douze ans.
Dot é. fournir aux nouvelles converties.
Anne dcl Campo. — Le duc d'Orléans. — Le chancelier d'Aguesseau. —
M. de la Vrillière.
Ré!»l tance des Israélites à doter leurs enfants convertis. •» On s'adresse
aux collatéraux. — Esther Gradis. — Correspondance de l'intendant avec
le duc de Fleury, évoque de Fréjus. — M. d'Amieiionville et M. de Boucher.
Marie-Thérèse Tino€r. — M. de Chauvelin.
Antoinette Lopes, épouse Vigier.
Catherine Salon Dalpuget. — Sa pension payée par M. de Maniban,
archevêque de Bordeaux. •
Marie-Augustinc Lopès de Paz, religieuse à la Madeleine.
Claudine Lindo. — Esther Francia. — Rebecca Mendès France, épouse
d'Isaac Peixotto.
Isaac Bomartin, converti par l'év^îque de Vannes. — Ses quatre filles. —
M. de Saint-Florentin. — Le docteur Silva. — Telles Dacosta et Eléonore
Dacosta. — Le comte de Ségur et M. de Farges sont parrains; les demoi-
selles Dillon marraines.
La dame Nonès, supérieure de Notre-Dame du Refuge, à Toulouse. —
Ses deux neveux, Pinto et Noncs.
Pauvreté générale des Juifs qui se convertissent.
Exceptions. ~ Le médecin Carclozc. — Sa femme Laurence Francia.
Pereyre. — Résumé.
J IL — Luttes contre le pouvoir royal pour conserver les privilèges
accordés en iS5o 169
Les Juifs protégés par les autorités locales, le Parlement et les jurais.
Nom de quelques négociants juifs.
Dénombrement et situation des Juifs de Bordeaux en 1718. — M. Leblanc.
— M. de Courson. — ArrÔt du Conseil du ai février 1722. — M. de Coursoti
demande que l'arrêt ne soit pas exécuté à Bordeaux. — Son Mémoire. —
lettres-patentes de juin 173?.
Nouvelles tentatives pour soumettre les Espagnols et Portugais à une
taxe. — Arrêts du Parlement de Dijon en faveur des Juifs de Bordeaux
cassés par le Conseil d'Etut.
Taxe de 40 livres par tête et par an proposée. — Réponse de l'intendant
favorable aux Bordelais. — Les Avignonais.
Rapport de Pintendant sur la situation des Juifs à Bordeaux en 1733. —
Dénombrement. — Importance commerciale. — Synagogues. ~ Rabbins. —
Pratiques du culte Israélite. — Cimetières. — Domestiques. — Assimilation
aux autres habitants de Bordeaux.
JVloyens proposés par M. de Boucher pour empêcher les Juifs de pratiquer
leur religion. — Approbation de ces mesures par le chancelier d'Aguesseau.
— Ordre d'expulser les Avignonais.
Contribution des Espagnols et Portugais pour les pauvres. — État de
répartition de 1 73o.
TABLE DES MATIERES. 345
( III. — Juifs Avignonais 1 88
État des Juifs avignonais en 1732. — 1734. Nouvel arrêt d'expulsion. —
Tempéraments apportés par M. de Boucher.
Les marchands d'étoffes de Bordeaux réclament l'expulsion des Avigno-
nais. — Importance du commerce des étoffes à Bordeaux. — Nouvelle
ordonnance de l'intendant pour chasser les Avignonais. — Résistance de
ceux-ci. — Les Dalpuget appuyés par le Parlement, les principaux gentils-
hommes et plusieurs religieux. — Ils obtiennent la permission de rester :
ordonnance du roi de 1 749.
Nouvelles plaintes des marchands de draperie et de soierie. — Industrie
des habits confectionnés. — Autorisation de séjour à de nouvelles familles
avignonaises. — Astruc. — Lange.
Vues de M. de Toumy sur l'autorisation de séjour. — Ordonnance de
M. de Tourny, du 6 juin 1 731, et demande de renseignements par le maré-
chal de Belle-Isle.
1753. Mémoire et projet de règlement adressés à M. de Saint-Florentin
par M. de Tourny. — Dispositions proposées par l'intendant.
( IV. — Dissensions des Israélites entre eux 201
Désunion entre les Portugais, les Allemands et les Avignonais.
I® Dissensions des Portugais avec les Allemands. — Vin» Kasser. —
MM. Harmensen, Schrôder et Schyler, commissionnaires en 1740 des
Israélites d'Hambourg et d'Altona, pour l'achat des vins de Bordeaux. —
Taxe sur le vin Kasser payée au rabbin portugais de Bordeaux. .
Le rabbin Jonathan Eybeschuck, à Hambourg, fait naître des doutes sur
la valeur des certificats du rabbin de Bordeaux.
Mandement du rabbin de Bordeaux. — Plaintes des négociants commis-
sionnaires et des propriétaires de vignobles à l'intendant. — L'intendant
maintient la taxe.
3® Dissensions des Portugais avec les Avignonais. — Moti& de ces
dissensions. — Les familles avignonaises ayant permis d'habitation deman-
dent à jouir des mêmes privilèges que les Portugais. — Opposition des
marchands de draperie et de soierie. — Opposition des Portugais.
Règlement des Portugais approuvé par le roi en 1760.
Ordonnance du maréchal de Richelieu pour faire sortir de la ville le»
Avignonais autres que les familles autorisées (1761). — Permission de rester
accordée à quelques-uns : l'allemand Ephralm, les avignonais Sazias, Rousse
de Rouagre, Jacob Perpignan.
Les Portugais se font appuyer, auprès du maréchal de Richelieu, par un
Portugais de La Haye, M. de Pinto. — Lettre de M. de Pinto au maréchal
de Richelieu. ~ Réponse du maréchal. — Observations de Pereire. — Arrêt
du Conseil du i3 mai 1763. — Situation des Avignonais vii-à-vis des
Portugais.
30 Dissensions des Portugais entre eux. — Refus de plusieurs Portugais
de se soumettre à la taxe. — Que devait-on entendre par anciens? — Griefs
des anciens. — Décision du Conseil du 27 avril 1765, et arrêt du 22 février
1766, qui règlent la police.
346
HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
I V. — Tolérance accordée aux Israélites de Bordeaux pour l'exercice
de leur culte. 221
Les Juifs sont acceptés comme professant la religion de Moïse. — Prières
pabliqnes faites suivant le rite judaïque par les Israélites de Bordeaux, et
acceptées par le roi. — Ils cessent d'être astreints aux baptêmes, aux
mariages à l'église, aux sépultures catholiques. — Synagogues. — Rabbins.
— Jour du sabbat. — Jours fériés.
Édit de 1776 permettant aux Juifs d'exercer leur religion et d'habiter dans
tous les lieux du royaume. — 11 est dû à Jacob Rodrigues Féreire.
Exécution de cet édit à Blaye. — Exécution de l'édit dans les colonies
françaises. — Son importance aux colonies. — Les Juifs des colonies
devaient-ils être considérés comme régnicoles ou comme aubains? — Avis
du procureur général au Parlement de Bordeaux.
Les Juifs peuvent-ils recevoir des Chrétiens par donations entre vifs ou
testamentaires ? — Les Juifs français peuvent-ils divorcer ? — La conversion
d'un Juif au catholicisme annule-t-elle le mariage précédemment contracté
par lui avec une Juive ? — Peixotto.
Les Juifs possesseurs d'immeubles et de terres titrées. — Joseph Nunès
Péreire, vicomte de la Ménaude et baron d'Ambès.
Situation générale des Juifs portugais en Europe à la fin du dix-huitième
siècle. — L'abbé Guénée.
Jacob- Rodrigues Péreire, créateur en France de l'art de faire parler les
sourds-muets. — Rapport de M. de Buffon.
Les frères Raphaél.
Les médecins juifs de Bordeaux. — Silvapère et fils. ~ Cardoze. — Résumé.
CHAPITRE III. — Révolution Française 239
%'l.— Les Juifs admis aux droits de citoyen 239
Tendances à la tolérance religieuse au commencement du règne de
Louis XVI. — Édit de novembre 1787.
M. Dupré de Saint-Maur. — La maison Gradis. — M. Moyae Gradis. —
Lettre sur diverses questions. — MM. Lopès-Dubec et Furtado, délégués
par les anciens auprès de M. de Malesherbes.
Mémoire des délégués. — Ses conclusions.
Leur système laisse subsister les Portugais en nation séparée même des
autres Juifs. — > Letre des syndics, MM. Raba junior et de George, aux
délégués. — Lettre de M. David Gradis à M. Dupré de Saint-Maur.
Convocation des Etats généraux. — Les Juifs de Bordeaux et de BayoïMie
ont le droit de s'assembler pour élire leurs députés. — Difficultés à Bayonne.
Assemblée nationale. — Les Protestants privés des droits politiques
comme les Juifs.
3 août : l'abbé Grégoire. — 23 août : M. de Castellane, dom Gerle, M. de la
Rochefoucauld. — Les Juifs d'Alsace invoquent la protection de l'Assemblée.
Séances des 23 et 34 décembre 1789. — L'abbé Maury, Robespierre,
l'évêque de Nancy, Rewbell. — Le prince de Broglie, Bamave, Target,
Beaumetz et Mirabeau. — Décret du 34 décembre 1 789.
TABLE DES MATIERES. 347
fl inqniète las Espagnols et Portugais de Bordeaax. ~ Leurs délégués
auprès de l'Assemblée. •» Adresse à l'Assemblée présentée par eux. —
M. de Talleyrand. — Décret du 28 janvier 1700, qui reconnaît aux Juifs de
Bordeaux les droits de citoyen. — Émotion à Bordeaux.
Admission des Allemands aux droits politiques. ~ Constitutions de
Pan III et de Tan VIII.
I II. — Les Juifs à Bordeaux sous la Terreur ^65
Les Juifs à la municipalité bordelaise.
Fête de la Raison. — Une comédienne, un nain, un Juif.
Juifs victimes de la Révolution : S. Astruc, — D. Azevedo, — D. Errera,
— M. Lange, — Aaron Lopès, — Isaac Péreyre, —M. Salom, — J. Pimen-
tcl, — J. Perpignan, — les frères Raba, — Peixotto : il se dit descendant
d'AaroD. — Sa maison de Talence. — Jean Mendès, condamné à mort. -~
A. Furtado.
Souscription des Juifs pour adoucir la crise des subsistances en 1793.
CHAPITRE IV.— VEmpire 273
Accord de la loi religieuse juive avec la loi civile française , ......... 273
Les Juifs allemands ne désiraient pas les droits de citoyen ; les Portugais
auraient voulu conserN'er leur existence en corps de nation. — Difficultés
pour l'assimilation des Juifs aux autres citoyens.
La loi de MoTse est une loi civile : ses règles sur le mariage. — Les Juifs
de Bordeaux étaient jugés suivant cette loi par les tribunaux. — Jugement
qui valide un mariage juif.
La polygamie. — Mariage du frère avec la veuve de son frère. — Le
Kalissa. — Ses formalités. — Le Parlement fait exécuter les décisions des
anciens. — Arrêt du 7 mai 1768. — Cas où les deux parties sont en pays
éloignés.
Rapports prescrits par la loi Israélite avec les étrangers. — La question
de l'usure; elle va devenir la cause de la fusion.
Napoléon veut organiser le culte israélite. — Décret du 3o mai 1806, qui
convoque une assemblée israélite. — Exécution du décret à Bordeaux.
Situation des Israélites à Bordeaux en 1806. — Rapport du préfet. — Popu-
lation. — Principaux noms. — Domiciles. — Professions. — Synagogues. —
Rabbins. — Mendiants. — Israélites marquants signalés par le préfet.
Assemblée générale à Paris. — Noms des députés. — Analyse des
séances. — Le président. — Abraham Furtado. — Discours de M. Mole. —
Questions posées à l'Assemblée. — Réponses de l'Assemblée.
Clôture de l'Assemblée. — Convocation du Grand Sanhédrin. ~ Projet
de règlement du 10 décembre 1806.
Ouverture des séances du Grand Sanhédrin. — Ses décisions. — Adhé-
sions. — Clôture.
Frais des Assemblées. — Répartition.
Organisation du culte israélite d:ns ses rapports avec l'Etat. — Projets de
décrets combattus par MM. Furtado et Lévi. — Décrets du 17 mars 1808.
Exécution des décrets à Bordeaux. — Liste des notables.
348
HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Organisation de la Synagogue à Bordeaux. — Élections du rabbin et das
membres du Consistoire. — Abraham Furtado, de Pont-Saint>Esprit.
Ck)n8truction du temple. ~ Inauguration. — Késumé.
CHAPITRE V. — La Monarchie constitutionnelle : Restau-
ration, Louis-Philippe 3o8
i I. — La Charte de i8i4 reconnaît la liberté religieuse.
Liquidation des dettes de l'ancienne communauté juive d'Avignon. —
Résistance des Avignonais établis à Bordeaux. — Leurs noms.
Changements dans la liste des notableset des membres du Consistoire : 1 8 1 6.
Mort d'Abraham Furtado.
Ordonnance royale du 10 Juillet 1819. — Diverses élections de notables.
Ordonnance du 20 août i823. — Nouveaux notables. — Membres du
Consistoire.
Budget du culte Israélite de 1826. — Rôle des impositions.
i II. " i83o : Commi.ssion municipale. — MM. Lopès-Dubec et Rodrigues.
— Charte de i83o. — Loi du 10 février i83i, et ordonnances relatives au
service, par le Trésor public, du traitement des rabbins.
Ordonnance ré,(lementaire du 14 juin 1844.
Assimilation complète du culte Israélite aux autres cultes reconnus par l'État .
Participation des Juifs de Bordeaux à la politique et à Tadmiuistration .
Embellissements au temple. — Écoles. — Hospice civil .
CHAPITRE VI.— L'époque actuelle 324
Adhésion du Consistoire central à la République de i848. — Camille Lopès-
Dubec, représentant du peuple pour la Gironde.
Présidence. — Augmentation du nombre des membres du Consistoire.
Assemblée nationale : Conseil supérieur de l'Instruciion publique. — Jules
Favre. — L'Alliance israélite, — Le repos du dimanche.
Benjamin Lopès-Dubec.
L'Empire. — Mouvement financier. » Millaod. — Solar. ~> Mirés.
Emile et Isaac Péreire.
Les deux Benjamin Gradis. — Henri Gradis.
Mb* Robles. — Alfred Léon — Adrien I^n. — Alexandre Léon. —
Camille et Félix Lopès-Dubec. — Dias de Soria. — Carvalho. — Astruc.
M. Simon Lévy, grand-rabbin. — Membres du Consistoire et de l'adminis-
tration du temple. — Députés. — Conseillers généraux. — Conseillers munici-
paux. — Chambre et Tribunal de commerce. — Consuls. —Agents de change.
Les Israélites en Médoc.
Un dernier mot. — Inauguration d'une salle d'asile. — Le grand-rabbin et
le curé de Notre-Dame. — Le grand-rabbin, le cardinal -archevêque et le
président du Consistoire protestant lors de l'incendie du temph. — Lei
grands-rabbins éligibles au futur Sénat. — Résumé.
Les trois époques de l'histoire juive en France depuis la dispersion :
Persécution, Tolérance, Liberté.
Fraternité humaine indépendante de la croyance religieuse.
TABLE DES NOMS.
Aaron, m, bh, 308, 969, 971, 988.
Abarka, 69.
Aben Pace, 61 .
Abère, 138.
Abraham, 13.
Abrantès (duc d), UO.
Abravanel, 59, 53, 5J^, 69, 995.
Abyssinie, 19.
Aderet (R. Selemoh ben Abra-
ham ben), 62, 995.
Adige, 991 .
Adoniram, 51.
Adriatique, 991 .
Adrien, empereur, 16, 17, 90, 59,
5b.
Adugoz (Philippe), 196.
Advena (Jacob), 60.
Afrique, 90, 70, 79, 73, ^h.
Agard, 199.
Agde, 97, 98.
Agen, 58. '
Agobard, 30.
Aguesseau (d»), 167, 163, 18A, 187,
190.
Aguilard (d'), UO, 93)!».
Aignan (S.), 199.
Aiguillon (duchesse d'), 165.
Akiba, 16.
Albéra (Pierre d'), 89.
Albo (Joseph), 66.
Albret, 95&, 955.
Albuquerque, 987.
Albuquerque (duc d'), UO.
Alby, Al, 93.
Alcala (Alfonso de), 71 .
Alembert (d'), 935.
Alençon (comte d'), 37.
Alep, 317.
Alexandra, 9.
Alexandre, 9, 10.
— 186, 187, 979, 987, 989.
— aîné, 309, 303, 301*1 306, 317, 319,
— (Jacôme), 919, 918.
— (Samuel), 918.
Alexandre le Grand, 17.
Alexandre II, pape, 55, 71.
Alexandrie, 18.
Allemagne, 56, 79.
Almeyda,79»987. Voir Dalmeyda.
Alonzo, 987.
Alpes-Maritimes, 990.
Alphonse, roi, 53, 56, 63, 68.
35o
HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Anvers, 95, 103.
Aquisgram, 70.
Aquitaine, 3, 96, 99, 3h, 35, AO, i»5,
US,S8.
Aragon, 57, 59,^65, 66, 67,70, 91,
UO.
Aragon (couvent de dona Maria
de), UO.
Alsato (Pierre de), 90.
Altapnira (comte d'), UO.
Altona, 502, 203, 20Ii, 205.
Alvadeliste (comte d'), UO.
Alvarado (Simon et Diego Mimos
de), U3.
Alvarès, 132, 287.
— (Joseph-Alphonse), 167.
— (Juan), U3.
— (Louis), 131.
Alvarès de Aiarcon (Garci), 67.
Alvarès de Léon (Abraham), 187.
— (Isaac), 322.
Ambès (baron d'), 172, 231, 232,
237.
Amelot, 165.
Amérique, 81, 189, 195, a09, %h.
Amon, S9&.
Amsterdam, 77, 78, 79, 83, 202,
903, 905, 9U, 9^1,298.
Ananias, 6.
Andalousie, 51, 63, 65, 66, 68.
Andrade, 996.
— (Abraham), 290.
Andrault (Joseph d'), 126.
André (le P.), 935.
— (égliseSaint-), 195,137,152,164.
— (hôpital Saint-), 134.
Angleterre, 39, 41, 48, 79, 84, 88,
90,95,193,914,941.
Angouléme (duc d'), 314.
Anjou, 39, 49.
Annonciade (couvent de 1'), 153,
154, 156.
Antonin, 99.
Alphonse VIII, roi, 57.
Alphonse X, 60, 62.
Alphonse le Sage, 60, 63.
Ali (Aben), 60.
Alquibiccio, 60.
Alsace, 49, 147, 148, 947, 254, 956,
957, 958, 900, 961 , 962, 263, 982,
985,288,290,999,300.
Araya (Luiz), 139.
Argenson (d'), 922.
Aristobule, 9. 10, 59.
Aristote, 61,02.
Arius, 97, 54.
Arles, 57, 327.
Armagnac (comte d') , 96.
Armenonville (d*), 1.58.
Arnal (d'), 115.
Arraya (Luis), 144.
Arrouch, 192.
Arsac, 334.
Artaud, 329.
Artois (comte d*), 944.
Ascalon, 9.
Asie, 7, 18, 99, 82, 946, 970.
Asmonéens, 15, 51.
Assyrie, 5, 7, 8, 14, 51.
Astorga, 68.
Astruc, 65, 193, 207, 910, 987, 309.
— el Lévi, 66.
— (Esther), 319.
— (Israël), 972.
— (Joseph-Adolphe), 312.
— (Nathan), 192, 197, 908, 3J9,
319.
— (Nathan-Michel), 319.
— (Nathan-Salom), 319.
— (Salomon), 189, 197.
— (Samuel), 966, 319.
— (Sépora). 311.
— (veuve), 972.
Atar (Samuel), 189.
Attias, 181,922,987.
— (David), 923, 969.
TABLE DES NOMS.
35l
Attias (Jacob), 968.
Aubry (Bernard), 19/i.
Auch, 173, 175.
Aude, 303.
Augeard (d'), 19A.
Auguste, 11.
Augustin (saint), %.
Augustins (rue des), 181, 93A.
Aulaye (paroisse Sainte-), 15Ui.
Autun, 261,262.
Averrhoès, 61 .
Avicenne, 61,62.
Avigdor, 290, 291 , 296.
Avignon, 96, 97, 120, l/i7, 151 , 170,
171 , 208, %7y 291 , 309, 310, 31 1 .
Avila, 68.
Avoye (rue Sainte-), 297.
Ayala (Lopes de), 6A.
Aymoin, 27.
Ayquem de Montaigne, voir Mon-
taigne.
Ayron (Roderic), I2/4.
Azarias, 6.
Azevedo, 253, 272, 287.
— (David), 266, 302.
— (Joseph), 218.
— (Moïse), 7.
B
Babel, 3.
Babylone,6, 7, 18,51, 5Ji.
Bacalan (de), 19J!i.
Baâz rafné, 187.
Baeza, UO, 287.
Bahutiers (rue des), Ii7, 89.
Bajazet (sultan), 79.
Baléares (îles), 20.
Baluze, 27, 30.
Barabram, 287.
Barabraham (Min-), 333.
Barbot, 23Ji.
Barbossa (Diego), 130.
Barcelone, 56, 59, 6J!i.
Barcochébas, 16.
Barnave, 259.
Barazan (Isaac), 167.
Barre (Jacques de), 126.
— (Jeanne de), 126.
Barrés (Francisco), 103.
Barrouri, 287.
Bartholy (Raphaël), lU.
Baruch (Isaac bar), 59.
— 287.
Basnage, 30, 78.
Basque (pays), 216.
Basterot (B. de), 19A.
Bastouil, 181.
Batailley (château), 33/«.
Batz (de), 255.
Baumetz, 259.
Bayesse (Ysabeau de), 125.
Bayonne,79, 91, 106, 1 U, 118, 130,
132, 183, 228, 236, 2^8, 2J!i9, 25&,
267, 268.303,301», 317.
Beaucaire, 57, 232.
Beaufleury, v, 93, 99, 100, 166.
Beaulon aîné, 192.
Beaurein (abbé), Ii7, 88.
Béer Isaac Berr, 296.
Béer (Michel), 291 .
Beisheini,291.
Béja, 100.
— (Abraham de), 7%^ 100.
Béjar (duc de), UO.
Belfort, 291.
Bellate, 191.
Belle-Isle (duc de), 19.
Belly, 192.
Belmont, %3.
Benaventc (comte de), l/iO.
Bénédict, 37.
Bénédit(J.-H.), 33Ji.
Benjamin (tribu de), vi, 5, 7, 8,
53,180.
Benoît XIII, 65.
352
HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Bensse, 181, 19/i.
Bérénice, 16.
Berlanga, 93h.
Berlin, 79.
Bernard (saint), 57*
Berny (Mathurin), lOh.
Berr Isam Berr, 958, 990.
Berryer, W3.
Berwick (maréchal de), 176.
Besançon, 990.
Beugnot, 31 .
Béziers, 31, Iil.
Bidache, lU, 139, 139, U3.
Bigot, m.
Bigot de Préamcneu, 301.
Bilbao, 103.
Biscaye, 70.
.Blanche, 987.
Blanqui, 81, 398.
Blaye, 997.
Bloch (Hirsch), 990.
Blum (David), 990.
Boâtie (Etienne de La), 101.
Bomarin (Blanche), 163.
— (Esther), 163.
— (Israël), 163.
Bonnevin (Jean de}, 196.
Borchard, 393.
Bordeaux, v,vi, 1,9,3,96,99,31,
3/., 37, hh Uh, /•7, A8, A9. 58, 75,
79,85,89,90,91,97, 101, 106,
110, 111, 113, lU, 117, 118, 190,
199, 193, 196. 199, 130. 131, 139,
133, 135. 136, 137, 138, U9, U8,
^ 150, 151, 159, 153, 155, 156, 158,
161, 170, 171, 179, m, 175, 176,
177, 178, 179, 182, 183, 186, 190.
191, 192, 193, 195, 196, 197, 199,
909, 903, 90Ii, 905, 906, 907, 908.
909,910, 911, 919, 913, 9U, 917,
990, 9!^, 923, 995, 926, 927, 928,
999, 930, 931, 939, 93i, 936, 937,
938, 9IEiO, 9IEi3, %U, %5, %6, 9A9,
952, 95A, 960, 961, 962, 963, «6,
967, 969, 970, 271, 975, 276^» 977,
980, 981 , 982, 98/», 285, 998, 309,
303,305,309,310,311,319,313,
3U, 316, 317, 318, 319, 392, 323,
3â6, 327, 330, 331, 339, 333.
Bordelais (le), Ii5.
Bordes, 191.
Borgia (Rodriguez), 71.
Boucault (de), 19Ii.
Boucher (de), 153, 151», 156, 159,
165, 178, 179, 183, 186, 190, 191,
193.
Bouhaut (rue), 113, 161, 167, 180,
991», 988.
Bourbon (duc de), 999.
Bourbons, 308, 319.
Bourdonnaye (de la), 17/i.
Bourg (Anne du), 196.
Bourgues (Augustin du), 195.
— (Peyronne), 195.
Bousquet (Bernard de), 127.
Boutin, 169, 918.
Bouville (comte de), 339.
Bouzet (marquis de Poudenas
du), m.
Boyneau, 192.
Brancas (de), 9^.
Brandam, 987, 333.
— (Moïse), 317.
Brandon, 187, 911, 918. 919, 987.
— (Lopès-Indigo), 162.
Brassier (Jacques), 115.
Breteuil (comte de), 315.
Brézets (de), 976.
Brisach (Jacob), 290.
Brochon (Henri), 332.
Broglie (de), 958.
Brouet (Gilbert), 103.
Brun, 199.
Brunswick (Jacob), *fâl.
Bruxelles, 79, 329.
Buchanan (Georges), 103, 101».
TA3LE DES NOMS.
353
Bûchez, 339.
Buffon, 935.
Burgondes, 95, 96.
Burgos, Qhy 65, 68.
Cadix, 931».
Caen, 93i^.
Cahen (Abraham), 990.
— (Léon), 990.
Cahernan (rue du), 161.
Calahorre, 68.
Calas (J.), 199.
Calasso (Pierre de), 99.
Caïman, 991.
Calonyme, rabbin, 57.
Camain (Jeanne de), 197.
Camina (duc de), UO.
Campo (Anne del), 157, 998, 987.
— (Daniel), 186.
— (Dominique), 187.
— (veuve del), l87.
Campos (Aaron), 186.
— (Gaspard de), U3.
— (Phelipa), U3.
— (Isaac Rodrigues de), 179.
Canada, 9Al«9/»9.
Candale, 91.
Cantemerle (seigneurie), 99.
Cap français, 998.
Carasco, 987.
Carcassonne, 987.
— (Cadet-), 990.
— (Joseph de), 189.
— (Léon), 189, 199.
— (Moïse), 319.
Cardona, UO.
Cardoze, 938.
— (A.), 972.
— (Aaron), 315, 317.
— (Abraham), 319, 3U.
— (Diego), 130.
Cardoze (Fernandès), 134, 936.
— (François), 130, 131.
— (J.), 131.
— (Salomon), 309.
Cardozo, 69, 187, 987.
— (Balthazar-Lopès), lU,
— (Beatrix-Lopès), U3.
— (Cadet-), 187.
— (Félipa Lopès), IW».
— (Joseph), 169.
— (veuve Joseph), 166.
— (R. Isaac), 66.
Caries (de), 91.
Carlos (don), 86.
— (D.), roi, 139.
Carrance, 987.
Carrion, 987.
Carthage, 11,81.
Carthagène, 65.
— (Pierre de), 65.
Carvalho, 186, 979, 987, 339, 33«».
— (Abraham), 309.
— (Isaac), 179.
— (Marie), 195.
Casai, 309.
Casaubon, 61.
Cassein (Joseph), 189, 199, 193.
Cassin, 907.
Casso (Guilhem del), 9Ii, 96.
Castaigne, notaire, 103.
Castellane (de), 956.
Castelmoron, ^t7.
Casteinau, 91.
Castel-Rodrigo (marquis de), UO.
Castel-Sarrasin, 58.
Caslets (Charles de), 196.
— (Jean de), 127.
Castille, 63, Gh, Go, C6, 68, 73.
— (Bernard de), 1Î7.
— (Johannes de), 127.
— (Léonore de), 197.
— (Michelle de), 197.
— (S.), 319.
23
354
HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Castillo, 987.
Castro. 187, 887, 590.
— (A.), 333.
— (Juan de), lJ!r3.
— (don Rodriguès de), 60, 6% 6G,
90.
Catalogne, 57.
Catherine, impératrice de Russie,
938.
Caupène (Jean de), seigneur de
Mes, 89.
Causserouge (rue), 306, 339, 333,
336.
Cazeaux (de), 980.
Cérétani (Mathieu), 115, 193.
Cerf, 987.
Cerf-Beer, 960, 991, 303, 39ii.
— (Baruch), 990.
— (Lippman\ 991.
— (Max), ^29.
— (Théodore), 991.
Ccrf-Salomon, 990.
Césars, 11.
Cette, 330.
Ceza, 987.
Chaldée, 5.
Chambly (Pierre de), 37.
Chambre des Comptes, U%.
Chamorro, 69.
Champagne, 38.
Champagny (de), 98Ii.
Chapu (J.), 199.
Chapus, 195.
Charente, 303.
Charente-Inférieure, 303.
Charlemagne, 99, 30, 31.
Charles le Chauve, 3J!i.
Charles-Quint, 75, 102.
Charles VI, W, hQ.
Charles VII, A7, 89.
Charles X, %hy 319.
Chateauneuf (de), 131.
Chaulieu, 97.
Chauvelin (M. de), 159, 160, 190.
Chavès, UO, %y, 989, 309, 30li,
313.
Chevalier (Michel), 399.
Cheverus (rue de), 88.
Childebert, 97.
Chili, 33Ii.
Chillaud-Deffieux, 19/».
Chi mènes (Jacques), 9/i.
Chine, 19.
Chinilles (Bastien), 197.
— (Jeannot), 197.
Chinon, UG,
Chirac, 937.
Choiseul (duc de), 9/»3.
Christoly (Saint-), 961.
Chronique bordelaise, A7.
Cicé(de), 961.
Cicéron, 11.
Cid (Isaac ben), 61 .
Ciret (Jean de), 109.
Claude, U.
Clément VII, pape, 79.
Clermont (comtesse de), 166.
Clermont- Tonnerre (de), 957,
958,961.
Clotaire II, :î7.
Clovis, 97.
Cobiza, 16.
Coblentz, 987, 309.
Cogoludo (marquis de), Ul.
Cohen, 987.
— (Joseph), 189.
Coïmbre, 79, 101, 103.
Colbert, 131, 139.
Colmenarès (D. Diego de), 70.
Cologna, 996, 297, 303, 317.
Colomb (Christophe), 81.
Colmar, 991.
Compostelle, 79.
Comtat-Venaissin, U7, 96, 309.
Conetimo, 987.
Conâans (maréchal de), 9Z»9.
TABLE DES NOMS.
355
Congés, 19%
Constantin, 58, 53.
— (Jaquette), 91.
— (Sabaton), 590.
Constant! nople, 69, 70.
Conti (princesse de), 193.
Contino (Léonor), 127.
Contreras, UO.
Copenhague, 79.
Cophni (Samuel ben), 59.
Corbière (de), 316, 317.
Corcelle, 305.
Cordoba, UO.
Cordoue, 56, 59, 60, 61, 6A, 79.
Cordova, 887.
Corios, 887.
Cork (Robert de), IiO.
Cornilhos, 198.
Cornilhot, 195.
Coronel (Paul), 71.
Correa (Francisco), U3.
Corréal (don Antonio), 139.
Corrége, 887.
Costas (veuve), 138.
CôteKl'Or, 88^, 890.
Coubert (comte de), 891.
Courson (de), 172, 173, 175.
Coustau, 159.
Cracovia, 896.
Crémieux (Adolphe), 887, 321,
328, 32/i, 385.
— (Saûl), 291.
Creveld, 302.
Croix (paroisse Sainte-), 88J4.
Crostollo, 891.
Curzay (de), 319.
Cynis, 7.
D
Dacosta, 68, 1 20, 272, 287, 289, 333.
— (Abraham), 312.
— (Alvaro-Nunès), 233.
Dacosta (Antonio), 130, 171, 186,
219, 308, 30/..
— (Benjamin-Mendès), V*Z.
— (Biaise). 187, 818.
— (Daniel-Telles), 880.
— (David), 560.
— (Éléonore), 16/».
— (Fernandès), 108, 137.
— (François-Telles), 16A.
— (Henri). 186.
— (Isaac), 69.
— (Jehan), 103, lOA.
— (Mathieu), 102.
— (Mendès), 230.
Dagobert, 97, 28.
Daguilar, 889.
Dalmeyda (A.), 319.
— (D.), 333.
— (Jacob), 312, 317.
Dalpuget, 161, 193, 195, 196, 197,
807, 210.
— (Emmanuel), 508.
— (Israël), 189.
— (Jacob), 177, 192, 19/», 508.
— (Jeanne-Catherine Salon), 160.
— (Joseph), 189, 192.
— (Manuel), 192, 191».
— (Salon), 189. 192, 908.
Damour, 135.
Danemarck, 79.
Daniel, 6.
Danorgues (Doard), 185.
Dansant, 819.
Darraguon (Martin), 12^, 155.
— (Samson), 9Ji.
David, /», 8, 9, 291.
— (maison de), 51, 53, 5/», 57.
— (Sema), 189.
Davila, UO.
Davilliers (J.), 329.
Dax, 132.
Delamarre, h%
Delbaillc, 187.
356
HISTOIRE DES JUIFS Â BORDEAUX.
Delbaille (Jean-Gomès), 153, 155.
— (R'achel), 153, 151», 155.
Delft (Théodoric de), 90.
Delpy de La Roche, 19J!».
Delsato (Guilhem), 138.
— (Hierosme), 138.
Delurbe, 3i^.
Delvaille, 979.
— (Francisco Enriquez), Ihh,
— (L.), 333.
Delvaille (P.), 333.
Del Valle (Luis), U3.
Denis, 19A.
— (Saint-), 98.
Depaez, 987. Voir Paez et Paz.
Depas(Ant. Lopez), 135. V. idem.
— (Lopès frères), 186.
Depaz (François), 195. Voir Paz.
— (Pierre), 195. Voir Paz.
Dervault (Hylaire), 93.
Desèze, 961, 963.
Despagnet, 116.
Despujols, 15A.
Devise (ruisseau), 88.
Diane (ville de), 195.
Dias (Chi mènes), 167.
— (Jacob), 167.
Dias de Soria, 339.
Diaz (Francisco Manuel, U3.
— (Sébastien), 199, 130, 137.
Diderot, 936.
Diera (Bartholomé), 130.
Diez (Anne), 19J!».
— (Antoine), 197.
— (Domenge), 197.
— (François), 195.
— (Georges), 197.
— (Jean), 19A, 196.
— (Jeanne), 196.
— (Louis), 193, 195, 196.
— (Pierre), 197.
Dijon, 177, 990.
Dillon (Adélaïde), 16J^.
Dillon (Éléonor), IQh.
Doire, 991.
Domingue (Saint-), 998. 999, 9i!»l,
9/»3, %h\ 981, 306.
Donnelay, 990.
Donzeau, 93, 96, UO.
Dordogne, 303.
Dbuai, 398.
Doubs, 990.
Douvres, 79.
Douard (André), 196.
— (François), 196.
Dreyfoss (Joseph), 990.
Drouyn (Léo), 88.
Dubillon, 196.
Duchaumont, 966.
Dudon (Pierre), baron de Boinet,
m.
Dufaure, 320.
Dupré de Saint-Maur, 9i!i0, fUU,
92i5,951.
Du Puy (Antoine), 98.
— (Giraulde), 98.
Duroy (Joseph), 19J^.
Dusault, 19i^.
Duval, VIII.
Duvergier (Marc), 197.
Duveyrier, 399.
E
Edom, 11.
Edward (prince), 37.
Edward lor, Ul.
Eichtal (Gustave d'), 399.
Egypte, h, 5, 8, U, 17, 18, 61,996.
Emmanuel, roi de Portugal, 7%
73.
Enfantin, 398, 399.
Enfer (me d'), 89.
Enriquès (Isabcl), U3.
Enriquez (Antonio), 1A3.
— (Manuel), 139.
TABLE DES NOMS.
357
Enriquez (Violante), Ihh,
Epaone, S7.
Ephraîm, 30/», 313, 287.
Ercilla, 70.
Erlanger (baron d'), d3U,
Errera (Daniel), 267.
Ervy (seigneur d'), 37.
Esaû, 10.
Escurial, 66.
Esdra, 287.
Esdras, 8.
Espagne, 1, 2, 3, 10, 25, 26, 29, 30,
hS, h9, 50, 51, 52, 53, 5A, 55, 56,
67, 69, 70,71, 76, 77, 79, 80, 83,
8&, 85,86,95, 111, lU, 120, 128,
129, 138, 139, U5, 155, 183, 190,
230, «»7, 270, 271,2911,311.
Espinosa (Francisco de), U3.
Esquiros, 83.
Esra (Abraham aben), 61.
— (Mosé aben), 59.
Eslouteville (Jean d*;, QU,
Estramadure, 23A.
Estremoz, 139.
Etcheverry (d'), v.
Ethiopie, U.
Euclide, 61, 62.
Eulalie (paroisse Sainte-), 89, lâ5.
Euphrate, 7,
Europe, 81 , 82, 2/»3, 2/»6, 970, 29^.
Eusèbe, 3.
Evêchés (trois), 262, 261..
Eybeschuck (Jonathan), 213.
Eymar, 287.
— (Etienne), 92, 98.
— (Joseph d'), 98, 99.
Eysines (paroisse), 93.
Falcon (Joseph), 181.
Farges (M. de), 16J!».
Fauchet, 2BA.
Favre (Jules), 325.
Ferdinand, roi, 52, 56, 58, 69,71,
72.
Fernand (D.), roi, 65.
Fernande (Antoine), 131.
Fernandès, 138, 987.
— (Alphonse), 90, 91.
— (Bento), 130.
— (Emmanuel), 130.
— (Felipe), 130.
— (Francisque), 127.
— (Jean), 197.
— (Henri), 130.
— (Henriquès), 138.
— (Jacob), 187.
— (Louis), 126.
^ (Philippe), 171, 187, 190, 218.
— (Pierre), 12ii.
— (Ysabeau), 196.
Fermât (de), 165.
Ferrachapl (Morel de), 19ii.
Ferrand (de), 125, 137.
— (Pierre de), 98.
Ferrare, 120.
Ferrein, 135.
Ferreira (Jean), 126.
Ferrer (Francisco), ihU.
Ferreyra, 181.
Ferreyre (Abraham), 181, 187.
— (Samuel), 187.
Ferrier (Vincent), 66.
Fez, 70.
Filles Notre-Dame (couvent), 152.
Flaccus, 11.
Flachat (Stéfane), 329.
Flandre, 95, 97, 103, 23Z>.
Fleix (Bernard du), 95.
Fleury (cardinal de), 159.
Florentin (de Saint-), 158, 161,
16^., 167, 198, 215, 293, 225.
Foix (Frédéric de), 113.
Foix-Candale (comte de), \9U.
Fonfrède (Henri), 397.
358
HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Fonseca, 171, 187, %S, aii9, 287,
289-
Fonseca (Manuel Suarès de), IhU,
— (Mardochée Lopès), 255.
— (Marie de), 127.
Fonsèque, 272, 302, 30/., 319.
— (Jacob), 317.
Fossés, 288.
Fossés des Eyres, 89.
Fossés Saint-Éloi, 116.
Fould, 327, 33A.
— (Achille), 322.
— (Benoît), 317.
France, 2, 35, 39, 56, 58, 70, 79,
11/*, 128, 132, 135, 137, 139, U7,
150, 169, 222, 225, 226, 227, 229,
2/.0, 2A1, 2/»7, 2A8, 255, 257, 259,
262, 263, 275, 281, 282, 28/., 288,
290, 292, 295, 296, 300, 317, 521 .
Francesco (Adam), 11 A.
Francfort, 298.
Francia, 287, 306.
— (Abraham), 162, 212.
— (Abraham Benjamin), 269.
— (Antoine), 186.
— (Benjamin), 93, 99, 100, 150,
902.
— (Esther), 162.
— (Gaspard), ^87.
— (Georges), 171 , 186, 212.
— (Jacob), 269.
— (Laurence), 162, 166.
François 1er, roi, 92, 93, 102.
Francs (seigneurie), 89.
Francus, 11.
Frédéghaire, 27.
Fréjus (évêque de), 158.
Frontières, v, 1%.
Fumel(de),261.
Furtado, 100, 2/.8, 2/.9. 250. 253,
255, 265, 287, 296, 289, 290.
— (Abraham), 299,300, 302,303,
30/», 313.
Furtado (Daniel Mendès), 212.
— (David Mendès), 219.
— (Jean Dacosta), 130.
— (Joseph), 30/., 317.
Fuscus, 12.
Gabay (Ja:ob), lU.
Gabirol (Salomon ben), 59
Gachet de Lisle, 261.
Gad, 5.
Galès (Pierre), 115.
Galiléens, 53.
Gall (moine de Saint-), 29.
Galves (Manuel de), \hU.
Gama (Vasco de), 72, 81.
Ganz, rabbin, 56.
Garât, 261.
Garât (Jehanne), 127.
Garcias, 287.
Gard, 287, 290.
Gares (Peyronne), 127.
Garizim, 6.
Garonne (Haute-), 303.
Gary, 306.
Gascogne, /.l, h% 60, I/.5.
Gaspard, 152.
Gatyes (Marie), 127.
Gaubert, 229.
Gaufreteau (de), 19/».
Gaule, 2, 10, 20, 25, 27.
Gaullieur (E.), viii, 90, 9/., 101,
102,105,115.
Gelida, 100, 102, 112.
Gensonné, 271, 313.
Georges, 287.
George (Benjamin de), 2/.9, 260.
Georges (de Saint-), 271.
Géraud (Edmond), 331.
Gerle (dom), 256.
Germain (Saint-), 108, 322, 329.
Gerson, 29/..
TABLE DES NOMS.
359
Girard (Bernard de), %,
— (Jehanne de), 9h.
Gironde, 8^, 151, 503, 280, 58/.,
285, 290, 301, 303, 30i», 316, 325.
Girone, 56, 65.
Gisborne, 86.
Giscours, ^8.
Goel, 287.
Goldsmid (Isaac Lyon), 82.
Gomès, 132, 287.
— ou Lopès (Ana), lUL
— (Antonio), 103.
— (Fol), 130.
— (Francisque), 126.
— (Henry), 171, 186.
— (Maria), 127.
— (Rodrigues), 196.
— (Ysabeau), 126, 127.
Gomez-Vaez (P.), 333.
Gonzalès, 287.
— (Gaspard), 132, 13/».
— (Jean), d'Oporto, lU.
— (L.), 132.
— (Marie), 272.
— (Ysabeau), 135.
Goudchaux (Cerf Jacob), 290.
— (Michel), 32/..
Goujet, vin.
Goumès, 125.
— (Diego), 125.
— (Jeanne), 125.
— (Jehanne), 125.
— (Pierre), 125.
Gourgues (de), président, 128.
— (Catherine), 126.
Gournay (M"* de) 75.
Goussal (Michel), 126.
— (Suzanne), 126.
Govea, 99, 100, 103, 10/., 105, 106,
112.
— (André de), 100, 101, 102, 137.
— (Antoine de), 100, 101, 137.
— (Geronima de), U3.
Govea (Jacques l'ancien ), 100.
'— • (Jacques, neveu) 100.
— (Martial), 100.
Gradis, 179, 181, 187, 23A, 960,
2/.9, 287, 289, 306, 331.
— (Abraham), 218, 2/»l,2/.3, 2/./..
— (Antoine), 158, 159, 171.
— (Benjamin), 218, 315, 317, 319,
331.
— (David), 136,158,159,171,186,
9/.0, 9/.1, 2/»2, 2^3, %h, fô3. 25A,
265, 269, 271, 272, 309, 303, 30/»,
306,331.
— (Diego Rodrigues), 171, 9/. 1.
— (Esther), 158, 159.
— (Henri), viii, 331, 333.
— (Isaac Rodrigues), 269.
— (jeune), 319.
— (Moyse), 2/./., 253.
— (Rica), 92/..
— (Samuel), 171, 186, 187, 2/.1,
9U.
— et Mendès, 9/.1.
Granier de Cassagnac, 397.
Granolhas(Ramonde),91,92,93,
9/., 137.
Granollers, 91.
Grèce, «, 33A.
Grégoire (abbé), 256, 951.
Grégoire VII, pape, 56.
Grégoire de Tours, 27, 28.
Grenade, /.6, 51. 55, 56, 61, 68,69.
Grenoble, 101.
Greyli (Jean de), 91.
Grimendès (Catherine), 196.
Grouchy (Nicolas de), 101, 10/..
Guadeloupe (la), 16/i.
Guastalla, 287. .
Guay, notaire, 9/..
Guénée (abbé), 233, 23/».
Guérente (Guillaume), 101, 10/..
Guesclin (du), 6/..
Guevara, HO
36o
HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Guienne, 16,d7,30,l^l,IiS,/«9.89,
91, 128, 137, 151, 1G9, 190, 191,
193, 19Ii, 908, 91% 9S9, 5U»7.
Guillaume, roi, 933.
Guilleragues, 180, I9Ii.
Guimaraens, 987.
Guiderez (Louis), \hh.
Guttierès (Mardochée), 311.
— (Moïse Requennc), 311.
Guzinan, UO.
— (don Melchiorde), lAl.
H
Hagucnau, 990.
Haillan (du). Voir B. de Girard,
Halévi (Joseph bar meir), 59.
Hallevy bcn Dior, 61.
— (Joseph), 55.
— (Judas ben Samuel), 61.
Halévy (Léon), 399.
— (R. Selemoh), 65.
Halmstad, 79.
Halphen, 817.
— (Constant), 33A.
Hambourg, 79, 903, 90Ii, 905, 969.
Hamel (comte du), 319.
Hamiz, 987.
Handouin, 98.
Harcourt (maréchal d'), 9^3.
Harmensen, 903, 90Ii, 905.
Hawkes, amiral, 9A3.
Héber, 3, 6.
Hébere (la), 806.
Hébreux (nom), 3.
Hébreu (peuple), 80.
Hébreux, U, U, 17.
Hector, 11.
Heine (Michel), 33A.
Helvétius, 937.
Henri II, roi de France, 1A7, 909,
995.
Henri III, roi d'Angleterre, hO^hi,
Henri III, roi de France, 106, 108,
109, 909, 996.
Henri IV, 11/*.
Henri de Transtamare, 6h
Henri le Maudit, QL
Henri (D.), roi, 65.
Henriquès, 987.
— (Catherine), 125, 138.
— (Duard). 137, 188.
— (Edouard), 195.
— (Isaac Rodrigues), 171.
— (Israël), 969.
— (Mosé), 186.
— (Pierre).
— (Suzanne), 159, 156.
— (veuve), 139.
Héraclius, 5A.
Hérault, 990.
Hérode (le dernier), 53.
Hijar (duc de), IhO.
Hillel, 5/«, 995.
Hispanus, 51.
Hogueira (Felipa), U3-
— (Francisca), U3.
Hollande, 77, 8A, 103, 132, 911.,
919, 933.
Homère, 11.
Hongrie, 93&.
Horace, 19.
Hospital (Michel de 1'), 292.
Hozier (d), 96.
Hyrcan, 9, 10.
1
Ibanès (Juan), 139.
Idumée, 9.
Iffla, 987.
Ignés (Domeis), 196.
Inde, 19, 79.
Inquisition, 76, 102, lOA, 138, U2,
lU, U5.
TABLE DES NOMS.
36 1
Isaac. Voir Orobio.
Isaac (Jean), lOii.
Isabelle de Castillc, 52,69,71,75.
Isabelle, reine d'Espagne, SU,
Israël, A, 7, 15, 575, 277.
Iswab, 590.
Italie, % 10, 11, 90, 29, 56, 70, 79,
287, 589, 295, 596, 33i.
Jacob, 3, 5, 10, 16, 18, 2U, 287.
— (aben Nunès), 68.
— (Abraham), 291.
Jahacob (R. ben Meir ben Thi-
bon), 62.
Jaân, 71.
Jafné, 22.
Jaguès (Londra), 127.
Janic, 287.
Jean II, roi de Portugal, 72, 73.
Jean III, roi de Portugal, 102.
Jean VI, roi de Portugal, 81.
Jean sans Terre, 39, hO.
Jeandreau, 191, 192.
Jeanne de Sicile, U7.
Jechaia, 59.
Jehudi (Samuel), le marocain, 59.
Jéroboam, 6.
Jérôme (saint), 3.
Jérôme de Sainte-Foi, 65,
Jérôme de Zurita, 67.
Jérusalem, 6, 8, 10, 15, 16, 17,50,
51, 52, 53, 81.
Joan Diacon,28.
Joînville (sire de), 39.
Juppé, 9.
Joseph, 57.
Joseph Iw, roi de Portugal, 77.
Josèphe (Flavius), 16, 81.
Joshua Hallorki, 65.
Jourdain (le), 16.
Jourdain (le sieur), 161.
Juda (tribu), vi, 3, A, 7, 8, 15, »,
51, 53, 111, lâl, 190, 201,211».
Juda de Tolède, 61.
Judaïque (rue), 88, 89.
— (en ville, rue), 88.
Judaïc (Mont-), 3A, U7.
Judée, 9, 10, U, 15, 16, 18.
Jules II, pape, 79.
Julian, 272, 287, 319.
Julien, 22.
Julien (paroisse Saint-), 182.
Ju vénal, 12.
K
Karra (Joseph), 37.
Kœnigswartcr (Henri), 33&.
Ubat (M. de), 152.
I-abbe, 27.
Labour (pays), 116.
La Brède (seigneurie), 89.
La Cerda, UO.
Lachenaye des Bois, 96, 97.
Lacolonie, 280.
Lacombe, 266.
La Condamine, 235.
La Cueva, UO.
Lafare (abbé de), 97.
— (marquis de), 97.
U Fare (de), 258.
Larargue,26I.
Lafite (château), 33A.
Laffargue, 192.
Lagau, 205.
Lagides, 17.
La Gonna, 287.
La Haye, 213.
Lalande (rue), 288.
Lalande (Jean de), baron de La
Brède, 89.
362
HISTOIRE DES JUTFS A BORDEAUX.
Lamega (Abraham), 171.
Lamego, 186.
— (Alphonse), 187.
Lameth (Alexandre de), 961.
— (Charles de), 561.
Lameyra, 587.
— (Abraham), 186, 513, «8, 569.
— (Antoine), 171, 186, 187.
— (David), 508. 515.
— (Salomon), 186.
Lanabo (Robert), lOA.
Lancre (Mme de), 155.
Lancre (Pierre de Rostéguy de),
116, 119, 150, 125.
Undau (Élie), 33/4.
Landes, SQO, 303, 30/t.
Laneblanque (bourdieu), 93.
Lang (baruch), 591.
Unge, 193, 207, 210, 275. 287.
— (Jacob), 302, 301», 311, 313.
— (Léon), 908.
— (Mozé ou Moïse), 177, 188, 192.
197. 967, 572.
— (Samuel), 311.
— (Vidal), 908, 272.
Lange Roget junior et Oo, «(89.
Languedoc, U, UB, 58.
Languedoyl, hL
La Prade (seigneurie), 9J!t.
Lara (Manrique de), UO.
Laroche, 119.
La Rochefoucauld, 257.
La Rochelle, 103, 23/i.
Laroque (seigneurie), 93.
Larré,
Lartigue, 192.
Lassou (seigneurie), 03.
Latour-Dupin, 2G1.
Latran, 38.
Lattad de Rose, 287, 319.
Latium, 11.
Laubespine (de), 108.
Laurendo, 331.
Laurent de l'Ardèche, 329.
Laussailh (Ysabeau), 196.
La Valette (Père), 2^9.
Uvie (de), 19/», 961.
Lazard, 303, 399.
Lazare (Kirsch), 990.
Lazare (Jacob), 991, 996.
— (Uvy), 990.
— (Michel), 991.
Léal, 287.
Leberthon, 196,961.
Leblanc, 172, 173, 176.
Le Comte, 19/4*
Lecomte (Sarrau), 195.
— (Jehan), baron de la Chau-
mière, 196.
Lecot, 935.
Lecoulteux de Chanteleu, 961.
Lefebvre, 75.
Leipsick, 79.
Lemos, UO.
— (comte de), UO.
Lenoir, 936.
Léon (royaume), 63, 05, 68.
Léon, 287.
— (Abraham), 312, 317.
— (Adrien), 332. 333, aTi.
— (Alexandre), vin, G3, 85, 332,
333.
— (aîné), 319.
— (Alfred), 320, 332.
— (Henri), 319, 333.
— (Isaac), 317, 3î7.
— (Josué), 317.
— (Salomon), 317.
Léoville (château), 33/4.
L'Épée (abbé de), 236.
Lertz (Jacob), 990.
Lesparre, 37, 311.
Lestonat (Pierre de), 95.
Letellier, 151, 152, 153.
Lévi (tribu de), vi, 5/4, 901, 208.
969, 970,
TABLE DES NOMS.
363
Lévi (Samuel), 55.
Lévita (Joseph), 61.
— (Judas), 61.
Lévy, 587, 300, 306.
— (Aaron Marx), 290.
— (Daniel), 590.
— (Gumpel), 290.
— (Moïse), 290, 295, 296.
— (Salomon), 30/* .
— (Simon), viii, 333, 335.
Leyde, 79.
Leyma (Léonard), 125.
Leyra, UO.
Lhéral,a61.
Libourne, 157.
Licterie (de), 19A.
Lille, 290.
Lima, 79.
Limbosch (Philippe), 77.
Limman, 287.
Linarès (duc de), UO.
Lindo, 287.
— (Claudine), 162.
— (E.-H.), 77, 83.
Lippman, 290.
Lisana (Alfonse), 9J4, 95.
Lisbonne, 75, 76, 79, 81, 83, 12/»,
233,312,313.
Livourne, 296.
Logrono, 117.
Lombard (rue), 331.
Lombardie, 35.
Londrade, 120.
— (Diego), lU.
Londres, Ul, 79, 202, 203, 205, 2U,
230, 2^1, 269, 313.
Lopa (Pey de), 90.
Lope de Vea (dom), 79.
Lopès (Aaron), 267.
— (Abraham), 160, 181, 187.
— (Antoine), 92, 93, 9/., 137, 172.
— (Antoinette), 160. V. Antoine
de Louppes.
Lopès (Bertrand), 9Ji, 95. Voir
Bertrand de Louppes.
— (Catherine), 138.
— (Éléonore), 97, 13Z..
— (Francisco), d'Arviano, 95.
— (François), 137, 138.
— (François), médecin, 137.
— (Garcias), deVillanova, 96, 97.
— (Gilles), de Villanova, 96, 97.
— (Guimen), 138.
— (Henri), 186, 187.
— (Henrique), 180.
— (Hiérosme), 137, 138.
— (Jacques), 133, 136, 167, 171,
187.
— (Jean), 138.
— (Louis), 130.
— (maison de), 117.
— (Marie), 138.
— (Maria), lAA.
— (Martin), de Castille, 95.
— (Mathieu), 131.
— (Paul), 96.
— (Philippe), 186.
— (Pierre), ou de Lope, 89, 90.
— (Pierre), 137.
— (Pierre), médecin, 137.
— (Sébastien), 130.
— (Ysabeau), 138.
Lopès-Depas (Gabriel), 186.
Lopès-Dias, lU, 287, 989.
— (Abraham), 312, 315, 317.
— (Daniel), 302, 30/», 317, 319.
— (Rebecca), 312.
Lopès-Domayne, lU.
Lopès de Villeneuve, 96.
— (Michel de), 97.
Lopès-Dubec, 100, 21.8, 2i»9, 250,
253, 260. 265, 272, 286, 287, 289,
298, 301, 302, 30/», 306, 315, 319.
— (Benjamin), 330, 336.
— (Camille), 325, 326, 332.
— (David), 317.
y
/
y
364
HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Lopès-Dubec (Félix), 356, 33»,
333,335.
— (Salomon), 830,313, 317, 319,
Loppes (Blanche),
— (François), 1S7, 158.
— (Louis), 157.
— (Urbain), d'Arbette, 127.
— (Ysabeau de), 127.
Lormont, 103.
Lorraine, U7, «i!i7, 25A, 257, 258,
«0, «5, 282, 288, 290, 299.
Losada (Domingo de), U3.
Loubière (seigneur de La), 97.
Louis (Charles), 187.
Louis le Débonnaire, 29, 30, 31.
Louis Vm, dit le Lion, 38.
Louis(saint),39, Z.1,97, 120.
Louis XI, 1,8, 90.
Louis XII, J^8.
Louis XIII, 120.
Louis XI V, 130, 135, 138, 151 , 153,
22!^ 226, 255.
Louis XV, 175, 222, 226, 231, 235,
300*
Louis XVI, 225. 2I»0, 2^.25/., 255.
Louis XVIII, 2AZ., 31/i.
Louis-Philippe, 322, 332.
Loume (Marie), 127.
Louppes (Alagro), m.
— (Antoine de), 92, 126.
— (Antoine de), seigneur de La
Prade, 99.
— (Antoine de), de ^ illcneuve,
92, 93, 9/1, 95, 98.
— (Anthoine de), avocat, 9J!i.
— (Antoinette de), ou Lopès, 75,
96, 117.
— (Catherine de), 98.
— (Isidore Brandon de), 12A, 125.
— (Jeanne), 127.
— (Michel de), 98.
— (Pierredc), 97, 98,99.
Louppes (Pierre de), de Flandres,
95,96.
— (Raymond de), 9/».
— (Tristan de), 98.
— (de), de Villeneuve, 138.
Luna (Pierre de), 65.
Lunas (Ramon dj), 90.
Lunel (ville), 57.
Lunéville, 290.
Luques, 123.
Lyon,28, 109, lU, 1C5.
M
Machabée (Judas), 8.
— (Simon), 9.,
Machabées (livre des), 8.
Machado, 233.
— (Julien), 130.
Machault (de), 9U3.
Maçon, 28.
Macoynis (Bernard), 37.
Madeleine (couvent de la), 162.
Madère (île), 103.
Madrid, 65, 79, 85, lli5.
Mages, 7.
Mahomat, 60.
Malemon (rabbi Mos-h bon), Cl.
Ma1moni4es, 295.
Maître des Juifs, 30.
Maintenon (Mme de), 151.
Majance de Camiran, vicomt;: de
Foncaude, 19Zt.
Malbosc (François), 95.
Malesherbes (M. de), 100, fU.8,
25^,313.
Mairan, 535.
Malo (Ch ), 86.
Malvezin (Théophile), 75,95,96,
Malvin, marquis dj Montuzet,
m.
Ma nasses, 5.
TABLE DES NOMS.
365
Manent (J.), 19S.
Maniban (de), 1S8.
— (Jean de), 93.
— (Jeanne de), 126.
— (Thomas de), baron de La
Roque, 186.
— (monseigneur de), 161.
Mantoue, 997.
Maranhao (don Francisco de), 108.
Marcfoy, 990, 90/i.
— (Aaron), 315.
— (Abraham), 317.
Mardochée, 167, 987.
Marengo, 981.
Marie (Paul de Sainte-), 65.
Margnadès (Suzanne), 193.
Maria (le P.), 159, 153.
Mariana, historien, 69.
Marly, 190.
Marques (Angela Nunès), 1A3.
— (Geronimo Nunès), lJli3.
— (Léonor Nunès), U3.
— (Pedro Nunès), 1A3.
Marrast (Armand), 39J!i, 395.
Marseille, 98, i^, 990, 309, 397.
Martial, 19.
Martignac, 331.
Martin (du Nord), 391.
— (Catherine), 196, 197.
— (Emmanuel), 130.
— (Louis), 197. •
— (chapelle Saint-), 88.
— (prieuré de Saint-), Ul.
Martinique (la), 9/i9, %Z.
— (Saint-Pierre), %A.
Martyns (Antonio), lOA.
Marx (David), 330, 335.
Masa (Isaac de), 13A.
— (Jean de), 13J!».
Mathias (Pol), 197.
— (Ysabeau), 197.
Mathieu, 19/i.
Maure (de Sainte-), 19ii.
Maury (abbé), 958, 959, 961.
Mauvezin (Leblanc de), 19A.
May (Isaac), 991.
Mayence, 309.
Mayer (Lazare Dalmbert), 317.
— (Samuel), 991.
Meauz; 31.
Mèdes, 7.
Médicis (Marie de), 190, 199.
Médina, 919, 987.
— (Joseph), 187, 999.
— (Sara Fernandès), 311.
— (veuve et fils), 186, 229.
Medina-Celi (duc de), lAO.
Médina de LasTores (duc de), UO.
Medina-Sidonja (duc de), UO.
Médine, 298.
— (Joseph Enriquès), 171.
Méditerranée (mer), 2, 52, 70.
Médoc, VIII, 261, 32A, 328.
Meir (D.), médecin, 6i^.
Mélendès, 287.
— (David), 311.
— (Jacob), 311.
— (Moïse), 311.
Melun, 38.
Meller, 287.
Ménaude (vicomte de La), 172,
231, 232, 237.
Mendès, 137, 287, 30/i.
— (Abraham), 317.
— (Antonio), lOA, 126, 127, 132.
— (Antonia), U3.
T (Clara), U3.
— (David), 186.
— (Diego), 123.
— (Diego Dias), 111.
— (Edouard), m.
— (Francisque Fernande), 131.
— (Grimaud), 128.
— (Guillaume), 130.
— (Jacob), 181.
— (Jean), m, 971.
366
HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Mendès (Juana), US.
— (Louis), 131.
— (Maria), U3.
— (Mariana), 157.
— (père et fils), 186.
— (Philippe), 127.
— (Pierre), 130.
— (Raphaël), 518, 530.
— (Ysabeau), m, 137. 1A3.
Mendès-Fenis, 218.
Mendès-France, 171, 187, 287.
— (Mardochée), 163.
— (Rebecca), 163.
Mendosse (Béatrix de), 157.
— (Jehanne), 127.
— (Lorenzo), 157.
Mendoza, UO.
Ménilmontant, 329.
Mentche (Jean), 196.
— (Jeanne), 126.
Mercadé (Isaac), 219.
— (Moïse), 172.
Mercier de Terrefori, 261.
Mérovingiens, 28.
Mes (seigneurie), 89.
Meschullam, rabbin, 57.
Mesquite, 186.
Messier, viii.
Messin (pays), 288.
Metz, A9, U7, U8, 150, 151, 170,
171, 177, 178, 203, 222, 231, 26A,
290, 302, 317, Sn.
Meudon, 175.
Meuniers (de), 261.
Meurthe, 281», 290.
Meuse- Inférieure, 291.
Meyra (Simon), 111.
Mèze (Abigaïl), 155.
— (Alexandre), 156, 171.
— (Christophe Rodrigues), 13A.
— (Emmanuel), 171.
— (Manuel de), 13A.
— (Rachel), 155.
Mèze (Rica), 155.
Mèzes, 287.
Meyer, 287.
— (Jacques), 290.
— (Nauheimer), 291.
— (Simon), 291.
Michel, 287.
— (paroisse Saint-), 166.
— (Francisque), 95, 231.
Michelet, J!i3.
Milanges (Jehan), 93.
— (Jacques), 137.
— (Simon), 93, 137.
Milhas (Jacques), 210.
Millaud (Gentille), 312.
— (Moïse), 291, 327,328.
Mismos (Gabriel)t U8.
Mincio, 291.
Mirabeau, 256, 257, 259, 261.
Miranda, 219.
— (Roque Rico), U5.
Mirande (Mendès), 212.
Miramond (S.), 192.
Mirés (Jules Isaac), 327, 328.
Misraôl, 6.
Mithridate, 10.
Moab, 29J^.
Modéry (Antoine), 210.
Moiras (de), 228, 2A3.
Moïse, A. 5, 13, 15, 21, 22. 61, 69,
80, 93. 106, 131, 138, 150, 157,
183. 202, 230, 2J!i9, 27/», 275, 277,
281, 282,203, 287, 291., 301,307.
Moïse de Gironda, 295.
Mole, 291 , 295, 297.
— (Mathieu), 291.
Molina, 60, 287.
Molinès, 132.
Monaco, 33/i.
Monangely (Pierre), 103.
Moncada, UO.
Mondejar (marquis de), UO.
Mons (Guillaume de), 117.
TABLE DES NOMS.
367
Mons (Jeanne de), 117.
Monségur, 161.
Montaigne, 78.
— (famille de), 97, 99.
— (Jeanne de), 117.
— (Michel de), 73, 15, 95, 98, 99,
100,101, 105, 117.
— (Pierre Ayquem, seigneur de),
91, 92, 95, 98, 102.
Montalivçt (de), 306.
Montaite (Phiiotée Elias de), 129.
Montaito (duc de), UO.
Montaud (Joseph), 291.
Montenotte, 291.
Monterey (comte de), UO.
Montesquieu, v, viii, 35, 36, U8,
166.
Monteverde (marquis de), 97.
Montferrand (M. de), 113, 19A.
Montmorency (sire de), 108.
Montpellier, 57, 237.
Mont Tonnerre, 28J!», 291.
Mora (Antoine de), 129.
— (Antoine Henriquez de), 130.
Moraès, 987.
Morales (Simon Diego de), Ihh.
Moran (Georges de), 197.
— (Jeanne de), 127.
Morange, 287.
Moreau (Nicolas), 93.
Morel, 207.
Morville (M. de). 158.
Mosca (R. Jehuda), 62.
Mosé Azan de Zaragua, 62.
Mosében Migozi Sepharardi (R.),
62.
Moselle, 203, 205, 28Ji, 290.
Mosraès, 272.
Mouchy (de), 261.
Moura ( Francisque - Fernandès
de), 197.
Mousnier (François), 125.
Mouton (château), 33A.
Moyne, notaire, 125.
Munster, lJ!i7.
Murcie, 63, 66.
Murgès (veuve de), 163.
Musio (Aben), 60.
Muy (M. de), 161.
N
Nabuchodonosor, 2, 6, 7, 51, 52.
Nahugues (Jehan de), 95.
Nairac (Paul), 261.
Najera (bataille de), 6J!i.
Nancy, 258, 290, 295, 300, 302.
Nangis ( Voir Contin. de), A6.
Nantes, 79, 2A0.
Napoléon, 983, 308.
Naquet (Vidal), 290.
Narbonne, 28, 31, 38, 57, 58.
Navarre, 56, 59, 70.
Navarro (David), 269.
— (Samuel), 187.
— (R. P. Thomas), Ul.
Naxara, 287.
Nazaréens, 12.
Necker, 235, 261.
Néhémie, 8.
Nestoriens, 18.
Neufville (de la), 19JEi.
Neuviller, 290.
Nice, 290.
Nieto (veuve), 186.
Nil, 17.
Nîmes, 290.
Noailles(de),261.
Noé, 287.
Nogent-le-Rotrou, 322.
Nonès, 165.
— (Abraham), d'Almeyda, 311.
— (Antoine), lOh.
— (dame), 16ii.
— (Jacob Louis), 315.
— (Judith), 311.
368
HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Nonès (Manuel), lOA.
— (Marie), 1».
— (Samuel), 315.
— (veuve et fils), 187.
— (Ysabeau), 196.
Nonnes (Isaac), 90A.
— (Louis Benjamin), 30/».
— (Moïse), 30A.
Nonnès-Lopès (A.), 33Z».
Nord, 590.
Normandie, U%
Nort (de), 1%,
Norzy (David), 311.
— (Jacob), 311.
— (Lyon), 311.
Nunès, 79, 587.
— (Antoine), 135.
— (Joseph), 317.
— (Juan), U3.
— (Philippe), 132.
— (Ysabeâu), 157.
Nuremberg, 79.
O
Oliveira, 587.
— (Dominique Lopès d'), 138.
— (Manuel), 130.
Olmo (Joseph de T), U5, U5.
Olona, 591.
Operary (Jeanne), 156.
Ordenez (Luis), 139.
Orléans, 57.
— (duc d'), 153, 157.
Ornano (maréchal d'), 116.
Orobio (Antonio de), lJi3.
— (Balthazar), 77.
Oropeza (comte d), UO.
Orry, 177, 178, 191.
Osma, 68.
Osorius, évoque, 7h.
Osuna (duc de), UO.
Oxeda, 587, 333.
Pachez, 135.
Paôz, 587, 306. Voir de Paz et de
Paez.
— (Abraham), 187.
— (jeune), 187.
Paôz de Léon (Isaac), 569.
Paillère (rue), 89.
Palencia, 68.
Palestine, 5, 6, 7, 80.
Parade (M. de), 165.
— (W» de), 165.
Paredès (Abraham de), 189.
— (Juan de), 139.
Paris, 38, U, 60, 100, 138,515, 530,
531 , 53A, 535, 536, 537. W.8, 5TO,
58A, 590, 591, 300, 301, 305, 303,
317, 319, 355, 330.
— (Antonio), 103.
-- (Francisco), 103.
Parthenay (seigneur de), Z»6.
Pas-Saint-Georges (rue du), 95.
Pasquier, 591.
Passaro, 591.
Pastoureaux (les), A5, 66.
Pastrana (duc de).
Patto, 590.
— (Isaac), 30/».
— (Moïse), 315, 317.
Paty (de) de Julies, baron du
Rayet, 19/».
Pauillac, 33/».
Paul 111, pape, 79.
Paul (Joseph de Saint-), 177.
— (Moïse de Saint-), 189.
Paz (Antoine Lopès de), 171.
— (Bernardo de), l/»3.
— (Isaac Lopès de), 55/».
— (Joseph Lopès de), 161.
— (Marie Augustine Lopès de).
— (Louis Lopès de), 55A.
' — (Raphaël de), l/»3.
TABLE DES NOMS.
369
Paz (veuve de), 135. Voir Depas.
Peccard (A.), 590.
— (Rueff), 590.
Peccart (Heiman), 591.
Pedro le Cruel (D.), 63, Qh.
Peinado, 587, 589.
Peynado (Aaron), 305, 30A.
Peixotto, 186, 530, 570, 571, 575,
587,306.
— (Aaron), 305.
— (Abraham), 187, 515, 518, 576.
— (Abraham Cohen), 569.
— (de Beaulieu), 533, 568.
— (Emmanuel), 130.
— (Henri), 133, 171.
— (Isaac), 163.
— (Isaac Cohen), 569.
— (Jacob), 519.
— (Jacob Cohen), 569.
— (Jean), 511.
— (Léon), 133, 136, 171, 181.
— (Paul), 530, 575.
— (Rachel), 163.
Pena (Abraham), lUh.
Penamacor ( Fernando Rodri-
guez), 139.
— (Samuel Rodriguez), 139.
Péraire-Suarès (Isaac), 305, 30A.
Péreira (Nunès), 533.
Pereira (Juan Battista), U3.
— (Leonor), liJi,
Péreire, 175, 587, 589.
— (Abraham), 315, 315, 317.
— (Abraham Rodrigues), J3h.
— (Emile), 35S, 328, 559, 330.
— (Emmanuel), 317.
— (Isaac), 567, 569, 315, 358, 359,
330, 33&.
— (Jacob Rodrigues), 515, 525,
556, 531*, 535, 536, 328.
— (Jacques Nuncs), 531, 537.
— (Joseph Nunès), 173, 531.
— (Jean Lozade), 171.
Pereyra (Suarès), 186.
— (Raphaël da Costa), 519.
Pereyre et 0% 186.
Péreyra, 515, 535, 533, 587.
— (Jacques Nunès de), 535, 537.
— (Lopès),575,319.
— (veuve), 575.
Péreyre aîné, 167.
— frères, 575.
— (Isaac), 567.
— (Jean), 13A.
Pérès (Éléonorc), 96.
— (Jean), 157.
— (Loise), 155.
Périer, 195
Perpignan, 587, 311.
— Abraham), 311.
— (Jacob), 57, 193,513,311.
— (Jean), 568.
— (faquassue dit), 189.
— (Josué), 311, 319.
Perrier (Philippe), 511.
Perse, 7, 33/».
— (poète), 15.
Petit, 180, 193, 507, 510, 587, 311.
— (Benjamin), 315.
— (David), 177, 189, 195, 508.
— (Isaac), 315.
— (veuve Jacob), 575.
— (Jacob), 311.
— (Joseph), 189, 195, 315.
— (Léon), 508.
— (Lyon), 311.
— (Moïse), 311.
Petit-Judas (rue du), J!i7, 89.
P--yrehorade, lU, 135, 139.
Ptiyronnet, 331.
Pharaon-Nechao, 6.
Pharaons, 17.
Phelippiaux, 130, 153.
Philippe I, 35.
Philippe-Augaste, 35, 36, 38.
Philippe le Bel, 37, kl.
^4
370
HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Philippe le Hardi, Al.
Philippe le Long, 118.
Philon d'Alexandrie, 3.
Phul, 6.
Pichon, 153.
Picourneau (château), viii.
Pierre (église Saint-), S9A.
— (quartier Saint-), 89.
Piffon, 19S, 961.
Pimentel, UO, 575, Î87, 589.
— (Isaac), 315, 317.
— (Jacob), 568, 305. 30Jt», 315.
Pinel (J.), 135.
Pinon (Jehan), lOA.
Pinto, 187, 513, 5U.
— (de), 533. 53Ii.
— (Ch. Honoré), 165.
Pissaro (Joseph), 530.
Plocenzia, 68.
Platon, 18, 65.
Playsse (Cécile), 157.
Pô, 591.
Pô (Bas-), 591.
Pobar (marquis de), Ul.
Pofferat (du Plessy de), 181.
Poitou, kS, IS.
Poix (de), 561.
Polignac (Alphonse de), 358.
Polonais, 587.
Pombal (marquis de), 77.
Pompée, 10, 11, 15, 50, 55, »>.
Pontac (Arnaud de), 96.
— (Jacques de), 153.
Pontchartrain (M. de), 155, 153.
Ponl-Saint-Esprit, 528, 5«i, 555,
568, 30JE», 315, 317.
Pontabra, 130.
Porta Judalca, 88.
Portails, 591.
Porte-Dijeaux (rue), 88.
Portes et Sénéchas, 327.
Porto Carrero, UO.
Portugal, 1, 3, A9, 71, 75, 76, 79,
80, 83, 8A, 105, 111, 150, 153, 1%,
155, 158, 138, 139, 183, 190,533,
5A7,59A, 311.
Potier (Pierre), 99.
Pourcin, 195.
Pradon, 533.
Près (Anne), 156.
Prescott (W.),70.
Privât (seigneur de Saint-), 97.
Priest (de Saint-), 561.
Provence, A8, 57, U7.
Provence (Monsieur, comte de),
Provenzal (J.), 331t.
Ptolémée, 60.
— (Ugus), 17.
Puddefer (de), 179.
Puits-des- Juifs (rue), 89.
Puy-de-Dôme, 303.
Puypaulin, 91.
Pyrénées, 56.
Pyrénées (Basses-), 58A, 590, 303,
30JE».
Pyrrhus, 61.
Québec, 2A1.
Queillo, 287.
Qrescas Vidal de Qislad (R.), 90.
Qrescas Dcscolar, 96.
Quichcrat, 101.
R
Raba, 588, 975, 587, 589, 302. SOIi,
306.
— (A.), 530, 5^9, 333.
— (Benjamin), 317.
— (Elysée), 317.
— (Hippolyte), 319.
— (Junior), 560, 305, 319.
— (Victoria), 575.
TABLE DES NOMS.
371
Rades de Andrada, 63.
Raghel (Aben), 60.
Ragueneau, I9h,
Ram (Dominique), 92, 93, 137.
— (Thomas de), 93.
Rancoulet, vin.
Ranès (David), 177.
Raphaël, 171, 186, 837, 987.
— (Alexandre), 515.
Ratisbonne (A.), 590.
Rauzan-Gassies (château), 33i!i.
Raynal (David), 333.
Rdaumur, 166.
Redon (Mme), 156.
Redondo (Felipa Lopès de), lUh.
Refuge (couvent N.-D. du), 165.
Rembam, 61. Voir Malemon.
Peno, 591.
République Dominicaine, 33&.
Requenna, 311.
Reuben (Isaac ben), 59.
Rey, 195.
Rewbcll, 558, 559, 561, 565.
Rhens (IbraCl), 590.
Rhin, 503, 905.
Rhin (Bas-), 581., 590.
Rhin (Haut-), 58Zi, 591.
Rhin-et-MoselIe, 58i, 591.
Rhône (Bouches-du-), 590.
Rhoné Péreire, 33A.
Richard d'Angleterre, AO.
Richelieu (de), 515, 513, 5U, 533,
53/», 5^3.
Riquet, 330.
Riswick, U7.
Roberdeau, 195.
Robespierre, ÎS8.
Robles, 375, 587.
— (Benosa de), U3.
— (Elenade), l/,3.
— (Francisco de), lili3.
— (Geronimo de), 1A3.
— (Maria de), l/t3.
Robles (Salvador de), 1À3.
— (Gaspar de), lUU.
— (Isaac), 315, 317.
— (Mme), 333, 331.
Roborel, yiii.
Rochester, v, 153.
Rodrigues, archevêque, 58.
— 575, 587, 589, 591, 305, 30A,306,
331.
— (Aaron), 187.
— (Abraham), 560, 569.
— (Antoine), U3, 171.
— (François), 138.
— (Isaac), 187, 590, 317-
— (Jacob), 175, 30A.
— (Jean), 130.
— (Joseph), 319, 350. .
— (01inde),358.
— (Pedro), U3.
— (Pierre), 130.
— (père), 315.
— (Marie), 156.
— (Rachel), 576.
— (Raphaél), 13J!».
— (Thomas), 156.
Rodrigues de Léon (Esther), 16J[i.
Rodrigues Londrugues (Simon),
15A.
Rodrigues Salgado (Jean), 1%.
Rodrigues (Abigaïl Ribca), 53&.
— (Henriquès), 319.
Roer, 58/», 591.
Rogé Vineigre, 193.
Roger, 19A.
— (Saine), 177.
Roget, 587.
— (Aaron), 315.
— (junior), 315.
— (Samuel), 315.
Rohan (princesse de), 193.
Rome, 8, 10, 11, 15, 13, 15, 16,
50,56.
Romère (Alonzo), 137.
372
HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Romère (Marie), 187.
Romero (Alph.), 130, 131.
Rophé, 287.
Roquelaure (M. de), 1S6.
Rostaing (Louis de), 102.
Rothschild (de), 329, 33J!i.
— (Alphonse de), 33Ji.
— (Gustave de), 33Ji.
— (James de), 33/>.
Rousse de Rouagre, 213.
Roudnguès (Catherin t), 128.
— (Marthe), 127.
Rouelle jaune, 38.
Rouen, 37, 120.
Rouget, 193.
— (Isaac), 189.
— (Lange), 189.
— (Samuel), 189.
Rouillard, 195, 210.
Rouillé, 206.
— (de), %3,
Rousseau, 235.
Roussillon, 35.
Roustaing (Pierre de), 89.
Roze (Perrine de), 125.
Rubcn, 6, 287.
Saba (reine de), 19.
Sacerdote, 287.
Sagonte, 61.
Saige (Armand), 265.
Saladin (sultan), 61.
Salas (Fernando Pérès}, 139, U3.
Salamanque, 68, 71.
Salcède (Antoine), 131i.
Salcedo, 186, 287.
— (David), 317.
— (Jules), m.
Salinas ou de Léon (Francisco
de), U3.
Salmanazar, 2, 5, 7.
Salom, 260, 287.
— (Moïse), 268, V7%
Salomon, A, 50, 59, 287, 290, 291.
— (Elias), 290.
— (Hirtz),291.
Salvator, 287.
Samarie, 5, 9.
Samson, 287.
Samuel Bernard, 291.
— (de Guitry), 37.
— (Levi), 63.
— (Vial), 37.
Sandoval, UO.
Santos (don Pedro), U2.
— (Sardaigne), 13, 97.
Sardo(ManuelDia8), 139,U2,U3.
Sarrabia (Luis), 139, IhU,
Sarranes, 287.
Sarre, 28i!i, 291.
Sarreguemines, 290.
Sarrens (Catherine), 126.
— (Jean), 126.
Sarrottc, 187.
Sasportas, 289.
— (Aaron), 171.
— (Abraham), 171 , 302, 30/i, 315.
— (veiive), 187.
Saujan, seigneurie, 125.
Sault (du), avocat général, 109,
118.
Saverne, 290.
Savignac, 19A.
Savoie (duc de), 101.
Sazia (Joseph Raphaôl de), 177.
— (Samuel de), 189.
Sazias, 287, 333.
— (Josué de), 213.
Scaliger, 60, 101.
Scaurus, 10.
Schiama, 317.
Schmoll (Aaron), 291, 317.
Schrôder et Schyler,203,20Z., 205.
Séby, 297.
TABLE DES NOMS.
373
Sédécias, 90.
Ségovie, 68, 70, 71.
Sègre, 596, 597.
Segré (Marie-Anne), 311.
Seguin (E.), 236.
Ségur (de), 561.
— (Alexandre de), 161».
— (Jean de), seigneur de Francs,
89.
Seine, 98It, 591.
Senegan, 587.
Sépharad, 50, 55.
Serpa, 153, 1%-
Serrano (maréchal), 85.
— (veuve), 132.
Sesia, 591.
Seurin (église Saint-), Si^, 35, h7.
— (quartierSaint-), 88.
Séville, 51, 56, 60, 65, 77, 311.
Sézar (duc de), UO.
Shottus (le P.), 115.
Sicard (abbé), 536.
Sicile, 50.
Siérentz, 591.
Sieyès (abbé), 561.
Siguenza, 68, 530.
Silva, 79, 137, 16Z», 186, 587.
— (Antoine Alvarès), 130.
^ (Blanche), 580.
— (Daniel da), 519.
— (Francisca de Naxara), 13A.
— (Gabriel), 186.
— (Gabriel da), 171.
— (Jean-Baptiste), 537, 538.
— (Juan Antonio), U3
— (Mateo da), IhU.
— (Pierre Gomès), 13&
— (Rodrigue de), U3.
— (Sébastien), 130.
Silvère (Antonio Gomès), 13A.
Silveyra (Jacob), 555.
Simon (Pierre), 155.
— (Saint-), 328.
Simon (Claude de Saint-), 328.
Sinztheim, 303.
— (David), 597.
Sisneros (Pierre de), 130.
Sixte IV, pape, 67.
Sizebut, roi Goth, 51».
Sobremont, 79.
Socrate, 61.
Solar,571,313,317.
— (Abigaïl), 315.
— (Moïse), 319.
Soria. Voir Dias.
— 587.
— (Francisco de), U3.
Sorlus (de), 198.
Sosa (Isaacde), 171.
Sossa (Isaac), 161».
Soto-Mayor, UO.
Souarès (Jacques Pereyre), 171.
Soulys (Catherine de), 151».
— (François de), 157.
— (Jean de), 156.
— (Jeanne de)« 126.
— (Marie de), 157.
— (Ysabeau de), 151».
Strabon, 10.
Strasbourg, 290, 591, 597, 302,
317.
Sturra, 591.
Suassos, 533.
Suède, 79.
Suétone, 13, U.
Suisse, 310, 311.
Syrie, 5, 10, 71. 317.
Tables alphonsines^OO, 61.
Talabot (Paulin), 329.
Talancier? (Vsabeau de), 126.
Talence, 269,271.
Talhouet, 561.
Talleyrand, 261,262.
374
HISTOIRE DES JUIFS A BORDEAUX.
Tallien, 966.
Talpi (Jehan), lOJt».
Tannesse, 181.
Taranque (Manuel), 196.
— (de), 158.
Tarégua (Gabriel), 93, 137.
Targel, 259.
Tarmones (Ysabeau de), 196.
Tartas, 255.
Tavarès (Benjamin), 255.
Tavérès, 287.
Térébinthe, 17.
Tertre (château du), 33i^.
TertuUicn, 21.
Tessier (rue Honoré-), 333.
Teybe (Jacques de), 103, 137.
Teyva (Diego), lOl.
— (Jacques de), lOl.
Texeira, 233.
Théglath-Phalazar, 5.
Thomas, 53.
— (île Saint-), 72.
Thorès (Marie Anthoine), 123.
Thou (de), 100, 101.
Thouret,20I.
Thurneyssen, 329.
Tibbon (Moïse ben), 61.
Tibère, 13
Tibériade, 22.
Tibre, 11, 12.
Tilsitt, 300.
Tinoôr (Anne Vaz), IGO.
— (Emmanuel Nunès), 160.
— (Marie-Thérèse), 160.
Tinoques, 186.
Titus, 15, 16, 52, hh,
Todroz ben Venisto, 67.
Tolède, 51, 52, 5/., 55, 50, 58, 61,
62, 63, 66, 68.
Toledo, 186,218.
Tolla aîné, 315.
Torquemada, grand inquisiteur,
69.
Torrès, 167, 287.
Tortose, 65, 66.
Tota, 229, 287, 302, 301i.
Touailla (Pierre de), 95.
Toul, 290.
Toulouse, 28, 31, /•5, 58, 77, 91,
93,95,96,97,101, 165,330.
Tourny (de), 161, 162, 195, 197,
198, 206, 207, 223.
Tours, 122.
Trans (marquis de), 113.
Trêves, 302.
Troupenat, 268.
Troyes (comtesse de), 37.
Trudaine (de), 206.
Tudèle ^Benjamin de),56,S7, 61.
Turin, 101,302*
Turkeim, 291.
Tyr,81.
U
Ucéda (duc de), l/*0.
Uffoltz, 291.
Upsal, 79.
Ursulines (couvent d.»s), 150.
Utsépho, 10.
Vaez, 287.
Valence, 60, 61», 101.
Valens, 22.
Valentinien, 22.
Valeyrac, 261.
Valladarcs (don Diego S. de), 139.
Vannes, 27, 163, I6h.
Vaucluse, 28J!», 291, 310.
Vaz (François), 130.
Vasquez (Pedro), I/.3.
Veiltrès (Georgjs), 12/*.
Venise, l20, 202.
Verceil, 297.
TABLE DES NOMS.
375
Verdun-sur-Garonne, J!»5.
Vcrgniaud, 271, 313.
Verneuil, 219.
Verrier (François), 125.
Versailles, 156, 207, 322.
Verthamon (de), 261.
Veriheuil (Bernard de), 95.
Vespasien, 15, 52, 53, 6A.
Veyga (Mendès), 212.
Vicente (Pedro), IW».
Vidal, 287.
— (Dominique), 132.
— (Francisco), 1^.
Vidue (Zacharie), 123.
Vienne, 28, 23J!».
— (Haute-), 303.
Vigier (M. de), 163.
— (de), baron de Saint-Martin,
19/>.
— (Pierre), 160.
Villagnos (Francisco de), 90.
Villamanrique (marquis de), Ul.
Viilanova (Juan), 90.
Villanueva (Arnaldo de), 96.
— (Bernabé de), 96.
Viiianos (Juan de), 90.
Viliars (duc de), 165.
Villeneuve des Algardes, 96.
— de Tolède, 96.
— (Béatrix de), 98, 99.
— (Bertrand de), 98.
— (Jehan de), 98, 99.
Vincent, 192.
— (de), 19Zi.
Vinet (Élie), lOJt». 115.
Vincent de Ferrare, 69.
Virga (Salomon bcn), 55, ff7.
Virgile, 11.
Visigoths, 25, 26, 51».
Vitta(Emine), 291.
Voltaire, 233.
Vosges, 28ii, 291.
Vouglé, 96.
Vrillière (de U), 153, 156, 157, 173.
W
Waidl (Jacob), 310.
Weil, 287.
Weill (Léon), 33J!..
Witersheîm,291.
— (Samuel), 290.
Witzenheim, 302.
WolfBaruch,291.
— (Lazare), 290.
Worms, 2W».
— (Olry-Hayem), 291.
— de Romilly, 317, 326.
X
Ximenè8,69,76, 133; 287.
York, 79.
Yudo (dona), 157.
Yzabeau, 266.
Zamora, 68.
— (Alfonso de), 71.
Zinheidner (David), 290.
Zorobabel, 8.
Zuniga, UO.
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